La Cathédrale

Chapitre 5

 

Il pleuvait sans discontinuer. Durtal déjeunait sous les regardsassidus de Mme Mesurat sa servante. Elle était une de ces femmesauxquelles leur forte taille et leur prestance masculinedonneraient le droit de s’habiller, sans qu’on les remarquât, enhomme. Elle avait une tête piriforme, des joues qui ballottaient,dégonflées, un nez fastueux et tombant bas, fleurant de près unelèvre inférieure s’avançant ainsi qu’une console et simulant lamoue d’un insistant dédain qu’elle ignorait, à coup sûr. Elleévoquait, en somme, l’idée absurde d’un Malborough, solennel etfalot, déguisé en bonne.

Elle servait des viandes invariées dans des sauces sans gloire;et, une fois le plat posé sur la table, elle stationnait au portd’armes, demandait à connaître s’il était bon.

Elle était imposante et dévouée, insupportable. Durtal secrispait, se retenait à quatre pour ne pas la renvoyer dans sacuisine, finissait par se plonger le nez dans un livre, pour ne paslui répondre, pour ne pas la voir.

Ce jour-là, dépitée par ce silence, Mme Mesurat écarta le rideaude la fenêtre et, afin de dire quelque chose, elle murmura :

— C’est-il Dieu possible, un pareil temps!

Le fait est que le ciel s’affirmait sans espoir de consolations,tout en larmes. Il pleuvait à jets ininterrompus, dévidaitinterminablement ses écheveaux de pluie. La cathédrale sortaittoute brouillée d’un lac de boue que les ondées cinglaient degouttes rebondissantes et ses deux flèches semblaient rapprochées,presque jointes, cousues avec des fils lâches d’eau. Et c’étaitl’impression qui persistait, d’une atmosphère saumâtre, tout enreprises, d’un firmament et d’une terre rattachés, comme un bâti,par de grands points : et rien ne tenait; tous ces pelotons de filscassaient dans un coup de vent, s’envolaient dans tous lessens.

— Décidément, mon rendez-vous avec l’abbé Plomb, pour visiter lacathédrale, est bien compromis, se dit Durtal; d’ailleurs, l’abbéne se dérangera pas, par ce temps.

Il s’en fut dans son cabinet de travail; c’était dans cettepièce qu’il s’isolait d’habitude. Il y avait installé son divan,ses tableaux, ses vieux bois rapportés de Paris et, sur un largepanneau, des rayons, peints en noir, contenaient des milliers delivres. Il vivait là, en face des tours, n’entendant que le cri descorneilles et la sonnerie des heures qui s’égrenaient, une à une,dans le silence et l’abandon de la place. Il avait posé sa table,près de la fenêtre et il rêvassait, priait, méditait, prenait desnotes.

Le bilan qu’il pouvait établir de sa personne se soldait par desdégâts intérieurs et d’intimes noises; si l’âme était gourde etcontuse, l’esprit n’était, ni moins endolori, ni moins recru. Ilparaissait s’être émoussé, depuis son séjour à Chartres. Cesbiographies de saints, que Durtal projetait d’écrire, ellesgisaient à l’état d’esquisses, s’effumaient dès qu’il s’agissait deles fixer. Au fond, il ne s’intéressait plus qu’à la cathédrale,était obsédé par elle.

Puis, vraiment, les vies de saints, telles qu’elles sontrédigées par les petits Bollandistes, étaient à dégoûter de toutesainteté. Charrié d’éditeurs en éditeurs, des librairies de Parisdans les officines de la province, ce baquet de livre avait ététraîné par un seul limonier, le père Giry, puis un cheval derenfort lui avait été adjoint, l’abbé Guérin, et attelés dans lemême brancard, ils roulaient, à eux deux, ce lourd camion sur laroute défoncée des âmes.

Il n’y avait qu’à décharger le tombereau de ces pesantes prosespour y découvrir, au hasard des bouquins, des phrases de ce gabarit:

 » Un tel naquit de parents non moins considérables par lanaissance que par la piété,  » ou bien dans le cas contraire :  » sesparents n’étaient pas illustres par la naissance, mais on voyaitbriller en eux toutes les vertus dont l’éclat lui est bienpréférable.  » Puis venait la série des affligeants ponts-neufs:

 » Son historien ne fait point difficulté de dire qu’on l’eûtpris pour un ange, si les maladies, par lesquelles Dieu levisitait, n’eussent fait voir qu’il était un homme.  » —  » Le démonne pouvant souffrir qu’il marchât, à grands pas, dans le chemin dela Perfection, se servit de divers moyens pour l’arrêter dansl’heureux progrès de sa course.  » — Et, en tournant de nouvellespages, l’on discernait dans l’histoire d’un élu qui pleura lorsquemourut sa mère, cette excuse formulée en une grave périphrase : — « Après avoir donné aux justes sentiments de la nature ce que lagrâce ne défend point en pareille occasion « …

Et c’étaient encore, çà et là, de solennelles et de cocassesdéfinitions telles que celle-ci qui figure dans la vie de César deBus : —  » après un séjour à Paris qui n’est pas moins le trône duvice que la capitale du royaume,  » et cela continuait en douze, enquinze tomes, dans cette langue quêtée, et cela finissait parédifier un alignement de qualités uniformes, une caserne de piétébête. De temps à autre, vaguement, les deux roussins semblaients’animer et trotter poussivement un peu, alors qu’ils consignaientdes détails qui les ravissaient sans doute; et ils s’étendaientavec complaisance sur la vertu d’une Catherine de Suède ou d’unRobert de la Chaise-Dieu qui, à peine nés, réclamaient desnourrices sans péchés, ne voulaient sucer que des pis pieux; oubien encore, ils citaient, en s’énamourant, la chasteté de Jean lesilenciaire, qui n’usa jamais de bains pour ne pas alarmer, en sevoyant,  » ses yeux pudiques « , dit le texte; la modestie de saintLouis de Gonzague qui craignait tant les femmes qu’il n’osait, depeur d’avoir de mauvaises pensées, regarder sa mère!

Consterné par la pénurie de ces désolantes rengaines, Durtal sejetait dans les monographies moins connues des Bienheureuses; maislà encore, quelle barigoule de lieux communs, quelle colled’onction, quelle bouillie de style! Il y avait vraiment unemalédiction du Ciel sur les ganaches de sacristie quin’appréhendaient pas de manier une plume. Leur encre se muaitaussitôt en une pâte, en un galipot, en une poix qui engluaienttout. Ah! les pauvres Saints et les tristes Bienheureuses!

Il fut interrompu dans ses réflexions par un coup de sonnette.Ah! çà, est-ce que, malgré la bourrasque, l’abbé Plombviendrait?

— Et, en effet, Mme Mesurat introduisit le prêtre.

— Baste, fit-il à Durtal qui se plaignait de la pluie, le tempsfinira bien par se nettoyer; en tout cas, le rendez-vous n’étantpas décommandé, j’ai tenu à ne point vous faire attendre.

Ils causèrent au coin du feu; l’intérieur plut sans doute àl’abbé, car il se mit à l’aise. Il se renversa dans un fauteuil,les mains passées dans sa ceinture. Et à une question qu’il posapour savoir si Durtal ne s’ennuyait pas trop à Chartres, commecelui-ci répondait :

— J’y vis plus lent et cependant moins importun à moi-même,l’abbé reprit :

— Ce qui doit vous coûter, c’est le manque de relationsintellectuelles; vous, qui avez vécu dans le monde des lettres, àParis, comment vous arrangez-vous pour supporter l’inertie de cetteprovince?

Durtal rit. — Le monde des lettres! non, Monsieur l’abbé, cen’est pas lui que je pourrais regretter, car je l’avais quitté,bien des années avant de venir résider ici; puis voyez-vous,fréquenter ces trabans de l’écriture et rester propre, c’estimpossible. Il faut choisir : eux ou de braves gens; médire ou setaire; car leur spécialité c’est de vous élaguer toute idéecharitable, c’est de vous guérir surtout de l’amitié, en un clind’oeil.

— Bah!

— Oui, imitant la pharmacopée homéopathique qui se sert encorede substances infâmes, de jus de cloporte, de venin de serpent, desuc de hanneton, de sécrétion de putois et de pus de variole, letout enrobé dans du sucre de lait pour en céler la saveur etl’aspect, le monde des lettres triture, lui aussi, dans le but deles faire absorber sans hauts de coeur, les plus dégoûtantes desmatières; c’est une incessante manipulation de jalousie de quartieret de potins de loges, le tout, globulé dans une perfidie de bonton, pour en masquer et l’odeur et le goût.

Ingérés à des doses voulues, ces grains d’ordures agissent, telsque des détersifs, sur l’âme, qu’ils débarrassent presque aussitôtde toute confiance; j’avais assez de ce traitement qui ne meréussissait que trop et j’ai jugé utile de m’y soustraire.

— Mais, fit l’abbé, en souriant, le monde pieux n’est pas nonplus exempt de commérages…

— Sans doute, je sais bien que la dévotion n’aère pas toujoursl’intelligence, mais…

La vérité, reprit-il après avoir réfléchi, c’est que la pratiqueassidue de la religion produit généralement sur les âmes desrésultats intenses. Seulement ils sont de deux sortes. — Ou elleaccélère leur pestilence et développe en elles les derniersferments qui achèvent de les putréfier, ou elle les épure et lesrend fraîches et limpides, exquises! — Elle façonne des hypocritesou de franches et saintes gens; il n’y a guère de milieu, ensomme.

Mais quand la culture divine mondifie complètement les âmes,sont-elles assez candides et assez pures! — Je ne parle même pasd’élus, tels que j’en vis à la Trappe — mais seulement de jeunesnovices, de petits séminaristes que je connus. Ils avaient des yeuxtels que de claires vitres que ne ternissait la buée d’aucunefaute, et l’on eût aperçu, en se penchant, en regardant derrièreelles, leur âme ouverte, brûlant en une couronne éperdue deflammes, nimbant d’une auréole de feux blancs la sourianteFace!

En somme, Jésus occupe, dans leur intérieur, toute la place. Cespetits-là, ne vous semble-t-il pas, Monsieur l’abbé, qu’ilshabitent tout juste leur corps, assez pour souffrir et pour expierles péchés des autres? sans qu’ils s’en doutent, ils ont été crééspour être les bonnes auberges du Seigneur, les relais où Jésus serepose après qu’il a vainement parcouru les steppes glacées desautres âmes.

— Oui, mais repartit l’abbé qui retira ses lunettes et en essuyales verres avec un foulard, pour obtenir la qualité de semblablesêtres, il a fallu combien de mortifications, de pénitences, deprières, de la part des générations dont ils naquirent? ceuxauxquels vous faites allusion sont la fleur d’une tige longuementnourrie dans un sol pieux. Evidemment l’Esprit souffle où il veutet il peut extraire d’une famille indifférente un saint; mais cettemanière d’opérer s’atteste à l’état d’exception. Les novices quevous connaissez avaient eu sûrement des aïeules et des mères quiles incitaient souvent à s’agenouiller et à prier auprèsd’elles.

— Je ne sais… j’ignore l’origine de ces jeunes gens… mais jesens bien que vous avez raison. Il est certain, en effet, que desenfants cultivés, lentement dès leur bas âge, à l’abri du monde,dans l’ombre d’un sanctuaire tel que celui de Chartres, doiventaboutir à l’éclosion d’une flore unique!

Et comme Durtal lui racontait l’impression qu’il avait ressentiedevant le service angélique d’une messe, l’abbé sourit.

— Si nos enfants, dit-il, ne sont point uniques, ils sont, entout cas, rares; la Vierge les dresse, elle-même, ici; et remarquezbien que celui que vous vîtes officier n’était ni plus diligent, niplus scrupuleux que les autres; tous sont ainsi : destinés, dèsleur onzième année, au sacerdoce, ils apprennent tout naturellementà vivre de la vie spirituelle, dans cette intimité continue duculte.

— Enfin quelle est l’organisation de cette oeuvre?

— L’oeuvre des clercs de Notre-Dame a été fondée en 1853, ouplutôt elle a été reprise à cette époque, car elle existait auMoyen Âge, par l’abbé Ychard. son but est d’augmenter le nombre desprêtres, en permettant aux gamins pauvres de commencer leursétudes. Elle accepte, à quelques pays qu’ils appartiennent, tousles sujets intelligents et pieux, chez lesquels on peut soupçonnerune vocation pour les ordres. Ils mûrissent alors à la Maîtrisejusqu’à la classe de troisième et on les récolte ensuite auSéminaire.

Ses ressources? elles sont humainement nulles, basées sur lesfonds de la Providence — car elle n’a, en somme, pour subvenir auxbesoins de plus de quatre-vingts élèves, que les honoraires desdifférentes fonctions que ces enfants remplissent à la cathédrale,plus le produit d’un petit journal mensuel, intitulé  » la Voix deNotre-Dame « , enfin et surtout la charité des fidèles; tout cela neconstitue pas un solide avoir et cependant, jusqu’à ce jour, jamaisl’argent n’a manqué!

L’abbé se leva et s’approcha de la fenêtre.

— Oh! le pluie ne cessera point, dit Durtal; j’ai bien peur,Monsieur l’abbé, que nous ne puisssions visiter les portails de lacathédrale aujourd’hui.

— Rien ne presse; avant de voir Notre-Dame en ses parties, nefaut-il pas l’embrasser en son ensemble, se pénétrer de son sensgénéral, avant que d’en feuilleter les détails?

Tout est dans cet édifice, reprit-il en enveloppant d’un gestel’église, les Ecritures, la théologie, l’histoire du genre humainrésumée en ses grandes lignes; grâce à la science du symbolisme ona pu faire d’un monceau de pierres un macrocosme.

Oui, je le répète, tout tient dans ce vaisseau, même notre viematérielle et morale, nos vertus et nos vices. L’architecte nousprend dès la naissance d’Adam pour nous mener jusqu’à la fin dessiècles. Notre-Dame de Chartres est le répertoire le plus colossalqui soit du ciel et de la terre, de Dieu et de l’homme.

Toutes ses figures sont des mots; tous ses groupes sont desphrases; la difficulté est de les lire.

— Et cela se peut?

— Certes. Qu’il y ait dans nos versions quelques contresens, jele veux bien, mais enfin le palimpseste est déchiffrable; la clef,c’est la connaissance des symboles.

Et voyant que Durtal l’écoutait, attentif, l’abbé vint serasseoir et dit :

— Qu’est-ce qu’un symbole? D’après Littré, c’est  » une figure ouune image employée comme signe d’une autre chose « ; nous autres,catholiques, nous précisons encore cette définition en spécifiant,avec Hugues de Saint-Victor, que  » le symbole est la représentationallégorique d’un principe chrétien, sous une forme sensible « .

Or, le symbole existe depuis le commencement du monde. Toutesles religions l’adoptèrent, et, dans la nôtre, il pousse avecl’arbre du Bien et du Mal dans le premier chapitre de la Genèse etil s’épanouit encore dans le dernier chapitre de l’Apocalypse.

L’Ancien Testament est une traduction anticipée des événementsque raconte le Nouveau Livre; la religion mosaïque contient, enallégorie, ce que la religion chrétienne nous montre en réalité;l’histoire du peuple de Dieu, ses personnages, ses propos, sesactes, les accessoires même dont il s’entoure, sont un ensembled’images; tout arrivait aux Hébreux en figures, a dit saint Paul.Notre Seigneur a pris la peine de le rappeler à diverses reprises,à ses disciples et, Lui-même, a presque constamment, lorsqu’Ils’est adressé aux foules, usé de paraboles, c’est-à-dire d’un moyend’indiquer une chose pour en désigner une autre.

Le symbole provient donc d’une source divine; ajoutonsmaintenant, au point de vue humain, que cette forme répond à l’undes besoins les moins contestés de l’esprit de l’homme qui éprouveun certain plaisir à faire preuve d’intelligence, à devinerl’énigme qu’on lui soumet et aussi à en garder la solution résuméeen une visible formule, en un durable contour. Saint Augustin ledéclare expressément :  » une chose notifiée par allégorie estcertainement plus expressive, plus agréable, plus imposante quelorsqu’on l’énonce en des termes techniques.  »

— C’est aussi l’idée de Mallarmé — et cette rencontre du saintet du poète, sur un terrain tout à la fois analogue et différent,est pour le moins bizarre, pensa Durtal.

— Aussi, continua l’abbé, s’est-on, dans tous les temps, servid’objets inanimés, d’animaux et de plantes pour reproduire l’âme etses attributs, ses joies et ses douleurs, ses vertus et ses vices;on a matérialisé la pensée pour la mieux fixer, pour la rendremoins fugace, plus près de nous, ostensible, presque palpable.

De là, ces emblèmes de cruauté et de ruse, de mansuétude et decharité, incarnés dans une certaine faune, personnifiés dans unecertaine flore; de là, ces sens spirituels attribués aux pierrerieset aux couleurs. Attestons encore qu’au temps des persécutions, audébut du Christianisme, ce langage secret permettait decorerespondre entre initiés, de se confier un signe dereconnaissance, un mot de ralliement que l’ennemi ne pouvaitcomprendre; de là, ces peintures déterrées dans les catacombes,l’agneau, le pélican, le lion, le pasteur signifiant le Fils; lepoisson, l’Ichtys, dont les six lettres sont l’abrégé des mots dela phrase grecque :  » Jésus, fils de Dieu, Sauveur « , ets’assimilent aussi par contre-coup, au fidèle, à l’âme conquise,pêchée dans la mer du Paganisme, le Rédempteur ayant averti deux deses apôtres qu’ils seraient pêcheurs d’hommes.

Forcément, l’époque où nous vécûmes le plus près de Dieu, leMoyen Age, devait suivre la tradition révélée du Christ ets’exprimer dans un idiome symbolique lorsqu’il s’agissait surtoutde parler de cet Esprit, de cette Essence, de cet Êtreincompréhensible et sans nom qu’est notre Dieu. Il usait en mêmetemps, par ce procédé, d’un moyen pratique pour se faire entendre.Il écrivait un livre accessible aux incapables, remplaçait le livrepar l’image, instruisait de la sorte les ignorants. C’est,d’ailleurs, la pensée qu’émet le synode tenu à Arras en 1025 :  » Ceque les illettrés ne peuvent saisir par l’écriture, doit leur êtreenseigné par la peinture.  »

En somme, le Moyen Age traduisit, en des lignes sculptées oupeintes, la Bible, la théologie, les vies de Saints, les évangilesapocryphes, les légendaires, les mit à la portée de tous, lesrécapitula en des signes qui restaient comme la moelle permanente,comme l’extrait concentré de ses leçons.

— Il enseigna aux grands enfants le catéchisme,avec les phraseslapidaires de ses porches! s’écria Durtal.

— Oui, c’est aussi cela. — Maintenant, reprit l’abbé après unsilence, avant d’aborder le symbolisme architectural, il nous fautposer en principe que ce fut Notre Seigneur, lui-même, qui le créa,lorsque, dans le deuxième chapitre de l’Evangile de saint Jean, ilcita le temple de Jérusalem, affirmant que si les Juifs ledétruisaient, il le rebâtirait en trois jours et désignaexpressément, par cette parabole, son propre corps.

C’était montrer aux générations à venir la forme que devaient,après le supplice de la croix, adopter les nouveaux temples.

Ainsi s’expliquent les dispositions cruciales de nos nefs; maisnous étudierons plus tard l’intérieur des églises; examinons, pourl’instant, le sens qu’avèrent les parties externes descathédrales.

Les tours, les clochers, s’envisagent, d’après la théorie deDurand, évêque de Mende au XIIIe siècle, ainsi que les prédicateurset les prélats, et leurs sommets sont l’anagogie de cetteperfection que cherchent à atteindre, en s’élevant, ces âmes.Suivant d’autres symbolistes, tel que le pseudo saint Méliton,évêque de Sardes et le cardinal Pierre de Capoue, les toursreprésentent la Vierge Marie ou l’Eglise veillant sur le salut desouailles.

Un fait certain, poursuivit l’abbé, c’est que la place desclochers n’a jamais été établie, une fois pour toutes, au MoyenAge; l’on pourrait donc imaginer de nouvelles interprétations,selon l’endroit qu’ils occupent; mais l’idée la plus ingénieusementdélicate, la plus exquise, n’est-elle pas celle de ces architectesqui, à Saint-Maclou de Rouen, à Notre-Dame de Dijon, à lacathédrale de Laon, à la cathédrale d’Anvers, par exemple,dressèrent au-dessus du transept de la basilique, c’est-à-dire aulieu même où gît dans la nef la poitrine du Christ, un lanternonexhaussant encore la voûte et se terminant souvent, au dehors, enune longue et fine arête sortant, en quelque sorte, du coeur mêmede Jésus, pour jaillir, en un élan, jusqu’au Père, pour filer,comme dardée par l’arc du toit, en une flèche aiguë jusqu’auciel?

Ainsi que les édifices qu’elles surmontent, ces tours sontpresque constamment situées sur une hauteur qui domine la ville etelles répandent autour d’elles, de même qu’une semence dans laterre des âmes, les notes essaimées de leurs cloches, rappellentaux chrétiens, par cette prédication aérienne, par ce rosaireégrené de sons, les prières qu’ils ont ordre de réciter, lesobligations qu’il leur faut remplir; — et au besoin, ellessuppléent auprès de Dieu l’indifférence des hommes, en luitémoignant au moins qu’elles ne l’oublient pas, le supplient, avecleurs bras tendus et leurs oraisons de bronze, compensent de leurmieux tant de suppliques humaines plus vocales peut-être que lesleurs!

— Avec son galbe de vaisseau, fit Durtal qui s’était approché,pensif, de la fenêtre, cette cathédrale m’apparaît surtoutsemblable à un immobile esquif dont les mâts sont les flèches etdont les voiles sont les nuées que le vent cargue ou déploie, selonles jours; elle demeure l’éternelle image de cette barque de Pierreque Jésus guidait dans les tempêtes!

— Et aussi de l’arche de Noé, de l’arche sans laquelle il n’estpoint de sauvegarde, ajouta l’abbé.

Considérez maintenant l’église, dans ses détails; son toit estle symbole de la charité qui couvre une multitude de péchés; sesardoises, ses tuiles, sont les soldats et les chevaliers quidéfendent le sanctuaire contre les païens parodiés par les orages;ses pierres, qui se joignent, diagnostiquent, d’après saint Nil,l’union des âmes, et selon le Rational de Durand de Mende, la fouledes fidèles, les pierres les plus fortes manifestant les âmes lesplus avancées dans la voie de la Perfection qui empêchent leurssoeurs plus faibles, interprétées par les plus petites pierres, deglisser hors des murs et de tomber; mais pour Hugues deSaint-Victor, moine de l’abbaye de ce nom, au XIIe siècle, cetassemblage signifie plus simplement le mélange des laïcs et desclercs.

D’autre part, ces moellons de diverse taille, sont liés par unciment dont Durand de Mende va vous préciser le sens. Le ciment,dit-il, est composé de chaux, de sable et d’eau; la chaux, c’est lacharité ardente et elle se marie, par l’eau, qui est esprit, auxchoses de la terre, au sable.

Et ces pierres ainsi agrégées formant les quatre grandesmurailles de la basilique, sont les quatre évangélistes, affirmePrudence de Troyes; d’après les autres liturgistes, elleslapidifient les quatre vertus principales de la Religion : laJustice, la Force, la Prudence et la Tempérance, déjà configuréespar les quatre parois de la cité de Dieu dans l’Apocalypse.

Vous le voyez, chaque objet peut être pris dans une acceptiondifférente, mais rentrant dans une idée générale commune.

— Et les fenêtres? demanda Durtal.

— J’y arrive; elles sont l’emblème de nos sens qui doivent êtrefermés aux vanités du monde et ouverts aux dons du Ciel; ellessont, en outre, pourvues de vitres, livrant passage aux rayons duvrai soleil qui est Dieu; mais c’est encore Dom Villette qui a leplus nettement énoncé leur symbole :

Elles sont, suivant lui, les Ecritures qui reçoivent la clartédu soleil et repoussent le vent, la neige, la grêle, similitudesdes fausses doctrines et des hérésies.

Quant aux contreforts, ils feignent la force morale qui noussoutient contre la tentation et ils sont l’espérance qui ranimel’âme et qui la réconforte; d’autres y contemplent l’image despuissances temporelles appelées à défendre le pouvoir de l’Eglise;d’autres encore, s’occupant plus spécialement de ces arcs-boutantsqui combattent l’écartement des voûtes, prétendent que cestrajectoires sont des bras éplorés, se raccrochant dans le péril ausalut de l’arche.

Enfin, l’entrée principale, le portique d’honneur de certaineséglises, telles que celles de Vézelay, de Paray-le-Monial, deSaint-Germain l’Auxerrois, à Paris, est précédé d’un vestibulecouvert, souvent profond et volontairement sombre, appelé narthex.Le baptistère était autrefois sous ce porche. C’était un lieud’attente et de pardon, une figure du purgatoire; c’étaitl’antichambre du ciel dans laquelle stationnaient, avant d’êtreadmis à pénétrer dans le sanctuaire, les pénitents et lesnéophytes.

Telle est, en peu de mots, l’allégorie des détails; si nousrevenons maintenant à son ensemble, nous observons que lacathédrale, bâtie sur une crypte, qui simule la vie contemplativeet aussi le tombeau dans lequel fut enseveli le Christ, était tenued’avoir son chevet pointé vers le lieu où le soleil se lève,pendant les équinoxes, afin de témoigner, dit l’évêque de Mende,que l’Eglise a pour mission de se conduire avec modération dans sestriomphes comme dans ses revers; elle devait, selon tous lesliturgistes, tourner son abside vers l’Orient pour que les fidèlespussent, en priant, fixer leurs regards vers le berceau de la Foi;et cette règle était absolue et elle plaisait tant à Dieu qu’il lavoulut ratifier par un miracle. Les Bollandistes relatent, eneffet, que saint Dunstan, archevêque de Cantorbéry, voyant uneéglise édifiée, dans un autre sens, la fit virer, d’un coupd’épaule, vers le Levant et la remit de la sorte en sa vraieplace.

Généralement encore, l’Eglise a trois portails, en l’honneur dela Trinité Sainte; et celui de la grande façade, de la façade dumilieu, qualifié de porche Royal, est divisé par un trumeau, par unpilier, sur lequel repose une statue de Notre-Seigneur qui a dit delui-même dans les Evangiles :  » Je suis la porte  » ou de la Viergesi l’église lui est dédiée, ou même du patron sous le vocableduquel elle est fêtée. Tranchée, de cette façon, la porte indiqueles deux voies que l’homme est libre de suivre.

Aussi dans la plupart des cathédrales, ce symbole est-ilcomplété par l’image du  » Jugement dernier  » qui se dérouleau-dessus des chambranles.

Il en est ainsi, à Paris, à Amiens, à Bourges. A Chartres, aucontraire, le pèsement des âmes est relégué, comme à Reims, sur letympan du porche Nord; toutefois il s’étend, ici, dans la rose duportail Royal, contrairement au système adopté au Moyen Age, defaire répéter par les verrières les sujets des portiques qu’ellessurmontent, ce qui permettait d’avoir, sur le même mur, les mêmesallégories, l’une, à l’intérieur, en vitre, l’autre, au dehors, enpierre.

— Bien, mais alors comment expliquer, avec cette idée duprincipe ternaire choisi presque partout, cette étonnantecathédrale de Bourges, qui, au lieu de trois portails et de troisnefs, en a cinq!

— C’est bien simple, on ne l’explique pas. Tout au pluspourrait-on insinuer que l’architecte inconnu de Bourges a vouluremémorer par ce nombre les cinq plaies du Christ; il resteraitalors à savoir pourquoi il a rangé toutes les blessures de Jésussur une seule et même ligne, car cette église n’a pas de transept,n’a pas de bras au bout desquels, on puisse, ainsi que d’habitude,marquer par une ouverture les trous des mains.

— Et la cathédrale d’Anvers qui possède encore deux nefs deplus?

— Elles signifient sans doute ces sept allées, les sept dons duParaclet. Mais cette question de compte me mène à vous parler de lathéologie numérale, de cet élément particulier qui entre aussi dansle thème si varié du symbolisme, poursuivit l’abbé. La scienceallégorique des nombres existait jadis. Saint Isidore de Séville etsaint Augustin la démêlèrent. Michelet, qui divagua dès qu’ilentrevit une cathédrale, a reproché aux architectes du Moyen Ageleur foi dans la signification des chiffres. Il les accuse d’avoir,dans la distribution de certaines parties des édifices, obéi à desrègles mystiques, d’avoir, par exemple, restreint la quantité desfenêtres ou d’avoir disposé, suivant une combinaisond’arithmétique, des piliers et des baies. Ne comprenant pas quechaque détail d’une basilique avait un sens, était un symbole, ilne pouvait admettre que le calcul de ces symboles importait,puisqu’il pouvait en modifier la signification ou même complètementla changer. Ainsi un pilier isolé peut ne pas nécessairementindiquer un apôtre, mais si ces piliers sont au nombre de douze ilsprécisent l’acception que le constructeur leur prêta, en rappelantle chiffre exact des apôtres du Christ.

Quelquefois, il est vrai, pour éviter toute erreur, on joignitau problème sa solution. Telle une vieille église d’Etampes où j’ailu, inscrits sur les douze fûts romans, le nom des apôtres, ensaillie dans le cadre consacré de la croix grecque.

A Chartres, on avait fait mieux encore; on avait adossé auxpiliers de la nef les statues des douze apôtres, mais laRévolution, que ces figures offusquaient, les a brisées.

En somme, l’on est obligé, si l’on scrute le système desemblèmes, d’étudier les apparences des nombres; l’on ne peutdéchiffrer les secrets des églises qu’en acceptant la mystérieusenotion de l’Unité du  » 1  » qui est l’image de Dieu même; l’indicedu 2 qui stipule les deux natures du Fils, les deux Testaments, quispécifie aussi, selon saint Augustin, la charité et, suivant saintGrégoire le Grand, le double enseignement de l’amour de Dieu et duprochain; du 3 qui est la somme des hypostases et des vertusthéologales; du 4, qui personnifie les vertus cardinales, lesquatre grands prophètes, les Evangiles; du 5, qui est le nombre desplaies du Christ et celui de nos sens, dont Il expia par autant deblessures les fautes; du 6, qui commémore le temps employé par Dieuà la création, fixe le chiffre des Commandements de l’Eglise,décèle la perfection de la vie active, suivant saint Méliton; du 7,signe sacré de la loi mosaïque, qui constitue le montant des donsdu Saint-Esprit, des Sacrements, des paroles du Christ en croix,des heures canoniales, des ordres successifs qui font le prêtre; du8, symbole de la régénération d’après saint Ambroise, de laRésurrection suivant saint Augustin, du 8, qui suscite le souvenirdes huit Béatitudes; du 9, qui marque le total des choeursangéliques, l’effectif des grâces spéciales de l’Esprit, telles queles énumère saint Paul, et qui est aussi le chiffre de l’heure àlaquelle expira le Christ; du 10, qui produit le nombre desprescriptions de Jéhovah, de la Loi de crainte, mais que saintAugustin élucide autrement, en disant qu’il avère la connaissancede Dieu, car on peut le décomposer de cette manière : — 3, symboled’un Dieu en trois personnes et 7, jour du repos après la création;du 11, image de la transgression de la Loi, armoirie du péché,ainsi que l’explique le même saint; du 12, le nombre mystique parexcellence, le nombre des patriarches et des apôtres, des tribus,des petits prophètes, des vertus, des fruits du Saint-Esprit, desarticles de foi insérés dans le Credo. Et l’on pourrait continuerde la sorte, à l’infini. Il est donc bien évident qu’au Moyen Age,les artistes ajoutèrent au sens qu’ils attribuaient à certainsêtres, à certaines choses, celui de la quantité, appuyant l’un parl’autre, accentuant ou atténuant une indication par ce nouveaumoyen, revenant parfois sur leur idée, exprimant cetteréduplication dans une langue différente ou en la résumant dansl’énergique concision d’un signe. Ils obtinrent ainsi un toutparlant aux yeux et synthétisant en même temps, en une brèveallégorie, tout le texte d’un dogme.

— Oui, mais quel laconisme hermétique! s’écria Durtal.

— Sans doute; au premier abord, ces vicissitudes de personnes etd’objets dues à des différences numérales interloquent.

— Croyez-vous, en somme, que la hauteur, que la largeur, que lalongueur d’une cathédrale révèlent, de la part de son architecte,une intention particulière, un but spécial?

— Oui, mais je conviens tout de suite que la clef de cettearithmétique religieuse est perdue. Les archéologues quis’évertuèrent à la retrouver ont eu beau additionner des mètres detravées et de nefs, ils ne sont pas parvenus à nous traduire bienclairement la pensée qu’ils s’attendaient à voir énoncée par destotaux.

Avouons-le, nous sommes, en cette matière, ignares. Est-ce qued’ailleurs les mesures n’ont pas varié avec les époques? il en estd’elles comme de la valeur des monnaies au Moyen Age, nous n’ydistinguons rien. Aussi, malgré d’intéressants travaux entrepris, àce point de vue, par l’abbé Crosnier, à propos du prieuré deSaint-Gilles, et par l’abbé Devoucoux sur la cathédrale d’Autun,restai-je sceptique devant leurs conclusions qui sont pour moi trèsingénieuses, mais aussi très peu sûres.

La méthode numérique se décèle excellente seulement pour desdétails — tels que celui des piliers dont je vous parlais tout àl’heure — elle est également authentique quand il est question d’unseul chiffre répété partout dans un même édifice, exemple : celuide Paray-le-Monial où tout marche par trois. Là, le constructeur nes’est pas borné à reproduire le nombre sacré dans le plan généralde l’église; il l’a employé dans chacune des parties. Cettebasilique a, en effet, trois nefs; chaque nef a trois travées;chaque travée est formée d’une arcature dessinée par trois arcs etsurmontée de trois fenêtres. Bref, c’est le rappel de la Trinité,le principe ternaire, mis en pratique jusqu’au bout.

— Soit, mais n’estimez-vous pas, Monsieur l’abbé, qu’en dehorsde ces cas d’indiscutable clarté, il y ait, dans la symbolique, desexplications bien tirées par les cheveux, bien obscures?…

L’abbé sourit. — Vous connaissez, dit-il, les idées d’Honoriusd’Autun, sur l’encensoir?

— Non.

— Eh bien, les voici : Après avoir établi le sens naturel, trèsjuste, que l’on peut prêter à ce récipient qui figure le corps deNotre-Seigneur, tandis que l’encens signifie sa divinité, le feu,l’Esprit Saint qui était en Lui — et, après avoir défini lesdiverses acceptions du métal dont il est formé, enseigné que si levase est d’or il marque l’excellence de sa Divinité; d’argent, lasainteté non pareille de son humilité; de cuivre, la fragilité desa chair ainsi créée pour notre salut; de fer, la résurrection decette chair qui vainquit la mort; l’écolatre d’Autun arrive auxchaînettes.

C’est alors que vraiment sa symbolique devient un peu filiformeet ténue… S’il y en a quatre, dit-il, elles indiquent les quatrevertus cardinales du Seigneur et celle de ces chaînettes qui aide àlever le couvercle du vase, désigne l’âme du Christ abandonnant soncorps.

Si, au contraire, l’encensoir n’est monté qu’avec trois chaînes,c’est parce que la Personne du Sauveur contient trois éléments : unorganisme humain, une âme et la Déité du Verbe; et Honorius conclut: l’anneau dans lequel glissent les chaînes est l’Infini où sontrenfermées toutes ces choses.

— Ce que c’est alambiqué!

— Moins que la théorie de Durand de Mende sur les mouchettes,répliqua l’abbé; après celle-là, nous ôterons, si vous le voulez,l’échelle.

Les pincettes pour moucher les lampes sont, assure-t-il,  » lesparoles divines auxquelles nous coupons les lettres de la Loi et,ce faisant, nous révélons l’esprit qui luit  » — et il ajoute : « les pots dans lesquels on éteint les mouchures des lampes sont lescoeurs des fidèles qui observent la Loi à la lettre.  »

— C’est la démence du symbolisme! s’écria Durtal.

— C’en est, en tout cas, l’excès méticuleux; mais si lespincettes ainsi envisagées sont pour le moins bizarres, si même lathorie de l’encensoir peut paraître bien fluette en son ensembleavouez cependant qu’elle est spontanée et charmante et préciselorsqu’il s’agit de la chaîne qui entraîne, en l’enlevant dans unnuage de fumée, la portion supérieure du vase et imite ainsil’ascension de Notre Seigneur dans les nues.

Que dans la voie des paraboles, certaines exagérations se soientproduites cela était difficile à éviter, mais… mais… en revanchequelles merveilles d’analogie et quels concepts purement mystiquesdénotent les sens décernés par la liturgie à certains objets duculte!

Tenez, au cierge, lorsque Pierre d’Esquilin nous explique lasignification des trois parties qui le composent, de la cire quiest la chair très chaste du Sauveur né d’une Vierge, de la mèchequi, célée dans cette cire, est son âme très sainte cachée sous lesvoiles de son corps, de la lumière qui est l’emblème de saDéité.

Prenez encore ces substances qu’emploie, dans certainescérémonies, l’Eglise : l’eau, le vin, la cendre, le sel, l’huile,le baume, l’encens.

En sus de la Divinité du Fils qu’il s’approprie, l’encens estaussi le symbole de nos prières,  » thus devotio orationis « , ainsique le qualifie, au IXe siècle, l’archevêque de Mayence, RabanMaur. Il me revient également, à propos de cette résine et de lacassolette dans laquelle on la brûle, un vers que j’ai lu jadisdans les  » Distinctions monastiques  » de l’anonyme anglais du XIIIesiècle et qui analyse leurs attributions mieux que je n’ai pu vousles dire… attendez :

 » vas notatur,  » Mens pia; thure preces, igne supernus amor. »

Le vase est l’esprit de piété; l’encens, les prières; le feu, ledivin amour.

Quant à l’eau, au vin, à la cendre, au sel, ils servent àpréparer un précieux magistère dont l’évêque use lorsqu’il veutconsacrer une église. Leur amalgame est utilisé pour signer l’autelet asperger les nefs; l’eau et le vin notent les deux naturesréunies en Notre-Seigneur; le sel, la sagesse céleste; la cendre,la mémoire de sa Passion.

Pour le baume qui est vertu et bonne renommée, on le marie àl’huile qui est paix et prudence, afin d’en apprêter lesaint-Chrême.

Songez enfin, poursuivit l’abbé, aux pyxides dans lesquelles onconserve les espèces panifuges, les oblates saintes, et considérezqu’au Moyen Age, ces cassettes furent façonnées en figure decolombes et détinrent l’hostie dans l’image même du Paraclet et dela Vierge; c’était déjà bien, mais voici qui est mieux. Lesorfèvres de cette époque ciselèrent l’ivoire et donnèrent auxcustodes l’apparence d’une tour; n’est-ce pas exquis le corps deNOtre-Seigneur reposant dans le sein de la Vierge, dans la Tourd’ivoire des Litanies? n’est-ce pas, en effet, la matière qui siedle mieux pour servir de reposoir à la très pure, à la très blanchechair du Sacrement?

— Certes, c’est autrement mystique que les vases quelconques,que les ciboires en vermeil, en argent, en aluminium de notretemps!

— Faut-il vous rappeler maintenant que la liturgie assigne àtous les vêtements, à tous les ornements de l’Eglise, un sensdifférent, selon leur usage et selon leur forme?

C’est ainsi, par exemple, que le surplis et l’aube signalentl’innocence; le cordon qui nous ceint les reins : la chasteté et lamodestie; l’amict : la pureté du corps et du coeur, le casque desalut dont parle saint Paul; le manipule : les bonnes oeuvres, lavigilance, les larmes et les sueurs que versera le prêtre pourconquérir et sauver les âmes; l’étole : l’obéissance, le vêtementd’immortalité que nous rendit le baptême; la dalmatique : lajustice dont nous devons faire preuve dans notre ministère; lachasuble ou planète : l’unité de la foi et son intégrité et aussile joug du Christ…

Mais avec cela, la pluie continue et il est pourtant nécesaireque je m’en aille, car j’ai une pénitente qui m’attend. Voulez-vousvenir me prendre après-demain, vers deux heures; espérons qu’ilfera alors assez beau pour visiter les dehors de l’église.

— Et s’il pleut encore?

— Venez tout de même, répondit l’abbé qui serra la main deDurtal et s’enfuit.

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