La Poupée sanglante

Chapitre 19La preuve

La mère Langlois, la femme de ménage,que, par politique, les Norbert avaient reprise à leurservice, a raconté et même « déposé »depuis :

« C’est à la tournée de dix heuresdu matin que le facteur des objets recommandés a apporté la petiteboîte à Mlle Christine, qui a signé sur le registre…

« Mlle Christine était seule dansla boutique. Je dois dire, du reste, que, depuis deux jours, jen’avais vu qu’elle. Elle restait là pour répondre aux clientsquand, par hasard, il s’en présentait, ce qui était plutôtrare…

« Elle paraissait très agitée,tourmentée, elle aurait bien voulu, vis-à-vis de moi, « tenirle coup », mais on ne trompe pas la mère Langlois.

« Ses grands airs ne portaientplus. Je voyais bien qu’il y avait « quelque chose qui nemarchait pas ». Et ça n’était pas difficile de deviner qu’ils’agissait encore du cousin Gabriel ! Car maintenantils étaient tous parents dans cette maison-là… le cousin Jacques…le cousin Gabriel…

« On ne me cachait plus que lecousin Gabriel habitait la maison et qu’il était très malade, qu’ilavait fallu lui faire une opération de toute urgence et qu’onignorait encore comment tout cela se terminerait malgré la scienceet le savoir-faire du carabin qui passait près de lui ses jours etses nuits.

« Mon Dieu ! m’en avait-ondonné des détails sur le cousin Gabriel !… que c’était le filsd’une sœur aînée du vieux Norbert, qu’il avait été condamné partous les médecins, qu’on tentait l’impossible pour le sauver,etc.

« Au fond, moi, je m’en fichaisqu’ils aient le cousin Gabriel ou non à la maison !… Monouvrage n’en était pas augmenté, c’était le principal !… Lemalade restait au rez-de-chaussée de l’appartement du fond dujardin dans lequel je ne pénétrais jamais !… C’est tout justesi, de temps à autre, on ouvrait les persiennes et un peu lesfenêtres pour donner de l’air… Un jour, j’avais aperçu, sous undrap, le corps d’un homme étendu, avec une figure tournée de moncôté qui n’avait pas l’air à la noce… Il me regardait de ses yeuxfixes, comme si je lui devais quelque chose… Sûr, il n’en menaitpas large !…

« Pour être malade, cet homme-làest malade ! que je me dis !… Mais qu’est-ce qui a bienpu l’arranger comme ça ?… Je l’ai vu autrefois, beau gars etdispos, du temps qu’on ne m’en parlait pas !… du tempsqu’on le cachait à tout le monde !

« Je vous le dis entre nous, jepensais bien qu’il y avait eu du drame là-dessous !… Mais àchacun ses misères… Il faut bien que le pauvre monde vive !…Motus ! que je me dis ! ils sont capables de me rejetersur le pavé ! Et je me suis remise à la besogne comme si derien n’était !…

« Quand la Christine me racontaitquelque chose, j’empochais avec un air bête… Ça ne m’empêchait pasde penser : « Toi, ma belle, t’as pas la consciencetranquille !… »

« Pour en revenir à l’affaire de laboîte, je vous disais donc que mademoiselle était seule dans laboutique quand elle l’a ouverte… Moi, j’étais dans la salle àmanger, je voyais bien ce qui se passait dans la boutique par laporte entrouverte, mais je ne voyais pas dans la boîte… Mais elle,elle avait déjà les yeux dedans !…

« Ce qu’elle regardait, c’est riende le dire ! Elle s’est approchée de la fenêtre. Elle asoulevé un objet qui était entortillé de fil d’argent et quiavait quasi la forme d’un pistolet !…

« Elle semblait n’y riencomprendre ; elle a tout replacé dans la boîte ; après unmoment d’hésitation, elle a ouvert la porte du jardin et s’estdirigée vers le bâtiment du fond que le vieux Norbert etM. Cotentin ne quittaient quasi plus !…

« Et elle est allée frapper à laporte du laboratoire.

« Le vieux Norbert est sorti sur leseuil.

« Il avait les cheveux ébourifféscomme je ne lui ai jamais vus… les yeux lui sortaient de latête :

« – Quoi ? Qu’est-ce quetu veux encore ? Tu sais bien que nous ne voulons pas detoi ! Tu es trop nerveuse ! Laisse-noustranquilles ! »

« Il avait l’airfurieux.

« – Écoute, papa, lui ditl’autre, j’ai encore reçu une lettre de cettemalheureuse…

« – Ah ! fiche-nous lapaix avec ta vieille folle ! »

« Mais l’autreinsistait :

« – Et puis, un objetrecommandé que je voudrais montrer à Jacques !…

« – Tu ne veux tout de mêmepas que je dérange Jacques !…

« – Dis-lui qu’elle m’a envoyéla preuve ! ou « l’épreuve », je ne saisplus… »

« Mais le vieux Norbert, impatient,ne fit que hausser les épaules et lui referma la porte sur lenez.

« Moi, je ne comprenais rien à cequi se passait, mais je voyais bien qu’on n’était pas à la rigoladedans la maison et j’étais sur des charbons ardents.

« Mademoiselle, toujours enregardant dans sa petite boîte, se laissa tomber sur une chaisedans le jardin.

« Elle n’y était pas depuis cinqminutes que le carabin la rejoignait.

« – Qu’y a-t-il,Christine ? lui demanda-t-il tout de suite.

« – Tiens ! fit-elle,voilà ce qu’elle vient de m’envoyer. » Et elle lui passa laboîte.

« Ils me tournaient le dos, ilsregardaient dans la boîte ; moi, je ne voyais rien !… Ledocteur dut prendre l’objet en main… Il écartait les bras, lesrepliait et répétait :

« – C’est curieux, c’est trèscurieux !…

« – Mais enfin, qu’est-ce quec’est ? demanda Christine.

« – Eh bien, ça, ma chérie,c’est un trocart !… »

« Oui ! il a bien dit :trocart, et, même il l’a répété.

« – C’est une espèce detrocart !

« – Et qu’est-ce qu’untrocart ? »

« Mais l’autre n’a pas répondu toutde suite. Il examinait encore l’objet, paraissait réfléchir, ettout d’un coup s’écria :

« – Ah ! lamalheureuse !… la malheureuse ! la malheureuse…Non, ça n’est pas une folle !… c’est elle « qui avaitraison ! »

« Et il ajouta :

« – Ah ! lebandit ! »

« La Christine s’était levée, toutepâle :

« – Mais, explique-toi !supplia-t-elle… qu’est-ce qu’un trocart ?

« – Un trocart, que luiexplique l’autre, c’est une aiguille creuse, et le pistolet àtrocart, c’est une espèce d’instrument de chirurgie qui ressemble àun petit pistolet… enfin qui fait fonction de pistolet et qui noussert à envoyer à travers les chairs de l’abdomen une aiguillecreuse, quand nous voulons savoir…

« – Ah ! jecomprends !… je comprends ! s’écria Christine…

« – Comprends-tu, reprenaitl’autre. L’instrument que voilà part du même principe… Il envoiecette aiguille creuse… remplie préalablement de liquidenocif… » Il a dit « nocif »… j’ai encore le mot dansl’oreille…

« Oui ! oui ! jecomprends ! faisait la Christine, qui paraissaitatterrée….

« – Mais il l’envoie àdistance, expliquait toujours l’autre… même à une assez grandedistance !… regarde ce ressort… et cette autre disposition deressort qui accompagne l’aiguille creuse et qui se déclencheaussitôt qu’elle a touché et laissé son venin…

« – Je comprends !… Jecomprends !…

« – C’est ce dernier ressortqui renvoie l’aiguille jusqu’à l’arme qui la projetée…

« – Oui !Oui !

« – Tu vois comme l’aiguilleest retenue par ce fil de métal !… Comprends-tu ?…Comprends-tu ?… »

« Si elle comprenait !… Dureste, ce n’était pas difficile ; moi aussi je comprenaiscomment il était fait c’t’instrument, sans même l’avoir vu !…Ça on peut le dire ! Le carabin, pour ce qui est d’expliquer…il explique bien !… Elle avait pris sa tête toute pâle entreses mains :

« – Mais il faut lasauver !… Mais il faut la sauver !

« – Sans doute !obtempéra le Cotentin, redevenu très calme, il faut lasauver ! Seulement, moi, je ne puis m’absenter en ce moment…Non ! je ne puis pas quitter Gabriel bien que tout aillepour le mieux, mais je ne puis pas quitter le travailpendant qu’il est encore tout chaud !

« – Alors ? Alors ?Alors ?

« – C’est une affaire de cinqà six jours.

« – Mais nous n’avons pas ledroit d’attendre six jours !

« – C’est bien mon avis !Tu vas donc aller trouver tout de suite Bénédict à sa campagne ettu me le ramèneras ici, sans perdre une heure ! Nous causeronset nous déciderons. »

« Là-dessus, il se leva, en luirendant la boîte.

« Je me sauvai… mon service étaitfini !… J’en avais trop entendu sans rien y comprendre dureste… Ça n’est qu’après l’histoire de la septième quej’ai commencé à y comprendre quelquechose !… »

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