Jim Harrison, boxeur

Chapitre 14SUR LA ROUTE

Déjà approchait le jour de la grandebataille.

La guerre sur le point d’éclater et Napoléonqui devenait de plus en plus menaçant n’étaient que des objets desecond ordre pour tous les sportsmen et en ce temps-là lessportsmen formaient bien la moitié de la population.

Dans le club patricien, dans la taverneplébéienne, dans le café que fréquentait le négociant, dans lacaserne du soldat, à Londres et dans les provinces, la mêmequestion passionnait toute la nation.

Toutes les diligences qui arrivaient del’Ouest apportaient des détails sur la belle condition de Wilson leCrabe, qui était retourné dans son pays natal pour s’entraîner etqu’on savait être sous la direction immédiate du capitaine Barclay,l’expert.

D’un autre côté, bien que mon oncle n’eût pasencore désigné son champion, personne dans le public ne doutait quece ne fût Jim, et les renseignements qu’on avait sur son physiqueet sa performance lui valurent bon nombre de parieurs.

Toutefois, la côte était en faveur de Wilsonet les gens de l’Ouest, comme un seul homme, tenaient pour lui,tandis qu’à Londres l’opinion était partagée.

Deux jours avant le combat, on donnait Wilsonà trois contre deux, dans tous les clubs du West End.

J’étais allé deux fois voir Jim à Crawley,dans l’hôtel où il était installé pour son entraînement et je l’ytrouvai soumis au sévère régime en usage.

Depuis la pointe du jour jusqu’à la tombée dela nuit, il courait, sautait, frappait sur une vessie suspendue àune barre ou s’exerçait contre son formidable entraîneur.

Ses yeux brillaient. Sa peau luisait de santédébordante.

Il avait une telle confiance dans le succèsque mes appréhensions s’évanouirent à la vue de sa vaillanteattitude et quand j’entendis son langage empreint d’une joietranquille.

– Mais je m’étonne que vous veniez me voirmaintenant, Rodney, me dit-il en faisant un effort pour rire,maintenant que me voilà devenu boxeur, et à la solde de votreoncle, tandis que vous êtes à la ville et passé Corinthien. Si vousn’aviez pas été le meilleur, le plus sincère petit gentleman dumonde, c’est vous qui auriez été mon patron d’ici peu de temps aulieu d’être mon ami.

En contemplant ce superbe gaillard à la figuredistinguée, aux traits fins, en pensant à ses belles qualités, auximpulsions généreuses dont je le savais capable, je trouvai siabsurde qu’il regardât mon amitié comme une marque decondescendance, que je ne pus retenir un bruyant éclat de rire.

– Tout cela est fort bien, Rodney, me dit-ilen me regardant fixement dans les yeux. Mais, qu’est-ce que votreoncle en pense ?

Cette question était une colle.

Je dus me borner à répondre d’un ton malassuré que, si redevable que je fusse envers mon oncle, j’avaistout d’abord connu Jim et qu’assurément j’étais assez grand pourchoisir mes amis.

Les doutes de Jim étaient fondés jusqu’à uncertain point. Mon oncle s’opposait très nettement à ce qu’il y eûtentre nous la moindre intimité. Mais comme il trouvait bon nombred’autres choses à désapprouver dans ma conduite, celle-là perdaitde son importance.

Je crains de lui avoir causé bien desdésappointements.

Je n’avais inventé aucune excentricité, bienqu’il eût eu la bonté de m’en indiquer plusieurs, au moyendesquelles je parviendrais à « sortir de l’ornière »,selon son expression, et à m’imposer à l’attention du monde étrangeau milieu duquel il vivait.

– Vous êtes un jeune gaillard des plus agiles,mon neveu. Ne vous croyez-vous pas capable de faire le tour d’unechambre en sautant d’un meuble sur l’autre sans toucher leparquet ? Un petit tour de force dans ce genre, seraitextrêmement goûté. Il y avait un capitaine des gardes qui estarrivé à se faire un grand succès dans la société en pariant unepetite somme qu’il le ferait. Madame Liéven, qui est extrêmementexigeante, l’invitait fréquemment à ses soirées rien que pour qu’ilpût s’exhiber.

Je lui affirmai que je me sentais incapable decet exploit.

– Vous êtes tout de même un peu difficile,dit-il en haussant les épaules. Étant mon neveu, vous auriez puvous assurer une position en continuant ma réputation de goûtdélicat. Si vous aviez déclaré la guerre au mauvais goût, le mondede la fashion se serait empressé de vous regarder comme unarbitre en vertu de vos traditions de famille et vous seriezparvenu sans la moindre concurrence à la position que vise ce jeuneparvenu de Brummel. Mais vous n’avez aucun instinct dans cettedirection. Vous êtes incapable d’attention pour les moindresdétails. Regardez vos souliers ! Et encore votrecravate ! et enfin votre chaîne de montre ! Il ne faut enlaisser voir que deux anneaux. J’en ai laissé voir trois, maisc’était aller trop loin et en ce moment, je ne vous en vois pasmoins de cinq. Je le regrette, mon neveu, mais je ne vous crois pasdestiné à atteindre la situation sur laquelle j’ai le droit decompter pour un proche parent.

– Je suis désolé de vous avoir causé cesdésillusions, monsieur, dis-je.

– Votre mauvaise fortune consiste en ce quevous ne vous êtes pas trouvé plus tôt sous mon influence, dit-il.J’aurais pu vous modeler de façon à satisfaire même mes propresaspirations. J’avais un frère cadet qui fut dans un cas semblable.J’ai fait de mon mieux pour lui, mais il prétendait mettre descordons à ses souliers et il commettait en public l’erreur deprendre le vin de Bourgogne pour le vin du Rhin. Le pauvre garçon afini par se jeter dans les livres et il a vécu et il est mort curéde village. C’était un brave homme, mais d’une banalité… et il n’ya pas place dans la société pour les gens dépourvus de relief.

– Alors, monsieur, je crains qu’elle n’ait pasde place pour moi, dis-je. Mais mon père a le plus grand espoir queLord Nelson me trouvera un emploi dans la flotte. Si j’ai fait fourà la ville, je n’en ai pas moins de reconnaissance pour les bontésque vous m’avez témoignées en vous chargeant de moi et j’espèreque, si je reçois ma commission, je pourrai encore vous fairehonneur.

– Il pourrait bien arriver que vous parveniezà la hauteur que je m’étais assignée pour vous, mais que vous yparveniez par un autre chemin, dit mon oncle. Il y a à la ville deshommes, tels que Lord Saint-Vincent, Lord Hood, qui font figuredans les sociétés les plus respectables, bien qu’ils n’aient pourtoute recommandation que leurs services dans la marine.

Ce fut dans l’après-midi du jour qui précédaitle combat, qu’eut lieu cette conversation entre mon oncle et moi,dans le coquet sanctuaire de sa maison de Jermyn Street.

Il était vêtu, je m’en souviens, de son amplehabit de brocart, qu’il portait ordinairement pour aller à sonclub, et il avait le pied posé sur une chaise, car Abernethy, quivenait de sortir, le traitait pour un commencement de goutte.

Était-ce l’effet de la souffrance, était-cepeut-être celui du désappointement que lui avait causé mon avenir,mais ses façons avec moi étaient plus sèches que d’ordinaire et ily avait, je le crains bien, un peu d’ironie dans son sourire, quandil parlait de mes défauts.

Quant à moi, cette explication me fut unsoulagement, car mon père était parti de Londres avec la fermeconviction qu’on trouverait de l’emploi pour nous deux, et le seulpoids que j’eusse sur l’esprit était l’idée de la peine quej’aurais à quitter mon oncle sans détruire les plans qu’il avaitformés à mon sujet.

J’avais pris en aversion cette existence videpour laquelle j’étais si peu fait, j’étais pareillement excédé deces propos égoïstes d’une coterie de femmes frivoles et de sotspetits-maîtres qui prétendaient se faire regarder comme le centrede l’univers.

Peut-être le sourire railleur de mon onclevoltigea-t-il sur mes lèvres quand je l’entendis parler de lasurprise dédaigneuse qu’il avait éprouvée, en rencontrant dans cemilieu sacro-saint les hommes qui avaient sauvé le pays del’anéantissement.

– À propos, mon neveu, dit-il, il n’y a pas degoutte qui tienne et qu’Abernethy le veuille ou non, il faut quenous soyons à Crawley ce soir. Le combat aura lieu sur la dune deCrawley. Sir Lothian Hume et son champion sont à Reigate. J’airetenu des lits pour nous deux à l’hôtel Georges. À ce que l’on medit, l’affluence dépassera tout ce que l’on a vu jusqu’à ce jour.L’odeur de ces auberges de campagne m’est toujours désagréable,mais, que voulez-vous ? L’autre jour, au club Berkeley, Cravendisait qu’il n’y avait pas un lit disponible à vingt milles autourde Crawley et qu’on faisait payer trois guinées par nuit. J’espèreque votre jeune ami, si je dois le regarder comme tel, sera à lahauteur de ce qu’il promettait, car j’ai mis sur l’évent plus queje ne voudrais perdre. Sir Lothian, lui aussi, s’engage à fond, caril a fait chez Limmer un pari supplémentaire de cinq mille contretrois mille sur Wilson. D’après ce que je sais de l’état de sesaffaires, il sera sérieusement entamé si nous l’emportons… Eh bien,Lorimer ?

– Une personne qui désire vous voir, SirCharles, dit le nouveau valet.

– Vous savez que je ne reçois personne jusqu’àce que ma toilette soit achevée.

– Il insiste pour vous voir, monsieur. Il apresque enfoncé la porte.

– Enfoncé la porte ? Que voulez-vousdire, Lorimer ? Pourquoi ne l’avez-vous pas misdehors ?

Un sourire passa sur la figure dudomestique.

Au même instant, on entendit dans le corridorune voix de basse profonde.

– Je vous dis de me faire entrer tout desuite, mon garçon. Autrement, ce sera tant pis pour vous.

Il me sembla que j’avais déjà entendu cettevoix, mais lorsque par-dessus l’épaule du domestique j’entrevis unelarge face charnue, bovine, avec un nez aplati à la Michel-Ange aucentre, je reconnus aussitôt l’homme que j’avais eu pour voisin ausouper.

– C’est War le boxeur, monsieur, dis-je.

– Oui, monsieur, dit notre visiteur enintroduisant sa volumineuse personne dans la pièce. C’est Bill War,le tenancier du cabaret à la Tonne dans Jermyn Street etl’homme le mieux côté pour l’endurance. Il n’y a qu’une chose quiest cause qu’on me bat, Sir Charles, et c’est ma viande, ça mepousse si vite, que j’en ai toujours quatre stone, quand je n’en aipas besoin. Oui, monsieur, j’en ai attrapé assez pour faire unchampion des petits poids, avec ce que j’ai en trop. Vous auriezpeine à croire en me voyant que, même après m’être battu avecMendoza, j’étais capable de sauter par-dessus les quatre pieds dehauteur de la corde qui entoure le ring, avec l’agilité d’un petitcabri, mais, maintenant, si je lançais mon castor dans le ring, jen’arriverais jamais à le ravoir, à moins que le vent ne l’en fassesortir, car le diable m’emporte si je pourrais passer par-dessus lacorde pour le rattraper. Je vous présente mes respects, jeunehomme, et j’espère que vous êtes en bonne santé.

Une expression de vive contrariété avait parusur la figure de mon oncle, en voyant envahir ainsi son séjourintime. Mais c’était une des nécessités de sa situation de resteren bons termes avec les professionnels. Il se contenta donc de luidemander quelle affaire l’amenait.

Pour toute réponse, le gros lutteur jeta surle domestique un regard significatif.

– C’est chose importante, Sir Charles, et çadoit rester entre vous et moi.

– Vous pouvez sortir, Lorimer… À présent, War,de quoi s’agit-il ?

Le boxeur s’assit fort tranquillement à chevalsur une chaise, en posant ses bras sur le dossier.

– J’ai eu des renseignements, Sir Charles, ditil.

– Eh bien ! Qu’est-ce que c’est ?s’écria mon oncle avec impatience.

– Des renseignements de valeur.

– Allons, expliquez-vous.

– Des renseignements qui valent de l’argent,dit War en pinçant les lèvres.

– Je vois que vous voulez qu’on vous paie ceque vous savez.

Le boxeur eut un sourire affirmatif.

– Oui, mais je n’achète rien de confiance.Vous me connaissez assez pour ne pas jouer ce jeu-là avec moi.

– Je vous connais pour ce que vous êtes, SirCharles, c’est-à-dire pour un noble Corinthien, un Corinthien fini.Mais voyez-vous, si je me servais de ça contre vous, ça me mettraitdes centaines de livres dans la poche. Mais mon cœur ne lesouffrira pas. Bill War a toujours été pour le bon sport et lefranc jeu. Si je m’en sers pour vous, j’espère que vous ferez ensorte que je n’y perde pas.

– Vous pouvez agir comme il vous plaira, ditmon oncle. Si vos informations me sont utiles, je saurai ce que jedois faire pour vous.

– On ne saurait parler plus franchement queça. Nous nous en contenterons, patron, et vous vous montrerezgénéreux comme vous avez toujours passé pour l’être. Eh bien, notrehomme, Jim Harrison, combat contre Wilson le Crabe, de Gloucester,demain, sur la dune de Crawley pour un enjeu.

– Eh bien, après ?

– Connaîtriez-vous par hasard quelle était lacote hier ?

– Elle était à trois contre deux surWilson.

– C’est ça même, patron. Trois contre deux,voilà ce qui a été offert dans le salon de mon bar. Savez vous oùen est la cote aujourd’hui ?

– Je ne suis pas encore sorti.

– Eh bien ! je vais vous le dire, elleest à sept contre un sur votre homme.

– Vous dites ?

– Sept contre un, patron, pas moins.

– Vous dites des bêtises, War. Comment peut-ilse faire que la cote ait passé de trois contre deux à sept contreun ?

– Je suis allé chez Tom Owen, je suis allé auTrou dans le Mur, je suis allé à La Voiture et lesChevaux, et vous pouvez miser à sept contre un dans n’importelaquelle de ces maisons. On joue de l’argent par tonnes contrevotre homme. C’est la même proportion qu’un cheval contre une pouledans toutes les maisons de sport, dans toutes les tavernes, depuisici jusqu’à Stepney.

L’expression qui parut sur la figure de mononcle me convainquit que l’affaire était vraiment sérieuse pourlui. Puis il haussa les épaules avec un sourire d’incrédulité.

– Tant pis pour les sots qui misent, dit-il.Mon homme est en bonne forme. Vous l’avez vu hier, monneveu ?

– Il allait très bien, hier, monsieur.

– S’il était arrivé quelque chose de fâcheux,j’en aurais été informé.

– Mais peut-être qu’il ne lui est rien arrivéde fâcheux pour le moment, dit War.

– Que voulez-vous dire ?

– Je vais m’expliquer, monsieur. Vous vousrappelez, Berks ? Vous savez que c’est un homme qui ne doitguère inspirer de confiance en tout temps et qu’il en veut à votrehomme, parce qu’il a été battu par lui dans le hangar auxvoitures.

« Bon ! hier soir, vers dix heures,il entre dans mon bar escorté des trois plus fieffés coquins qu’ily ait à Londres. Ces trois-là, c’étaient Ike-le-Rouge, celui qui aété exclu du ring pour avoir triché avec Bittoon, puis Yussef lebatailleur, qui vendrait sa mère pour une pièce de septshillings ; le troisième était Chris Mac Carthy, un voleur dechiens par profession, qui a un chenil du côté de Haymarket. Il estbien rare de voir ensemble ces quatre types de beauté, et ils enavaient tous plus qu’ils ne pouvaient en tenir, excepté Chris, unlapin trop malin pour se griser quand il y a une affaire en train.De mon côté, je les fais entrer au salon.

« Ce n’était pas que la chose en valût lapeine, mais je craignais qu’ils ne commencent à chercher noise àmes clients et je ne voulais pas non plus compromettre ma licenceen les laissant devant le comptoir. Je leur sers à boire et jereste avec eux, rien que pour les empêcher de mettre la main sur leperroquet empaillé et les tableaux.

« Bon ! patron, pour abréger, ils semirent à parler du combat et ils éclatèrent de rire à l’idée que lejeune Harrison pourrait gagner, tous, excepté Chris qui restait àfaire des signes et des grimaces aux autres, tellement, qu’à la finBerks fut sur le point de lui lancer un coup de torchon dans lafigure pour sa peine.

« Je devinai qu’il se mijotait quelquechose et ça n’était pas bien difficile à voir, surtout quantIke-le-Rouge se dit prêt à parier un billet de cinq livres que JimHarrison ne se battrait pas.

« Donc, je me lève pour aller chercherune autre bouteille de délie-langues et je me mets derrière leguichet fermé d’un volet par lequel on fait passer les boissons ducomptoir dans le salon. Je l’ouvre de la largeur d’un pouce etj’aurais été attablé avec eux que je n’aurais pas mieux entendu cequ’ils disaient.

« Il y avait Chris Mac Carthy quibougonnait après eux, parce qu’ils ne tenaient pas leur languetranquille. Il y avait Joe Berks qui parlait de leur casser lafigure s’ils avaient l’aplomb de l’interpeller davantage.

« Comme ça, Chris se mit à les raisonner,car il avait peur de Berks et il leur demanda s’ils voulaientdécidément être en état de faire la besogne le lendemain matin etsi le patron consentirait à payer en voyant qu’ils s’étaient griséset qu’il ne fallait pas compter sur eux.

« Ça les calma tous les trois et Yussefle batailleur demanda à quelle heure on partirait.

« Chris leur dit que tant que l’hôtelGeorges à Crawley ne serait pas fermé, on pourraittravailler à cela.

« – C’est bien mal payé pour employer lacorde, dit Ike-le-Rouge.

« – Au diable la corde, dit Chris en tirant unpetit bâton plombé de sa poche de côté. Pendant que trois de vousle tiendront à terre, je lui casserai l’os du bras avec ça. Nousaurons gagné notre argent et nous risquons tout au plus six mois deprison.

« – Il se défendra, dit Berks.

« – Eh bien, dit Chris, ce sera son seulcombat.

« Je n’en ai pas entendu davantage. Cematin je suis sorti, et j’ai vu comme je vous l’ai dit que la coteen faveur de Wilson montait à des sommes fabuleuses, que lesjoueurs ne la trouvaient jamais assez haute.

« Voila où on en est, patron, et voussavez ce que ça signifie, mieux que Bill War ne pourrait vous ledire.

– Très bien, War, dit mon oncle en se levant,je vous suis très obligé de m’avoir appris cela et je ferai ensorte que vous n’y perdiez pas. Je regarde cela comme des propos enl’air de coquins ivres, mais vous ne m’en avez pas moins rendu unimmense service en attirant mon attention de ce côté. Je comptevous voir demain aux Dunes.

– Mr Jackson m’a prié de me charger de lagarde du ring.

– Très bien. J’espère que nous aurons un loyalet bon combat. Bonsoir et merci.

– Mon oncle avait conservé son attitude un peunarquoise pendant que War était présent, mais celui-ci avait àpeine refermé la porte qu’il se tourna vers moi avec un aird’agitation que je ne lui avais jamais vu.

– Il faut que nous partions à l’instant pourCrawley, mon neveu, dit-il en souriant. Il n’y a pas une minute àperdre. Lorimer, faites atteler les juments baies à la voiture.Mettez-y le nécessaire de toilette et dites à William qu’il soitdevant la porte le plus tôt possible.

– J’y veillerai, monsieur, dis-je.

Et je courus à la remise de Little RyderStreet où mon oncle logeait ses chevaux.

Le garçon d’écurie était absent et je dusenvoyer un lad à sa recherche. Pendant ce temps-là, aidé dupalefrenier, je tirai dehors la voiture et je fis sortir les deuxjuments de leurs boxes.

Il fallut une demi-heure, peut-être troisquarts d’heure, avant que tout fut en place.

Lorimer attendait déjà dans Jermyn Street avecles inévitables paniers pendant que mon oncle restait debout dansl’embrasure de la porte ouverte, vêtu de son grand habit de chevalcouleur faon.

Sa figure pâle était d’un calme impassible etne laissait rien voir des émotions tumultueuses qui se livraientbataille dans son âme.

J’en étais certain.

– Nous allons vous laisser, Lorimer. Nousaurions peut-être des difficultés à vous trouver un lit. Tenez-leurla tête, William. Montez, mon neveu. Holà ! War, qu’y a-t-ilencore ?

Le boxeur accourait de toute la vitesse quelui permettait sa corpulence.

– Rien qu’un mot de plus avant votre départ,Sir Charles, dit-il tout haletant. J’ai entendu dire dans moncomptoir que les quatre hommes en question étaient partis pourCrawley à une heure.

– Très bien, War, dit mon oncle, un pied, surle marchepied.

– Et la cote est montée à dix contre un.

– Lâchez la tête, William.

– Encore un mot, patron, un seul. Vousm’excuserez ma liberté. Mais à votre place, j’emporterais mespistolets.

– Merci, je les ai.

La longue lanière claqua entre les oreilles ducheval de tête. Le groom s’élança à terre et l’on passa de JermynStreet à Saint James Street et de là à Whitehall avec une rapiditéqui indiquait que les vaillantes juments n’étaient pas moinsimpatientes que leur maître.

L’horloge du parlement marquait un peu plus dequatre heures et demie quand nous franchîmes comme au vol le pontde Westminster.

L’eau se refléta au-dessous de nous aussi viteque l’éclair, puis on roula entre les deux rangées de maisons auxmurailles brunes formant l’avenue qui nous avait menés à Londres.Nous étions arrivés à Streatham, quand il rompit le silence.

– J’ai un enjeu considérable, mon neveu,dit-il.

– Et moi aussi, répondis-je.

– Vous ! s’écria-t-il avec surprise.

– J’ai mon ami, monsieur !

– Ah ! oui, j’avais oublié. Vous avezvotre excentricité, après tout, mon neveu. Vous êtes un ami fidèle,ce qui est chose rare dans notre monde. Je n’en ai jamais eu qu’undans ma position et celui-là… Mais vous m’avez entendu raconterl’histoire. Je crains qu’il ne fasse nuit quand nous arriverons àCrawley.

– Je le crains aussi.

– En ce cas, nous arriverons peut-être troptard.

– Dieu fasse que non, Monsieur.

– Nous sommes derrière les meilleures bêtesqui soient en Angleterre, mais je crains que nous ne trouvions lesroutes encombrées, avant que nous arrivions à Crawley.

« Avez-vous entendu, mon neveu ! Wara entendu ces quatre bandits parler de quelqu’un qui leur donnaitles ordres et qui les payait pour leur crime. Vous avez compris,n’est-ce pas ? qu’ils ont été engagés pour estropier monhomme.

« Dès lors, qui peut bien les avoir prisà gage, qui peut y être intéressé ? À moins que ce nesoit…

« Je connais sir Lothian Hume pour unhomme capable de tout. Je sais qu’il a perdu de fortes sommes auxcartes chez Wattier et chez White. Je sais qu’il a joué une grossesomme sur cet évent et qu’il s’y est engagé avec une témérité quifait croire à ses amis qu’il a quelque raison personnelle pourcompter sur le résultat.

« Par le ciel ! Comme tout celas’enchaîne. S’il en était ainsi…

Il retomba dans le silence, mais je visreparaître cette expression de froideur farouche que j’avaisremarquée en lui, le jour où lui et sir John Lade couraient côte àcôte sur la route de Godstone.

Le soleil descendait lentement sur les bassescollines du Surrey et l’ombre surgissait d’instant en instant, maisles roues continuaient à bourdonner et les sabots à frapper sans seralentir.

Un vent frais nous soufflait à la figure,quoique les feuilles pendissent immobiles aux branches d’arbres quis’étendaient au-dessus de la route.

Les bords dorés du soleil venaient à peine dedisparaître derrière les chênes de la côte de Reigate quand lesjuments inondées de sueur arrivèrent devant l’hôtel de laCouronne à Red Hill.

Le propriétaire, sportsman et amateur de ring,accourut pour saluer un Corinthien aussi connu que l’était SirCharles Tregellis.

– Vous connaissez Berks, le boxeur ?demanda mon oncle.

– Oui, Sir Charles.

– Est-il passé ?

– Oui, Sir Charles. Il devait être environquatre heures, bien qu’avec cette cohue de gens et de voitures, ilsoit difficile d’en jurer. Il y avait là lui, Ike le Rouge, le JuifYussef et un autre. Ils avaient entre les brancards une bête desang. Ils l’avaient menée à fond de train, car elle était couverted’écume.

– Voilà, qui est bien grave, mon neveu, ditmon oncle, pendant que nous volions vers Reigate. S’ils allaient cetrain, c’est qu’évidemment, ils tenaient à faire leur coup de bonneheure.

– Jim et Belcher seraient certainement deforce à leur tenir tête à tous les quatre, suggérai-je.

– Si Belcher était avec l

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