La Cathédrale

Chapitre 7

 

Combien elle peut contenir de fidèles, la cathédrale? Près de18000, répondit l’abbé Plomb. Mais il est inutile de vous assurer,n’est-ce-pas, qu’elle n’est jamais pleine; que même pendant lestemps de pèlerinages, les foules immenses du Moyen Age nel’emplissent plus. Ah! Chartres, n’est pas précisément ce qu’onappelle une ville pieuse.

— Elle est sinon hostile à la religion, au moins fortindifférente, fit l’abbé Gévresin.

— Le Chartrain est cupide, apathique et salace, répliqua l’abbéPlomb; cupide surtout, car la passion du lucre est ici, sous desdehors inertes, féroce. Vraiment, par expérience, je plains lejeune prêtre que l’on envoie, pour ses débuts, évangéliser laBeauce.

Il arrive, plein d’illusions, rêvant aux conquêtes d’unapostolat, si désireux de se dévouer! — et il s’affaisse dans lesilence et le vide. Si encore on le persécutait, il se sentiraitvivre; mais on l’accueille par un sourire et non par une injure, cequi est pis; et promptement il se rend compte de l’inanité de sesdémarches, du néant de ses efforts et il se décourage!

Ici, le clergé est, on peut le dire, excellent; composé desaints prêtres, mais presque tous végètent, engourdis parl’inaction; ils ne lisent, ni ne travaillent, s’ankylosent, semeurent d’ennui dans cette province.

— Pas vous! s’exclama, en riant, Durtal; car vous avez del’ouvrage; ne m’avez-vous pas raconté que vous cultiviez plusspécialement les âmes des belles dames qui daignent s’intéresserencore à Notre-Seigneur, dans cette ville?

— Vous avez la plaisanterie féroce, riposta l’abbé. Croyez bienque si j’avais des servantes et des filles du peuple à gérer, je neme plaindrais pas, car il y a des qualités et des vertus, il y a duressort dans les âmes simples, mais dans la petite bourgeoisie etle monde riche! — vous ne pouvez vous imaginer ce que sont cesfemmes. Du moment qu’elles assistent à la messe, le dimanche etfont leurs Pâques, elles pensent que tout leur est permis; et, dèslors, leur sérieuse préoccupation est moins d’offenser le Christque de le désarmer par de basses ruses. Elles médisent, lèsentgrièvement le prochain, lui refusent toute pitié et toute aide etelles s’en excusent ainsi que de fautes sans conséquence; maismanger gras, un vendredi! c’est autre chose; elles sont convaincuesque le péché qui ne se remet point est celui-là. Pour elles, leSaint-Esprit, c’est le ventre; en conséquence, il s’agit debiaiser, de louvoyer autour de ce péché, de ne jamais le commettre,tout en le frôlant et en ne se privant point. Aussi quelleéloquence elles déploient pour me rassurer sur le caractèrepénitent de la poule d’eau!

Pendant le carême elles sont toutes possédées par la rage dedonner des dîners et elles s’ingénient à servir aux invités unmaigre qui en soit, tout en ayant l’air de n’en être pas; et cesont d’interminables discussions sur la sarcelle, sur la macreuse,sur les volatiles à sang froid. C’est un zoologiste et non unprêtre qu’elles devraient aller consulter pour ces cas-là!

Quant à la Semaine Sainte, c’est encore une autre antienne; àl’obsession de la volaille nautique succède le prurit de lacharlotte russe. Peut-on, sans blesser Dieu, savourer unecharlotte? Il y a bien des oeufs dedans, mais si battus, simortifiés que ce plat se révèle presque ascétique; et lesexplications culinaires débordent, le confessionnal tourne àl’office, le prêtre devient un maître-queux.

Pour ce qui regarde le vice même de la gourmandise, elles s’enreconnaissent à peine coupables. Est-ce vrai, mon cherconfrère?

L’abbé Gévresin approuva d’un signe. Certes, dit-il, ce sont desâmes creuses, et qui plus est, imperméables.

Elles sont bouchées à toute idée généreuse, considèrent lesrelations qu’elles entretiennent avec le Rédempteur, commeconvenables pour leur rang, comme de bon ton; mais elles necherchent nullement à entrer dans son intimité, se bornent, depropos délibéré, à des visites de politesse.

— Les visites que l’on rend, le jour de l’an, au parent âgé!s’écria Durtal.

— Non, à Pâques, rectifia Mme Bavoil.

— Et, parmi ces pénitentes, reprit l’abbé Plomb, il y al’affligeante variété de l’épouse du député qui vote mal et répondaux objurgations de sa femme : moi! mais je suis, au fond, pluschrétien que toi!

Invariablement, à chaque séance, elle recommence l’histoire desvertus privées du mari et déplore la conduite de l’homme public; ettoujours cette narration, qui n’en finit point, aboutit à deséloges qu’elle se décerne, presque à une demande d’excuses qu’elleattend de nous, pour tout le tintouin que lui cause l’Eglise!

L’abbé Gévresin sourit et dit :

— Quand j’étais attaché à Paris à l’une des paroisses de la rivegauche dans laquelle est situé un grand magasin de nouveautés, j’aifréquenté un singulier genre de femmes. Les jours surtout où cemagasin annonçait des expositions de blanc ou écoulait des soldes,c’était à la sacristie une affluence de dames en toilettes.

Ces femmes-là habitaient de l’autre côté de l’eau; elles étaientvenues, dans le quartier, pour effectuer des achats et, ayant sansdoute trouvé les rayons qu’elles parcouraient trop pleins, ellesvoulaient attendre que la foule qui les emplissait fût partie, poury choisir plus à l’aise leurs emplettes; alors, ne sachant plus àquoi s’occuper, elles se réfugiaient dans l’église et, là, lebesoin de parler les tenaillant, elles requéraient, pour l’apaiser,le prêtre de garde, bavardaient au confessionnal comme dans unsalon, tuaient ainsi le temps.

— Ne pouvant, de même que les hommes, aller au café, elles vontà l’église, dit Durtal.

— A moins, fit Mme Bavoil, qu’elles ne veuillent surtout confierà un ecclésiastique inconnu des fautes qu’il serait pénibled’avouer à leur confesseur.

— Enfin, s’exclama Durtal, voilà un point de vue neuf,l’influence des grands magasins sur le tribunal de lapénitence!

— Et celle des gares, ajouta l’abbé Gévresin.

— Comment, des gares?

— Mais oui, les églises situées près des débarcadères ont uneclientèle spéciale de voyageuses. — C’est là que l’observation quela chère Mme Bavoil vient de faire, se vérifie. — Beaucoup defemmes de province, qui reçoivent à dîner chez elles le curé deleur pays, n’osent lui raconter leurs adultères parce qu’il luiserait trop facile de deviner le nom de l’amant, et que lasituation de ce prêtre, vivant dans l’intimité de la maison, seraitgênante; alors elles profitent de leur passage à Paris ou ydébarquent sous un prétexte quelconque pour s’ouvrir à un autreabbé qui ne les connaît point. En règle générale, lorsqu’une femmeparle de son curé en de mauvais termes, lorsqu’elle débute, auconfessionnal, par vous dire qu’il est inintelligent, sanséducation, inapte à comprendre et à guider les âmes, vous pouvezêtre sûr que l’aveu du péché contre le VIe commandement estproche.

— C’est égal, il en a de l’aplomb, le monde qui vivote autour dubon Dieu! s’écria Mme Bavoil.

— Ce sont de malheureux êtres qui opèrent une cote mal tailléede leurs devoirs et de leurs vices. Mais laissons cela et vaquons àdes choses plus pressantes. Avez-vous apporté, ainsi que vous nousl’avez promis, votre article sur l’Angelico? Lisez-le.

Durtal tira de sa poche son manuscrit qu’il avait achevé etqu’il devait expédier, le soir même, à Paris.

Il s’assit sur l’un des fauteuils de paille, au milieu de lachambre de l’abbé Gévresin où ils étaient réunis, et commença :

LE COURONNEMENT DE LA VIERGE

de fra Angelico, au Louvre

 » L’ordonnance de ce tableau évoque l’attitude de ces arbres deJessé dont les branches, soutenant sur chacun de leurs rameaux, unefigure humaine, s’évasent et se déploient, s’ouvrant, tels que deslames d’éventails, de chaque côté du trône en haut duquels’épanouit, sur une tige isolée, la radieuse fleur d’uneVierge.

Dans le  » Couronnement de la Vierge  » de Fra Angelico, c’est, àdroite et à gauche de la touffe séparée où le Christ, assis sous lapierre ciselée d’un dais, dépose la couronne qu’il tient de sesdeux mains sur la tête inclinée de sa Mère, tout un espalierd’apôtres, de saints et de patriarches montant, en une ramure denseet serrée, du bas du panneau, finissant par éclater, de chaque côtédu cadre, en une extrême floraison d’anges qui se détachent sur lebleu du ciel, avec leurs chefs ensoleillés de nimbes.

La disposition de ces personnages est ainsi conçue :

A gauche, — au bas du trône, sous le dais de style gothique,prient agenouillés : l’évêque saint Nicolas de Myre, mitré etétreignant sa crosse à la hampe de laquelle pend, comme un drapeaureplié, le manipule; le roi saint Louis, à la couronnefleurdelysée; les moines saint Antoine, saint Benoît, saintFrançois, saint Thomas qui montre un livre ouvert sur lequel sontécrits les premiers versets du Te Deum; saint Dominique un lys à lamain, saint Augustin une plume; puis, en remontant, les apôtressaint Marc, saint Jean, portant leurs évangiles; saint Barthélémyexhibant le coutelas qui servit à l’écorcher; saint Pierre, saintAndré, saint Jean-Baptiste; puis, en remontant encore, lapatriarche Moïse; — enfin, la théorie pressée des Anges, sedécoupant sur l’azur du firmament, les têtes ceintes d’une auréoled’or.

A droite, — en bas, vue de dos, à côté d’un moine qui estpeut-être saint Bernard, Marie-Madeleine à genoux près d’un vased’aromates, dans une robe d’un rouge vermillon; puis derrière elle,sainte Cécile, couronnée de roses; sainte Claire ou sainteCatherine de Sienne, coiffée d’un béguin bleu semé d’étoiles;sainte Catherine d’Alexandrie, appuyée sur la roue de son supplice;sainte Agnès caressant un agneau couché dans ses bras; sainteUrsule dardant une flèche, d’autres dont les noms sont inconnus;toutes saintes, faisant vis-à-vis à l’évêque, au roi, auxreligieux, aux fondateurs d’ordres; puis s’élevant le long desdegrés du trône, saint Etienne avec la palme verte des martyrs;saint Laurent avec son gril; saint Georges couvert d’une cuirasseet coiffé d’un casque; saint Pierre le Dominicain, reconnaissable àson crâne fendu; puis, en s’exhaussant encore, saint Matthieu,saint Philippe, saint Jacques le Majeur, saint Jude, saint Paul,saint Mathias, le roi David; — enfin, en face des Anges de gauche,un groupe d’Anges dont les faces, cernées de ronds d’or, s’enlèventsur l’horizon d’un outremer pur.

Malgré les sévices des réparations qu’il endura, ce panneau,gravé et gaufré d’or, resplendit avec la claire fraîcheur de sapeinture au blanc d’oeuf.

En son ensemble, il figure un escalier de la vue, si l’on peutdire, un escalier circulaire à double rampe, aux marches d’un bleumagnifique, tapissées d’or.

La première, à gauche, en bas, est simulée par l’azur du manteaude saint Louis, puis d’autres grimpent, feintes par un coin entrevud’étoffe, par la robe de saint Jean et, plus haut encore, avant qued’atteindre la nappe en lazulis du firmament, par la robe dupremier des Anges.

La première, à droite, en bas, par la mante de sainte Cécile,d’autres par le corsage de sainte Agnès, les draperies de saintEtienne, la tunique d’un prophète, plus haut encore, avant qued’arriver à la lisière en lapis du ciel, par la robe du premier desAnges.

Le bleu qui domine dans le tableau est donc construitrégulièrement, en échelons, espacé en vis-à-vis, presque de la mêmemanière, de chaque côté du trône. Et cet azur épandu sur descostumes dont les plis sont à peine accusés par des blancs estd’une sérénité extraordinaire, d’une candeur inouïe. C’est lui qui,avec le secours des ors dont les lueurs cerclent les têtes, courentou se tortillent sur les bures noires des moines, en Y sur la robede saint Thomas; en soleil ou plutôt en chrysanthèmes chevelus surles frocs de saint Antoine et de saint Benoît; en étoiles sur lacoiffe de sainte Claire; en broderies ajourées, en lettres formantdes noms, en plaques de gorgerins sur les vêtements des autressaintes; c’est lui qui donne l’âme colorée de l’oeuvre. Tout en basde la scène, un coup de rouge magnifique, celui de la robe deMadeleine, qui se répercute dans la couleur de flamme de l’un desdegrés du trône, reprend çà et là, atténué sur des bouts perdusd’étoffe ou se dissimule, étouffé sous des ramages d’or, comme dansla chape de saint Augustin, aide, ainsi qu’un tremplin, pourenlever le merveilleux accord.

Les autres couleurs ne semblent plus jouer là que le rôle denécessaires remplissages, d’indispensables étais. Elles sont,d’ailleurs, pour la plupart, d’une vulgarité, d’une laideur quidéconcertent. Voyez les verts : ils vont de la chicorée cuite àl’olive, pour aboutir à l’horreur absolue dans deux des marches dutrône qui barrent la toile de deux traînées d’épinards tombés dansdu macadam. Le seul vert qui soit supportable est celui du manteaude sainte Agnès, un vert parmesan très nourri de jaune queravitaille encore, sur sa doublure aperçue, le voisinagecomplaisant d’un orange.

Voyez, d’autre part, ce bleu que l’Angelico manie sisomptueusement dans les teintes célestes; s’il le fonce, il devientaussitôt moins ample et presque terne; exemple : celui qui colorele béguin de sainte Claire.

Et il se révèle plus lourd encore sur les joues des Saints. Ilest, en quelque sorte, glacé, de même qu’une croûte de pâtisserie;il a le ton d’un sirop de framboise noyé dans de la pâte àl’oeuf.

Et ce sont là, en somme, les seules couleurs dont l’Angelico sesert : un bleu de ciel magnifique et un bleu vil, un blancquelconque, un rouge éclatant, des roses mornes, un vert clair, desverts foncés et des ors. Ni jaune clair d’immortelles, ni paillelumineuse, tout au plus un jaune lourd et sans reflets pour lescheveux des saintes; aucun orange vraiment franc, aucun violetfaible ou valide, sinon dans une doublure clandestine de mante etdans la robe à peine visible d’un saint, coupé par le liseré ducadre; aucun brun qui ne se cache. Sa palette est, on le voit,restreinte.

Et elle est symbolique, si l’on y songe : il a fait certainementpour ses tons, ce qu’il a fait pour toute l’ordonnance de sonoeuvre. Son tableau est l’hymne de la chasteté et il a échelonné,autour du groupe formé par Notre Seigneur et sa Mère, les Saintsqui avaient le mieux concentré cette vertu sur la terre : saintJean-Baptiste qu’étêta la trémoussante impureté d’une Hérodiade;saint Georges qui sauva une vierge de l’emblématique dragon; desSaintes telles que sainte Agnès, sainte Claire, sainte Ursule; deschefs d’ordres, tels que saint Benoît et saint François; un roi telque saint Louis; un évêque tel que saint Nicolas de Myre quiempêcha la prostitution de trois jeunes filles qu’un père affamévoulait vendre. Tout jusqu’aux plus petits détails, depuis lesattributs des personnages jusqu’aux marches du trône dont le nombrecorrespond aux neuf choeurs des anges, est symbolique, dans cetteoeuvre.

Il est, par conséquent, permis de croire qu’il a choisi lescouleurs pour les allégories qu’elles expriment.

Le blanc, symbole de l’Être supérieur, de la Vérité absolue,employé par l’Eglise dans ses ornements pour la fête de NotreSeigneur et de la Vierge, parce qu’il annonce la bonté, lavirginité, la charité, la splendeur, la sagesse divine lorsqu’il semagnifie dans l’éclat pur de l’argent.

Le bleu, parce qu’il rend la chasteté, l’innocence, lacandeur.

Le rouge, couleur de la robe de saint Jean, comme le bleu est lacouleur de la robe de Marie, dans les oeuvres des Primitifs, lerouge, parure des offices du Saint-Esprit et de la Passion, parcequ’il traduit la charité, la souffrance et l’amour.

Le rose, l’amour de l’éternelle sapience, et aussi, d’aprèssainte Mechtilde, la douleur et le tourment du Christ.

Le vert, dont la liturgie use dans les temps de pèlerinage etqui semble la couleur préférée de la sainte Bénédictine luidécernant le sens de fraîcheur d’âme et de sève perpétuelle; levert qui, dans l’herméneutique des tons, indique l’espoir de lacréature régénérée, le souhait du dernier repos, qui est aussi lamarque de l’humilité, selon l’anonyme anglais du XIIIe siècle, dela contemplation d’après Durand de Mende.

Par contre, l’Angelico s’est volontairement abstenu d’utiliserles nuances qui désignent les qualités des vices, sauf, bienentendu, celles adoptées pour les costumes des ordres monastiquesqui en dénaturent complètement le sens.

Le noir, teinte de l’erreur et du néant, seing de la mort, dansl’Eglise, image, suivant la soeur Emmerich, des dons profanés etperdus.

Le brun, qui, d’après la même soeur, est synonyme d’agitation,d’aridité, de sécheresse, de négligences; le brun, qui composé denoir et de rouge, de fumée obscurcissant le feu divin, estsatanique.

Le gris, la cendre de la pénitence, le symptôme destribulations, selon l’Evêque de Mende, le signe du demi-deuil,substitué naguère au violet dans le rite Parisien, pendant le tempsdu Carême; mariage du blanc et du noir, des vertus et des vices,des joies et des peines; miroir de l’âme, ni bonne, ni mauvaise, del’être médiocre, de l’être tiède que Dieu vomit; le gris ne serelevant que par l’adjonction d’un peu de pureté, d’un peu de bleu,pouvant, alors qu’il se mue en un gris perle, devenir une nuancepieuse, un pas vers le ciel, un acheminement dans les premièresvoies de la Mystique.

Le jaune, considéré par la soeur Emmerich comme l’indice de laparesse, de l’horreur de la souffrance, et qui, souvent assigné, auMoyen Age, à Judas, est le stigmate de la trahison et del’envie.

L’orangé, qui se signale ainsi que la révélation de l’amourdivin, l’union de l’homme à Dieu, en mélangeant le sang de l’Amouraux tons peccamineux du jaune, mais qui peut être pris dans uneplus mauvaise acception, dans un sens de mensonge, d’angoisse,manifester, lorsqu’il tourne au roux, les défaites de l’âmesurmenée par ses fautes, la haine de l’amour, le mépris de lagrâce, la fin de tout.

La feuille morte, qui témoigne de la dégradation morale, de lamort spirituelle, de l’espoir du vert à jamais perdu.

Enfin, le violet, que l’Eglise revêt pour les dimanches d’Aventet de Carême et pour les offices de pénitence. Il fut la couleur dudrap mortuaire des rois de France; il nota, pendant le Moyen Age,le deuil et il demeure à jamais la triste livrée desexorcistes.

Ce qui est moins explicable, par exemple, c’est le choix limitédes types de visages qu’il préféra; car ici, le symbole estinutile. Voyez, en effet, ses hommes. Les Patriarches, aux têtesbarbues n’ont point ces chairs d’hosties presque lucides ou ces osperçant le parchemin d’un épiderme sec et diaphane, comme cettefleur de lunelle, connue sous le nom de monnaie du Pape; tous ontdes physionomies régulières et aimables; tous sont gens sanguins etbien portants, attentifs et pieux; ses moines ont, eux aussi, laface pleine et les joues roses; aucun de ses saints n’a l’allured’un Père du Désert, accablé par les jeûnes, la maigreur épuiséed’un ascète; tous ont des traits vaguement semblables, unecorpulence similaire et des teints pareils. Ils figurent sur cetableau une placide colonie de très braves gens.

Ils apparaissent ainsi, du moins au premier coup d’oeil.

Et les femmes sont toutes également de la même famille; ellessont des soeurs aux ressemblances plus ou moins fidèles; toutessont blondes et fraîches, avec des yeux couleur de tabac clair, despaupières pesantes, des visages ronds; toutes forment un cortège detypes un peu gnan-gnan à cette Vierge au nez long, au crâned’oiselle, agenouillée aux pieds du Christ.

Il y a en somme, pour tous ces personnages, à peine quatre typesqui diffèrent, si nous tenons compte de l’âge plus ou moins avancéde chacun d’eux, des modifications imposées par la coiffure, par leport de la barbe ou la rasure, des poses de profil ou de face quiles distinguent.

Les seuls qui ne soient pas d’ensemble presque uniforme, ce sontles Anges aux adolescences asexuées, toutes charmantes. Ils sontd’une incomparable pureté, d’une candeur plus qu’humaine, avecleurs robes bleues, roses, vertes, fleuretées d’or, leurs cheveuxblonds ou roux, tout à la fois aériens et lourds, leurs yeuxchastes et baissés, leurs chairs blanches telles que des moellesd’arbres. Graves et ravis, ils jouent de l’angélique et du théorbe,de la viole d’amour et du rebec, chantent l’éternelle gloire de laTrès Sainte Mère.

En résumé, au point de vue des types, ainsi qu’au point de vuedes couleurs, les choix de l’Angelico sont réduits.

Mais alors, malgré la troupe exquise des Anges, ce tableau estmonotone et banal, cette oeuvre si vantée est surfaite?

Non, car ce  » Couronnement de la Vierge  » est un chef-d’oeuvreet il est encore supérieur à tout ce que l’enthousiasme en voulutdire; et, en effet, il dépasse toute peinture, parcourt des régionsoù jamais les mystiques du pinceau n’ont pénétré.

Là, ce n’est plus un travail manuel même souverain, ce n’estplus un ouvrage spirituel, vraiment religieux, ainsi que Roger Vander Weyden et Quentin Metsys en firent; c’est autre chose. Avecl’Angelico, un inconnu entre en scène, l’âme d’un mystique arrivé àla vie contemplative et l’effusant, ainsi qu’en un pur miroir, surune toile.

C’est l’âme d’un extraordinaire moine, d’un saint que nousvoyons dans cette glace colorée où elle s’épand sur des créaturespeintes. Et cette âme, on peut juger de son degré d’avancement dansles voies de la Perfection, par l’oeuvre qui la répercute.

Ses Anges, ses Saints, il les mène jusqu’à la vie Unitive,jusqu’au suprême degré de la Mystique. Là, les douleurs des lentesascensions ne sont plus; c’est la plénitude des joies tranquilles,la paix de l’homme divinisé; l’Angelico est le peintre de l’âmeimmergée en Dieu, le peintre de ses propres aîtres.

Et il fallait un moine pour tenter cette peinture. Certes, lesMetsys, les Memling, les Thierry Bouts, les Gérard David, les RogerVan der Weyden, étaient d’honnêtes et de pieuses gens. Ilsimprégnèrent leurs panneaux d’un reflet céleste; eux aussi,réverbérèrent leur âme dans les figures qu’ils peignirent, maiss’ils les marquèrent d’une étampe prodigieuse d’art, ils ne purentque leur donner l’apparence d’une âme débutant dans l’ascèsechrétienne; ils ne purent représenter que des gens demeurés commeeux dans les premières pièces de ces châteaux de l’âme dont parlesainte Térèse et non dans la salle au centre de laquelle se tient,en rayonnant, le Christ.

Ils étaient, suivant moi, plus observateurs et plus profonds,plus savants et plus habiles, plus peintres même que l’Angelico,mais ils étaient préoccupés de leur labeur, vivaient dans le monde,ne pouvaient bien souvent s’empêcher de donner à leurs Vierges desallures d’élégantes dames, étaient obsédés par des souvenirs de laterre, ne s’enlevaient pas hors de leur existence coutumière entravaillant, restaient, en un mot, des hommes. Ils ont étéadmirables, ils ont exprimé les instances d’une ardente Foi, maisils n’avaient pas reçu cette culture spéciale qui ne se pratiqueque dans le silence et la paix du cloître. Aussi, n’ont-ils pufranchir le seuil du domaine séraphique où vaguait ce naïf quin’ouvrait ses yeux fermés par la prière que pour peindre, ce moinequi n’avait jamais regardé au dehors, qui n’avait jamais vu qu’enlui.

Ce que l’on sait de sa vie justifie d’ailleurs cette peinture.Il était un humble et tendre religieux qui faisait oraison avant detoucher à ses pinceaux et ne pouvait dessiner une crucifixion, sansfondre en larmes.

Au travers du voile de ses pleurs, sa vision s’angélisait,s’effusait dans les clartés de l’extase et il créait des êtres quin’avaient plus que l’apparence humaine, l’écorce terrestre de nosformes, des êtres dont les âmes volaient déjà loin de leurs cagescharnelles. Scrutez son tableau et voyez comme l’incompréhensiblemiracle de cet état d’âme qui surgit, s’opère.

Les types des Apôtres, des Saints sont, nous l’avons dit,quelconques. Eh bien, fixez le visage de ces hommes et discernezcombien, au fond, ils aperçoivent peu la scène à laquelle ilsassistent; quelle que soit l’attitude que leur attribue le peintre,tous sont recueillis en eux-mêmes et contemplent la scène, non avecles yeux de leurs corps mais avec les yeux de leurs âmes. Tousexaminent en eux-mêmes; Jésus les habite, et ils le considèrentmieux dans leur for intérieur que sur ce trône.

Et il en est de même des Saintes. J’ai avancé qu’elles avaientl’air insignifiant et c’est vrai; mais ce que leurs traits, à ellesaussi, se transforment et s’effacent sous l’épreinte divine! ellesvivent noyées d’adoration, s’élancent, immobiles, vers le célesteEpoux. Une seule, demeure mal dégagée de sa gaine matérielle,sainte Catherine d’Alexandrie qui, avec ses yeux pâmés, sesprunelles d’eau saumâtre, n’est ni simple ni candide, ainsi que sesautres soeurs; celle-là voit encore la forme hominale du Christ,celle-là est encore femme; elle est, si l’on peut dire, le péché decette oeuvre!

Mais tous ces gradins spirituels, enrobés dans des figuresd’êtres, ne sont, en somme, que l’accessoire de ce tableau. Ilssont placés là, dans l’auguste assomption des ors et la chasteascension des bleus, pour mener par un escalier de pures joies aupalier sublime où se dresse le groupe du Sauveur et de laVierge.

Alors, devant la Mère et le Fils, l’artiste exalté déborde. Oncroirait que le Seigneur qui s’infond en lui le transporte au delàdes sens, tant l’amour et la chasteté sont personnifiés dans sonpanneau, au-dessus de tous les moyens d’expression dont disposel’homme.

Rien, en effet, ne saurait exprimer la prévenance respectueuse,la diligente affection, le filial et le paternel amour de ce Christqui sourit, en couronnant sa Mère; et, Elle, est plus incomparableencore. Ici, les vocables de l’adulation défaillent; l’invisibleapparaît sous les espèces des couleurs et des lignes. Un sentimentde déférence infinie, d’adoration intense et pourtant discrète,sourd et s’épand de cette Vierge qui croise les bras sur sapoitrine, tend une petite tête de colombe, aux yeux baissés, au nezun peu long, sous un voile. Elle ressemble à l’Apôtre saint Jeanplacé derrière Elle, paraît être sa fille et Elle confond, car dece doux et fin visage qui, chez tout autre peintre, ne serait quecharmant et futile, émane une candeur unique. Elle n’est même plusen chairs; l’étoffe qui la vêt s’enfle doucement au souffle dufluide qu’elle modèle; Marie vit dans un corps volatilisé,glorieux.

On conçoit certains détails de l’abbesse d’Agréda qui la déclareexempte des souillures infligées aux femmes; l’on comprend saintThomas avérant que sa beauté clarifiait, au lieu de les troubler,les sens.

Elle est sans âge; ce n’est pas une femme et ce n’est déjà plusune enfant. Et l’on ne sait même si Elle est une adolescente, àpeine nubile, une fillette, tant elle est sublimée, au-dessus del’humanité, hors le monde, exquise de pureté, à jamais chaste!

Elle demeure sans rapprochement possible dans la peinture. Lesautres Madones sont, en face d’Elle, vulgaires; elles sont, en toutcas, femmes; Elle seule est bien la blanche tige du blé divin, dufroment eucharistique; Elle seule est bien l’Immaculée, la  » ReginaVirginum  » des Litanies, et Elle est si jeune, si ingénue, que leFils semble couronner, avant même qu’Elle ne l’ait conçu, saMère!

Et c’est là vraiment qu’éclate le génie surhumain du doux moine.Il a peint comme d’autres ont parlé, sous l’inspiration de lagrâce; il a peint ce qu’il voyait en lui, de même que sainte Angèlede Foligno a raconté ce qu’elle entendait en elle. Ils étaient,l’un et l’autre, des mystiques fondus en Dieu; aussi la peinture del’Angelico est-elle une peinture du Saint-Esprit, blutée au traversd’un tamis épuré d’art.

Et si l’on y réfléchit, cette âme est plutôt celle d’une Sainteque celle d’un Saint; que l’on se reporte, en effet, à ses autrestableaux, à ceux, par exemple , où il voulut rendre la Passion duChrist; l’on ne se trouve plus en face des tumultueuses pages d’unMetsys ou d’un Gründwald; il n’a ni leur âpre virilité, ni leursombre énergie, ni leurs tragiques émois; lui, pleure, à la douleurdésespérée d’une femme. Il est une moniale d’art plus qu’un moine,et c’est de cette sensibilité toute amoureuse, plusparticulièrement réservée, dans l’état mystique aux femmes, qu’il asu tirer les touchantes oraisons de ses oeuvres et leurs tendresplaintes.

N’est-ce pas aussi de cette complexion spirituelle, si féminine,qu’il put également extraire, sous l’impulsion de l’Esprit,l’allégresse tout angélique, l’apothéose vraiment splendide deNotre Seigneur et de sa Mère, telle qu’il la peignit dans ce « Couronnement de la Vierge  » qui, après avoir été révéré, pendantdes siècles, dans l’église Saint Dominique de Fiesole, s’abrite,admiré maintenant dans la petite salle de l’Ecole Italienne, auLouvre.  »

Elle est très bien votre étude, fit l’abbé Plomb, mais cesprincipes d’un rituel coloré que vous discernâtes chez l’Angelico,peuvent-ils se vérifier aussi exactement chez les autrespeintres?

— Non, si nous définissons les couleurs telles que l’Angelicoles reçut de ses ancêtres monastiques, les enlumineurs de missels,et telles qu’il les appliqua dans leur acception la plus usitée etla plus stricte. Oui, si nous admettons la loi des oppositions, larègle des contrastes, si nous savons que la symbolique autorise lesystème des contraires, en permettant de noter avec certains tonsqui indiquent certaines qualités, les vices inverses.

— En un mot, une nuance innocente peut être prise dans un senspervers et vice versa, fit l’abbé Gévresin.

— C’est cela même. Les artistes laïques et pieux parlèrent, ensomme, un idiome différent de celui des moines. Au sortir descloîtres, la langue liturgique des tons s’altéra; elle perdit saraideur initiale et s’assouplit. L’Angelico suivait à la lettre lescoutumes de son ordre et il respectait avec le même scrupule lesobservances de l’art religieux, en vigueur à son époque. Pour rienau monde, il ne les eût enfreintes, car il les considérait ainsiqu’un devoir canonique, ainsi qu’un texte arrêté d’office; mais dèsque les peintres profanes eurent émancipé le domaine de lapeinture, ils nous soumirent des versions plus difficiles, des sensplus compliqués et la symbolique des couleurs si simple chezl’Angelico, devint, — en supposant qu’ils en aient toujours tenucompte dans leurs oeuvres, — singulièrement abstruse, presqueimpossible à traduire.

Tenez, choisissons un exemple : Le Musée d’Anvers possède untriptyque de Roger Van der Weyden intitulé : les Sacrements. Dansle panneau central consacré à l’Eucharistie, le sacrifice duSauveur se consomme sous une double forme, sous la forme sanglantedu crucifiement et sous la forme mystique de l’oblation pure del’autel; derrière la croix, au pied de laquelle gémissent Marie,saint Jean et les saintes femmes, un prêtre célèbre la messe etlève l’hostie, au milieu d’une cathédrale qui sert comme de toilede fond à l’oeuvre.

Sur le volet de gauche sont représentés, en de petites scènesdistinctes, les Sacrements du Baptême, de la Confirmation, de laPénitence; sur le volet de droite, ceux de l’Ordination, duMariage, de l’Extrême-Onction.

Ce tableau, d’une extraordinaire beauté, assure, avec  » laDescente de croix  » de Quentin Metsys, l’inestimable gloire dumusée belge; mais je ne m’attarderai pas à vous le décrire; jesupprime les réflexions que suggère l’art souverain du peintre etne retiens actuellement, dans son ouvrage, que la partie relativeau symbolisme des tons.

— Mais êtes-vous certain que Roger Van der Weyden ait entendu àassigner à ses couleurs des sens?

— Le doute n’est pas possible, car il a blasonné, d’une teintedifférente, chacun des Sacrements, en introduisant, au-dessus dechacune des scènes qui les figurent, un Ange dont la teinte de larobe varie suivant la nature même du Magistère. Ses intentions nepeuvent donc prêter à aucune équivoque; voici, maintenant, lescouleurs qu’il adapte aux sources de grâce instituées parNotre-Seigneur :

A l’Eucharistie, le vert; au Baptême, le blanc; à laConfirmation, le jaune; à la Pénitence, le rouge; à l’Ordination,leviolet; au Mariage, le bleu; à l’Extrême-Onction un violet si foncéqu’il est noir.

Eh bien, vous avouerez que le commentaire de ce chromatismedivin n’est pas facile.

La version picturale du Baptême, de l’Extrême-Onction et de laPrêtrise est claire; le Mariage même, traduit par du bleu, peut,pour les âmes naïves, se comprendre; la Communion armoriée par lesinople se conçoit mieux encore, puisque le vert est la sève,l’humilité, l’emblème de la force qui nous régénère; mais laConfession ne devrait-elle pas être translatée par du violet et nonpar du rouge; et comment, en tout cas, expliquer que laConfirmation soit désignée par du jaune?

— La couleur du Saint-Esprit est, en effet, le rouge, réponditl’abbé Plomb.

— Il y a donc déjà des divergences d’interprétation entrel’Angelico et Roger Van der Weyden qui vécurent cependant à la mêmeépoque; mais l’autorité du moine me semble plus sûre.

— Moi, fit l’abbé Gévresin, je repense à ce recto et à ce versodes tons dont vous parliez tout à l’heure; mais savez-vous quecette règle des contraires n’est pas spéciale au rit des teintes;elle existe dans presque toute la science des symboles. — Voyez lesanalogies relevées dans le classement des bêtes : l’aigle quiincorpore tour à tour Jésus et Satan, le serpent qui, tout en étantun des avatars les plus connus du Démon, peut néanmoins, ainsi quele serpent d’airain de Moïse, préfigurer le Christ.

— Le symbole anticipé du symbolisme chrétien fut le Janus àdouble visage du Paganisme, fit, en riant, l’abbé Plomb.

— En somme, c’est une vraie volte-face de sens qu’exécutent cesallégories de la palette, reprit Durtal; tenez, le rouge — nousavons vu que, dans son assimilation la plus commune, il estsynonyme de charité, de souffrance, d’amour. Tel est son endroit;son envers, selon la traduction de la soeur Emmerich, c’est lapesanteur, l’attachement au butin d’ici-bas.

Le gris, emblème de la pénitence, de la tristesse, de l’âmetiède, ébauche, d’après une nouvelle exégèse, l’image de laRésurrection — le blanc pénétrant le noir — la lumière entrant dansla tombe, en sortant avec une nouvelle teinte, le gris, nuancemixte, encore alourdie par les ténèbres de la mort qui ressuscite,en s’éclairant, peu à peu, dans le blanc des lueurs.

Le vert, si défavorablement noté par les mystiques, acquiert, unsens néfaste, en certains cas. Il sanctionne alors la dégradationmorale, le désespoir, emprunte sa triste définition à la feuillemorte, revêt le corps charnel des Diables dans  » le Jugementdernier  » de Stephan Lochner, dans les scènes infernales narréespar les verrières des églises et les toiles des Primitifs.

Le noir, le brun, aux intentions hostiles de trépas et d’enfer,changent, dès que les fondateurs d’ordres s’en emparent pour entisser la robe des cloîtres. Le noir nous rappelle alors lerenoncement, la pénitence, la mortification de la chair, selonDurand de Mende; — le brun et même le gris ravivent la mémoire dela pauvreté et de l’humilité.

De son côté, le jaune, si maltraité dans le formulaire descomparaisons, devient le signe de la charité, si l’on en croit lemoine anglais qui écrivit vers 1220, et il s’exhausse lorsqu’il semue en or, jusqu’au symbole de l’amour divin, jusqu’à la radieuseallégorie de la Sagesse Eternelle.

Enfin, quand il s’affirme ainsi que la marque distinctive desprélats, le violet relègue son habituelle expression derésipiscence et de deuil, pour feindre une certaine gravité, pouralléguer une certaine pompe.

En résumé, je ne vois que le blanc et le bleu qui soientinvariables.

— Au Moyen Age, d’après Yves de Chartres, dit l’abbé Plomb, leviolet fut remplacé par le bleu, dans le costume des évêques, pourleur apprendre qu’ils devaient plus s’occuper des biens du ciel quedes biens de la terre.

— Mais enfin, demanda Mme Bavoil, comment se fait-il que cettecouleur, qui est toute innocence, toute pureté, qui est la couleurmême de notre Mère, ait disparu du nombre des tons liturgiques?

— Le bleu a été employé, au Moyen Age, pour les offices de laVierge et ce n’est qu’à partir du XVIIIe siècle, qu’on le délaissa,fit l’abbé Plomb — dans l’église Latine, sauf en Espagne; mais leséglises orthodoxes de l’Orient s’en accoutrent encore.

— Pourquoi chez nous cet abandon?

— Je l’ignore, comme j’ignore pourquoi tant de tons, autrefoisusités dans nos liturgies, s’effacèrent. Où sont les teintes del’ancien Missel de Paris : le jaune safran réservé à la fête desAnges, l’aurore que l’on substituait, dans quelques cas, au rouge,le cendré qui compensait le violet, le bistre qui suppléait lenoir, à certains jours?

Puis, il y avait encore une couleur charmante qui continued’ailleurs à figurer dans la gamme du rit Romain, mais que presquepartout les églises omettent, la teinte dite  » de rose sèche « ,tenant le milieu entre le violet et le pourpre, entre la tristesseet la joie, une sorte de compromis, de nuance diminutive, dontl’Eglise se servait le troisième dimanche de l’Avent et lequatrième de Carême. Elle révélait ainsi, dans un temps depénitence qui finissait, un commencement d’allégresse, car lesfêtes de Noël et de Pâques étaient proches.

C’était-là une idée d’aube spirituelle se levant dans la nuit del’âme, une impression spéciale que le violet arboré maintenant, cesjours-là, ne saurait rendre.

— Oui le bleu et le rose disparus des chapelles de l’Occidentsont regrettables, fit l’abbé Gévresin; mais, pour en revenir auxlivrées monastiques qui libèrent de leur déplorable réputation lesbruns, les gris et les noirs, ne pensez-vous pas qu’au point de vuedes emblèmes parlants, la vêture de la congrégation des Annonciadesfut la plus éloquente? car ces moniales étaient habillées, de gris,de blanc et de rouge, les couleurs de la Passion, et ellesportaient de plus une simarre bleue et un voile noir, mémorial dudeuil de notre Mère.

— L’image d’une permanente Semaine Sainte! s’écria Durtal.

— Une autre question, reprit l’abbé Plomb. Dans les tableaux desPrimitifs, les manteaux dont s’enveloppent la Vierge, les Apôtres,les Saints, montrent presque toujours, en des retroussis habilementménagés, la couleur de leurs envers. Elle est naturellementdifférente de celle de l’endroit, ainsi que vous nous l’avez faitremarquer tout à l’heure à propos de la mante de sainte Agnès, dansl’oeuvre de l’Angelico. Croyez-vous qu’en dehors de l’oppositiondes tons, cherchée au point de vue technique, le moine ait vouluexprimer une idée particulière par le contraste de ces deuxteintes?

— D’après la palette des symboles, la couleur du dessusreprésenterait l’homme matériel et celle du dessous, l’homemoral.

— Bien — mais que signifie alors le manteau vert doublé d’orangede sainte Agnès?

— Dame, répondit Durtal, le vert dénotant la fraîcheur dessentiments, la sève du bien, l’espoir et l’orangé pris dans sabonne acception, pouvant être la traduction de l’acte par lequelDieu s’unit à l’homme, l’on pourrait sans doute déduire de cesdonnées que sainte Agnès parvint à la vie Unitive, à la possessiondu Seigneur, par la vertu de son innocence et l’ardeur de sessouhaits. Elle serait la figure de la vertu désirante et exaucée,de l’espoir récompensé, en somme.

Maintenant, je dois l’avouer encore, il y a bien des lacunes,bien des obscurités dans cette science allégorique des tons. Dansle tableau du Louvre, par exemple, les marches du trône, quis’efforcent de jouer le rôle veiné des marbres, restentinintelligibles. Badigeonnées de rouge brut, de vert acide, dejaune de bile, elles disent quoi, ces marches qui, par leur nombrepeuvent indiquer, je le répète, les neuf choeurs des Anges?

Il me semble en tout cas difficile d’admettre que le moine aitvoulu évoquer les différentes hiérarchies célestes avec cestraînées de pinceaux sales et crues et ces stries.

— Mais le coloris d’un gradin a-t-il jamais formulé une idéedans le catalogue des symboles? demanda l’abbé Gévresin.

— Sainte Mechtilde l’assure. Ainsi, parlant des trois degrés quiprécèdent l’autel, elle prétend que le premier doit être peint enor pour attester que l’on ne peut aller à Dieu que par la charité;le second en azur, pour témoigner de la méditation des chosesdivines; le troisième en vert, pour certifier la vivacité del’espoir et de la louange du Ciel.

— Mon Dieu, fit Mme Bavoil que ces discussions commençaient àahurir, je n’ai jamais vu cela ainsi. je sais bien que le rougedésigne, pour tout le monde, le feu; le bleu l’air; le vert l’eau;le noir la terre; — ce que je comprends, puisque chaque chose estimaginée par sa teinte naturelle, mais jamais je n’aurais pensé quec’était si compliqué, jamais je n’aurais cru qu’il y eût tantd’intentions dans les tableaux des peintres!

— De quelques peintres! s’écria Durtal, car depuis le Moyen Age,la doctrine des emblèmes colorés est morte. A l’heure actuelle, lespeintres qui abordent les sujets religieux ignorent les premierséléments dela symbolique des couleurs, de même que les architectesignorent maintenant les premiers principes de la théologiemonumentale mystique.

— Dans nombre de tableaux de Primitfs, les pierres précieusesabondent, dit l’abbé Plomb. Elles s’enchâssent dans les orfrois desrobes, dans les colliers et les bagues des Saintes, s’amoncèlent entriangles de feu dans les diadèmes dont les peintre d’antancouronnèrent la Vierge. Nous devons logiquement, je crois, ainsique pour la teinte des vêtures, chercher dans chacune de ces gemmesun dessein.

— Sans doute, fit Durtal, mais la symbolique des pierreries esttrès confuse. Les motifs qui ont décidé le choix de certainespierres pour leur faire spécifier par la couleur de leur eau, parleur éclat, une vertu précise, sont amenés de si loin, sont sifaiblement prouvés que l’on pourrait substituer une gemme à uneautre, sans modifier pour cela la signification de l’allégoriequ’elles énoncent. Elles sont une série de synonymes pouvant sesuppléer, à une nuance près en somme.

Dans l’écrin de l’Apocalypse, elles paraissent triées dans desacceptions sinon plus sûres au moins plus imposantes et pluslarges, car les exégètes les font coïncider avec une vertu, etaussi avec la personne même qui en fut douée. Ils ont trouvé mieuxencore, ces joaillers de la Bible, ils ont investi chaque brillantd’une double fonction; ils les ont chargés de s’incarner en mêmetemps dans un personnage de l’Ancien Testament et dans un du Neuf.Ils suivent donc le Parallélisme des deux Livres en symbolisant àla fois un Patriarche et un Apôtre, en les figurant par celle desqualités qui fut la plus spécialement commune à chacun d’eux.

Ainsi l’améthyste, miroir de l’humilité, de la simplesse presqueenfantine, s’adapte dans la Bible à Zabulon qui était un êtredocile et sans orgueil et dans l’Evangile à Saint Matthias qui futégalement un homme doux et naïf; la chalcédoine, enseigne de lacharité, on l’applique à Joseph qui fut si pitoyable, si clémentpour ses frères et à saint Jacques le Majeur, le premier desApôtres qui fut supplicié pour l’amour du Christ; de même encorepour le jaspe qui augure la foi et l’éternité, on l’associe à Gadet à saint Pierre; pour la sarde qui est foi et martyre à Ruben età saint Barthélémy; pour le saphir qui est espoir et contemplation,à Nephtali et à saint André et quelquefois, selon Arétas, à saintPaul; pour le béryl qui est saine doctrine, science, longanimité, àBenjamin et à saint Thomas et ainsi de suite… Il existe, du reste,un tableau des concordances des pierreries, des patriarches, desapôtres et des vertus, dressé par Mme Félicie d’Ayzac, qui a écritune sagace étude sur la tropologie des gemmes.

— On opérerait tout aussi bien avec ces minéraux disertsl’avatar d’autres personnages des Saints Livres, observa l’abbéGévresin.

— Evidemment, je vous ai prévenus, ces analogies sont tirées deloin. L’herméneutique des pierreries est vague; elle ne se base quesur des ressemblances cherchées à plaisir, que sur des accordsd’idées réunies à grand’-peine. Au Moyen Age, elle fut surtoutpratiquée par des poètes.

— Donc il faut se défier, dit l’abbé Plomb, car lesinterprétations de la plupart d’entre eux sont païennes. Exemple :Marbode qui, bien qu’il fût évêque, ne nous a que trop souventlaissé une glose impie des gemmes.

— En somme, les lapidaires mystiques se sont surtout ingéniés àtraduire les pierres du Rational d’Aaron et celles qui fulgurentdans les fondements de la nouvelle Jérusalem, telle que l’adépeinte saint Jean; d’ailleurs, les murailles de Sion étaientserties des mêmes joyaux que le pectoral du frère de Moïse, saufl’escarboucle, le ligure, l’agate et l’onyx qui, cités dansl’Exode, sont remplacés, dans le texte de l’Apocalypse, par lachalcédoine, la sardonyx, la chrysoprase et l’hyacinthe.

— Oui et les orfèvres des symboles voulurent aussi forger desdiadèmes et les parer de brillants pour en ceindre le front deNotre-Dame, mais leurs poèmes sont peu variés car presque tousdérivent du  » De corona Virginis « , un livre apocryphe de saintIldefonse, célèbre autrefois dans les cloîtres.

L’abbé Gévresin se leva et prit dans sa bibliothèque un vieuxbouquin.

— Cela me remet en mémoire, dit-il, une séquence qu’un moineallemand du XIVe siècle, Conrad de Haimbourg, rima en l’honneur dela Vierge.

Imaginez, poursuivit-il, en feuilletant le volume, une litaniede pierres précieuses dont chaque strophe lapidifie les vertus denotre Mère.

Cette prière minérale débute par une salutation humaine. Le bonmoine s’agenouille et commence :

—  » Salut, noble Vierge, idoine à devenir la fiancée dusouverain Roi; acceptez cet anneau comme gage de cette alliance,Marie.  »

Et il lui montre la bague qu’il tourne lentement entre sesdoigts, expliquant à Notre-Dame le sens de chacune des pierres quiluit dans l’or de sa monture, en préludant par le jaspe vert,symbole de cette Foi qui fit si pieusement accueillir, par laVierge, le message de l’angélique paranymphe; puis viennent : lachalcédoine, qui réfracte les feux de la charité dont son âme estpleine; l’émeraude, dont l’éclat désigne sa pureté; la sardonyx,aux flammes claires, qui se confond avec la placidité de sa vievirginale; la sarde rouge, qui s’identifie avec son coeur saignantsur le Calvaire; la chrysolithe, dont les scintillements d’un orqui s’éverdume, rappellent ses miracles sans nombre et sa sagesse;le béryl, qui décèle son humilité; la topaze, qui avère laprofondeur de ses méditations; la chrysoprase, sa ferveur;l’hyacinthe, sa charité; l’améthyste, avec son mélange de rose etde bleu, l’amour que Dieu et les hommes lui vouent; la perle dontle sens demeure, dans cette prose, sans désignation d’une vertuprécise; l’agate qui stipule sa modestie, l’onyx,les dons multiplesde ses grâces; le diamant, sa force et sa patience dans les revers,tandis que l’escarboucle, cet oeil qui brille dans la nuit,proclame partout l’éternité de sa gloire.

Ensuite, le donateur fait remarquer à la Vierge l’acception deces matières égalememnt incrustées dans les chatons de la bague etqui étaient considérées, telles que des substances précieuses, auMoyen Age : le cristal qui retrace la chasteté de l’âme et ducorps; le ligure, semblable à l’ambre, qui certifieparticulièrement la qualité de tempérance; la pierre d’aimant quiattire le fer, comme Elle touche les cordes des coeurs pénitentsavec l’archet de sa bonté.

Et le moine termine sa supplique en disant :

 » Ce petit anneau, parsemé de gemmes, que nous vous offrons ence jour, Epouse glorieuse, recevez-le, avec bienveillance. Ainsisoit-il.  »

— On pourrait sans doute reproduire presque exactement, une àune, les invocations des Litanies avec chacune de ces pierres ainsicomprises, fit l’abbé Plomb qui rouvrit le livre que son confrèrevenait de fermer.

Voyez, dit-il, combien les concordances entre les appellationsdes Litanies et les qualités assignées aux gemmes sont justes.

L’émeraude qui, dans cette séquence, est le signe del’incorruptible pureté, ne reflète-t-elle pas, en la glaceétincelante de ses eaux, le  » Mater purissima  » des Litanies?

La chrysolithe, qui est l’emblème de la sagesse, ne traduit-ellepas bien exactement le  » Sedes sapientiae « ?

L’hyacinthe, attribut de la charité, du secours porté auxpécheurs, l’  » Auxilium christianorum  » et le  » Refugium peccatorum » du texte?

Le diamant, qui est force et patience : le  » Virgo potens « ?

L’escarboucle, qui est renommée : le  » Virgo praedicanda « ?

La chrysoprase, qui est ferveur : le  » Vas insigne devotionis »?

Et il est probable, conclut l’abbé, en reposant le volume, quesi nous nous en donnions la peine, nous retrouverions, un à un,dans ce rosaire de pierreries, le chapelet de louange que nouségrenons en l’honneur de notre Mère.

— Surtout, observa Durtal, si nous ne nous confinons pas dans lecadre rétréci de ce poème, car le manuel de Conrad est succinct etle dictionnaire de ses analogies est court; en employant lesacceptions des autres symbolistes, nous pourrions ciseler une baguesemblable à la sienne et différente pourtant, car les devises despierres ne seraient plus les mêmes. Ainsi, pour le vieil abbé duMont Cassin, Brunon d’Asti, le jaspe personnifie Notre-Seigneur,parce qu’il est immuablement vert, sans fane possible, immortel;l’émeraude réfléchit, pour la même raison, la vie des Justes; lachrysoprase, les bonnes oeuvres; le diamant, les âmes infrangibles;la sardonyx, pareille au grain saignant d’une grenade, la charité;l’hyacinthe d’un azur qui varie, la discrétion des Saints; lebéryl, dont la nuance est celle d’une onde qui court au soleil, lesEcritures qu’élucide le Christ; la chrysolithe, l’attention et lasapience, parce qu’elle possède la couleur de l’or qui se confondavec elle, en lui prêtant son sens; l’améthyste, le choeur desenfants et des Vierges, car l’azur, qui se mêle à son rose, noussuggère la pensée de l’innocence et de la pudeur.

D’aute part, si nous empruntons au pape Innocent III ses idéessur la mystagogie des gemmes, nous découvrons que la chalcédoine,qui pâlit à la lumière et brasille dans la nuit, est le synonyme del’humilité; que la topaze coïncide avec la chasteté, et le méritedes bonnes oeuvres; que la chrysoprase, cette reine des minéraux,implique la sagesse et la vigilance.

En remontant moins loin dans les âges, en nous arrêtant à la findu XVIe siècle, à Corneille de la Pierre, nous relevons, dans soncommentaire de l’Exode, de nouvelles interprétations, car iloctroie à l’onyx et à l’escarboucle la candeur; au béryl,l’héroïsme; au ligure, d’un violet tendre et scintillant, le méprisdes richesses de la terre et l’amour des biens du ciel.

— Alors que saint Ambroise fait de cette pierre l’emblème duSacrement même de l’Eucharistie, jeta l’abbé Gévresin.

— Oui, mais qu’est-ce que le ligure? demanda Durtal. Conrad deHaimbourg le présente semblable à l’ambre; Corneille de la Pierrele croit violet, et saint Jérôme laisse entendre que le ligure n’aaucune personnalité, n’est en somme qu’un pseudonyme sous lequels’abrite l’hyacinthe, image de la prudence avec son eau bleue commele ciel et ses nuances qui changent. Comment s’y reconnaître?

— A propos de pierre bleue, n’omettons pas que sainte Mechtildevoyait, dans le saphir, le coeur même de la Vierge, fit l’abbéPlomb.

— Ajoutons encore, reprit Durtal, que de nouvelles variationssur le thème des gemmes ont encore été exécutées au XVIIe siècle,par une abbesse célèbre de l’Espagne, par Marie d’Agréda, quirapporte à notre Mère la vertu des pierreries, dont parle, dans levingt et unième chapitre de l’Apocalypse, saint Jean. D’après elle,le saphir se réfère à la sérénité de Marie; la chrysolithe déclareson amour pour l’Eglise militante et spécialement pour la Loi degrâce; l’améthyste, sa puissance contre les hordes de l’enfer; lejaspe, sa constance invincible; la perle, son inestimabledignité…

— La perle est envisagée par saint Eucher, ainsi que laperfection, la chasteté, la doctrine évangélique, interrompitl’abbé Plomb.

— Avec tout cela, vous oubliez la signification d’autresbrillants connus, s’écria Mme Bavoil. Le rubis, le grenat,l’aigue-marine; ils sont donc muets, ceux-là?

— Non, répliqua Durtal. Le rubis annonce le calme et lapatience; le grenat réverbère, d’après Innocent III, la charité;suivant saint Brunon et saint Rupert, l’aigue-marine concentre,dans la clarté verte de ses feux, la science théologique; restentencore deux autres minéraux : la turquoise et l’opale. L’une, peucitée par les mystiques, doit promulguer la joie. Quant à laseconde, dont le nom n’apparaît point chez nos lapidaires, ellen’est autre que la chalcédoine qui nous est décrite telle qu’unesorte d’agate, d’une teinte trouble, voilée de nuages, lançant desétincelles dans l’ombre.

Afin d’en finir avec cette orfèvrerie symbolique, disons encoreque la série des pierres servit à commémorer chacune deshiérarchies des Anges; mais là encore les acceptions sont issues derapprochements plus ou moins contraints, de trames d’idées plus oumoins ténues, plus ou moins lâches. Toujours est-il que la sardeévoque les Séraphins, la topaze les Chérubins, le jaspe les Trônes,la chrysolithe les Dominations, le saphir les Vertus, l’onyx lesPuissances, le béryl les Principautés, le rubis les Archanges etl’émeraude les Anges.

— Chose curieuse, fit l’abbé Plomb, tandis que les bêtes, queles teintes, que les fleurs sont prises par les symbolistes, tantôtdans un bon, tantôt dans un mauvais sens, seules les pierreries nevarient point; elles n’expérimentent que des qualités et jamais desvices.

— Pourquoi?

— Sainte Hildegarde donne peut-être le motif de cetteinsistance, lorsque parlant, dans le quatrième livre de saPhysique, des gemmes, elle dit que le Diable les hait, les abhorreet les dédaigne, parce qu’il se souvient que leur éclat brillait enlui, avant sa chute et parce qu’aussi certaines d’entre elles sontproduites par le feu qui est son tourment.

Et la sainte ajoute : Dieu qui l’en dépouilla ne permit pas queles vertus des pierres se perdissent; Il voulut, au contraire,qu’elles fussent honorées et employées par la médecine afin deguérir des maladies et de conjurer des maux.

Et en effet le Moyen Age les magnifia et s’en servit dans le butd’opérer des cures.

— Pour en revenir à ces tableaux de Primitifs où la Viergejaillit telle qu’une fleur de la touffe colorée des gemmes, l’onpeut affirmer, en somme, reprit l’abbé Gévresin, que le brasier despierreries relate par de visibles signes les qualités de Celle quiles porte; mais il serait difficile de spécifier le dessein dupeintre lorsque, dans l’ornementation d’une couronne ou d’une robe,il enchâsse une pierre à telle place plutôt qu’à telle autre. Il ya là surtout affaire d’harmonie et de goût et peu ou pas desymbole.

— A coup sûr, fit Durtal, qui se leva et prit congé des deuxprêtres auxquels, entendant sonner l’heure à la cathédrale, MmeBavoil remettait leurs chapeaux et leurs bréviaires.

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