La Deux Fois morte

II

Virginie était orpheline de père et de mère.Elle avait été recueillie par sa famille maternelle : oncle ettante, qui l’élevaient comme leur propre enfant. Ce n’avait pas ététâche facile, car c’était bien la plus fragile créature qui se pûtimaginer.

De cinq ans plus jeune que Paul, elleparaissait encore une enfant alors qu’il entrait déjà hardimentdans l’adolescence. Nous l’appelions petite Mab, tant sa gracilité,son aériformité – si je puis employer si grand mot pour si petitepersonne – rappelait la fée écossaise, née d’un rayon de lune.

Je me souviens de la première apparition decette aimable poupée dans la maison de Paul, où je remplissaisd’abord le rôle assez ingrat de précepteur, devenu plus tard uncompagnon et un ami.

Ai-je dit que Paul, orphelin lui-même,habitait chez une cousine éloignée à qui restait seule la force,étant à demi paralytique, d’aimer et d’être indulgente ?

C’était par une de ces matinées d’été où leciel se nimbe d’une buée blanche, avec de vifs piquetages d’argent.Nous étions dans le jardin, juste au-devant de la vieille maisonqu’égayaient des lancées de vignes vierges et de glycines.

La grille extérieure, sur la route, étaitrestée entr’ouverte, après la sortie de quelque fournisseur.

La malade était étendue sur sa chaise longue,souriante, avec cette expression d’aménité naturelle à ceux qui, nepouvant plus vivre, se complaisent à voir vivre les autres.

De la grille, le panneau plein, inférieur,était assez élevé. Nous avions installé une table au bord d’unmassif où déjà perçaient les pointes roses des silènes, et,accoudés, nous étudiions, en la concentration d’esprit nécessaire,un des problèmes les plus ardus de Wronski, cet étrange savant dontLagrange disait qu’il avait inventé toutes les mathématiques et quia créé pour ses démonstrations une langue de toutes pièces,indéchiffrable pour les non initiés. J’avais besoin de condensertoute mon intention pour conserver mon attitude de maître ;car avec Paul, doué d’une merveilleuse intuition, je craignais fortparfois de descendre au rang d’élève.

– Il y a quelqu’un derrière la grille, medit Paul.

Ceci d’une voix posée, calme, comme s’il eûténoncé le fait le plus simple du monde.

Je tournai la tête, et mes yeux rencontrèrentle soubassement de la grille, plein et large.

– De l’autre côté ? fis-je. On nepeut voir à travers le métal !

Mais je ne dis rien de plus, car je m’aperçusalors que d’une giration très lente, la grille tournait surelle-même.

Paul tenait ses regards dans cette direction,et ses yeux, dont je connaissais si bien les nuances, avaient uneétonnante fixité. Enfin l’arrivante – car c’était une petite fille– se révéla tout entière : quand l’ouverture fut assez largepour qu’elle se glissât, elle se mit à courir, comme obéissant àune attraction violente et ne s’arrêta qu’à un mètre de Paul, leregardant avec une expression à la fois soumise et heureuse qui mefit sourire.

Mlle de B., la cousine dePaul, considérait elle aussi cette apparition blonde, rose, jolie,qui semblait une épave échouée de quelque féerieshakespearienne.

C’était la petite voisine à laquelle sa tanteavait dit : – Va donc faire un petit tour !

Elle était sortie de la propriété qui jouxtaitcelle de Paul, puis tout naturellement, voyant une porteentr’ouverte, l’avait poussée.

Elle avait alors douze ans.Mlle de B., regrettant peut-être son célibat,était bonne aux enfants : aussi de ce jour Virginie eut-elledroit de cité chez elle et en usa souvent, plus que souvent.

Une indéniable sympathie l’attirait versPaul : en quelque coin du parc qu’il se trouvât – et le jardinet le bois étaient vastes – tout droit elle arrivait à lui, commesi de partout elle l’apercevait, et elle s’arrêtait devant lui,souriante et mignarde.

Un jour qu’à notre grande surprise l’heure desa visite quotidienne était passée depuis longtemps, Paul, engagédans une dissertation des plus suggestives sur la prononciation duC dans les langues prélatines, eut un mouvement d’impatience ets’écria vivement :

– Pourquoi ne vient-elle pas ? Jeveux qu’elle vienne !

Quelques secondes s’écoulèrent, puisj’entendis un bruit de pas précipités, et d’une touffe de mimosas,l’enfant, ayant coupé à travers les massifs, surgit très pâle.

En même temps accourait l’oncle :

– Mais il n’y a pas de bon sens,s’écria-t-il. Comprenez-vous cette petite qui est souffrante et quenous retenions à la maison ? Elle s’est échappée de nos mainset s’est élancée dehors. Oh ! nous savions bien que nous laretrouverions ici !

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