Ubu Roi
Ce drame est dédié à Marcel Schwob
Adonc le Père Ubu hoscha la poire, dont fut depuis nommé parles Anglois Shakespeare, et avez de lui sous ce nom maintes belles tragœdies par escript.
Personnages
PÈRE UBU.
MÈRE UBU.
CAPITAINE BORDURE.
LE ROI VENCESLAS.
LA REINE ROSEMONDE.
BOLESLAS.
LADISLAS.
BOUGRELAS… leurs fils.
LES OMBRES DES ANCÊTRES.
LE GÉNÉRAL LASCY.
STANISLAS LECZINSKI.
JEAN SOBIESKI.
NICOLAS RENSKY.
L’EMPEREUR ALEXIS.
GIRON, PILE, COTICE :Palotins.
CONJURÉS ET SOLDATS.
PEUPLE.
MICHEL FEDEROVITCH.
NOBLES.
CONSEILLERS.
FINANCIERS.
LARBINS DE PHYNANCES.
PAYSANS.
TOUTE L’ARMÉE RUSSE.
TOUTE L’ARMÉE POLONAISE.
LES GARDES DE LA MÈRE UBU.
UN CAPITAINE.
L’OURS.
LE CHEVAL DE PHYNANCES.
LA MACHINE À DÉCERVELER.
L’ÉQUIPAGE.
LE COMMANDANT.
Acte I
Scène I
PÈRE UBU
Merdre.
MÈRE UBU
Oh ! voilà du joli, Père Ubu, vous estes un fort grand voyou.
PÈRE UBU
Que ne vous assom’je, Mère Ubu !
MÈRE UBU
Ce n’est pas moi, Père Ubu, c’est un autre qu’il faudrait assassiner.
PÈRE UBU
De par ma chandelle verte, je ne comprends pas.
MÈRE UBU
Comment, Père Ubu, vous estes content de votre sort ?
PÈRE UBU
De par ma chandelle verte, merdre, madame,certes oui, je suis content. On le serait à moins : capitaine de dragons, officier de confiance du roi Venceslas, décoré de l’ordre de l’Aigle Rouge de Pologne et ancien roi d’Aragon, que voulez-vous de mieux ?
MÈRE UBU
Comment ! après avoir été roi d’Aragonvous vous contentez de mener aux revues une cinquantained’estafiers armés de coupe-choux, quand vous pourriez fairesuccéder sur votre fiole la couronne de Pologne à celled’Aragon ?
PÈRE UBU
Ah ! Mère Ubu, je ne comprends rien de ceque tu dis.
MÈRE UBU
Tu es si bête !
PÈRE UBU
De par ma chandelle verte, le roi Venceslasest encore bien vivant ; et même en admettant qu’il meure,n’a-t-il pas des légions d’enfants ?
MÈRE UBU
Qui t’empêche de massacrer toute la famille etde te mettre à leur place ?
PÈRE UBU
Ah ! Mère Ubu, vous me faites injure etvous allez passer tout à l’heure par la casserole.
MÈRE UBU
Eh ! pauvre malheureux, si je passais parla casserole, qui te raccommoderait tes fonds de culotte ?
PÈRE UBU
Eh vraiment ! et puis après ?N’ai-je pas un cul comme les autres ?
MÈRE UBU
À ta place, ce cul, je voudrais l’installersur un trône. Tu pourrais augmenter indéfiniment tes richesses,manger fort souvent de l’andouille et rouler carrosse par lesrues.
Si j’étais roi, je me ferais construire unegrande capeline comme celle que j’avais en Aragon et que cesgredins d’Espagnols m’ont impudemment volée.
MÈRE UBU
Tu pourrais aussi te procurer un parapluie etun grand caban qui te tomberait sur les talons.
PÈRE UBU
Ah ! je cède à la tentation. Bougre demerdre, merdre de bougre, si jamais je le rencontre au coin d’unbois, il passera un mauvais quart d’heure.
MÈRE UBU
Ah ! bien, Père Ubu, te voilà devenu unvéritable homme.
PÈRE UBU
Oh non ! moi, capitaine de dragons,massacrer le roi de Pologne ! plutôt mourir !
MÈRE UBU, àpart.
Oh ! merdre ! (Haut.) Ainsitu vas rester gueux comme un rat, Père Ubu.
PÈRE UBU
Ventrebleu, de par ma chandelle verte, j’aimemieux être gueux comme un maigre et brave rat que riche comme unméchant et gras chat.
MÈRE UBU
Et la capeline ? et le parapluie ?et le grand caban ?
PÈRE UBU
Il s’en va en claquant la porte.
MÈRE UBU, seule.
Vrout, merdre, il a été dur à la détente, maisvrout, merdre, je crois pourtant l’avoir ébranlé. Grâce à Dieu et àmoi-même, peut-être dans huit jours serai-je reine de Pologne.