La Poupée sanglante

Chapitre 21« Je suis innocent ! »

Il fut quasi assommé. Ce n’est quelorsqu’il ne remua plus que les gars de Corbillères cessèrent defrapper de leurs bâtons et de leurs fourches, et encore lebourrelier, le père du petit Philippe, proposa-t-il d’en faire desmorceaux, comme Bénédict Masson avait fait de la petite Annie, etde les jeter dans la « cuisinière ».

Sans l’arrivée des gendarmes, c’estpeut-être bien ce qui serait survenu, tant la fureur descampagnards était extrême et, tout bien considéré, fortexcusable.

« Ne le sauvez pas de laguillotine ! Qu’il respire au moins jusque-là ! »prononça le brigadier.

Alors ils laissèrent Bénédict pours’occuper de Christine qui n’ouvrait toujours pas lesyeux.

« Encore une qui l’a échappébelle ! » fit entendre le tambour de ville.

Et chacun fut de cet avis.

Ce n’est que dehors, sous le coup dugrand air et de l’humidité, que Christine donna quelque signe devie. On était allé chercher une charrette et tous deux y furenthissés. À Corbillères, Christine fut mise dans une chambre del’auberge. Elle avait une forte fièvre et elle délirait.

Quant à Bénédict, que l’on avait jetésur une botte de paille dans l’écurie et que les gendarmesveillaient moins dans la crainte qu’il ne s’échappât que pour qu’onne l’achevât point, il poussa un profond soupir vers les deuxheures du matin, se dressa sur son séant, se passa la main sur sonfront moulu par les coups, sembla, à la lueur de la lanterneaccrochée à la muraille, chercher quelqu’un qu’il n’aperçut point,découvrit enfin sur le seuil, assis sur des sacs, les deuxgendarmes qui le regardaient et dit fort distinctement et sansémotion apparente :

« Je suisinnocent ! »

Les représentants de la maréchaussée nele contredirent point. Alors, il demanda de l’eau.

« Il me semble que je boirais unecuve ! » fit-il.

Un gendarme lui apporta de l’eau dans unseau qui servait pour les chevaux. Il but à même, à sa soif quiétait longue, puis il se mit le torse nu et lava sesplaies.

« Ils n’y vont pas de main morteles gars de Corbillères ! » déclara-t-il.

Et il se mit à rire.

Les gendarmes en avaient « froiddans le dos ». Ils l’ont dit depuis : jamais ilsn’avaient entendu un rire pareil… C’était à abattre ce monstre surplace, à coups de revolver, pour ne plus l’entendre…

Ce fut bien autre chose quand il se mità railler…

« J’espère qu’on a pris soin de mabelle visiteuse, fit-il… C’est une jeune fille de famille qui n’apas l’habitude des marécages… Elle aura pris froid !…tandis que l’autre avait tropchaud ! »

Ils se jetèrent sur lui, lui passèrentles menottes. Ils lui auraient mis un bâillon. L’autre se laissaitfaire, sans résistance aucune, bien qu’il parût avoir recouvrétoutes ses forces. Il hochait simplement la tête en ayant l’air deles approuver :

« Prenez vos précautions !… Onne sait jamais !… Je comprends que je ne vous sois passympathique !… »

Dans la grange, on avait mis le corps dupère Violette, que la charrette était allée chercher dans un secondvoyage… Le brigadier avait bien demandé qu’on le laissât sur lesentier où il avait été tiré et où le trouverait la justice, maisses amis de Corbillères s’étaient refusés à le laisser passerencore une nuit sous la pluie et on l’avait apporté là, dansune bâche. De temps en temps, ils sortaient de la salle commune etallaient le voir, et ils juraient de le venger !…

La sous-préfecture avait été prévenue…On attendait les autorités, la police, « tout letremblement »… Ah ! que c’était une affaire !… Toutle monde était d’accord là-dessus !… Une affaire dont onparlerait longtemps, dans les quatre parties du monde !… Unsacré procès !… On ne savait pas, après tout, combien il enavait assassiné, le Peau-Rouge !… On ne lui connaissait quesept victimes, sept pauvres petites femmes, qu’il avait ainsidécoupées en morceaux, jetées au feu de sa cuisinière… mais il y enavait assurément bien davantage !…

Au matin, ils étaient si excités qu’ilsvoulaient ficher le feu à l’écurie, brûler le satyre !Heureusement, les autorités arrivèrent. Il n’était quetemps !

Menacé par tout ce tumulte, ces cris demort, Bénédict restait calme, d’un calme formidable quiimpressionnait ses gardiens, lesquels se demandaient s’ils seraientassez forts pour le sauver une deuxième fois dulynchage.

« Ouvrez-leur la porte ! leurdit-il… s’ils veulent me découper, moi aussi, il ne faut pasles contrarier ! »

Il avait donné l’adresse de Christinepour que l’on prévînt son père.

« La pauvre« demoiselle », ça lui a porté un coup !… Elle nes’attendait pas à ce qu’elle a vu, bien sûr !… Mais aussipourquoi est-elle venue ?… Je lui avais tant recommandé dene pas mettre les pieds dans ce pays ! »

Tout ce qu’il disait semblait être unaveu de ses forfaits ou tout au moins conduire à cette conclusionqu’il n’y avait aucun doute possible à émettre sur sa culpabilité,et cependant il prononçait souvent ces paroles qui revenaient commeun leitmotiv : « Ben oui !… mais tout cela n’empêchepas que je sois innocent ! »

Se moquait-il des autres ?… Semoquait-il de lui-même ?… Le ton avec lequel il disait celan’était pas très éloigné de la farce ! Voulait-il se fairepasser pour fou ?…

Aux premières questions, ou plutôt à sespremières réponses, le juge d’instruction déclara :

« Nous sommes en face du genrecynique. »

Cynique, ça il l’était !… Ilsemblait prendre un plaisir sadique à l’horreur qu’ilinspirait ; et il faisait tout pour ladécupler !

Pendant la première nuit, on avaitlaissé le garde champêtre et l’appariteur au chalet, où ils avaientsurveillé le feu sans y toucher, jusqu’à ce qu’il fûtéteint… Les magistrats retrouvèrent tout en l’état : lesrestes d’Annie dans le panier, ses petits os carbonisés dans lepoêle… On découvrit cependant des débris dans la cave… C’est làqu’il l’avait « sectionnée ». On retrouva bien d’autreschoses, les malles et les valises, enfin tout le bagage dessept femmes disparues !

« Eh bien, quoi ! qu’est-ceque cela prouve ? répliqua-t-il quand on lui opposa ce tropéloquent témoignage… que je suis homme d’ordre !… Quandelles reviendront, elles seront bien contentes de retrouver leurspetites affaires telles qu’elles les ontlaissées !…

– Nous saurons retrouver leurscendres ! s’écria le juge, et peut-être ce jour-làmettrons-nous fin à une attitude qui vous égale aux pires monstresqui aient déshonoré le nom de l’homme !

– Je comprends votre indignation,monsieur le juge, et la fièvre qu’elle vous inspire ! Mais,croyez-moi, il n’est pas bien sûr que vous retrouviez toutes cesdemoiselles à l’état de cendres !… Ce n’est pas une raisonparce que j’en ai brûlé une pour que j’aie fait flamber lesautres…

– Mais enfin, pour celle-là, vousavouez ?

– J’avoue quoi ?… Je n’avouerien du tout !… J’ai toujours été trop ami de la vérité pourvous faire le plaisir d’avouer un crime que je n’ai pascommis !… Ça n’est pas une raison parce qu’on découpe unefemme en morceaux et qu’on la met dans son poêle pour qu’on l’aittuée !…

– Mais enfin, prouvez-nous que vousne l’avez pas tuée !

– Ça, monsieur le juge, ça, cen’est pas mon affaire !…Je ne suis pas magistrat,moi !… je ne suis pas payé par le gouvernement pour faire desenquêtes tendant à établir l’innocence ou la culpabilité descitoyens ! Pour rien au monde, je ne voudrais empiéter sur vosprérogatives… Travaillez ! »

Ainsi parlait Bénédict Masson… Nousn’entrerons point dans le détail d’une instruction qui, en effet, aoccupé le monde entier et qui est présente encore à toutes lesmémoires… Plus les témoignages et les faits semblaient l’accabler,plus Bénédict semblait en concevoir une joie farouche. Jamais sonmasque n’avait été plus puissant ni, naturellement, plusodieux.

En ce qui concerne le père Violette, ilreconnut tous les propos menaçants qu’on lui prêtait ; ilrendit hommage à la mémoire de Mme Muche, qui raconta avecforce détails la visite du Peau-Rouge à l’Arbre-Vert et sonentrevue avec l’ancien garde.

Mme Muche avait trop prévul’événement qui devait s’ensuivre pour n’en pas tirer un justeorgueil : « Si le père Violette m’avait écoutée, ilamorcerait encore ses lignes et poserait sesnasses. »

L’examen du cadavre du père Violetteavait établi qu’il avait été pris comme au lasso, étranglé par unecordelette, puis jeté dans l’étang avec une pierre aux pieds ;mais la pierre devait avoir été choisie trop lourde car elle avaitrompu le lien qui l’attachait à la victime.

« Évidemment, faisait entendreBénédict Masson quand on lui présentait les résultats de l’enquête,évidemment !… Un Peau-Rouge doit savoir lancer lelasso !… Je vous dirais que je ne sais pas lancer le lasso,que je ne parviendrais pas à vous convaincre, monsieur lejuge ! Tout de même, j’attends que vous déposiez ce sacrélasso sur la table des pièces à conviction, à côté de mon petitpanier à transporter « les restes »et de ma« cuisinière » !

On était allé interroger Christine chezelle et, sur l’avis des médecins, on put, du moins pour le moment,lui éviter une pénible confrontation.

Aussi bien elle eût été inutile,l’inculpé ne contredisant en rien les dépositions de MlleNorbert.

Celle-ci fit son « meaculpa ». Son grand tort avait été d’avoir pitié d’un êtreparticulièrement disgracié de la nature et qui, à cause de cetteinfortune même, lui avait paru intéressant. La misanthropie durelieur d’art de l’Île-Saint-Louis, sa sauvagerie, sesextravagances, la sombre poésie de ses élucubrations, son langagetantôt enthousiaste jusqu’au plus désordonné lyrisme tantôt brutalcomme celui d’un portefaix : elle avait mis tout cela sur lecompte d’une laideur qui isolait Bénédict Masson de l’humanité.Elle s’était penchée sur cette douleur, elle s’était heurtée à unbourreau !…

Quand la porte du chalet de Corbillèress’était ouverte, elle avait eu en face d’elle une espèce de fou,couvert de sang comme un garçon d’abattoir et qui finissait delancer dans les flammes les restes déchiquetés d’un corpshumain !… Et puis elle ne se rappelait plus rien ! Ellese demandait seulement comment elle n’était point morte de cettevision exécrable !…

« Assurément ! soupiraBénédict Masson quand on lui rapporta les termes de cettedéposition, assurément, la pauvre enfant n’a pas été gâtée !…Elle ne méritait pas ça !…

– Misérable ! ne puts’empêcher de lui répliquer le juge, vous prévoyiez qu’elle pouvaitvous surprendre au milieu de vos forfaits, quand vous lui défendiezde venir vous voir à Corbillères-les-Eaux…

– Non, monsieur le juge, non, je neprévoyais point « mes forfaits », pour parler, commevous, un langage dont la noblesse ne se rencontre plus guère quedans les tragédies classiques !… Si je n’invitais pas MlleNorbert à faire un petit tour à Corbillères-les-Eaux… c’est que lepaysage n’y est pas joli !… »

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