Le Calvaire

Chapitre 11

 

 

Juliette m’avait choisi, dans le faubourgSaint-Honoré, tout près de la rue de Balzac, une chambre, au secondétage d’un petit hôtel meublé. Les meubles étaient de guingois, lestapisseries, les tiroirs s’ouvraient en grinçant, une odeur aigrede bois suri, de poussière ancienne, imprégnait les rideaux desfenêtres et les draperies du lit ; mais elle avait su donner,en plaçant çà et là quelques bibelots, un aspect plus intime àcette pièce banale et froide où tant d’existences inconnues avaientpassé sans laisser de trace aucune. Juliette avait tenu aussi àranger elle-même mes affaires, dans l’armoire, qu’elle bourrait depaquets d’iris.

– Tu vois, mon chéri… ici leschaussettes… là les chemises de nuit… j’ai mis tes cravates dans letiroir… tes mouchoirs sont là… J’espère qu’elle a de l’ordre, tapetite femme… Et puis, tous les jours, je te porterai une fleur quisent bon… Allons ne sois pas triste… Dis-toi bien que je t’aime,que je n’aime que toi, que je viendrai souvent… Ah ! tescaleçons que j’ai oubliés !… Je te les enverrai par Célestine,avec ma photographie dans le beau cadre en peluche rouge… Net’ennuie pas, pauvre mignon !… Tu sais, si ce soir, à minuitet demi, je ne suis pas là, ne m’attends pas… Couche-toi… Dorsbien… Tu me promets ?

Et jetant un dernier coup d’œil sur lachambre, elle était partie.

Tous les jours, en effet, Juliette revenait,en allant au Bois, et en rentrant chez elle, avant le dîner. Ellene restait que deux minutes, fiévreuse, agitée par une hâte d’êtredehors ; le temps de m’embrasser, le temps d’ouvrir l’armoire,pour se rendre compte si les choses étaient dans le même ordre.

– Allons ! je m’en vais… Ne sois pastriste… je vois que tu as encore pleuré… Ça n’est pas gentil !Pourquoi me faire de la peine ?

– Juliette ! te verrai-je cesoir ?… Oh ! je t’en prie, ce soir !

– Ce soir ?

Elle réfléchissait un instant.

– Ce soir, oui, mon chéri… Enfin, nem’attends pas trop… Couche-toi… Dors bien… Surtout, ne pleure pas…Tu me désespères !… Vraiment, on ne sait comment être avectoi !

Et je vivais là, vautré sur le canapé, nesortant presque jamais, comptant les minutes qui, lentement,lentement, goutte à goutte, tombaient dans l’éternité del’attente.

À l’exaltation furieuse de mes sens avaitsuccédé un grand accablement… Je demeurais des après-midi entiers,sans bouger, la chair battue, les membres pesants, le cerveauengourdi, comme au lendemain d’une ivresse. Ma vie ressemblait à unsommeil lourd, que traversent des rêves pénibles, coupés par debrusques réveils, plus pénibles encore que les rêves, et dansl’anéantissement de ma volonté, dans l’effacement de monintelligence, je ressentais plus vive encore l’horreur de madéchéance morale. Avec cela, la vie de Juliette me jetait en desangoisses perpétuelles… Comme autrefois, sur la dune du Ploc’h, ilne m’était pas possible de chasser l’image de boue, quigrandissait, devenait plus nette, et revêtait des formes pluscruelles… Perdre un être qu’on aime, un être de qui toutes vosjoies vous sont venues, dont le souvenir ne se mêle qu’à dessouvenirs de bonheur, cela vous est une douleur déchirante… Mais oùil y a une douleur, il y a aussi une consolation, et la souffrances’endort en quelque sorte bercée par sa tendresse même… Moi, jeperdais Juliette, je la perdais, chaque jour, chaque heure, chaqueminute, et à ces morts successives, à ces morts impénitentes, je nepouvais rattacher que des souvenirs suppliciants et des souillures…J’avais beau chercher, sur la vase remuée de nos deux cœurs, unefleur, une toute petite fleur dont il eût été si bon de respirer leparfum, je ne la trouvais pas… Et cependant, je ne concevais riensans Juliette. Toutes mes pensées avaient Juliette pour point dedépart, Juliette pour aboutissement ; et plus ellem’échappait, plus je m’acharnais dans l’idée absurde de lareconquérir. Je n’espérais pas, emportée, comme elle l’était, danscette existence de plaisirs mauvais, qu’elle s’arrêtâtjamais ; pourtant, malgré moi, malgré elle, je formais desprojets d’avenir meilleur. Je me disais : « Il n’est paspossible qu’un jour le dégoût ne la prenne, qu’un jour la douleurn’éveille en son âme un remords, une pitié ; et elle mereviendra. Alors, nous nous en irons dans un appartement d’ouvrier,et moi, comme un forçat, je travaillerai… J’entrerai dans lejournalisme, je publierai des romans, j’implorerai des besognes decopiste… » Hélas ! je m’efforçais de croire à tout cela,afin d’atténuer l’état d’abjection où j’étais descendu. Avec leproduit de la vente des deux études de Lirat, des quelques bijouxque je possédais, de mes livres, j’avais réalisé une somme dequatre mille francs que je gardais précieusement, pour cettechimérique éventualité… Une fois que Juliette était songeuse etplus tendre qu’à l’ordinaire, j’osai lui communiquer ce projetadmirable… Elle battit des mains.

– Oui ! oui !… Ah ! ceserait si amusant !… Un tout petit appartement, tout petit,tout petit !… Je ferais le ménage, j’aurais de jolis bonnets,un joli tablier !… Mais c’est impossible avec toi ! Queldommage !… C’est impossible !

– Pourquoi donc est-ceimpossible ?

– Mais parce que tu ne travailleras pas,et que nous mourrons de faim… C’est ta nature, comme ça !…As-tu travaillé au Ploc’h !… Travailleras-tumaintenant ?… Jamais tu n’as travaillé !…

– Le puis-je ?… Tu ne sais donc pasque ta pensée ne me quitte pas un seul instant ?… C’est toutl’inconnu de ta vie, c’est la douleur atroce de ce que je sens, dece que je devine de toi, qui me ronge, qui me dévore, qui me videles moelles !… Quand tu n’es pas là, j’ignore où tu es, etpourtant je suis là, où tu es, toujours !… Ah ! si tuvoulais !… Te savoir près de moi, aimante et tranquille, loinde ce qui salit et de ce qui torture… Mais j’aurais la force d’unDieu !… De l’argent !… De l’argent ! mais je t’engagnerais par pelletées, par tombereaux !… Ah ! Juliette,si tu voulais ! si tu voulais !…

Elle me regardait, excitée par ce grand bruitd’or que mes paroles faisaient tinter à ses oreilles.

– Eh bien, gagnes-en tout de suite, monchéri… Oui, beaucoup, des tas !… Et ne pense pas à cesvilaines choses qui te font du mal… Les hommes, est-cedrôle !… Ça ne veut pas comprendre !

Tendrement, elle s’assit sur mes genoux.

– Puisque je t’adore, mon chermignon !… Puisque les autres, je les déteste, et qu’ils n’ontrien de moi, tu entends, rien… Puisque je suis bienmalheureuse !…

Les yeux pleins de larmes, elle cherchait à sefaire toute petite contre moi, et répétait : « Oui, bien,bien malheureuse !… » J’en avais horreur et pitié…

– Ah ! il croit que c’est parplaisir ! s’écria-t-elle en sanglotant, il croit cela !…Mais si je n’avais pas mon Jean pour me consoler, mon Jean pour mebercer, mon Jean pour me donner du courage, je ne pourrais plus… jene pourrais plus… J’aimerais mieux mourir.

Brusquement, changeant d’idée, et d’une voixoù il me sembla entendre les regrets gémir :

– D’abord, pour ça… pour le petitappartement… il faudrait de l’argent, et tu n’en as pas !

– Mais si, ma chérie… Mais si, clamai-jetriomphalement, j’ai de l’argent !… Nous avons de quoi vivredeux mois, trois mois, en attendant que je conquière unefortune !

– Tu as de l’argent ?… Faisvoir.

J’étalai devant elle les quatre billets demille francs. Juliette les saisit dans sa main, un à un, âprement,les compta, les examina. Ses yeux luisaient, étonnés etcharmés.

– Quatre mille francs, mon chéri !…Comment, tu as quatre mille francs ?… Mais tu es riche !…Alors…

Elle se pendit à mon cou, caressante.

– Alors, reprit-elle, puisque tu es trèsriche… J’ai envie d’un petit nécessaire de voyage que j’ai vu, ruede la Paix !… Tu veux me l’acheter, mon chéri ; tu veux,pas ?

Je reçus au cœur un coup si douloureux que jefaillis tomber sur le plancher ; et un flot de larmesm’aveugla. Pourtant, j’eus le courage de demander :

– Qu’est-ce qu’il vaut, tonnécessaire ?

– Deux mille francs, mon chéri.

– C’est bien !… Prends deux millefrancs… Tu l’achèteras toi-même.

Juliette me baisa au front, prit deux billetsqu’elle enfouit précipitamment dans la poche de son manteau, et sonregard attaché sur les deux qui restaient et qu’elle regrettaitsans doute de ne pas m’avoir demandés, elle dit :

– Vrai ?… Tu veux bien ?…Ah ! c’est gentil !… Cela fait que si tu retournes auPloc’h, j’irai te voir avec mon nécessaire tout neuf.

Quand elle fut partie, je m’abandonnai à uneviolente colère contre elle, contre moi surtout, et, la colèreapaisée, tout d’un coup, je m’étonnai de ne plus souffrir… Oui, envérité, je respirais plus librement, j’étendais les bras avec desgestes forts, j’avais dans les jarrets une élasticiténouvelle ; enfin, on eût dit que quelqu’un venait de m’enleverle poids écrasant que je portais depuis si longtemps sur lesépaules… J’éprouvais une joie très vive à détendre mes membres, àfaire jouer mes articulations, à étirer mes nerfs, ainsi qu’ilarrive, le matin, au saut du lit… Ne me réveillais-je pas, eneffet, d’un sommeil aussi pesant que la mort ? Ne sortais-jepas d’une sorte de catalepsie, où tout mon être engourdi avaitconnu les cauchemars horribles du néant ?… J’étais comme unenseveli qui retrouve la lumière, comme un affamé à qui on donne unmorceau de pain, comme un condamné à mort qui reçoit sa grâce…J’allai à la fenêtre et regardai dans la rue. Le soleil coupaitd’un angle doré les maisons en face de moi ; sur le trottoir,des gens passaient vite, affairés, avec des figuresheureuses ; des voitures se croisaient sur la chaussée,joyeusement… Le mouvement, l’activité, le bruit de la vie megrisaient, m’enthousiasmaient, m’attendrissaient, et jem’écriai :

– Je ne l’aime plus ! Je ne l’aimeplus !

Dans l’espace d’une seconde, j’eus la visiontrès nette d’une existence nouvelle de travail et de bonheur. Melaver de cette boue, reprendre le rêve interrompu, j’en avaishâte ; non seulement je voulais racheter mon honneur, mais jevoulais conquérir la gloire, et la conquérir si grande, siincontestée, si universelle, que Juliette crevât de dépit d’avoirperdu un homme tel que moi. Je me voyais déjà, dans la postérité,en bronze, en marbre, hissé sur des colonnes et des piédestauxsymboliques, emplissant les siècles futurs de mon imageimmortalisée. Et ce qui me réjouissait surtout, c’était de penserque Juliette n’aurait pas une parcelle de gloire, et que je larepousserais impitoyablement, hors de mon soleil.

Je descendis et, pour la première fois depuisplus de deux ans, je ressentis un plaisir délicieux à me trouverdans la rue… Je marchais rapidement, les reins souples, l’allurevictorieuse, intéressé par les spectacles les plus simples qui mesemblèrent nouveaux. Et je me demandais avec stupeur commentj’avais pu être malheureux aussi longtemps, comment mes yeux nes’étaient pas ouverts plus vite à la vérité… Ah ! laméprisable Juliette !… Comme elle avait dû rire de messoumissions, de mes aveuglements, de mes pitiés, de mesinconcevables folies !… Sans doute, elle racontait à sesamants de hasard mes douleurs imbéciles, et ils s’excitaient àl’amour en se moquant de moi !… Mais j’aurais ma revanche, etcette revanche serait terrible !… Bientôt Juliette seroulerait à mes pieds, suppliante ; elle implorerait sonpardon.

– Non, non, misérable, jamais !…Quand j’ai pleuré, m’as-tu consolé ?… M’as-tu épargné unesouffrance, une seule ?… Un seul instant, as-tu consenti àaccepter ma misère, à vivre de ma vie ?… Tu n’es pas digne departager ma gloire… Non… va-t’en !

Et pour lui marquer mon méprisirrémédiablement, je lui jetterai des millions à la figure.

– Tiens des millions !… En veux-tudes millions ?… Tiens, encore !

Juliette se tordra les bras dedésespoir ; elle criera :

– Pitié, Jean !… pitié !…Oh ! de l’argent, je n’en veux pas !… Ce que je veux,c’est vivre cachée, toute petite, dans ton ombre, heureuse si unseul des rayons de la lumière qui t’entoure vient, un jour, seposer sur ta pauvre Juliette… Pitié !

– As-tu eu pitié de moi, quand je t’aidemandé grâce !… Non !… Les filles comme toi, on lesassomme à coups d’or !… Tiens ! en voilà encore !…Tiens ! en voilà toujours !

Je marchais à grandes enjambées, parlant touthaut, faisant avec la main le geste de jeter des millions à traversl’espace.

– Tiens, misérable ;tiens !

Pourtant, mon impassibilité devant la penséede Juliette n’était point si farouche, que la moindre femme aperçuene me donnât une inquiétude, et que je ne sondasse, d’un coup d’œilimpatient, l’intérieur des voitures qui, sans cesse, passaient dansla rue… Sur le boulevard, mon assurance tomba, et l’angoisse meressaisit tout entier. De nouveau, je sentis une pesanteurintolérable sur mes épaules, et la bête dévorante, un instantchassée, s’abattit sur moi, plus féroce, enfonçant plusprofondément ses griffes dans ma chair… Il avait suffi pour celaque je visse des théâtres, des restaurants, ces endroits maudits,pleins du mystère de la vie de Juliette… Les théâtres medisaient : « Cette nuit elle était là, ta Juliette ;pendant que tu gémissais, l’appelant, l’attendant, elle se pavanaitdans une loge, des fleurs au corsage, heureuse, sans une penséepour toi. » Les restaurants me disaient : « Cettenuit elle était là, ta Juliette… les yeux ivres de débauche, elles’est vautrée sur nos divans disloqués, et des hommes qui puaientle vin et le cigare, l’ont possédée »… Et tous les jeunes gensque je rencontrais, fringants, superbes, me disaient aussi :« Ta Juliette, nous la connaissons… Est-ce qu’elle t’apporteun peu de l’argent qu’elle nous coûte ? » Chaque maison,chaque objet, chaque manifestation de la vie, tout me criait avecd’affreux ricanements : « Juliette !Juliette ! » La vue des roses, chez les fleuristes,m’était une torture, et j’éprouvais des rages, rien qu’à regarderles boutiques et leurs étalages de choses provocantes. Il mesemblait que Paris ne dépensait toute sa force, n’usait toute saséduction que pour me ravir Juliette, et je souhaitais de le voirdisparaître dans une catastrophe, et je regrettais les tempsjusticiers de la Commune, où l’on versait dans les rues le pétroleet la mort ! Je rentrai…

– Il n’est venu personne ?demandai-je au concierge.

– Personne, monsieur Mintié.

– Pas de lettre, non plus ?

– Non, monsieur Mintié.

– Vous êtes sûr qu’on n’est pas montéchez moi, pendant mon absence ?

– La clef n’a pas bougé de là, monsieurMintié.

Je griffonnai, sur ma carte, ces mots aucrayon : « Je veux te voir. »

– Portez cela rue de Balzac…

J’attendis dans la rue, impatient,nerveux ; le concierge ne tarda pas à reparaître.

– La bonne m’a dit que Madame n’était pasencore rentrée.

Il était sept heures… Je gagnai ma chambre etje m’allongeai sur le canapé.

– Elle ne viendra pas… Oùest-elle ?… Que fait-elle ?

Je n’avais pas allumé de bougies… Lesfenêtres, éclairées par les lumières de la rue, glissaient dans lapièce un jour sombre, projetaient sur le plafond une clarté jaune,où l’ombre des rideaux se dessinait et tremblait… Et les heuress’écoulèrent, lentes, infinies, si infinies et si lentes qu’on eûtdit que le temps, subitement, avait cessé de marcher.

– Elle ne viendra pas !

De la rue, m’arrivait le bruit ininterrompudes voitures ; les omnibus roulaient lourdement, les fiacresfatigués ferraillaient, les coupés passaient, plus légers et plusrapides… Quand l’un d’eux rasait le trottoir ou ralentissait sonallure, je me précipitais à la fenêtre, que j’avais laisséeentr’ouverte, et je me penchais vers la rue… Aucun nes’arrêtait.

– Elle ne viendra pas !

Et, tout en disant : « Elle neviendra pas ! » j’espérais bien que Juliette serait làdans quelques minutes… Que de fois je m’étais roulé sur le canapé,en criant : « Elle ne viendra pas ! » etJuliette était venue !… Toujours, au moment où je désespéraisle plus, j’entendais une voiture s’arrêter, puis des pas dansl’escalier, puis un craquement dans le couloir, et Julietteapparaissait souriante, empanachée, emplissant la chambre d’unparfum violent, et d’un froufrou de soie remuée.

– Allons, prends ton chapeau, monchéri.

Irrité par ce sourire, par ces toilettes, parce parfum, exaspéré par l’attente, souvent, je la traitaisdurement.

– Où as-tu été ? dans quels bougest’es-tu traînée ?… Dis, dans quels bouges ?

– Oh ! si c’est une scène,merci !… Je m’en vais… Bonsoir !… Moi qui ai eu toutesles peines du monde à me rendre libre, pour te retrouver ?

Alors, tendant les poings, tous les musclescrispés, je hurlais :

– Eh bien, va-t’en !… Va-t’en audiable !… Et ne reviens jamais, jamais !

La porte à peine refermée sur Juliette, jecourais après elle.

– Juliette ! Juliette !

Elle descendait l’escalier.

– Juliette !… remonte, je t’enprie !… Juliette… attends, je vais avec toi.

Elle descendait toujours sans détourner latête. Je la rattrapais.

Près d’elle, près de cette robe, de cesplumes, de ces fleurs, de ces bijoux, la fureur me reprenait.

– Allons, remonte, ou je te casse la têtesur ces marches.

Et, dans la chambre, je tombais à sespieds.

– Oui, ma petite Juliette, j’ai tort,j’ai tort… Mais je souffre tant !… Aie un peu pitié demoi !… Si tu savais dans quel enfer je vis !… Si tupouvais, avec tes mains, écarter les cloisons de ma poitrine etvoir ce qu’il y a dans mon cœur !… Juliette !… Ah !je ne peux plus, je ne peux plus vivre comme ça !… Une bêteaurait pitié de moi, je t’assure… Oui, une pauvre bête auraitpitié !

Je lui pressais les mains, j’embrassais sarobe…

– Ma Juliette !… je ne t’ai pastuée… j’en avais le droit pourtant, je te le jure… je ne t’ai pastuée !… Tu devrais me tenir compte de cela… C’est del’héroïsme, car tu ignores, toi, ce qu’un homme qui souffre et quiest seul, toujours, peut concevoir de choses terribles etvengeresses… Je ne t’ai pas tuée !… J’espérais, j’espèreencore !… Reviens à moi… j’oublierai tout, j’effacerai tout,mes douleurs et nos hontes… tu seras pour moi la plus pure, la plusradieuse des vierges… Nous nous en irons très loin… où tu voudras…Je t’épouserai !… Tu ne veux pas ?… Ce que je te dis, tucrois que c’est pour t’avoir à moi, davantage ? Jure que tuchangeras d’existence, ou je me tue là, devant toi !… Écoute,je t’ai tout sacrifié, moi !… Je ne parle pas de ma fortune…mais ce qui faisait autrefois la fierté de ma vie, mon honneurd’homme, mes rêves d’artiste, j’ai tout abandonné, sans un regret,pour toi… Tu peux bien me sacrifier quelque chose à ton tour… Etqu’est-ce que je te demande ? Rien… la joie d’être honnête etbonne… Se dévouer, ma Juliette, se dévouer, mais, c’est si grand,si noble !… Ah ! si tu connaissais la volupté dusacrifice ?… Tiens !… Malterre, il est riche, lui… C’estun brave garçon, meilleur que les autres, il t’a aimée !…J’irai chez lui, je lui dirai : « Vous seul pouvez sauverJuliette, la retirer du monde où elle vit… Revenez à elle… et necraignez rien de moi… je partirai… » Veux-tu ?…

Juliette me regardait, étonnéeprodigieusement. Un sourire inquiet errait sur ses lèvres… Ellemurmura :

– Allons, mon chéri, tu dis des bêtises…Ne pleure pas, viens !

M’en allant, je continuais de gémir :

– Une bête aurait pitié !… Oui, unebête…

D’autres fois, elle envoyait Célestine pour mechercher, et je la trouvais couchée dans son lit, fraîche, tristeet lasse. Je comprenais que quelqu’un était là, tout à l’heure, quivenait de partir ; je le comprenais au regard plus tendre deJuliette, à tout ce qui m’entourait, au lit qui avait été refait, àla toilette rangée avec un soin trop méticuleux, à toutes lestraces effacées, et que je voyais reparaître dans leur réalitéhorrible et douloureuse. Je m’attardais dans le cabinet detoilette, fouillant les tiroirs, interrogeant les objets,descendant à un examen ignoble des choses familières… De temps entemps, de la chambre, Juliette m’appelait :

– Viens donc, mon chéri !… qu’est-ceque tu fais ?

Oh ! reconstituer son image, percevoirune odeur de lui !… Je humais l’air, dilatant mes narines,croyant saisir des senteurs fortes de mâle, et il me semblait quel’ombre de torses puissants s’allongeait sur les tentures, que jedistinguais des carrures d’athlète, des bras héroïques, des cuissesnerveuses et velues, aux muscles bombants.

– Viens-tu ?… disait Juliette…

Ces nuits-là, Juliette ne parlait que d’âme,que de ciel, que d’oiseaux ; elle avait un besoin d’idéal, derêveries célestes… Toute petite dans mes bras, chaste comme uneenfant, elle soupirait.

– Oh ! qu’on est bien ainsi !…Dis-moi de belles choses, mon Jean, des choses douces ainsi quedans les vers… J’aime tant ta voix… elle a des sons d’harmonium…parle-moi longtemps… Tu es si bon ; tu me consoles sibien !… Je voudrais vivre ainsi, toujours dans tes bras, nepas bouger, et t’entendre !… Sais-tu aussi ce que jevoudrais ?… Ah ! j’en rêve !… Avoir de toi unepetite fille qui serait comme un chérubin, toute rose etblonde !… Je la nourrirais… et tu lui chanterais des chansonstrès jolies, pour l’endormir !… Mon Jean, quand je seraimorte, tu trouveras dans ma caisse à bijoux un petit cahier rose,avec des dorures… C’est pour toi… tu le prendras… J’ai écrit là mespensées, et tu verras si je t’aimais bien !… tu verras !…Ah ! il faudra se lever demain, sortir, quel ennui !…Berce-moi, parle-moi, dis-moi que tu aimes mon âme… monâme !…

Et elle s’endormait ; et elle était siblanche, si pure, que les rideaux du lit lui faisaient comme deuxailes.

La nuit s’avançait ; le faubourgredevenait calme… De loin en loin, des voitures attardéesrentraient, et, sur le trottoir, deux sergents de ville marchaientd’un pas lourd et traînant, toujours pareil !… Plusieurs fois,la porte de l’hôtel s’était ouverte et refermée ; j’avaisentendu des craquements, des glissements de robe, des voixchuchotantes dans le couloir… Mais ce n’était pas Juliette !…Et, depuis longtemps, l’hôtel silencieux semblait dormir… Jequittai le canapé, allumai une bougie, regardai la pendule ;elle marquait trois heures.

– Elle ne viendra pas !… Maintenant,c’est fini… elle ne viendra pas !

Je me mis à la fenêtre… La rue était déserte,le ciel, au-dessus, tout sombre, pesait sur les maisons, comme uncouvercle de plomb… Là-bas, dans la direction du boulevardHaussmann, de grosses voitures descendaient, ébranlant la nuit deleurs cahots sonores… Un rat courut d’un trottoir à l’autre, etdisparut par un caniveau… Je vis un pauvre chien, tête basse, laqueue entre les jambes, passer, s’arrêter aux portes, flairer leruisseau, s’en aller, l’échine dolente… J’avais la fièvre, moncerveau brûlait, mes mains étaient moites, et je ressentais, dansla poitrine, comme un étouffement.

– Elle ne viendra pas !… Oùest-elle ?… Est-elle rentrée ?… Ou bien dans quel coin decette grande ombre impure se vautre-t-elle ?

Ce qui m’indignait surtout, c’est qu’elle nem’eût pas averti… Elle avait reçu ma carte… elle savait qu’elle neviendrait pas… et elle ne m’avait pas envoyé un seul mot !…J’avais pleuré, je l’avais suppliée, je m’étais traîné à sesgenoux… et pas un mot !… Quelles larmes, quel sang fallait-ildonc verser pour attendrir cette âme de pierre ?… Commentpouvait-elle courir au plaisir, les oreilles encore pleines dubruit de mes sanglots, la bouche encore humide de mesprières ?… Les filles les plus perdues, les créatures les plusdamnées ont parfois des arrêts dans leur existence de débauche etde proie ; il y a des moments où elles laissent le soleilpénétrer leur cœur refroidi, où, les yeux tournés vers le ciel,elles implorent l’amour qui pardonne et qui rachète !…Juliette ! jamais !… quelque chose de plus insensible quele destin, de plus impitoyable que la mort, la poussait,l’emportait, la roulait éternellement, sans un répit, sans unehalte, des amours fangeuses aux amours sanglantes, de ce quidéshonore à ce qui tue !… Plus les jours s’écoulaient, plus ladébauche marquait sa chair de flétrissures. À sa passion, jadisrobuste et saine, se mêlaient aujourd’hui des curiositésabominables, et cet inassouvissement farouche, cetalcoolismede l’amour inextinguible, que donnent lesplaisirs irréguliers et stériles. Hormis les nuits où l’épuisementrevêtait les formes imprévues de l’idéal le plus pur, on sentaitsur elle l’empreinte de mille corruptions différentes et raffinées,de mille fantaisies perverses de blasés et de vieillards. Il luiéchappait des paroles, des cris, qui ouvraient sur sa vie,brusquement, des horizons de fange enflammée ; et, bienqu’elle m’eût communiqué l’ardeur dévorante de ses dépravations,bien que j’y goûtasse une sorte de volupté infernale, criminelle,je ne pouvais, souvent, regarder Juliette sans frissonner deterreur !… En sortant de ses bras, honteux, dégoûté, j’avaisce besoin qu’ont les réprouvés de contempler des spectaclestranquilles, reposants, et j’enviais, avec quels cuisantsregrets ! j’enviais les êtres supérieurs qui ont fait de lavertu et de la pureté les lois inflexibles de leur vie !… Jerêvais de couvents où l’on prie, d’hôpitaux où l’on se dévoue… Undésir fou s’emparait de moi d’entrer dans les bouges afind’évangéliser les malheureuses créatures qui croupissent dans levice, sans une bonne parole ; je me promettais de suivre, lanuit, les prostituées dans l’ombre des carrefours, et de lesconsoler, et de leur parler de vertu, avec une telle passion, avecdes accents si touchants, qu’elles en seraient émues, pleureraientet me diraient : « Oui, oui, sauvez-nous »… J’aimaisà rester des heures entières, dans le parc Monceau, regardant jouerles enfants, découvrant des paradis de bonheur, en l’œil des jeunesmères ; je m’attendrissais à reconstituer ces existences, silointaines de la mienne ; à revivre, près d’elles, ces joiessaintes, à jamais perdues pour moi… Le dimanche j’errais dans lesgares, au milieu des foules joyeuses, parmi les petits employés etles ouvriers qui s’en allaient, en famille, chercher un peu d’airpur, pour leurs pauvres poumons encrassés, prendre un peu de forcepour supporter les fatigues de la semaine. Et je m’attachais auxpas d’un ouvrier dont la physionomie m’intéressait ; j’auraisvoulu avoir son dos résigné, ses mains déformées, noircies par letravail rude, son allure gourde, ses yeux confiants de bon dogue…Hélas ! j’aurais voulu avoir tout ce que je n’avais pas, êtretout ce que je n’étais pas !… Ces promenades, qui me rendaientplus pénible encore la constatation de mon abaissement, mefaisaient pourtant du bien, et j’en revenais, chaque fois, avec desrésolutions courageuses… Mais, le soir, je revoyais Juliette, etJuliette, c’était l’oubli de l’honneur et du devoir…

Au-dessus des maisons, le ciel s’éclairaitd’une faible lueur, annonçant l’aube prochaine ; et,j’aperçus, au bout de la rue, dans l’ombre, deux points brillants,deux lanternes de voiture qui vacillaient, se balançaient,s’avançaient, pareilles à deux becs de gaz errants… J’eus unespoir, un instant d’espoir… la voiture approchait, dansant sur lespavés, les lumières grandissaient, le bruit s’accélérait… Il mesembla que je reconnaissais le roulement familier du coupé deJuliette !… Mais non !… Tout à coup, la voiture obliquasur sa gauche, disparut… Et, dans une heure, ce serait lejour !

– Elle ne viendra pas !… Cette fois,c’est bien fini, elle ne viendra pas !

Je fermai la fenêtre et me recouchai sur lecanapé, les tempes battantes, tous les membres endoloris… En vain,j’essayai de dormir… Je ne pus que pleurer, sangloter,crier :

– Oh ! Juliette !Juliette !

Ma poitrine était en feu, j’avais dans la têtecomme un bouillonnement de lave… Mes idées s’égaraient, tournaienten hallucinations… Le long des murs de ma chambre, des belettes sepoursuivaient, bondissaient, se livraient à des jeux obscènes… Etj’espérai que la fièvre m’abattrait, me coucherait dans mon lit,m’emporterait… Être malade !… Oh ! oui, être malade,longtemps, toujours !… Juliette s’installait près de moi, elleme veillait, me soulevait la tête pour me faire boire des remèdes,elle reconduisait le médecin en disant des choses à voixbasse ; et le médecin avait un air grave :

– Mais non ! mais non ! Madame,tout n’est pas désespéré… Calmez-vous.

– Ah ! docteur, sauvez-le, sauvezmon Jean !

– C’est vous seule qui pouvez le sauver,puisque c’est de vous qu’il meurt !

– Ah ! que puis-je faire ?…Dites, docteur, dites !

– Il faut l’aimer, être bonne…

Et Juliette se jetait dans les bras dumédecin…

– Non ! C’est toi que j’aime…viens !

Elle l’entraînait, pendue à ses lèvres… et,dans la chambre, ils cabriolaient, sautaient au plafond etretombaient sur mon lit, enlacés.

– Meurs, mon Jean, meurs, je t’enprie !… Ah ! pourquoi tardes-tu tant à mourir ?…

Je m’étais assoupi… Quand je me réveillai, ilfaisait grand jour… Les omnibus, de nouveau, roulaient dans larue ; les marchands ambulants glapissaient leurs ritournellesmatinales ; contre ma porte, dans le couloir où des gensmarchaient, j’entendais le grattement d’un balai.

Je sortis, et je me dirigeai vers la rue deBalzac… Vraiment, je n’avais pas d’autres projets que de voir lamaison de Juliette, de regarder ses fenêtres et peut-être derencontrer Célestine ou la mère Sochard… Sur le trottoir, en face,plus de vingt fois, je passai et repassai… Les fenêtres de la salleà manger étaient ouvertes, et je distinguais les cuivres du lustrequi luisaient dans l’ombre… Au balcon, un tapis pendait… Lesfenêtres de la chambre étaient fermées… Qu’y avait-il derrière lesvolets clos, derrière ce pan de mur blanc, impénétrable ?… Unlit pillé, saccagé, des odeurs lourdes d’amour, et deux corpsvautrés qui dormaient… Le corps de Juliette… et l’autre ?… Lecorps de tout le monde. Le corps que Juliette avait ramassé, auhasard, sous une table de cabaret, dans la rue !… Ilsdormaient, saoulés de luxures !… La concierge vint secouer destapis sur le trottoir ; je m’éloignai, car depuis que j’avaisquitté l’appartement j’évitais le regard ironique de cette vieillefemme, je rougissais chaque fois que mes yeux se croisaient avecses deux petits yeux bouffis et méchants qui avaient l’air de semoquer de mes malheurs… Quand elle eut fini, je retournai sur mespas, et je restai longtemps à m’irriter contre ce mur derrièrelequel une chose épouvantable se passait et qui gardait la cruelleimpassibilité d’un sphinx accroupi dans le ciel… Subitement, commesi la foudre était tombée sur moi, une colère folle me remua de latête aux pieds, et sans raisonner ce que j’allais faire, sans lesavoir même, j’entrai dans la maison, montai l’escalier, sonnai àla porte de Juliette… Ce fut la mère Sochard qui m’ouvrit.

– Dites à Madame, criai-je, dites àMadame que je veux la voir, tout de suite, lui parler… Dites-luiaussi que si elle ne vient pas, c’est moi qui irai la trouver, quil’arracherai du lit, entendez-vous !… Dites-lui…

La mère Sochard, toute pâle, tremblante,balbutiait :

– Mais, mon pauvre monsieur Mintié,Madame n’est pas là… Madame n’est pas rentrée…

– Prenez garde, vieille sorcière !…Ne vous foutez pas de moi, hein !… et faites ce que jecommande… Ou, sinon, Juliette, vous, les meubles, la maison, jecasse tout, je tue tout…

La vieille domestique levait les bras auplafond, d’un geste effaré…

– En vérité du bon Dieu !s’exclama-t-elle… Puisque je vous dis que Madame n’est pas rentrée,monsieur Mintié !… Allez dans sa chambre, vous verrezbien !… puisque je vous le dis !

En deux bonds, je me précipitai dans lachambre… la chambre était vide… le lit n’avait pas été défait. Lamère Sochard me suivait pas à pas, répétant :

– Voyons, monsieur Mintié !…Voyons !… Puisque vous n’êtes plus ensemble, àc’t’heure !…

Je passai dans le cabinet de toilette… Tout yétait en ordre, comme lorsque nous rentrions, le soir, tard… Lesaffaires de Juliette rangées sur le divan, la bouillotte pleined’eau, posée sur le fourneau à gaz…

– Et où est-elle ? demandai-je.

– Ah ! Monsieur ! répondit lamère Sochard… Est-ce qu’on sait où va Madame ?… Il est venu,ce matin, une espèce de valet de chambre qui a causé à Célestine,et puis Célestine est partie avec une robe de rechange pour Madame…Voilà tout ce que je sais !

En rôdant, dans le cabinet, je trouvai lacarte que, la veille, je lui avais envoyée.

– Est-ce que Madame a lu ça ?

– Probablement que non, allez !…

– Et vous ne savez pas où elleest ?

– Ah ! dame, non ! ben sûr…Madame ne me conte point ses affaires !

Je rentrai dans la chambre, m’assis sur lachaise longue.

– C’est bien, mère Sochard… Je vaisl’attendre… Et je vous avertis que ça va être drôle !…Ha ! ha !… À la fin, voyez-vous, mère Sochard, il fautque ça éclate !… J’ai eu de la patience… j’ai eu… Ehbien ! en voilà assez !…

Je brandissais mes poings dans le vide.

– Et ça va être drôle, mèreSochard !… et vous pourrez vous vanter d’avoir assisté à unspectacle drôle, que vous n’oublierez jamais, jamais !… Et lanuit vous en rêverez, avec épouvante, nom de Dieu !

– Ah ! monsieur Mintié !…monsieur Mintié !… supplia la vieille femme. Pour l’amour dubon Dieu, calmez-vous… Allez-vous-en !… Vous commettrez unmalheur, c’est sûr !… Et qu’est-ce que vous ferez, monsieurMintié ?… Qu’est-ce que vous ferez ?…

En ce moment, Spy, sorti de sa niche,s’avançait vers moi, bombant le dos, dansant sur ses pattes grêlesd’araignée… Et je regardai Spy, obstinément… Et je pensai que Spyétait le seul être qu’aimât Juliette, que tuer Spy serait la plusgrande douleur qu’on pût infliger à Juliette… Le chien allongeaitses pattes vers moi, essayait de grimper sur mes genoux. Ilsemblait me dire :

– Si tu souffres tant, je n’en suis pasla cause… Te venger sur moi, si petit, si faible, si confiant, ceserait lâche… Et puis, tu crois qu’elle m’aime tant que ça !…Je l’amuse comme un joujou, je lui suis une distraction d’uneminute et voilà tout… Si tu me tues, ce soir, elle aura un autrepetit chien comme moi, qu’elle appellera Spy comme moi, qu’ellecomblera de caresses comme moi, et il n’y aura rien dechangé !

Je n’écoutais pas Spy, de même que jen’écoutais jamais aucune des voix qui me parlaient, lorsque lecrime me poussait à quelque mauvaise action… Brutalement,férocement, je saisis le petit chien par les pattes dederrière.

– Ce que je ferai, mère Sochard !m’écriai-je… Tenez !…

Et faisant tournoyer Spy dans l’air, de toutesmes forces, je lui écrasai la tête contre l’angle de la cheminée.Du sang jaillit sur la glace et sur les tentures, des morceaux decervelle coulèrent sur les flambeaux, un œil arraché tomba sur letapis…

– Ce que je ferai, mère Sochard ?…répétai-je en lançant le chien au milieu du lit, sur lequel unemare rouge s’étala… Ce que je ferai ?… Ha, ha !… Vousvoyez ce sang, cet œil, cette cervelle, ce cadavre, ce lit !…Ha, ha !… Eh bien, mère Sochard, voilà ce que je ferai deJuliette !… de Juliette, entendez-vous, vieillepocharde !…

– Oh ! de ma vie ! bégaya lamère Sochard terrifiée !… De ma vie du bon Dieu, je…

Elle n’acheva pas… Les yeux tout grands, labouche ouverte démesurément, dans une horrible grimace, elle fixaitle cadavre du chien, noir sur le lit, et le sang que les drapspompaient, et dont la tache pourprée s’élargissait…

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer