L’Homme au masque de fer

Chapitre 2LE CHEVALIER GASCON

Le même jour, vers sept heures du soir, lasalle principale de l’hostellerie du Plat d’Étain, situéeau cœur du charmant village de Dampierre, était remplie d’une foulede voyageurs qui s’apprêtaient à faire honneur à la cuisine demaître Eustache Collin, dont la renommée s’était répandue àplusieurs lieues à la ronde.

Devant une cheminée dans laquelle flambait ungrand feu de bois, maître Collin, énorme gaillard coiffé d’unbonnet blanc qui touchait presque au plafond, une louche à la main,imposant et quasi sacerdotal, surveillait les volailles dodues etdéjà à moitié dorées qui rôtissaient au rythme régulier d’uncolossal tournebroche.

Sa femme, dame Jeanne, encore plus corpulenteque lui, s’agitait, suant, soufflant, et s’évertuant à placer deson mieux ses chalands qui, en attendant les meilleurs morceaux, sedisputaient les meilleures places !

Tout son monde étant casé, elle se dirigeaitvers son comptoir, afin d’y lamper le verre de vin clairet qu’elleavait si bien mérité, lorsqu’une voix juvénile s’éleva sur leseuil, claironnant avec un accent gascon plein de bonnehumeur :

– Bonsoir, tout le monde !

Tous les yeux se dirigèrent vers le nouvelarrivant. C’était un beau garçon de vingt-cinq ans à peine, à lafigure à la fois souriante et énergique, à la bouche bien dessinéesous une petite moustache, au menton volontaire que marquait àpeine la virgule d’une barbichette. Ses yeux pétillants de malice,sans la moindre méchanceté, provoquaient immédiatement lasympathie, tant ils n’exprimaient qu’un désir de plaire à chacuneet d’être bien avec tous.

Dame Jeanne répondit d’un toncordial :

– Bonsoir, monsieur le cavalier.

Le nouvel arrivant, qui avait dû laisser samonture à l’écurie, était botté, éperonné, son costume, formé d’unjustaucorps, s’ouvrait sur une chemise en toile écrue. Sonpantalon, serré à la taille par un ceinturon auquel était attachéeune solide rapière, était d’un gris uniforme qu’il devait beaucoupplus à la poussière des chemins qu’à sa couleur naturelle.

La plantureuse hôtelière était beaucoup tropaltérée pour pousser plus loin les politesses préliminaires, etelle continua à se diriger vers la bouteille, objet de seslégitimes désirs, ce qui ne parut nullement offusquer le beau jeunehomme. Pénétrant dans la salle, il promena autour de lui un regardcirculaire, cherchant un coin où il pourrait bien s’asseoir.

Comme il n’en trouvait point, il s’approchad’un jeune gentilhomme de mise élégante, qui occupait seul unepetite table placée près d’une fenêtre.

– Monsieur, fit le cavalier, sedécouvrant avec politesse, serais-je indiscret en vous demandant debien vouloir me permettre de m’asseoir en face de vous ?

D’un air hautain, le gentilhommerépliquait :

– Je ne vous connais point,monsieur !

– Souffrez que je me présente :chevalier Gaëtan-Nompar-Francequin de Castel-Rajac.

Froidement, et répondant à peine au salut deson interlocuteur, l’homme interpellé ripostait avec un légeraccent italien :

– Comte Julio Capeloni, de Florence.

– Un beau pays, déclarait Gaëtan, de plusen plus aimable. Je n’y suis jamais allé, mais j’ai ouï-dire parmon aïeul paternel, qui y avait quelque peu guerroyé, que Florenceétait une des plus belles villes du monde.

Ce compliment parut impressionnerfavorablement Capeloni, car il reprit :

– Moins belle que votre Paris, monsieurle chevalier, puisqu’il sait si bien attirer à lui les habitantsdes pays les plus reculés du monde.

– Monsieur le comte, reprenaitCastel-Rajac, je crois qu’après cet échange de politesses, noussommes destinés à nous entendre le mieux du monde. Voilà pourquoije me permets de vous renouveler la demande que je viens d’avoirl’honneur de vous adresser… Voulez-vous m’accepter comme voisin detable ? Vous m’obligeriez infiniment, car je viens de fairevingt lieues à francs étriers… Je meurs de faim, je crève de soif,et cela doit suffire pour que vous ayez pitié de moi.

Gagné par l’entrain du jeune Gascon quisemblait incarner si richement toutes les qualités de sa race,Capeloni, d’un geste gracieux, l’invita à s’asseoir en face delui.

Et, frappant sur la table, il lança sur le tond’un familier de la maison :

– Hé là ! dame Jeanne, il vousarrive de province un jeune loup qui a les dents longues. Il s’agitde le rassasier au plus vite car, sans cela, il est capable de vousdévorer toute crue…

Dame Jeanne, qui avait eu le temps d’avalernon pas un, mais trois verres de vin, s’approcha aussitôt de sonhôte, qui devait être un client important, car, tout de suite, elledit avec un empressement qui n’était pas précisément dans seshabitudes :

– Que faut-il servir à cemonsieur ?

Immédiatement, Castel-Rajacrépliquait :

– Tout ce que vous avez de meilleur.

Et, frappant sur sa ceinture, ilajouta :

– J’ai de quoi vous régler la dépense. Jeviens de faire un héritage… celui d’un oncle qui m’a laissé… centpistoles.

Rassurée, dame Jeanne s’en fut aussitôt donnerses ordres à l’une des jeunes servantes chargées de répartir laboisson et les vivres entre tous ces ventres affamés qu’ils’agissait de satisfaire. Moins de trois minutes après, devant unverre rempli d’un petit vouvray clair comme un rayon de soleil,Gaëtan-Nompar-Francequin de Castel-Rajac attaquait vigoureusementune énorme tranche de pâté en croûte.

L’Italien, qui en était déjà à la moitié deson repas, regardait le Gascon dévorer avec une expression desympathie évidente.

– Alors, mon cher chevalier, fit-il aubout d’un instant, vous êtes venu uniquement à Paris dans le butd’y faire ripaille ?

– Oui et non ! éluda le jeunehomme.

– Cela m’étonnait aussi qu’un gentilhommede votre allure s’amusât à faire plus de cent cinquante lieues àcheval pour venir y manger et y boire quelques dizaines depistoles !

– Mordious, vous avez raison !approuvait l’excellent Gaëtan, qui vida d’un trait son verre devin.

Le comte le remplit aussitôt et, élevant lesien, qu’il n’avait pas encore approché de ses lèvres, ildit :

– Chevalier, buvons à nosamours !

– Aux vôtres ! rectifia Gaëtan.

– Aux vôtres aussi, insista son voisin detable.

Avec une naïveté non feinte, le jeune cavaliers’exclamait :

– Ah ça ! comment avez-vous devinéque j’étais amoureux ?

– D’abord parce qu’à votre âge, et avecvotre tournure, on l’est toujours.

– À mon âge, oui, mais… quant à matournure… je crois que, mon cher comte, vous me flattez un peutrop… Je ne suis qu’un gentilhomme campagnard qui, jusqu’alors,ayant toujours vécu au fond de sa province, ignore les grandesmanières de la Cour et surtout l’art de parler aux femmes.

– Je suis sûr, au contraire, protestaitl’Italien, que vous ne comptez plus vos succès !

– Là-bas, dans mon pays, auprès d’Agen,je reconnais que j’ai remporté quelques avantages…

– Et vous voulez augmenter, ou plutôtcouronner la série de vos exploits en ajoutant à vos conquêtes deterroir celle d’une jolie Parisienne !

Toujours avec la même franchise, Gaëtanrépliquait :

– C’est déjà fait, mon chercomte !

– Cela ne m’étonne pas. En amour comme enamitié, je vous crois capable de toutes les prouesses.

Et, tout en posant son coude sur la table eten remplissant pour la troisième fois le verre du beau Gascon, ilajouta :

– Racontez-moi l’histoire de cetteconquête.

– Oh ! après tout, faisaitCastel-Rajac, je puis bien le faire sans manquer aux lois del’honneur, car, quand bien même le voudrais-je, il me seraitimpossible de vous révéler le nom de celle qui, pendant huit jours,m’a rendu le plus heureux des hommes.

L’Italien, qui semblait de plus en plusintéressé, conclut :

– L’aventure devient de plus en pluspiquante, et j’ai hâte d’en connaître la suite.

Et, tout en mangeant, carGaëtan-Nompar-Francequin méritait ce nom de loup affamé que luiavait donné son compagnon de souper, il reprit sur un ton de bonnehumeur et de franchise :

– Quelques mots d’abord sur moi.Oh ! ce ne sera pas long, car je suis de ceux qui, àvingt-cinq ans, n’ont pas de bien longues histoires à conter. Jesuis le fils unique du baron de Castel-Rajac, ancien page, puisécuyer de Sa Majesté Henri IV, et qui, depuis l’arrivée au pouvoirde Son Éminence le cardinal Richelieu, vit retiré dans son manoir,si tant est qu’on puisse appeler ainsi la pauvre maison à moitié enruine qui, avec trois maigres fermes, quelques vignes, un étang etun bois de cinquante arpents constitue tout son patrimoine, destinéà devenir le mien, le plus tard possible, si Dieu daigne levouloir !

» Ma mère passe son temps à s’occuper dessoins de la maison, à prier dans l’église du village, à visiter lesmalheureux et à les soulager de ses soins les plus touchants, enmême temps que de ses maigres aumônes. C’est donc vous dire quej’ai été élevé devant un horizon beaucoup trop étroit pour êtretourmenté par des ambitions très vives.

» Dans mon enfance, cependant, émerveillépar les récits de mon aïeul, de mon père et de leurs compagnonsd’armes, je rêvais d’être à mon tour soldat, officier, et de mebattre pour accomplir, moi aussi, de vaillantes prouesses. J’avais,tout jeune, appris à monter à cheval avec un ancien écuyer du braveCrillon, et les armes avec un vieux maître qui vivait retiré dansnotre pays et se targuait, à juste titre, d’avoir appris l’art detuer son prochain aux plus illustres capitaines de ce temps. C’estainsi que je devins un cavalier assez solide et un escrimeur, mafoi, tout aussi bon qu’un autre.

» Lorsque, ayant atteint ma dix-septièmeannée, je fis part à mes parents de mon projet de m’enrôler dansles armées de Sa Majesté, mon père s’y opposa, sous prétexte que,n’ayant aucune protection à la Cour, quelle que fût ma valeur, jerisquais fort de végéter dans les grades subalternes.

» Peut-être aurais-je passé outre à lavolonté paternelle, mais je ne pus résister aux larmes de ma mère,qui m’adjura si tendrement de renoncer à mon projet, que je luicédai et que je restai au pays, me contentant de guerroyer contreles chevreuils, les cerfs, les sangliers et les loups.

» Je vécus ainsi, non dans la joie, maissans ennui, dépensant mes forces en courses, en galopades, enexercices de toutes sortes, jusqu’au jour où, sur la grande routed’Agen, j’eus l’occasion, une nuit, de dispenser un coup d’épée àtrois ou quatre vauriens – je ne sais combien au juste – quiavaient eu l’audacieuse insolence de s’attaquer à un carrosse danslequel se trouvait une jolie voyageuse évanouie.

– Voici le roman qui commence, soulignal’Italien.

Castel-Rajac, qui avait profité de cetteinterruption pour vider un nouveau verre de vin,reprenait :

– En effet ! Et quel roman ! Lecocher et les laquais de ma belle inconnue, qui avaient tous étéplus ou moins blessés au cours d’une rencontre où ils neparaissaient point avoir déployé des prodiges de valeur, selamentaient, incapables de porter secours à leur maîtresse. Je meprécipitai vers elle et je me demandais comment j’allais bien m’yprendre pour la ramener à la vie, lorsque ses yeuxs’ouvrirent ! Mordious ! quels yeux !… à fairedamner un évêque ! Me prenant sans doute pour l’un de sesagresseurs, elle me supplia, d’une voix que j’entendraitoujours :

» – Faites de moi ce que vous voudrez,mais laissez-moi la vie !

» – Madame, répondis-je à l’adorablecréature, que sa frayeur rendait encore plus aguichante, croyez queje n’ai nullement l’intention d’abréger vos jours ; je nedemande, au contraire, qu’à vous servir. Je suis le chevalier deCastel-Rajac ; je dépose à vos pieds l’hommage de mon respectet de mon dévouement le plus absolu.

» La voyageuse, visiblement rassurée parces paroles, répliqua :

» – Monsieur, je vous sais gré de votreattitude si courageuse. Je tiens donc à vous en exprimer tout desuite ma reconnaissance. Et puisque vous me l’offrez si galamment,puis-je vous demander de rallier mes gens et de me conduirejusqu’au village le plus rapproché, où je pourrai trouver ungîte ?

» Je ne pouvais qu’acquiescer à une tellerequête.

» Je ne vous cacherai pas, mon chercomte, que j’étais déjà follement amoureux de mon exquise inconnue.Je fis donc ce qu’elle me demandait. Je ravivai le courage de sesserviteurs, je convainquis le cocher de reprendre ses chevaux enmains et les deux laquais de regagner leur place à l’arrière ducarrosse, et, sautant en selle, je conduisis sans encombre monadorable voyageuse jusqu’au village de Saint-Marcelin, situé à unedemi-lieue de là, où il y avait une hostellerie qui, sans êtreaussi accueillante que celle-ci, n’en offrait pas moins un gîteconvenable.

» Je réveillai les tenanciers que jeconnaissais, et qui s’empressèrent de mettre leur meilleure chambreà la disposition de la jeune femme dont la richesse de l’équipagene pouvait que favorablement disposer les patrons du Faisand’Or.

» Je l’aidai à descendre de carrosse.Lorsqu’elle posa sa main sur mon poignet, je sentis comme unfrisson me parcourir. Alors, elle me regarda. J’en fus commeétourdi, grisé, car il venait d’allumer en moi un incendie aussisubit que dévorant et, dans un geste spontané et respectueux, jelui saisis la taille et l’attirai vers moi.

» À peine avais-je esquissé ce mouvementque je le regrettai : car j’étais persuadé que j’allais êtrerepoussé ; mais il n’en fut rien… Elle me sourit, aucontraire. Ah ! mordious ! ce sourire… Il acheva dem’affoler à un tel point que ma bouche s’approcha de la sienne etque nos lèvres s’unirent !

» Je dois dire, d’ailleurs, mon chercomte, quitte à passer pour un fat, que la charmante femme ne fitrien pour éviter ce baiser.

» Une minute après, je pénétrai avec elledans l’hostellerie, et au moment où elle mettait le pied sur lapremière marche de l’escalier qui conduisait à sa chambre, elle setourna vers moi et me dit à voix basse :

» – Allez m’attendre sous ma fenêtre,allez !

» Je crus que je rêvais. Il n’en étaitrien car, ayant obéi et m’étant rendu devant l’hostellerie, jen’attendis pas plus de cinq minutes pour voir, à la hauteur dupremier étage, au-dessus d’une porte encadrée de pilastres, unebaie vitrée s’ouvrir lentement et laisser apparaître, dans un rayonde lune, la tête blonde de mon inconnue.

» Elle se livra à une pantomime quisignifiait clairement : « Tâchez de venir me rejoindresans que personne s’en aperçoive. » Ce soir-là, je me sentaisde taille à escalader les murailles les plus hautes. Aussi, fût-cepour moi un jeu d’enfant de grimper le long d’un des pilastresjusqu’à la baie derrière laquelle le bonheur semblait m’êtrepromis.

» Mes prévisions se réalisèrent bienau-delà de mes espérances !

» Quelle était cette femme, medemandez-vous, n’est-ce pas ? Je ne saurais vous le dire, carnon seulement elle refusa de me révéler son nom, mais elle me fitjurer de ne pas interroger ses serviteurs à ce sujet et derespecter son incognito.

» Nous dûmes nous séparer quand le soleilse leva. Je repartis par le même chemin et je rentrai chez moi,ravi de cette aventure à laquelle, cependant, je n’attachais pasune excessive importance. Mais je ne tardai pas à m’apercevoirqu’elle avait pris une place tellement importante dans ma vie,qu’elle allait la bouleverser de fond en comble.

» En effet, mon entrevue avec lamystérieuse femme avait laissé en moi une empreinte telle que,désormais, je ne rêvais plus qu’à elle, si bien que je tombai dansun état d’ennui et bientôt de chagrin tel que ma mère, sans sedouter de la raison pour laquelle je me morfondais et dépérissaisainsi, fut la première à me conseiller de partir en voyage, afin deme distraire et de retrouver cette gaieté qui, ainsi qu’elle me ledisait, mettait du soleil partout où je passais. »

L’Italien, qui semblait de plus en plusintéressé par l’histoire que le jeune Gascon narrait avec sonimpétuosité habituelle, demanda :

– Sans doute avez-vous cherché àretrouver la trace de votre belle inconnue ?

– Parbleu ! Si je lui avais promissur l’honneur de ne point interroger ses gens, je n’avais pointjuré de me montrer aussi discret envers les hôteliers. Dès lelendemain, je me rendais à Saint-Marcelin, et j’interrogeai lapatronne du Faisan d’Or, qui me déclara qu’à certainspropos qu’elle avait surpris entre le cocher et l’un des laquais,leur maîtresse devait être une très grande dame de la Cour, qui,exilée par le cardinal de Richelieu, voyageait en nos lointainesprovinces afin de tuer le temps, ou… pour tout autremotif !

» Ces renseignements ne suffirent point àma curiosité, et je me mis à battre les environs et à m’informer detoute part.

» J’appris alors, monsieur le comte, lachose la plus extraordinaire, la plus inouïe, la plusinvraisemblable… Ça, par exemple, je ne vous le dirai jamais.

– Et si je vous le disais, moi ? ditassez énigmatiquement l’Italien.

– Ah ça ! vous êtes doncsorcier ?

– Et qui sait ?

– Voyons un peu !

Se rapprochant de son interlocuteur etbaissant discrètement la voix, Capeloni murmura :

– Marie de Rohan-Montbazon, duchesse deChevreuse !

Gaëtan eut un sursaut, qui était un aveu. Et,littéralement ahuri, il reprit, avec un accent de savoureusecandeur :

– Ça, par exemple, je me demande commentvous avez pu… ?

Puis, se reprochant déjà d’en avoir trop dit,il voulut protester :

– Vous vous trompez, mon cher comte, cen’est point…

D’un geste amical, l’Italien l’interrompit,tout en disant :

– Que diriez-vous si je vous conduisaisprès d’elle ?

Cette fois, entièrement désarmé, Castel-Rajacbalbutia :

– Vous vous moquez de moi…

– Nullement, mon cher chevalier. Vousm’inspirez, au contraire, une très vive sympathie, et je vousrendrai d’autant plus volontiers le service de vous conduire prèsde la dame de vos pensées que je sais pertinemment que votreprésence ne lui sera nullement désagréable.

– Comment, elle vous a dit !…

– Rien, mais je sais, par une mienne amieà laquelle elle ne cache rien, qu’elle a gardé de son aventure àl’hostellerie du Faisan d’Or un souvenir des plusagréables.

– Ah ! mon cher comte, s’écriaGaëtan, débordant d’enthousiasme, béni soit le ciel qui m’a faitvous rencontrer dans cette maison ! Sans vous, je crois que jen’eusse jamais osé aborder de front celle à qui, depuis près d’unan, je ne cesse de penser nuit et jour, à un tel point que, dès quej’ai su qu’elle était revenue dans ce pays, je n’ai eu de cesse dela revoir ! Et vous dites que vous pourriez me conduirejusqu’à elle ?

– Le plus facilement du monde.

– Ah ! mon cher comte, je vous engarderai une reconnaissance qui ne finira qu’avec moi-même.

– C’est pour moi un vif plaisir qued’obliger le si galant chevalier que vous êtes.

– Seul, sans votre secours, déclarait lejeune Gascon avec une teinte de mélancolie charmante, je n’auraisjamais osé reparaître devant elle et encore moins lui adresser laparole.

» Je me serais contenté de rôder auxalentours de son château, de m’efforcer d’apercevoir de loin soninoubliable silhouette, d’entendre l’écho de sa voix et de revivreen illusion l’heure unique du paradis que j’ai vécue près d’elle etqui s’est envolée de ma vie, sans espoir de retour. Grâce à vous,je puis espérer encore. Peut-être mieux, je vais la revoir de loin,lui parler, et qui sait, goûter encore la saveur de son baiser.

– Et pourquoi pas ? déclara gaiementl’Italien.

– Alors, quand aurai-je la joie que vousme promettez ?

– Dès ce soir !

– Est-ce possible ?

– J’en ai la conviction.

Bouillant d’impatience, le jeune Gascons’écria :

– Alors, partons tout de suite.

– Si vous le voulez, accepta aussitôt lecomte Capeloni, qui semblait disposé à favoriser de son mieux lesardeurs de son compagnon.

Déjà, celui-ci appelait la servante pour luirégler son repas, mais l’Italien l’arrêta, en disant :

– Souffrez que cela soit moi qui vousrégale.

– Ah ! je n’en ferai rien, c’estmoi, plutôt, qui veux…

– Je vous en prie, insista l’Italien, neme privez pas de vous offrir votre souper. Grâce à vous, je viensde rencontrer sur ma route un vrai gentilhomme de France qui, jel’espère, ne va pas tarder à devenir mon ami.

– Il l’est déjà, déclarait Castel-Rajacavec élan.

L’Italien régla les deux repas et sortit avecGaëtan dans la cour de l’hostellerie. Là, il dit à cedernier :

– Veuillez m’attendre ici pendant uneheure environ. Si, comme j’en suis persuadé, la duchesse consent àvous recevoir, je vous enverrai un émissaire qui vous conduirajusqu’à elle.

– Et si elle refuse ? interrogeaitGaëtan, déjà inquiet.

– Elle ne refusera pas, heureuxcoquin ! répondit l’Italien, en partant d’un franc éclat derire !

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