L’Esclave amoureuse

Chapitre 5

 

Dans la fièvre jaune, il ne meurt guère qu’unmalade sur trois. Après plusieurs jours d’affreux vomissements, desueurs, de hoquets et de prostration, M. de Saint-Elmeentra dans la période de la convalescence. Le docteur avait répondude lui.

Mais comme il était pâle, vieilli etdécharné ! C’est à peine s’il se reconnaissait dans le miroirque Lina, qui ne l’avait pas quitté d’une minute, s’était procurépour lui. La face blafarde, aux dents jaunes, au regard éteint,qu’il contemplait, lui paraissait celle d’un fantôme. Quand il putse lever, ses jambes fléchissaient sous lui ; il courbait ledos, et tremblait de faiblesse.

Appuyé sur le bras de Lina, il put enfin serendre dans un jardin qui se trouvait derrière l’hôpital, et que ledirecteur laissait presque à l’état sauvage. Des lauriers étaientdevenus des arbres de haute futaie, des orangers non greffésmontraient de longues épines vertes ; les bananiers, auxlarges feuilles luisantes, étaient devenus de vastes bosquets, dontles rejetons vivaces poussaient au milieu des allées ; desmagnolias secouaient au vent leurs millions de fleurs parfumées.Grâce aux lianes, jetant leurs cordages d’arbre en arbre,enchevêtrant leur milles racines sur le sol, pour aller fleurir,après de singulières complications, les branches les plus hautes,le jardin tout entier n’était qu’un immense buisson frissonnant etparfumé.

Lina faisait asseoir le convalescent sur unepierre moussue à l’ombre d’un palmier, et ils restaient là delongues heures, se tenant par la main sans dire un mot.

M. de Saint-Elme jouissaitdélicieusement de son lent et graduel retour à l’existence. Il luisemblait qu’il se réveillait après un sommeil de plusieursannées ; ses souvenirs étaient perdus dans une brumelointaine.

La maladie avait dégagé de lui un autre homme.Content de tout, indulgent, rajeuni, et formant mille projetsd’avenir, tout l’enchantait. Il écoutait avec une béatitudesilencieuse et profonde le bourdonnement des insectes, le crichevrotant des gros crapauds aux yeux d’or, au dos couvert deverrues, qui sautelaient sous les feuilles. Le jacassement desperruches le comblait de ravissement et il suivait pendant desheures les allées et venues des tourterelles à collier quiroucoulaient tendrement dans les branches.

Lina ne le quittait pas une minute ; ellerestait accroupie à ses pieds, attendant qu’il manifestât savolonté par quelque signe, prévenant ses moindres désirs.

Presque tous les jours, elle trouvait moyen defaire venir du dehors des livres, des fleurs ou des friandises.

M. de Saint-Elme était plus touchédu dévouement silencieux et passif de son ancienne esclave qu’il nel’eût été des conversations les plus spirituelles et des pluséloquentes protestations.

Il s’était habitué à sa présence ; s’ilétait une minute sans voir à ses côtés la petite mulâtresse, ildevenait inquiet et s’agitait désespérément.

Quant au Dr Joli-Bois, il était devenu l’amide son malade. Il avait même poussé la complaisance jusqu’à luiapporter quelques bouteilles de son « bourgogne ». AussiM. de Saint-Elme s’était juré de récompenser royalementtant de science et d’abnégation.

Mis au courant de ses intentions par Lina, ledocteur répétait tous les jours qu’il n’accepterait pas un dollard’honoraires. M. de Saint-Elme souriait, médecin etmalade étaient enchantés l’un de l’autre.

M. de Saint-Elme se trouvaitmaintenant assez fort pour faire tous les jours dans le jardin unecourte promenade au bras de Lina. Il goûtait la beauté desombrages, l’éclat et le parfum des fleurs, les formes changeantesdes nues amoncelées par les vents ou dispersées sous leur souffle,comme un naufragé qui prend terre après de longs mois de privationset d’angoisses.

– Désormais, disait-il parfois, je neveux plus quitter les grands bois et les ruisseaux de ma propriétéde « l’Homme-Rouge ». Je déteste la ville.

Lina ne répondait rien, mais son cœur seserrait à la pensée que son maître, une fois guéri, elle devrait seretirer récompensée par quelques pièces d’or.

Grâce au Dr Joli-Bois,M. de Saint-Elme n’habitait plus la salle commune, sanscesse dépeuplée par l’expéditive philanthropie des infirmiers.Moyennant une indemnité de quelques dollars, on lui avait aménagé,dans les combles de l’habitation du directeur, une chambre propreet gaie, d’où la vue embrassait le panorama de la ville et desbois, et le cours majestueux du Mississippi dont les flotsbalançaient des milliers de navires.

D’ailleurs, M. de Saint-Elme avaitreçu de son domaine d’excellentes nouvelles. En son absence,Vulcain avait diligemment administré la propriété. La récolte decannes avait été superbe et celle du coton, quoique moinsavantageuse que l’année précédente, très satisfaisante.

Deux ou trois fois, Vulcain vint voir sonmaître et lui apporter de l’argent, du linge, et quelquescorbeilles de beaux fruits. Dès que M. de Saint-Elme putse lever, Vulcain eût voulu le ramener avec lui. On eut grand-peineà modérer son impatience.

Enfin, le Dr Joli-Bois déclara, un beau matin,que le malade était parfaitement guéri et lui donna la liberté departir quand il le voudrait.

M. de Saint-Elme fixa son départ ausurlendemain. Il était pâle encore, ses traits amaigris, sa barbeplus grise et sa démarche un peu chancelante, montraient qu’ilavait vu de près les portes de la mort. Mais il était jovial etcontent comme un enfant. Il éprouvait cette sensation délicieusedes premières forces qui reviennent, de l’appétit qui renaît, queconnaissent les convalescents. Il comprenait combien la vie estbonne en elle-même.

Ce jour-là, il dîna joyeusement, servi parLina, d’une poitrine de dindon sauvage et d’une corbeille depâtisseries que le Dr Joli-Bois lui avait envoyée en même temps quedeux bouteilles de son vin. Après le repas, il alluma un cigare ets’accouda à la fenêtre en écoutant tout pensif les rumeurs de laville au-dessus de laquelle se balançait un dôme de fuméeschatoyantes.

Pendant ce temps, agile et pieds nus, Linadesservait sans bruit pour ne pas troubler la rêverie de sonmaître.

M. de Saint-Elme écrivit ensuitedeux lettres, l’une à son banquier, l’autre à Vulcain, auxquels ildonnait rendez-vous pour le surlendemain.

Il ferma et cacheta ces missives ensifflotant.

– Je sens, dit-il, que je vais biendormir cette nuit. Tu ne peux te figurer, petite Lina, combien jesuis heureux. Tu peux te retirer maintenant, mais prends ceslettres et mets-les toi-même à la poste sans perdre de temps.

Lina s’empressa d’obéir et souhaita gentimentle bonsoir à son maître.

M. de Saint-Elme la regardalongtemps avec une complaisance paternelle.

Les cheveux enveloppés d’un foulard de soiejaune et rouge, elle était simplement vêtue d’une robe de cotonnadebleue sous laquelle se dessinait son corps souple et cambré, avecdes mouvements brusques et langoureux comme ceux des félins.

Dans ses grands yeux veloutés et limpides, ilne restait plus trace des fièvres malsaines de naguère. La débaucheavait passé sur cette petite âme naïve sans la ternir. Ses traitss’étaient rassérénés ; la bouche avait repris un sourireinnocent. Les cicatrices des rixes et des coups de couteau avaientdisparu, ne laissant plus que d’imperceptibles marquesgrisâtres.

Elle était plus belle peut-être (de la beautéanimale et brutale de celles de sa race), que lorsque après la mortde Mme de Saint-Elme elle avait quitté« l’Homme-Rouge ».

Prestement, elle se glissa hors de l’hôpitalet se lança dans le dédale des rues. Sous les derniers rayons dusoleil couchant, la ville paraissait profondément désolée etmorne.

Bien que l’épidémie touchât à sa fin, il étaitmort tant de monde que des rues entières étaient vides de leurshabitants.

Partout, des fenêtres fermées, des carreauxbrisés, des écriteaux se balançant au vent. Toute une atmosphèremélancolique qui semblait rayonner des édifices abandonnés commel’auréole de phosphore morbide dont Edgar Poe a entouré la maisonUsher. Des figures maigres et jaunes filaient le long des murs d’unair craintif. Une âcre poussière prenait à la gorge, avec un goûtfade de pourriture.

Les riches étaient partis, les pauvres étaientmorts.

Lina, sitôt ses lettres jetées à la boîte, eutl’idée de passer devant la maison de sa mère dont elle n’avait pluseu de nouvelles.

En longeant les quais, elle aperçut au milieud’une équipe de portefaix M. Growlson, qui, la barbe inculteet les mains noires, aidait au déchargement d’un grand voilier.

Ses vêtements de toile étaient souillés degoudron et de boue. De ses mains, veuves de leurs bagues, ilroulait des barils de ciment avec un entrain superbe. On eût ditqu’il n’avait fait que cela toute sa vie.

Lina, facilement apitoyée, s’approcha pour luiparler.

Mais le Yankee n’eut à sa vue qu’un motordurier et qu’un juron. Il lui tourna le dos avec mépris.

M. Growlson, guéri par hasard, maistotalement dépouillé, était en train de recommencer sa fortune.

Lina continua sa route. Comme elle passaitdevant l’établissement de M. Bonbon, elle n’eut que le tempsde se garer pour ne pas être écrasée par un landau lancé à toutevitesse. Sous un baldaquin de soie blanche, Jemmy et Polly,couvertes de bijoux, engoncées dans d’énormes crinolines etcoiffées de minuscules toques à plumes, se prélassaient aux côtésd’un Espagnol à larges moustaches qui les couvrait d’un regard à lafois protecteur et méprisant.

Avec son long nez, son teint ocreux et seslongs favoris pendants, on eût dit d’un bouc convoyant deux goules.Deux goules, vraiment, presque deux squelettes.

Deux squelettes, vraiment ! Elles enavaient l’air, tant leurs pommettes fardées faisaient saillie surleur visage maigre, tant leurs grands yeux bleus scintillaient defièvre au milieu d’un halo de bistre qui semblait vouloir rejoindreleur bouche bleue et mince, malgré le vermillon.

Dans la rapidité de leur fuite, Lina eut letemps d’apercevoir Polly boire à même un flacon en renversant sontorse décharné.

Elle haussa les épaules avec un mépristranquille et reprit le chemin de la maison de Vénus.

La nuit était tombée brusquement et dans lapénombre bleue du soir, silencieux et frais, les passants sefaisaient plus nombreux par les rues. Des lumières brillaient, descouples se glissaient le long des avenues. Toute une vie nocturnes’éveillait après la pesanteur accablante du jour. Des nègresnonchalants allumaient les réverbères.

Lina, comme toute la ville, aspira avec délicela fraîcheur. Elle sentit que le fléau s’était éloigné.Inconsciemment, elle ralentit le pas, dodelina des hanches etreprit son allure insouciante de jadis.

En arrivant vers le faubourg, sa gaietédisparut. Les pillages et les vols qui suivent les épidémies defièvre jaune avaient dévasté le quartier. Les lanternes étaientbrisées, les palissades rompues.

Lina se sentit froid au cœur en n’apercevantde loin aucune lumière aux fenêtres de la maison de sa mère.

Elle se rapprocha et faillit s’évanouir à lavue d’un désastre qu’elle ignorait. L’incendie avait laissé làl’estampe de sa main noire. La maisonnette n’était plus qu’un amasde ruines.

Déjà des plantes et des arbustes avaientpoussé leurs racines. Sur le rebord de la fenêtre demeurée intacte,une chatte grise et jaune miaulait désespérément.

Lina s’enfuit, les yeux gonflés de larmes etregagna l’hôpital en toute hâte.

Tout dormait. Quelques gémissements partaientde la salle commune. Lina eut la vision du mulâtre Williamétouffant sous des oreillers un malade récalcitrant.

Elle remonta, tremblante de peur et remplied’une tristesse qui touchait au désespoir. Elle ouvrit doucement laporte de la chambre où reposait M. de Saint-Elme.

Sous la moustiquaire de gaze, il dormaitlégèrement penché sur le côté droit, du sommeil lourd et, pourainsi dire, substantiel du convalescent.

Lina s’approcha doucement et doucement écartales rideaux du moustiquaire et embrassa le dormeur à pleinebouche.

M. de Saint-Elme poussa un soupir ettendit les mains en souriant, mais ne se réveilla point. Linasourit aussi et toute consolée alla s’étendre sur la natte où ellecouchait chaque soir dans une petite pièce contiguë et d’où ellepouvait surveiller le sommeil du malade.

Le lendemain, M. de Saint-Elmes’éveilla d’excellente humeur. Un coiffeur qu’il avait fait venirlui tailla la barbe et les cheveux et l’accommoda le plus galammentdu monde. Et, quand il eut endossé une chemise de soie à petitesfleurs et un complet de coutil tout neuf à boutons de nacre etcoiffé un panama souple et léger qui lui avait coûté une centainede dollars, il se sentit tout guilleret.

Il était rempli d’une bienveillanceuniverselle. Il alla faire visite au directeur de l’hôpital,personnage insignifiant et indifférent, et le trouva pleind’esprit. Il ne le quitta pas sans insister chaleureusement pourqu’il passât une huitaine de jours, en villégiature à« l’Homme-Rouge ».

Le Dr Joli-Bois, qui était venu, selon sonusage, siroter un verre de crème des Barbades avec son patient, futhonoré d’une semblable invitation.

M. de Saint-Elme lui assura qu’ilpouvait user du domaine comme s’il eût été le sien propre et qu’à« l’Homme-Rouge » la meilleure chambre et la placed’honneur à la table de famille lui seraient toujours réservéestant qu’il vivrait.

– D’ailleurs, ajouta-t-il, il ne faut pastarder à venir me voir ; comme je vous l’ai déjà dit, je vousréserve une surprise.

Le docteur cligna de l’œil et fit le gros dosen songeant qu’il allait enfin recevoir le loyer de ses peines.

– Surtout, mon cher malade, ne vousmettez pas en frais. Voulez-vous que je parle franchement ?Savez-vous ce qui me ferait le plus de plaisir ? Une douzainede bouteilles de votre vieux rhum d’habitation. Je sais que vous enavez d’extraordinaire.

– Vous serez satisfait ; j’ai de laGrappe-Blanche qui a cinquante ans de fût, un véritable velours enbouteilles.

Le docteur eut un joyeux clappement delangue.

– Je ne voudrais point dégarnir votrecave, dit-il.

– N’ayez crainte. Vous aurez quand mêmela petite surprise.

M. Joli-Bois, dûment rafraîchi etréconforté, prit congé de son malade pour aller faire un tour dansles salles. M. de Saint-Elme demeura seul avec Lina.

La petite mulâtresse paraissait soucieuse,quoiqu’elle eût fait ce jour-là des frais de toilette inusités. Sescheveux, si noirs qu’ils avaient dans la pénombre des refletsviolets, étaient ornés d’une grappe de jasmin jaune et un beauruban rouge tout neuf enserrait sa taille onduleuse et ployantecomme les grands bambous du Meschacébé.

– Eh bien ! Lina, ditM. de Saint-Elme en caressant de la main les bouclescrêpelées de cette chevelure, d’où s’exhalait un arôme sauvage depoivre et de musc, pourquoi ne me dis-tu rien aujourd’hui ?Aurais-tu quelque chagrin ?

– Oui.

– Mais pourquoi ?

– Vous êtes guéri, maître ; vousallez quitter l’hôpital et la pauvre Lina qui vous aime tant nevous verra plus.

– Que veux-tu donc faire ? demandaM. de Saint-Elme qui, tout à coup, se sentait ému.

– Hélas ! je ferai commeautrefois ; j’irai dans les cafés à musique sourire et boireavec les messieurs pour nourrir ma mère et son petit amoureux.

– Tu veux donc me quitter ? Tu m’asbien soigné pourtant.

– Je ne puis retourner à« l’Homme-Rouge » ; vous m’avez vendue. Et puis vouspenseriez trop en me voyant à la pauvreMme Léonore, et cela vous ferait saigner lecœur.

M. de Saint-Elme s’était levé. Iln’y avait sur son visage aucune trace de mécontentement ou detristesse. Ce fut d’un ton calme, presque joyeux, qu’ildit :

– Je n’en veux pas àMme Léonore. Je lui ai pardonné sa trahison ;j’espère que Dieu me pardonnera sa mort. Ce n’était pas elle que jevoulais tuer…

Il sourit d’un air contraint et passa sa mainsur son front.

– Tout cela, continua-t-il, c’est dupassé. J’ai fait murer les portes de la chambre du meurtre.Maintenant je veux vivre sans souci et sans remords. Je veux aussique la porte des mauvais souvenirs soit murée dans ma mémoire.

« Le bonheur est une chose si faible etsi fragile ! »

Lina ne comprenait pas très bien. Ce qui luiapparaissait de plus clair dans toutes ces phrases, c’est qu’elleallait rentrer à « l’Homme-Rouge ». Elle sauta de joie etgambada par la chambre. Puis, caressante et les yeux humides, elles’agenouilla sur la natte et baisa fervemment la main amaigrie deson maître.

– Alors, je pourrai ne pas vousquitter ?

– Je t’emmène, c’est entendu. Seulement,comme tu es libre, tu ne seras pas forcée de travailler. Tu ferasce que tu voudras. Je t’obligerai seulement à cueillir les bouquetsdans le parc pour la salle à manger et le parloir et à me tenircompagnie au repas du matin.

– Oh ! que je suisheureuse !

– Seulement, il ne faudra pas prendrepour amants les noirs et les mulâtres de l’habitation.

– Et les blancs ?

– Les blancs non plus.

– Mais qui donc alors ? demanda Linaavec une inquiétude naïve.

M. de Saint-Elme sourit. Puis,reprenant son air sévère :

– Personne, tu m’entends ?

– Cela suffit, s’écria Lina un peupiquée. Vous savez bien que je ne suis pas une coureuse.

M. de Saint-Elme réprima àgrand-peine une violente envie de rire.

– Non, tu es une bonne fille. Je tegarderai avec moi à l’habitation, tant qu’il te plaira d’yrester.

Il fut convenu que M. de Saint-Elmese coucherait de bonne heure et se lèverait tôt pour faire quelquescourses indispensables.

Lina, qui voulait, malgré tout, s’informer desa mère avant son départ définitif pour« l’Homme-Rouge », devait se retrouver avant midi aurestaurant Messonnier où M. de Saint-Elme avait donnérendez-vous au « commandeur » Vulcain.

Lina qui, silencieusement, avait pour ladernière fois, sans doute, rangé la chambre de son maître, avec quielle allait descendre au jardin, fut prise tout à coup d’unsingulier scrupule.

– Je ne veux pas, dit-elle, retourner à« l’Homme-Rouge », si je ne suis pas redevenue votreesclave.

– Eh bien ! c’est entendu. Tu serasmon esclave.

– Oh ! mais vous ne me comprenezpas ! Je suis libre, je me revends à vous.

– Soit. Je te rachète… et au prix que tuvoudras. Tu as besoin d’argent, petite coquine.

Lina fut si irritée de cette suppositionqu’elle lança contre le mur, avec fureur, le flacon de cristalencore à demi-plein d’eau des Barbades.

– Je ne suis pas une catin,s’écria-t-elle, les mains tremblantes, les narines gonflées defureur. Je ne veux pas vous tirer de l’argent ; seulement,j’exige que vous me donniez une piastre et que vous fassiez dresserle contrat de vente. Comme cela, je serai sûre de vousappartenir.

Et elle ajouta, tout de suite souriante, enbalançant coquettement ses hanches :

– Je vaux bien une piastre, tout demême.

– Et qu’en feras-tu de cettepiastre ?

– Je la ferai percer par Midas, leforgeron de l’habitation, et je la suspendrai à mon beau collier decorail. Ce sera mon bijou le plus chéri.

– Tiens, fit M. de Saint-Elme,délicieusement remué, voici un aigle d’or et je t’achèterai, dèsdemain, une chaîne d’or bien solide, plus belle que ton collier decorail. Puisque tu veux être esclave, il faut porter deschaînes.

– Et l’acte de vente ?

– Ne t’inquiète pas ; je m’enoccuperai. Voilà la première fois que j’achète une esclave aussibon marché.

L’esclave cacha soigneusement l’aigle d’ordans un coin de son mouchoir et descendit avec son maître aujardin.

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