Le Chant de l’amour triomphant

Chapitre 4

 

Valéria resta longtemps sans trouver le sommeil ; unevolupté sourde et languide circulait dans ses veines, sa têtebourdonnait légèrement… Était-ce le vin qu’elle avait bu ou lesrécits de Mucius et sa musique ?… Au petit jour, elle réussitenfin à s’endormir et fit un rêve singulier.

Elle pénétrait dans une pièce spacieuse, mais basse et voûtée,comme elle n’en avait encore jamais vu… Tous les murs étaientfinement carrelés de bleu, avec des filets dorés ; des piliersd’albâtre, délicatement sculptés, soutenaient la voûte de marbrediaphane… Un jour rose et pâle filtrait de tous les côtés,éclairant les objets d’une lumière unie et mystérieuse ; descoussins de brocart étaient jetés sur une étroite tapisserieétendue au milieu du plancher, poli comme un miroir. De hautsencensoirs à têtes de monstres fumaient doucement dans les coins dela pièce ; point de fenêtre, seule une porte tendue de velourss’encastrait dans une anfractuosité du mur… Le rideau glissait sansbruit et découvrait… Mucius. Il la saluait, ouvrait ses bras,riait… Ses mains noueuses encerclaient la taille de la jeune femme,ses lèvres sèches brûlaient tout son corps… Elle tombait à larenverse sur les coussins de brocart…

 

Valéria s’éveilla en gémissant de terreur.

Ne comprenant pas encore où elle était, ni ce qui lui arrivait,la jeune femme se mit sur son séant, regarda autour d’elle… Delongs frissons la parcouraient toute… Fabius était étendu à soncôté. Il dormait, mais son visage, à la lumière de la pleine lunequi se montrait à la fenêtre, était blême et douloureux comme celuide la mort. Valéria réveilla son époux.

« Qu’as-tu donc ? s’écria-t-il en la voyant.

— Je viens de faire un rêve… un rêve affreux », murmura-t-elle,encore toute tremblante…

Au même instant, des sons vibrants jaillirent de la croisée dupavillon, et les deux jeunes gens reconnurent la mélodie que leuravait jouée Mucius : le chant de l’amour triomphant.

Fabius regarda Valéria d’un air perplexe… elle ferma les yeux,se détourna, et ils écoutèrent tous deux, retenant leur souffle, lamélopée qui s’élevait encore. Lorsque le dernier son expiradoucement, la lune se cacha tout à coup derrière un nuage etl’obscurité envahit la pièce… Les deux époux reposèrent leur têtesur l’oreiller, sans échanger une parole, et le sommeil surpritchacun d’eux, sans que l’autre s’en fût aperçu.

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