Histoire d’un paysan – 1792 – La Patrie en danger

Chapitre 10

 

Il faut savoir que depuis quelques moisbeaucoup de jeunes gardes nationaux étaient partis commevolontaires : des clercs de notaire, des fils d’employés ou demarchands, tous de solides gaillards, instruits et courageux :Rottembourg, Newingre, Duplain, Soye, étaient du nombre. Les unssont morts pour la patrie, les autres sont devenus capitaines,colonels, généraux. On les inscrivait à la commune, ils recevaientla prime de quatre-vingts livres et rejoignaient Rochambeau àMaubeuge, Lafayette à Metz, ou Luckner dans son camp, près de cheznous, entre Bitche et Belfort. On pensait, en les voyantpartir :

« Voilà les plus fermes soutiens de laliberté. Si les Autrichiens bousculent ceux-là, nous aurons de lapeine à les remplacer. »

Eh bien, maintenant, qu’on se fasse une idéede notre étonnement quand, le 29 avril, la nouvelle se répandit quenos volontaires nationaux s’étaient sauvés devant les Autrichiens,sans même croiser la baïonnette, et que nos vieux soldats de laligne avaient suivi leur exemple. Cela paraissait tellement contrenature, que personne ne pouvait y croire et qu’on disait :

– Les prêtres réfractaires font courirces bruits. Il serait temps d’aller une bonne fois les traquer dansla montagne.

Malheureusement, le soir du même jour, lecourrier de Paris confirma la nouvelle : nos gardes nationauxsoldés et d’autres troupes étaient partis de Valenciennes sur troiscolonnes, pour surprendre Fleurus, Tournay et Mons, où leshabitants patriotes nous attendaient. Mais Rochambeau, qui venaitd’être nommé maréchal par le roi, Rochambeau, comme il le déclaredans son journal du 20 avril, avait prévenu le général autrichienBeaulieu, par une lettre cachetée, qu’il allait l’attaquer ;de sorte que nos colonnes, en s’avançant pleines de confiance,avaient trouvé le double et le triple de forces en position surleur route, avec des canons, de la cavalerie et tout ce qu’ilfallait pour les écraser.

C’est Rochambeau qui raconte lui-même la choseau roi. Si plus tard Bonaparte, Hoche, Masséna, Kléber et lesautres généraux de la République avaient prévenu nos ennemis desmouvements qu’ils allaient faire, je ne pense pas qu’ils auraientremporté beaucoup de victoires.

Les mêmes gazettes nous annonçaient aussi queles volontaires nationaux, en se débandant, avaient crié :

– Nous sommes trahis !

Bien des hommes de bon sens trouvaient qu’ilsn’avaient pas eu tort, et soutenaient que les officiers noblesrestés à l’armée avaient voulu les livrer. Tout le monde criait àla trahison. Et ce n’est pas seulement à notre club que se tenaientces discours ; voici ce que raconte le Moniteur du 3mai 1792.

« Une députation des Cordeliers seprésente à la barre de l’Assemblée nationale ; l’orateur de ladéputation dit : « Trois cents de nos frères ont péri,ils ont eu le sort des Spartiates aux Thermopyles. La voix publiquefait croire qu’ils ont été victimes d’une trahison. »

Cent voix crient :

» Chassez ces coquins !chassez ! »

» Les cris redoublent ; ladéputation est forcée de se retirer. Quelques montagnards demandentla parole. L’Assemblée passe à l’ordre du jour. »

La majorité de cette Assemblée législative,nommée par les citoyens actifs seuls, ne voulait pas del’égalité ; M. le marquis de Lafayette était son dieu, etLafayette, lui, voulait deux chambres comme en Angleterre : lachambre haute des nobles et des évêques, et la chambre basse descommunes. La chambre haute aurait eu le veto du roi, pours’opposer à tout ce que la chambre des communes aurait pu décidercontre l’intérêt des privilégiés ; c’était rétablir les troisordres abolis par la Constituante. Heureusement Louis XVI et lareine Marie-Antoinette se méfiaient du marquis, et le duc d’Orléanspariait pour les Jacobins, qui grandissaient chaque jour.

La trahison s’étendait alors en Vendée, enBretagne, au Midi, dans le Centre, le long des frontières et jusquedans l’Assemblée nationale législative. Mais ce qui mit le comble àtout, c’est que, dans cette même quinzaine où Rochambeau se faisaitbattre par le général Beaulieu, où tous les gueux se réjouissaientde notre défaite, où les prêtres réfractaires annonçaient lechâtiment du ciel aux patriotes, où les émigrés traitaient nosgardes nationales soldées d’armée de savetiers, c’est que le 10mai, je m’en souviendrai toujours, la nouvelle arriva que laveille, à onze heures du soir, Saxe, ce brave régiment dehouzards, qui dans le temps avait sabré les soldatspatriotes de La Fère, et que le roi avait approuvé, venait depasser tout entier aux ennemis, et que chaque homme avait reçu sixlivres le jour de la désertion ; en outre, que ce même jour, 9mai, à cinq heures du matin, Royal-Allemand avait quittéSaint-Avold, sous prétexte d’une promenade militaire, et qu’ilavait passé le pont de Sarrebruck avec chevaux, armes etbagages.

C’était donc le plan de ces honnêtesgens : au nord, la trahison des chefs ; à l’est, ladésertion en masse ; derrière nous, le soulèvement desprovinces.

Depuis longtemps je m’attendais à quelquechose de pareil ; oui, depuis ma rencontre avec Nicolas, aprèsle massacre de Nancy, j’avais pensé qu’un vaurien sans bon sens,sans instruction, et qui n’avait à la bouche que « Moncolonel, mon capitaine, ma reine, mon roi ! » comme unvalet dit : « Mon maître ! » était capable defaire des lâchetés et de tourner son sabre contre la nation qui lenourrissait. Je n’avais pas voulu parler de cela à mon pauvrepère ; mais comment lui porter maintenant la terriblenouvelle ? Le bruit de ces désertions courait déjà dans toutle village ; les gens sortaient, criaient,s’indignaient ; d’une minute à l’autre un mauvais voisinpouvait entrer dans la baraque et tout dire à ces vieilles gens,méchamment, comme il arrive trop souvent en ce monde.

Je partis en bras de chemise, dans le plusgrand trouble, pensant qu’il valait mieux leur raconter le malheurmoi-même, doucement, avec des ménagements ; c’était mon idée.Mais en apercevant de loin le père, qui travaillait sur la porte denotre baraque et qui me regardait venir en souriant, commetoujours, mon trouble augmenta tellement que je ne savais plus ceque je faisais ; toutes mes idées de bon sens me sortirent dela tête, et, le voyant s’avancer à ma rencontre sous le petithangar, je lui criai :

– Oh quel malheur ! quelmalheur !… Nicolas vient de passer à l’ennemi !

Mais à peine avais-je parlé que je frémis dema bêtise ; toute ma vie j’entendrai le cri de ce pauvrevieux, qui tomba la face contre terre, comme assommé d’un coup depioche. Je suis bien vieux aussi maintenant, et je crois encoreentendre ce cri ; c’était quelque chose d’épouvantable, qui mefait pâlir quand j’y pense.

Moi je ne me tenais plus, je m’appuyais contrele mur ; si des voisins n’étaient pas venus me soutenir, jetombais à côté de lui.

La mère, en même temps, sortait de la baraqueen criant :

– Qu’est-ce que c’est ? qu’est-cequ’il y a ?

Et le grand bûcheron Rougereau, emportant monpère dans ses bras, lui répondit :

– C’est l’ouvrage de votre brave Nicolas,qui vient de déserter.

Alors elle se sauva, et j’entrai dans labaraque comme Rougereau déposait mon père sur le lit. Je m’assis àcôté, la tête sur les genoux ; la sueur me coulait comme del’eau froide sur tout le corps ; j’aurais voulu crier, et jene pouvais pas.

Au milieu de ces grandes misères, c’estpourtant une grande consolation de voir combien un honnête homme ad’amis qu’on ne connaissait même pas avant son malheur ; je nel’aurais jamais cru. Tout le village, hommes, femmes, enfants, leslarmes aux yeux, venaient voir le bon père Bastien ; la pauvrebaraque vermoulue était pleine de gens qui marchaient doucement,qui se penchaient dans les vieux rideaux de toile endisant :

– Oh ! pauvre père Bastien !…quel malheur ! Ce gueux de Nicolas lui a donné le coup de lamort.

Voyant cela, je comprenais que les autresauraient eu plus de bon sens que moi, et je me faisais de grandsreproches ; mais quand j’entendis la voix de maître Jeancrier : « Oh ! mon pauvre vieux ami… Oh !pauvre brave homme ! » mon cœur creva, et je gémis touthaut, me reprochant la mort de mon père !

Si je vous parle de ces choses en détail,c’est qu’on est heureux d’être le fils d’un brave homme, que toutle monde estimait malgré sa pauvreté. Combien ne sont estimés quepour leur argent ! Mais avec nous il n’y avait rien à gagner,et les trois quarts de ceux qui venaient nous plaindre étaient plusriches que nous ; voilà ce qui me rend fier ; oui, jesuis fier d’être le fils d’un si brave homme, qu’on aimait tantdans notre pauvre village.

Enfin qu’est-ce que j’ai besoin de vous direencore ? Mon père, cette fois, ne mourut pas. M. ledocteur Steinbrenner, que Marguerite avait envoyé à la premièrenouvelle du malheur, le soigna bien, et il en revint, seulementavec un mal dans le côté ; on aurait cru qu’il étouffait. Lesgens venaient toujours le voir, et il leur souriait endisant :

– Ce n’était rien !

Ma mère, elle, ne pouvait pas chasser cemonde. Je voyais à sa mine que cela l’ennuyait beaucoup : carc’était la condamnation de Nicolas, et Nicolas était celui qu’elleaimait.

Une seule chose lui fit de l’effet, c’estquand Jean Pierre Miralle, notre voisin, lui dit que Nicolas nepourrait plus jamais revenir en France sans être arrêté, jugé parun conseil de guerre et fusillé. Miralle avait servi commegrenadier dans le temps, il connaissait la loi militaire ;malgré cela, elle ne voulait pas le croire ; mais ensuitemaître Jean lui ayant dit que c’était vrai, et qu’on ne recevaitles traîtres en France qu’à coups de fusil, en pensant qu’elle nereverrait plus Nicolas, elle se mit le tablier sur les yeux etsortit pleurer dans les champs.

Quelque temps après ces malheurs, un jour quenous étions seuls, le père et moi, et qu’il se tenait la main surle côté pour reprendre haleine en travaillant, comme je luidemandais :

– Est-ce que vous vous sentez mal là, monpère ?

Il me répondit, après avoir bien regardé si lamère était sortie :

– Oui, mon enfant… Je crois que quelqu’unm’a piqué sous le téton gauche.

Il se rappelait la lettre de Nicolas, maîtrede pointe et de contre-pointe au régiment de Royal-Allemand, etfaisait semblant de sourire. Mais presque aussitôt il se mit àfondre en larmes ; et levant les deux mains au-dessus de satête, il disait :

– O mon Dieu ! pardonnez-lui,pardonnez-lui ! Le pauvre malheureux n’en sait pas plus ;il ne sait pas ce qu’il fait !

C’est tout ce qu’il me dit ; mais ilconserva toujours son mal, et quelquefois le soir, pendant que toutdormait dans la baraque et qu’il me croyait endormi comme lesautres, je l’entendais gémir dans son lit.

Moi je prenais une bonne figure ; tousles jours, en entrant, je m’asseyais près du père, je lui parlaisdes progrès d’Étienne, qui marchait très bien, et chaque dimancheje faisais venir mon petit frère pour embrasser les parents. Cejour-là tout était bien, la figure du pauvre homme changeait, sesyeux s’attendrissaient ; il ne pensait plus à Nicolas, etdisait :

– Nous sommes les plus heureuses gens dumonde. Tout va bien !

Mais durant la semaine, dans ces longuesjournées qui commencent à cinq heures du matin et ne finissent qu’àneuf heures du soir, et pendant lesquelles un vannier est courbésur son ouvrage, il n’avait de joie qu’à la nuit de m’entendrerentrer en chantant et sifflant : car j’avais pris cettehabitude pour cacher mon chagrin. Chaque fois il se levait etvenait sur la porte, en me disant :

– C’est toi, Michel ! Je t’ai bienentendu… Comment a marché le travail aujourd’hui ?

– Bien, très bien, mon père.

– Allons, tant mieux, faisait-il. Tiens,assieds-toi là, que je finisse cette corbeille.

La mère, elle, ne bougeait plus de son coin,dans l’ombre, près de l’âtre, les mains croisées sur les genoux,ses lèvres serrées ; elle ne disait plus rien : ellepensait à Nicolas !

Quand j’allais en ville, Marguerite me donnaitun paquet de gazettes, et tous les soirs j’en lisais une au père,qui ne trouvait rien de plus beau que les discours deM. Vergniaud et des autres girondins. Il s’étonnait de leurcourage et comprenait de mieux en mieux que le peuple devait êtresouverain. Ces nouvelles idées n’entraient pas facilement dansl’esprit du pauvre vieux, soumis pendant tant d’années aux droitsdu seigneur et de l’abbaye. Il se rappelait toujours les ancienstemps, et ne pouvait croire que les hommes sont égaux, qu’iln’existe entre eux d’autres différences que celles des vertus etdes talents. Les vieilles habitudes de l’esprit sont difficiles àdéraciner ; malgré cela un homme de bon cœur finit tout demême par se ranger à la justice, et voilà pourquoi mon pèrecomprenait ces choses.

On pense bien qu’après la trahison deshussards de Saxe et de Royal-Allemand, le maréchal Rochambeau, quetous les patriotes attaquaient, ne pouvait plus rester en place. Ildonna de lui-même sa démission, et nos trois armées sur lafrontière n’en firent plus que deux : celle du Nord (deDunkerque à la Moselle), sous Lafayette ; et celle de l’Est(de la Moselle au Jura), sous Luckner, un vieux houzardallemand qui savait à peine parler français.

Les Autrichiens, au lieu d’avancer,attendirent longtemps le roi de Prusse, Frédéric-Guillaume, qui nese pressait pas de venir, malgré les cris des émigrés. Ce fut ungrand bonheur pour la nation : car on avait vu ledanger ; on avait reconnu que les fusils manquaient presquepartout, et que si les autres avaient profité de notre étonnementpour nous envahir, nous aurions eu de la peine à nous défendre.Aussi tous les patriotes voulurent avoir des fusils, mais l’arsenalétait vide ; il avait fallu d’abord armer les volontaires avecde vieilles patraques du temps de Louis XV, dont les batteries nejouaient pas. Tout le reste était à l’avenant ; les vieuxcanons, mangés par le vert-de-gris, dormaient sur leurstraverses ; les boulets, trop petits on trop grands, roulaientdedans ou ne pouvaient pas entrer. La poudre seule était toujoursbonne et sèche, parce que les poudrières de Phalsbourg, tailléesdans le roc vif, sont peut-être les meilleures de France.

Voilà ce qui se disait et se voyait ; etc’est pourquoi l’idée d’avoir des piques se répandit dans lamontagne. Tout ce mois de mai 1792 fut pour nous un temps detravail extraordinaire. Le modèle des piques arriva de Paris. Lahampe, en bois de charme, avait sept pieds et demi, le fer quinzepouces ; il était en forme de serpe, tranchant des deux côtés,avec un crampon dans le bas pour accrocher les cavaliers.

Combien de fois, en forgeant ce crampon, je mesuis écrié dans mon âme :

– Pourvu que celui-ci tire de son chevalle gueux qui fait pleurer mon père ! Pourvu qu’il l’accrochepar le cou !

Je me figurais ces choses… mon marteauroulait… je forgeais avec une véritable rage. Quelles pensées pourun frère ! Voilà cette guerre civile terrible, cette guerrequi divise non seulement les hommes de la même patrie, maisjusqu’aux enfants de la même mère.

Nous avons bien forgé de mille à quinze centspiques en deux mois ; j’avais été forcé de prendre deuxnouveaux compagnons ; et maître Jean lui-même, pour m’aider,n’allait plus qu’une fois par semaine à sa ferme de Pickeholtz.

Il fallait nous voir, les manches retrousséesjusqu’aux épaules, la chemise ouverte, les reins serrés dans nosceintures, et notre bonnet rouge à cocarde sur l’oreille, battre lefer dans la rue, au milieu de cinquante à soixante montagnardsarrêtés chaque matin devant l’auberge des Trois-Pigeons, avec leurgrand sarrau de toile écrue et leur large feutre à chenillestricolores. La forge était trop petite pour un si grandtravail ; le four seul restait à l’intérieur et chauffait dumatin au soir. Un compagnon ne faisait qu’entrer et sortir pourprendre le fer, le présenter à l’enclume et le remettre au feu.

Maître Jean était là dans son élément ;il avait aussi un grand bonnet rouge qui lui couvrait à moitié sesgros favoris ; et quand la sueur nous coulait dans la raie dudos, quand on ne pouvait presque plus souffler, il criait d’unevoix terrible :

– En avant !… ça ira !… çaira !…

Et les marteaux continuaient de rouler commeune diligence sur le pavé de la ville.

Ah ! nous en avons abattu de l’ouvrage ence temps. Les chaleurs étaient alors revenues, la verdure couvraitle village, c’était un temps superbe ; mais le soir, maîtreJean, les compagnons et moi, nous étions si fatigués que nousaimions encore mieux nous étendre après souper que d’aller au club,excepté le samedi soir, quand nous étions sûrs de faire la grassematinée et de nous rattraper le lendemain dimanche.

Il m’est arrivé deux ou trois fois dans mavie, en courant la montagne, de retrouver une de ces vieillespiques chez les bûcherons ou les schlitteurs, derrière le vieuxbaldaquin ou contre la boîte de l’horloge ; les gens nesavaient plus ce que c’était ! Moi je prenais la piquerouillée, je la regardais, je la retournais, et tout ce bon tempsde patriotisme me revenait d’un coup ; je m’écriais enmoi-même :

« Toi, tu t’es promenée en Alsace, enLorraine, en Champagne. Tu as paré les coups de sabre d’un uhlan deWurmser, et le roulement du canon de Brunswick ne t’a pas faittrembler dans les mains qui te tenaient. »

Je revoyais ces histoires déjàlointaines ; j’entendais les cris de : « Vive lanation !… Vive la liberté !… Vaincre oumourir ! » Que les temps sont changés, mon Dieu, et leshommes aussi !

Enfin, pendant que cela se passait chez nous,tout allait son train ailleurs ; les feuillants traitaient lespatriotes de factieux ; les girondins appelaient lesmontagnards des anarchistes ; les montagnards reprochaient auxgirondins d’avoir fait déclarer une guerre qui commençait simal ; ils les accusaient de glorifier Lafayette, l’homme duChamp de Mars, celui qui demandait à l’Assemblée nationale deséloges pour Bouillé, après les massacres de Nancy ; ils leurdisaient : « Faites donc destituer Lafayette, puisque lesministres sont des vôtres. Lafayette est général, malgré l’articlede la constitution qui défend aux membres de l’Assemblée d’accepteraucune place du roi, dans les quatre années qui suivent sadissolution. Faites-le destituer, c’est votre devoir. »

Marat criait aux soldats de fusiller lesgénéraux qui les trahissaient ; Royou répétait dans saGazette que la dernière heure de la révolution allaitsonner ; en Vendée, un marquis de la Rouarie levait des impôtset faisait des magasins d’armes et de munitions au nom duroi ; les nobles qui voulaient passer à l’ennemi s’engageaientsous de faux noms dans les volontaires, pour gagner la Suisse oules Pays-Bas. Mais le pire, c’étaient toujours les prédications desprêtres réfractaires représentant les patriotes comme des brigandset le roi comme un martyr ; excitant la jeunesse à s’engagerparmi les citoyens catholiques, apostoliques et romains ; leurdistribuant des cœurs de Jésus brodés par de nobles dames, et desrubans blancs ornés de sentences, pour mettre autour de leurschapeaux.

La fureur de ces gens ne connaissait plus debornes, surtout depuis le dimanche des Rameaux, en avril. Avant laRévolution, tous les paysans, hommes et femmes, arrivaient enville, le jour de cette fête, avec des branches de sapin pour lesfaire bénir ; on faisait des processions dans les rues, et leshabitants, catholiques, protestants ou juifs, étaient forcés detendre leurs maisons de tapisseries, de fleurs et de feuilles.C’est à peine si on permettait aux luthériens et aux juifs defermer leurs volets pendant les chants autour des reposoirs. Maiscomme beaucoup de patriotes, Chauvel en tête, s’étaient plaints decette cérémonie, le corps municipal, sur la réquisition duprocureur de la commune, avait arrêté, d’après la nouvelleconstitution qui garantissait à tout homme l’exercice libre de sareligion, qu’à l’avenir personne ne serait plus forcé de tendre nitapisseries, ni feuilles devant sa maison ; que la gardenationale ne pourrait pas être requise d’assister aux cérémoniesd’un culte quelconque, et que les citoyens ne pourraient plus êtreforcés de fermer leurs boutiques sur le passage desprocessions.

On pense bien qu’en ce jour la garde citoyenneavait été sous les armes, et que des centaines de Valentin, de pèreBénédic, et d’autres malheureux pareils, étaient arrivés pour serévolter contre la loi. Mais le commandant ayant fait charger lesfusils sur la place, en leur présence, et le prêtre constitutionnelayant eu le bon sens de faire sa procession dans l’église, tous cesgens s’en étaient allés furieux, sans avoir osé rienentreprendre.

Malheureusement, les choses s’étaient passéesautrement dans le Midi et dans l’Ouest. Les gazettes nousapprenaient que, même à Paris, des citoyens paisibles avaient étéhorriblement maltraités, pour n’avoir pas voulu se découvrir devantles processions. On était allé jusqu’à les traîner dans laboue ! et depuis, les fanatiques commettaient des dégâts detoute sorte, surtout dans le Haut-Rhin ; à chaque instant onapprenait que tel curé constitutionnel venait d’avoir sa maisonbrûlée, ses arbres fruitiers coupés, ou d’être assommélui-même.

Dans nos environs, la mauvaise race n’osaitpas trop s’avancer ; elle se méfiait des gendarmes nationauxet de la garde citoyenne ; mais à mesure que les troublesgrandissaient, que les nouvelles devenaient mauvaises, elle prenaitplus d’audace. Vers la fin du mois de mai, un matin que nousforgions des piques, comme je vous l’ai dit, nous vîmes arriver deloin, dans la rue, le curé Christophe ; devant lui marchaientdeux espèces de mendiants, en sarraus déchirés, la tête nue, lescheveux pendants sur la figure et les mains liées sur le dos. Ilsétaient attachés l’un à l’autre, et regardaient à terre, tandis queM. le curé, son grand bâton de houx à la main, et trois de sesparoissiens, leurs fourches sur l’épaule, les conduisaient enville. Tous les montagnards réunis devant la forge s’étaientretournés et maître Jean, regardant le curé venir, luicria :

– Hé ! qu’est-ce que c’est donc,Christophe ? tu m’as l’air d’avoir fait des prisonniers.

– Oui, dit le curé, ces deux mauvaisdrôles, avec trois autres de la même espèce, sont venus m’attaquerhier soir entre Spartzprod et Lutzelbourg, comme je revenais devoir mon frère Jérôme ; ils ont déboulé sur moi des deux côtésavec des hachettes et des couteaux, en criant : « À mort,le renégat ! » Mais je les ai bien reçus avec monbâton ! Les trois autres se sont échappés et ces deux-ci sontrestés sur place ; je les ai relevés moi-même et je les aiconduits à la maison commune, où mes paroissiens les ont gardés àvue toute la nuit. Nous allons voir ce que ces gens-là me veulent,ce que je leur ai fait ! Si c’était la première fois, je meserais contenté de les corriger ; mais c’est la troisième foisqu’on m’attaque. Les premiers n’avaient que des triques, ceux-ciavaient des hachettes et des couteaux ; regarde, Jean, lescoups qu’ils m’ont portés !

Alors, ouvrant sa soutane, M. Christophenous montra sa poitrine entourée d’un bandeau de linge plein desang.

– J’ai trois coups, dit-il : un surl’épaule et deux dans les côtés.

En voyant cela, notre indignation fut telleque, si le curé n’avait pas poussé les deux misérables dans le coinoù se trouvait la pompe, nous leur aurions cassé la tête à coups demarteau. Mais il étendait les bras devant eux, et criait :

– Halte ! halte ! je n’auraispas eu besoin de vous si j’avais voulu les tuer. Il faut que la loiparle ; il faut que l’on sache d’où cela vient.

Et comme la foule accablait ces brigands dereproches, il fit signe à ses paroissiens de les emmener, et lessuivit lui-même en nous disant :

– Ce soir, je repasserai ; vousaurez de mes nouvelles !

Toute la journée on ne fit que parler decela ; maître Jean à chaque instant s’écriait :

– C’est pourtant agréable d’êtrefort ! Un autre que Christophe aurait été massacré poursûr ; mais son frère Jérôme, du Hengst, et lui, sont les deuxplus forts du pays. Ces grands hommes roux, avec de petites tachesjaunes sur la peau, sont tous très forts. C’est la vieille race deshommes de la montagne.

Et tout à coup il se mettait à rire, en setenant le ventre et criant :

– Quelle surprise pour les autres quicroyaient le surprendre ! Ah ! ah ! ah ! quellemine ils ont dû faire en recevant cette averse !

Il riait tellement que cela gagnait tout lemonde, et qu’on disait en s’essuyant les yeux :

– Oui, ça devait les étonner tout demême ; ils ne s’attendaient pas à cette débâcle !

Mais ensuite, en songeant aux coups dehachette et de couteau qu’ils avaient donnés à M. le curéChristophe, l’indignation vous revenait, et l’on pensait que ceserait avec ces gueux-là qu’on ferait l’épreuve, à Phalsbourg, dela nouvelle machine dont toutes les gazettes parlaient et quidevait remplacer la potence. On l’avait essayée à Paris depuis unequinzaine, et l’on appelait cette terrible invention un progrès del’humanité. Sans doute c’était un progrès, mais de pareillesinventions sont toujours un mauvais signe, et les capucins quicriaient que les temps étaient proches, n’avaient pas tort ;ils ont dû reconnaître eux-mêmes, par la suite, que leur prédictionétait encore plus vraie qu’ils ne pensaient.

Le curé Christophe, en repassant le soir auxBaraques pour retourner à Lutzelbourg, vint prendre un verre de vinà l’auberge, comme il l’avait promis à maître Jean, et nous dit queles deux prisonniers étaient au cachot de la ville ; que lejuge de paix, M. Fix, après les avoir interrogés longuement etavoir dressé son procès-verbal, allait les envoyer à Nancy, où leuraffaire marcherait rondement.

Voilà comme cette espèce de guerre religieuses’envenimait dans notre pays ; les prédications des prêtresréfractaires en étaient cause ; et ce devait être encore bienpis dans le Midi et en Vendée ; il devait arriver de là biend’autres accusations à l’Assemblée nationale, puisque deux joursaprès le passage du curé Christophe aux Baraques, on vit ce décretaffiché partout : à la porte des églises, devant les mairieset les maisons d’école :

« L’Assemblée nationale, après avoirentendu le rapport de son comité des douze ; considérant queles troubles excités dans le royaume par les ecclésiastiques nonsermentés exigent qu’elle s’occupe sans délai des moyens de lesréprimer, décrète qu’il y a urgence.

» L’Assemblée nationale, considérant queles efforts auxquels se livrent constamment les ecclésiastiques nonsermentés, pour renverser la constitution, ne permettent pas desupposer à ces ecclésiastiques la volonté de s’unir au pactesocial, et que ce serait compromettre le salut public que deregarder plus longtemps comme membres de la société des hommes quicherchent à la dissoudre ; – considérant que les lois pénalessont sans force contre ces hommes qui, agissant sur les consciencespour les égarer, dérobent presque toujours leurs manœuvrescriminelles aux regards de ceux qui pourraient les faire réprimeret punir – après avoir décrété l’urgence, décrète ce quisuit :

» Art. 1er. La déportation desecclésiastiques insermentés aura lieu comme mesure de sûretépublique et de police générale, dans les cas et suivant les formesci-après. »

Alors, dans une dizaine d’articles, on voyaitles cas où les prêtres insermentés devaient être déportés, et leprincipal de ces articles revenait à celui-ci : « Lorsquevingt citoyens actifs du même canton se réuniront pour demander ladéportation d’un ecclésiastique non sermenté, le directoire dudépartement sera tenu de prononcer la déportation, si l’avis dudirectoire du district est conforme à la pétition. »

C’était un décret terrible ; mais ilfallait ou périr ou se défendre ! Quand on a prévenu lesgens ; quand on les a priés et suppliés d’être justes etraisonnables ; quand on leur a cent fois offert la paix etqu’ils la refusent en nous attaquant toujours avec une fureurnouvelle ; quand ils excitent la guerre civile et qu’ilsappellent l’étranger à leur secours, alors, à moins d’être deslâches ou des dupes, il ne reste plus qu’un moyen de s’endébarrasser : c’est de leur prouver qu’on est le plus fort etde les traiter, non plus en hommes de paix, mais comme des soldatsrévoltés contre la patrie. Si la nation avait été vaincue, quelaurait été le sort des patriotes ? Brunswick, l’ami des nobleset des prêtres réfractaires, va bientôt vous le dire dans saproclamation.

Ce décret était donc nécessaire. Ehbien ! Louis XVI y mit son veto.

Le bruit courait aussi que les émigrés, parmilliers, retournaient à Paris ; qu’ils y tenaient desréunions secrètes, et qu’on allait apprendre de grandsmalheurs.

L’Assemblée nationale, voulant empêcher cesgens de troubler l’ordre, décréta qu’un camp de 20 000 hommesserait formé dans les environs de la capitale. Mais Louis XVI mitencore son veto sur ce décret. En même temps il envoyaitMallet-Dupan aux Prussiens, pour leur dire de se dépêcher,et d’annoncer, en nous envahissant, qu’ils n’en voulaient pas à lanation mais aux factieux, et qu’ils venaient seulement rétablirchez nous le gouvernement légitime contre les anarchistes.

Voilà l’honnête homme, le bon roi, d’accordavec les ennemis de son peuple. Qu’on le plaigne : il voulaitnous remettre la corde au cou ; s’il avait réussi, vous et moinous travaillerions tous pour les couvents, les abbayes et lesseigneurs ; nous supporterions tous les impôts ; nosenfants ne pourraient obtenir aucun grade dans les armées, niremplir aucune fonction excepté celles de capucin, de laquais, depalefrenier, de domestique ; nous serions les derniers desmisérables ; mais les courtisans, les fainéants, les moinesprospéreraient et chanteraient les louanges de Sa Majesté. Lepauvre homme n’a pas réussi ; les patriotes ont vaincu lesrois de l’Europe, pour établir et maintenir chez nous la justice…Quel malheur !… Il est bien à plaindre !… et la reineaussi, cette bonne Marie-Antoinette, qui disait tous les jours queles Prussiens et son neveu le roi de Hongrie, empereur d’Allemagne,allaient venir la délivrer sur les corps de deux cent milleFrançais !

Les girondins, reconnaissant enfin qu’ilsétaient joués par la cour, résolurent de forcer le roi des’expliquer, et le ministre Roland lui écrivit une lettre, pour luidemander d’avoir au moins la franchise de se déclarer ouvertementpour ou contre la nation ; que, s’il était pour, il devaitsanctionner les deux décrets ; que, s’il était contre, ildevait maintenir son veto, et qu’alors le peuple sauraitque Louis XVI tenait avec les ennemis de la France.

C’était honnête ! Il luidisait :

« Votre Majesté jouissait de grandesprérogatives, qu’elle croyait appartenir à la royauté. Élevée dansl’idée de les conserver, elle n’a pu se les voir enlever avecplaisir ; le désir de se les faire rendre était aussi naturelque le regret de les voir anéantir. Ces sentiments ont dû entrerdans les calculs des ennemis de la révolution ; ils ont comptésur une faveur secrète, jusqu’à ce que les circonstances permissentune protection déclarée. Ces dispositions ne pouvaient échapper àla nation elle-même, et elles ont dû la tenir en défiance. VotreMajesté a donc été constamment dans l’alternative de céder à sesaffections particulières, ou de faire des sacrifices exigés par lanécessité, par conséquent d’enhardir les rebelles en inquiétant lanation, ou d’apaiser celle-ci en vous unissant à elle. Tout a sonterme, et celui de l’incertitude est arrivé.

» La déclaration des droits est devenueun évangile politique, et la constitution française une religionpour laquelle le peuple est prêt à périr… Tous les sentiments ontpris l’accent de la passion. La fermentation est extrême ;elle éclatera d’une manière terrible, à moins qu’une confianceraisonnée dans les intentions de Votre Majesté ne puisse enfin lacalmer ; mais cette confiance ne s’établira pas sur desprotestations, elle ne saurait plus avoir pour base que des faits…Il n’est plus temps de reculer ; il n’y a même plus moyen detemporiser : la révolution est faite dans les esprits ;elle s’achèvera au prix du sang et sera cimentée par lui, si lasagesse ne prévient pas les malheurs qu’il est encore possibled’éviter… Encore quelque délai, et le peuple contristé croiraapercevoir dans son roi l’ami et le complice desconspirateurs. »

Pour toute réponse, le roi destitua lesministres girondins ; mais l’Assemblée nationale décréta queces ministres emportaient les regrets de la patrie, et que lalettre de Roland serait envoyée aux 83 départements.

Le roi nomma ensuite Dumouriez ministre de laguerre. Ce général était un homme très fin ; lorsqu’il vitque, malgré ses conseils, Louis XVI ne voulait pas sanctionner lesdeux décrets, il aima mieux se démettre lui-même et prendre unpetit commandement à l’armée ; de sorte que le roi, netrouvant plus un homme de bon sens pour courir le danger de sesdeux veto, fut très découragé. La reine lui rendaitconfiance, en disant : « Les Prussiens viendront bientôt.Encore un peu de patience !… Il ne faut pas se laisserabattre ; les prêtres nous soutiennent aussi ; toutmarche bien en Vendée, etc. »

Ces choses ont été racontées plus tard par unefemme de Marie-Antoinette, et je crois que c’est vrai ; celadevait se passer comme dans notre baraque, lorsque mon père perdaitconfiance et que ma mère lui disait :

– Sois tranquille ! le temps de lamilice approche ; nous vendrons Nicolas, Claude ouMichel ; sur trois il faudra bien qu’un gagne ! Alorsnous aurons du repos ; nous payerons l’usurier et nousachèterons avec le reste une vache ou bien deux chèvres.

C’est toujours la même histoire ;seulement au lieu de vendre Nicolas, Claude ou moi, la reine auraitpeut-être cédé l’Alsace. Toute la France s’en méfiait ; cetteidée vous pesait sur le cœur, et c’était lourd ; car ledernier Baraquin aimait mieux son pays que ces gens-là, j’en suissûr ! Le vrai patriotisme est dans le peuple ; il aime laterre, lui, qu’il retourne et qu’il ensème ; les autres aimentles places où l’on attrape de bonnes pensions sans rien faire. Aumoins dans le temps c’était comme cela.

Tous les soirs, au club, on faisait desmotions de tout exterminer, et Chauvel répétait sanscesse :

– Du calme ! du calme !… Lacolère ne sert à rien ; elle trouble tout !… Ces deuxveto nous font du bien, l’ennemi se découvre ; ilvaut mieux le voir en face. Jusqu’à présent nous avions eu dudoute, à cette heure nous n’en avons plus ; on veutl’agitation, le trouble, la division entre nous !… C’est leplan de nos ennemis ; raison de plus pour être unis et desang-froid. On ne veut pas de patriotes fédérés aux environs deParis, raison de plus pour en envoyer de bons ! Que chacuns’apprête à marcher ; que ceux qui resteront se cotisent pourfaire la solde des autres. Que chacun agisse selon ses moyens…Attention !… Restons unis et pas de trouble !

C’est ainsi qu’il parlait ! Et puis onlisait les discours des Jacobins, de Bazire, de Chabot, deRobespierre, de Danton, et l’on voyait que ces hommes n’avaient paspeur, qu’ils ne voulaient plus reculer ; au contraire. Tousregardaient la destitution des ministres girondins comme un malheurpublic, parce qu’au moins ceux-là ne s’entendaient pas avecl’étranger, et que, s’ils voulaient la guerre, c’était pour faireavancer plus vite la révolution, et non pour nous livrer auxennemis.

Parmi les clubs du pays, le nôtre, à cause dubon sens de Chauvel et de sa fermeté dans l’ordre, était peut-êtrele meilleur. On envoyait nos motions aux Jacobins, et quelquefoisil en était fait mention dans le rapport des séances.

Mais alors Lafayette, qu’on avait toujoursreprésenté comme un bon patriote, que maître Jean aimait tant etque les girondins avaient soutenu contre les montagnards, tout àcoup ce Lafayette découvrit ses batteries, et l’on reconnutqu’elles étaient pointées sur nous ; qu’il tenait avec la couret le roi et qu’il se moquait du peuple. Ce qu’il avait faitjusqu’à ce jour était en grande partie par vanité, maintenant ilrentrait dans sa vieille nature : c’était un marquis !.,et même un marquis dangereux, puisqu’il avait une armée et qu’ilpouvait essayer de l’entraîner contre l’Assemblée nationale.

C’est la première fois qu’on vit un pareildanger ; depuis, d’autres généraux ont eu la même idée !Heureusement Lafayette n’avait pas remporté de grandesvictoires ; il disait bien, après un petit combat en avant deMaubeuge, où les Autrichiens avaient été battus : « Monarmée me suivra ! » mais il n’en était pas sûr, et secontenta d’écrire à l’Assemblée une lettre très insolente,déclarant que les Jacobins étaient cause de tout le désordre,traitant les girondins d’intrigants, et donnant en quelque sortel’ordre à l’Assemblée nationale de dissoudre tous les clubs, et deretirer ses deux décrets sur les prêtres réfractaires et sur lecamp au nord de Paris.

Allez donc vous fier à des marquis amis deWashington !… Un soldat sans victoires qui veut donner desordres aux représentants du pays !… Aussi, depuis ce temps-là,M. le marquis de Lafayette, tantôt l’ami de Washington, tantôtle défenseur de la cour, était connu. Le roi n’en voulait pas plusque les patriotes ; il était trop républicain pour lui et tropmarquis pour nous.

Voilà les gens qui veulent porter l’eau surles deux épaules, et se figurent avoir plus d’esprit que tout lemonde. La garde nationale, depuis son départ de Paris, s’étaitréunie avec le peuple ; les bourgeois et les ouvriers tenaientensemble, comme en 89 ; le maire Pétion, avec son bon sens,les avait réconciliés ; et quand on vit l’insolence de cemarquis, on s’accorda pour célébrer l’anniversaire du serment duJeu de paume, qui tombait au 20 juin. Chauvel nous en parlait déjàhuit jours à l’avance, dans son arrière-boutique.

– C’est la plus grande fête nationale,disait-il, le coude au coin de son bureau et la tête penchée d’unair joyeux ; oui, le serment du Jeu de paume vaut, dans songenre, la prise de la Bastille ; ce devraient être là les deuxgrandes fêtes inscrites au calendrier, comme chez les juifs lepassage de la mer Rouge et l’arrivée au mont Sinaï !

Il prenait une prise tout doucement, enclignant de l’œil ; et, la veille du 20 juin, même avant deconnaître la lettre de Lafayette, qui n’arriva chez nous que le 24,Chauvel nous dit :

– Nous ne pouvons pas célébrer le sermentdu Jeu de paume à Phalsbourg ; dans une place forte ilfaudrait avoir la permission du ministre et je n’ai pas voulu lademander ; mais c’est égal, je vous engage tout de même àprendre demain, après dîner, un bon verre de vin en l’honneur de cejour ; nous ne serons pas les seuls en France !

Et nous comprîmes alors qu’il se passeraitquelque chose le lendemain, qu’il le savait, mais que sa grandeprudence l’empêchait de nous le dire.

Tout le monde sait aujourd’hui que le 20 juin1792 le peuple de Paris se leva de bon matin, et que, sous laconduite du brasseur Santerre, du boucher Legendre, de l’orfèvreRossignol et de quelques autres bons patriotes, une fouleinnombrable d’hommes, de femmes et d’enfants, avec des canons etdes piques, des drapeaux tricolores et des culottes pendues au boutde longues perches, se rendirent à l’Assemblée nationalecriant : « À bas le veto ! Vivent lesministres girondins ! » et chantant le « Çaira ! »

L’Assemblée nationale leur ouvrit sesportes ; ils défilèrent à vingt-cinq ou trente mille pendanttrois heures, et puis ils allèrent aussi visiter le roi, la reineet leurs ministres au château des Tuileries.

La garde nationale, qui n’était plus commandéepar Lafayette, au lieu de tirer dessus, se mit à fraterniser aveceux ; et tous ensemble, pêle-mêle, montèrent dans lepalais.

Alors ces pauvres gens, qui n’avaient jamaisvu que la misère, virent ce château plein de dorures et d’objetsd’art de tous les états : peintures, instruments de musique,armoires pleines de verreries et de porcelaines ; ils enfurent émerveillés. Ils virent aussi le roi, que ses domestiquesentouraient dans l’embrasure d’une fenêtre. Le boucher Legendre luidit qu’il fallait sanctionner les décrets, que le peuple était lasd’être pris pour une bête, qu’il voyait clair et ne se laisseraitplus tromper.

C’étaient les propos d’un homme simple.

Le roi lui promit d’observer la constitution.Ensuite il monta sur une table, mit un bonnet rouge et but un verrede vin à la santé de la nation.

Le tumulte était grand dans cette salle ;mais le maire Pétion, étant arrivé, dit à cette quantité depatriotes qui se complaisaient à regarder le château que, s’ilsrestaient plus longtemps, les ennemis du bien public envenimeraientleurs intentions ; qu’ils avaient agi avec la dignité d’hommeslibres, et que le roi verrait dans le calme ce qu’il aurait àdécider. Ils comprirent que le maire avait raison, et défilèrentjusqu’au soir, en saluant la reine et les princesses, assises dansune de ces grandes chambres, avec le petit dauphin.

Voilà ce que bien des gens ont représentécomme un crime du peuple contre le roi. Moi, plus j’y pense, plusje trouve cela simple et naturel. Sans doute on n’aime pas voir unegrande foule dans sa maison ; mais un roi doit être comme unpère pour son peuple. Louis XVI avait dit cent fois :« Je suis le père de mes sujets ! »

Eh bien ! si c’était vrai, s’il lepensait, cela ne devait pas l’étonner ; rien n’est plusnaturel que d’aller voir son père, et de lui demander ce qu’ondésire. Mais, pour dire la vérité, je crois qu’il disait cela commeautre chose, et que cette visite de ses enfants lui parut unspectacle terrible, parce qu’ils étaient trop sans gêne. Et commeles Valentins ne manquaient pas en ce temps, ils poussèrent deslamentations qui n’en finissaient plus.

D’un autre côté les patriotes avaient espéréque Louis XVI, en voyant cette masse de gens, ferait des réflexionset qu’il sanctionnerait les décrets. C’était la pensée de Chauvel.Mais le roi s’obstina dans son veto, de sorte qu’onreconnut que c’était une affaire manquée et que nos ennemisallaient en tirer avantage.

On pouvait y compter. Tout le parti desfeuillants et des soi-disant constitutionnels, Barnave, Mounier,Lally-Tollendal, Duport, les frères Lameth, ceux qui parlaienttoujours du respect de la constitution au peuple et qui donnaientdes conseils à la cour pour la détruire, ces gens, la moitié de lagarde nationale et soixante-seize directoires de départementlevèrent les mains au ciel en criant que tout était perdu, qu’on nerespectait plus le roi ; qu’il fallait mettre en accusationSanterre, Rossignol et Legendre, tous les chefs de la manifestationdu 20 juin, et le maire de Paris, Pétion, pour n’avoir pas faitmitrailler le peuple, comme Bailly au Champ de Mars. EnfinLafayette lui-même, au lieu de rester à son poste et d’observer lesquatre-vingt mille Autrichiens et Prussiens réunis à Coblentz pournous envahir, Lafayette quitta tout et vint à Paris, demander aunom de l’armée le châtiment des insurgés du 20 juin.

À l’Assemblée on lui fit beaucoup d’honneurs,ce qui n’empêcha pas le girondin Guadet de dire :

« En apprenant que M. Lafayetteétait à Paris, j’ai pensé tout de suite : Nous n’avons plusd’ennemis extérieurs, les Autrichiens sont vaincus. Cette illusionn’a pas duré longtemps ; nos ennemis sont toujours les mêmes,notre situation extérieure n’a pas changé, et cependantM. Lafayette est à Paris ! Quels puissants motifsl’amènent ? Nos troubles intérieurs ? Il craint donc quel’Assemblée nationale n’ait pas assez de puissance pour lesréprimer ? Il se constitue l’organe de son armée et deshonnêtes gens… Ces honnêtes gens où sont-ils ? Cette armée,comment a-t-elle pu délibérer ? Je crois que M. Lafayetteprend le vœu de son état-major pour celui de l’armée toutentière ; et je dis que s’il a quitté son poste sans congé duministre, il viole la constitution. »

C’était clair !

Lafayette est le premier exemple de cesgénéraux qui, par la suite, ont planté là leurs armées pour venirs’emparer du pouvoir, sous prétexte de sauver le pays.

On aurait dû l’arrêter et le faire juger parun conseil de guerre ; s’il avait eu dix ans de boulet, commeun simple soldat, les autres ne se seraient pas tant pressés devenir à Paris sans ordre.

Enfin, après avoir dénoncé les Jacobins àl’Assemblée nationale, il courut offrir à Leurs Majestés de lesconduire à Compiègne, où le roi pourrait ordonner la révision de laconstitution, rétablir la monarchie dans ses prérogatives et lanoblesse dans ses privilèges civils ; lui, Lafayette, sechargeait d’exécuter les volontés du roi, et, si Paris résistait,de le traiter en ville rebelle. C’est ce qu’on a su plus tard, pardes lettres de Coblentz. Mais la reine et le roi lui firentmauvaise mine.

La reine voulait être délivrée par lesPrussiens, et non par M. Lafayette, qui l’avait trimballée deVersailles à Paris, au milieu de la multitude en guenilles,criant : « Voici le boulanger, la boulangère et le petitmitron ! » Elle ne pouvait oublier cela, ni s’habituer àl’idée d’une constitution quelconque, et bien moins encore à voirdans M. Lafayette le sauveur de la monarchie. Le gouvernementabsolu des Prussiens et celui de François, son neveu, roi de Bohêmeet de Hongrie, empereur d’Allemagne, valait bien mieux.

Lafayette, reconnaissant alors que le temps ducheval blanc était passé, essaya tout de même d’assembler la gardenationale, pour exterminer le club des Jacobins ; mais lemaire Pétion défendit de battre le rappel ; personne ne vintet M. le marquis désolé retourna tranquillement à son armée,près de Sedan.

Les patriotes avaient bien vu latrahison ; de tous les côtés l’Assemblée nationale recevaitdes pétitions, pour lui demander la punition des traîtres, etsurtout de Lafayette.

C’est alors, au commencement de juillet 1792,pendant les plus grandes chaleurs de l’année, que des milliers defédérés, sans s’inquiéter du veto, se mirent en route pourformer le camp de vingt mille hommes. Ils partaient par petitesbandes de cinq ou six, en blouse, en carmagnole, le bonnet rougesur la nuque, avec la chemise, la culotte, les souliers de rechangedans le mouchoir au bout du bâton, et criaient :

– À Paris !… À Paris !

Les plus raisonnables, les vieux, qu’onarrêtait pour leur offrir une chope ou bien un petit verre sur lepouce, vous disaient :

– Nous allons là-bas défendre la liberté,secouer l’oppression et punir les traîtres.

Ils étaient tout blancs de poussière ;mon cœur sautait en les regardant s’en aller et se retourner, lebonnet ou le chapeau en l’air, pour nous crier :

– Adieu !… vous aurez bientôt de nosnouvelles !

J’aurais voulu les suivre ; mais l’idéedes père et mère, de Mathurine et d’Étienne, qui ne pouvaient sepasser de moi, me retenait. Quel crève-cœur d’être forcé derester !

Le ministre du roi, Terrier, écrivit alors auxdirectoires de tous les départements, d’arrêter et de disperser partous les moyens ces rassemblements ; de rappeler aux districtset aux municipalités que les magistrats devaient, sous leurresponsabilité, donner l’ordre aux officiers de police, à lagendarmerie nationale, à toutes les forces publiques, d’empêcherces gens de quitter leur pays, sous prétexte de se rendre à lacapitale. Mais sa lettre ne produisit aucun effet ; aucontraire, tous les clubs se mirent à crier contre, et Chauveldéclara que c’était une véritable trahison ; qu’on avaitpermis aux Prussiens et aux Autrichiens de se réunir ; qu’onleur avait en quelque sorte déblayé le chemin de la patrie ;et que maintenant on se servait encore du veto, de menacesde loi martiale et d’autres moyens abominables, pour empêcher lescitoyens de faire leur devoir.

On savait aussi que les domestiques du roi,habillés en gardes nationaux, allaient partout crier contre lesfédérés, qu’ils traitaient de « sans-culottes », comme sic’était un crime d’être pauvre ! et comme si très souvent celane prouvait pas qu’on a plus de cœur et plus de respect de soi-mêmeque des gueux pareils ; car de se faire valet, ce n’est pasdifficile et on y gagne plus d’argent qu’en travaillant de sonmétier du matin au soir.

Tout le monde pensait qu’il était temps demettre cette mauvaise race à la raison, et l’Assemblée nationaledécréta que les citoyens gardes nationaux, que l’amour de laconstitution amenait à Paris, soit pour rejoindre l’armée deréserve à Soissons, soit pour aller aux frontières, se feraientinscrire à la municipalité ; qu’ils assisteraient aux fêtes dela fédération du 14 juillet ; qu’ils recevraient des billetsde logement militaire pour trois jours, et qu’ensuite lamunicipalité leur délivrerait un ordre de route par étapes jusqu’àleur destination, où leurs bataillons seraient organisés et soldéssur le pied de guerre.

C’est ce décret qui fit du bien. Il fut envoyépar courrier extraordinaire aux quatre-vingt-troisdépartements ; et le roi, la reine, les courtisans et lesministres durent reconnaître alors que le veto n’était pastout ; que malgré la retraite de Luckner devant lesAutrichiens, dans les Pays-Bas, par ordre du gouvernement ;malgré la réunion de quatre-vingt-quinze mille Prussiens etAutrichiens à Coblentz, avec vingt mille émigrés prêts à nousenvahir ; malgré le beau plan de Bouillé, qui tenait sapromesse de montrer le chemin de la France à l’étranger, et queFrédéric-Guillaume, François II et Brunswick avaient convoqué àleur conseil ; malgré son beau plan d’attaquer Longwy, Sedan,Verdun, qui seraient à peine défendus, et puis de marcher surParis, par Rethel et Reims, à travers les belles plaines de laChampagne, où l’on trouverait les greniers et les granges de nospaysans pour nourrir l’invasion ; malgré les prédications desprêtres réfractaires, qui détachaient de plus en plus la Vendée etla Bretagne de notre révolution, et le soulèvement des paysans dubas Languedoc par M. le comte du Saillant, lieutenant généraldes princes ; enfin, que malgré toutes les trahisons de lanoblesse, de la cour et des évêques, réunis contre nous pourrétablir le bon plaisir du roi, la partie n’était pas belle poureux. Oui, s’il leur restait l’ombre du sens commun, ces gens-làdevaient voir que les armées des savetiers et des avocats, commeils nous appelaient, n’avaient pas peur des fameux grenadiers deFrédéric, ni des uhlans du roi de Bohême et de Hongrie, ni desillustres descendants de la race des fiers conquérants.

Et d’abord, quand on se bat pour soi, c’estautre chose que de se faire casser les os pour un prince qui vousmettra de côté comme une vieille béquille hors de service. Cetteidée aurait dû leur venir, et je crois aussi que Louis XVIl’avait : car on a trouvé plus tard dans l’armoire de fer deslettres désolées, dans lesquelles il racontait le trouble et lesinquiétudes que lui causait la réunion de l’armée des savetiers etdes avocats, qu’il aurait bien voulu voir en guerre les uns contreles autres.

Moi je n’oublierai jamais ce passage desfédérés, et surtout le cri terrible de la France, lorsque, aucommencement de juillet, pendant ce grand mouvement de patriotes,le fameux discours du girondin Vergniaud fut répandu dans le pays,et que chacun reconnut que notre pensée sur la trahison de LouisXVI était celle de l’Assemblée nationale. C’est Chauvel lui-mêmequi lut ce discours à notre club ; on pâlissait rien que del’entendre. Vergniaud disait :

– C’est au nom du roi, pour venger ladignité du roi, pour défendre le roi, pour venir au secours du roi,que les princes français ont soulevé les cours de l’Europe ;que s’est conclu le traité de Pilnitz ; que l’Autriche et laPrusse ont pris les armes… Tous les maux qu’on s’efforced’accumuler sur nos têtes, tous ceux que nous avons à redouter,c’est le nom seul du roi qui en est le prétexte ou la cause.

Et puis, parlant de la constitution, quichargeait le roi seul de défendre la patrie, ils’écriait :

– O roi, qui n’avez feint d’aimer leslois que pour conserver la puissance qui vous servirait à lesbraver ; la constitution, que pour qu’elle ne vous précipitâtpas du trône où vous aviez besoin de rester pour la détruire ;la nation, que pour assurer le succès de vos perfidies, en luiinspirant de la confiance ; pensez-vous nous abuser avecd’hypocrites protestations ? Était-ce nous défendre qued’opposer aux soldats étrangers des forces dont l’infériorité nelaissait même pas d’incertitude sur leur défaite ? Était-cenous défendre que d’écarter les projets tendant à fortifierl’intérieur du royaume, ou de faire des préparatifs de résistancepour l’époque où nous serions déjà devenus la proie destyrans ? Était-ce nous défendre que de ne pas réprimer ungénéral qui violait la constitution, et d’enchaîner le courage deceux qui la servaient ? Non, non, vous n’avez pas rempli levœu de la constitution ! Elle est peut-être renversée, maisvous ne recueillerez pas le fruit de vos parjures ! Vous nevous êtes pas opposé par un acte formel aux victoires qui seremportaient en votre nom sur la liberté ; mais vous nerecueillerez pas le fruit de vos indignes triomphes. Vous n’êtesplus rien pour cette constitution que vous avez si indignementviolée, pour ce peuple que vous avez si lâchement trahi !

Quel cri d’indignation et de colère s’élevadans le club et sur la petite place où la voix de Chauvels’étendait ! Tout cela n’était que la vérité, chacun l’avaitpensé d’avance ; avec un roi pareil, dont les intérêts étaientcontraires à ceux de la nation, il fallait périr ; aussi toutle monde disait :

Il faut le jeter à bas ; il faut que celafinisse, et que le peuple lui-même songe à se défendre !

Mais ce qui montre encore mieux l’indignetrahison de Louis XVI, c’est que, le jour suivant, ses propresministres vinrent déclarer à l’Assemblée nationale que notretrésor, nos armées et notre marine étaient en si mauvais état,qu’ils donnaient leur démission en masse. Et puis, après avoir ditcela, ces braves gens se sauvèrent de la salle, sans écouterseulement ce qu’on avait à leur répondre, comme ces banqueroutiersqui, n’ayant rien de bon à dire, s’échappent soit en Angleterre,soit ailleurs, en laissant les honnêtes gens dans la misère. Celasignifiait : « Vous avez eu confiance en nous. Au lieu demettre la France en état de résister à l’invasion, nous n’avonsrien fait du tout. Maintenant nos amis les Prussiens et lesAutrichiens sont prêts ; ils s’avancent… Voyons comment voussortirez de là ! »

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