Lénore, et autres ballades

LÉNOREIllustrations des classiquesallemands par Eugène Neureutherhttp://gallica.bnf.fr/document?O=N069226

Traducteur anonyme

 

Lénore surgit en tressaillant, réveillé aumatin par des rêves pénibles. – Guillaume, es-tu infidèle ? oubien es-tu mort ? Combien tarderas-tu encore ? –Guillaume était parti avec les troupes du roi Frédéric, avaitassisté à la bataille de Prague, et n’avait pas écrit ce qu’ilétait devenu.

Le roi et l’impératrice, fatigués de leurslongues querelles, adoucirent leur humeur guerrière, et firentenfin la paix. Chaque armée, avec des chants et des cris de joie,au bruit des tambours et des timbales, ornée de branches vertes auchapeau, prit le chemin de ses foyers.

Et partout, sur les grandes routes comme surles sentiers, coururent jeunes et vieux attirés par les chants detriomphe des arrivants. – Dieu soit loué ! s’écriaient enfantset épouses. Sois le bienvenu, disait mainte joyeuse fiancée. – Maispour Lénore, bienvenu et baisers étaient perdus.

Elle questionna le cortège dans toute salongueur et demanda après tous les noms ; mais personne detous ceux qui y étaient ne put lui répondre. Quand l’armée eutdéfilé, elle déchira ses cheveux de corbeau, et se roula à terre entordant ses membres avec fureur.

Sa mère courut à elle. – Oh ! que le cielte prenne en pitié, mon enfant chéri ; quet’arrive-t-il ? – Et elle la serra dans ses bras. – Oh !mère, mère, ce qui n’est plus n’est plus ! Maintenant adieu lemonde et tout le monde ! Dieu n’a pas de pitié !Douleur ! douleur, à moi, malheureuse !

– Grand Dieu, assistez-nous !Enfant, dis un pater, ce que Dieu fait est bien fait. Dieua pitié de nous. – Oh ! mère, mère, vain espoir ; Dieun’a pas bien agi avec moi. À quoi bon ma prière ? elle estmaintenant inutile.

– Grand Dieu, assistez-nous ! Quiconnaît le père sait qu’il vient au secours de ses enfants. Lesaint sacrement adoucira ta douleur. – Oh ! mère, mère, ce quime brûle le cœur ne sera guéri par aucun sacrement : aucunsacrement ne peut rendre la vie aux morts !

– Écoute, enfant : et si dans safausseté cet homme s’était démis de sa foi et avait contracté unenouvelle union dans le pays des Hongrois ? Enfant, abandonneson cœur ; il en sera bien puni, quand corps et ame sesépareront : son parjure le brûlera comme du feu.

Oh ! mère, mère, ce qui n’est plus n’estplus ! ce qui est perdu est perdu ! La mort, la mort futmon lot ! Oh ! si je n’étais née jamais !Éteins-toi, ma lumière, éteins-toi pour toujours ; meurs,meurs dans la nuit et les horreurs. Dieu est sans pitié, Douleur,douleur à moi, malheureuse !

– Grand Dieu, assistez-nous !n’appelez pas votre pauvre enfant devant votre justice, elle nesait pas ce que dit sa langue ; ne lui tenez pas compte d’unpéché. Oh ! enfant, oublie ta douleur terrestre et pense àDieu et à ton salut ; du moins, ton ame ne perdra pas sonfiancé.

– Oh ! mère, qu’est-ce que lesalut ? Oh ! mère, qu’est-ce que l’enfer. Éteins-toi, malumière, éteins-toi pour toujours ; meurs, meurs dans la nuitet les horreurs. Sans lui je ne veux de salut ni dans le ciel nisur la terre.

Ainsi le désespoir se déchaînait dans soncerveau et dans ses veines. Elle continua à invectiver avec audacela providence divine, se meurtrit la poitrine et se tordit lesmains jusqu’au moment où le soleil se coucha, jusqu’au moment où àla voûte du ciel parurent les étoiles dorées.

Et au dehors un bruit – tro, tro, tro, tro,comme les fers d’un cheval et les cliquetis des éperons. Uncavalier descendit à la rampe de l’escalier, puis écoutez, àl’anneau de la petite porte, doucement, légèrement, kling, kling,kling, et à travers la porte s’entendirent ces mots :

– Holà ! ouvre, mon enfant !Dors-tu, ma belle ? es-tu éveillée ? Qu’éprouves-tuencore pour moi ? Pleures-tu ou ris-tu ? – Quoi !Guillaume ! toi, si tard dans la nuit ! J’ai pleuré etj’ai veillé. Ah ! j’ai eu beaucoup de mal ! D’où viens-tuà cheval comme cela ?

– Nous ne sellons nos cheveux qu’àminuit. J’arrive de bien loin, de Bohème. Je me suis levé tard, etje viens te prendre avec moi. – Ah ! Guillaume ! entred’abord, bien vite. Le vent siffle dans les buissons. Entre, monbien-aimé, que je te réchauffe dans mes bras.

– Laisse siffler le vent à travers lesbuissons. Mon noir hennit, l’éperon résonne ; je ne dois pasrester ici. Viens, lève ta robe, enlève-toi et saute derrière moisur mon cheval noir. Je dois aujourd’hui encore courir cent lieuesjusqu’à notre lit de fiancés.

– Eh quoi ! tu voulais aujourd’huicourir cent lieues pour me porter au lit nuptial ? Écoute, lacloche retentit encore qui déjà a sonné onze heures. – Regarde ici,regarde là. La lune luit clair. Nous et les morts courrons vite àcheval. Je te porte, je gage, aujourd’hui encore au lit denoces.

– Oh ! dis-moi où est le réduit quinous recevra… Où ? Comment ! ton lit de noces ? –Loin, loin d’ici, tranquille, frais et petit ; six planches etdeux planchettes. – Y a-t-il place pour moi ? – Pour toi etpour moi. Viens, relève ta robe, saute et enlève-toi. Les convivesde la noce nous espèrent ; la porte nous est déjà ouverte.

– La belle releva sa robe, s’enleva etsauta avec prestesse sur le coursier ; elle serra le cavalierbien aimé de ses mains de lis, et tro, tro, tro, et hop, hop, hop,ce fut un galop si emporté, que cheval et cavalier soufflaient horshaleine,’qu’étincelles et cailloux volaient en l’air.

Comme à droite, à gauche et devant leursregards galopaient les prairies, les champs et la campagne !comme les ponts tonnaient sous leurs pas ! – Ma belleaurait-elle peur ? La lune luit clair. Hourra ! Les mortscourent vite à cheval. Ma belle a-t-elle peur des morts ? –Oh ! non ; mais laisse là les morts.

– Pourquoi ces chants ? pourquoi cessons ? Pourquoi volent les corbeaux ? Écoutez… le son descloches ; écoutez… des chants de morts… « Portons le morten terre. » Et plus près s’avançait un convoi funèbre quiportait bière et brancard ; le chant ressemblait au cri desgrenouilles dans les étangs.

– Après minuit, enterrez le corps avecchants, et cloches, et complaintes. Maintenant je ramène une jeunefemme avec moi, avec moi vers mon lit de noces. Viens, sacristain,viens ici ; viens avec le chœur et hurle-moi le cantique desfiancés. Viens, prètre, et dis la bénédiction avant que nous soyonscouchés dans le lit.

Cessez, cloches et chants… – Le brancarddisparut… Obéissant à son cri impératif… tro, tro, tro ; ceuxqu’il appela accoururent et suivirent de près les fers du chevalnoir. Et hop, hop, hop, toujours plus loin les emportait lebruissant galop, et cheval et cavalier soufflaient horsd’haleine ; étincelles et cailloux volaient en l’air.

Comme à droite et à gauche galopaientmontagnes, arbres et haies ! comme galopaient à gauche, àdroite, à gauche, les villages, les villes et les bourgs. – Mabelle aurait-elle peur ? La lune luit clair. Hourra ! Lesmorts courent vite à cheval. Ma belle aurait-elle peur desmorts ? – Oh ! laisse en paix les morts.

– Voyez ! voyez à l’échafaud, autourdu pivot de la roue danse une bande aérienne. Là… là… bande… ici…viens… bande, viens et suis-moi ; danse-nous le branle desnoces quand nous monterons au lit.

– Et la bande vint, frou, frou, frou,courant après eux et faisant un bruit étrange comme le tourbillonqui rugit dans des buissons de noisetiers à travers des feuillesmortes.

Comme volait tout ce que la lune éclairait àla ronde ; comme tout volait dans le lointain ; commevolaient au dessus d’eux la lune et les étoiles. – Ma belleaurait-elle peur ? La lune luit clair. Hourra ! Les mortscourent vite à cheval. Ma belle a-t-elle pour des morts ? –Grand Dieu ! laisse en paix les morts !

– Mon noir, mon noir, le coq, je croisappelle déjà ; bientôt le sable va se rejoindre. Mon noir, monnoir, je sens l’air du matin. Mon noir, allons vite loin d’ici. –Finie, finie notre course ; le lit de noces s’ouvre déjà. Lesmorts courent vite à cheval. Nous voici, nous voici arrivés.

À bride abattue ils courent vers une portegrillée ; la gaule pliante fit d’un seul coup sauter serrureset verrous. Les battants se fendirent en faisant entendre uncliquetis terrible, et la course continua sur des tombeaux. Despierres mortuaires blanchissaient à l’entour aux rayons de lalune.

– Voyez, voyez soudain, oh !oh ! un miracle effroyable. Le dolman du cavalier tombe pièceà pièce comme de l’amadou pourrie. Un crâne sans cheveux niqueue ; un crâne tout nu, la tête du cavalier ; soncorps, un squelette avec faux et clepsydre.

Haut se dressa, fougueusement hennit le noircoursier, et soufflait des étincelles, et soudain il avait disparusous Lénore et s’était enfoncé sous terre. Des mugissementssortaient du ciel, des gémissements des tombes profondes. Le cœurtremblant de Lénore se tordait entre vie et mort.

Alors dansèrent, brillant à la lune ettourbillonnant en cercle, les esprits affilés en longues chaînes,et hurlèrent ces paroles. – Patience ! patience ! quandmême le cœur se rompt, n’offense pas ton Dieu au ciel. Tu es librede ton corps ; que Dieu ait pitié de ton ame.

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