L’Homme au masque de fer

Chapitre 2MARIE DE ROHAN PART POUR UN AGRÉABLE EXIL

Par un beau matin tout poudré de poussièred’or, un de ces matins parisiens où l’automne s’alanguit sur lesberges de la Seine, le carrosse de la duchesse de Chevreuse quittaune nouvelle fois la capitale pour l’exil.

À vrai dire, la jeune femme n’était pas tropinquiète, elle savait bien que sa disgrâce ne serait pas éternelle,car sa royale amie emploierait toute son influence pour la fairerevenir plus tôt.

L’escorte de la noble dame galopait autourd’elle, sans s’apercevoir que derrière, à une distancerespectueuse, un cavalier, emmitouflé dans un manteau gris, suivaitla même route. D’ailleurs, le chemin du Roi était à tout le monde,et ce voyageur ne pouvait leur inspirer aucun soupçon.

Apprenant le départ deMme de Chevreuse, Durbec s’était dit qu’iln’aurait jamais meilleure occasion de retrouver la piste deCastel-Rajac et celle de l’enfant.

Sa haine couvait encore n’attendant qu’unhasard favorable pour s’assouvir. Il n’avait pas oublié le coupd’épée du chevalier.

Le voyage fut sans histoire. Trottant le jour,s’arrêtant la nuit, l’équipage de la duchesse, par étapessuccessives, ne tarda pas à gagner le village de Saint-Marcelin. Onfit halte au Faisan d’Or.

Bien entendu, quelques instants après, Durbec,le plus discrètement possible, demandait à son tour unechambre.

Mais, à l’étonnement du chevalier, lelendemain, il n’y eut point d’ordre de départ.

– Ho ! ho ! grommela Durbec.Est-ce que par hasard, ma bonne étoile me favoriserait plus tôt queje ne le pense, et verrais-je arriver notre cher Gascon ?

Mme Lopion, la bravehôtelière, se souvenait bien de la dame qui accompagnaitCastel-Rajac et l’enfant, lors de leur premier voyage. Elle ne vitpas sans défiance survenir la belle inconnue. La malheureuseaubergiste se rappelait encore l’incursion des gardes du cardinalet le beau tapage qui en était résulté.

Ses craintes ne furent pas diminuées, lorsqu’àla brune, elle vit arriver à francs étriers un cavalier dont lechapeau était rabattu sur les yeux, ce qui ne l’empêcha point dereconnaître Castel-Rajac !

– Bonne Sainte Mère ! murmura labonne femme en se signant plusieurs fois. Pour sûr qu’il va y avoirencore du grabuge !

Marie de Rohan, dès qu’elle avait su son ordred’exil, n’avait rien eu de plus pressé que d’envoyer un courrier enporter la nouvelle à son amant, qui s’était réfugié sur lafrontière espagnole, au petit village de Bidarray, avec l’enfant etses deux inséparables compagnons, Laparède et Assignac.

Il avait été convenu que le Gasconretrouverait sa maîtresse à Saint-Marcelin, et là, l’escorteraitjusqu’à leur nouvelle résidence, afin qu’elle voie l’enfant etpuisse, à son retour à Paris, en porter des nouvelles à lamère.

Les deux jeunes gens se retrouvèrent avecjoie. Castel-Rajac était sincèrement épris de cette gracieusefemme, aussi spirituelle que jolie. Quant à la duchesse, elles’était laissé prendre aux yeux noirs et à la mine conquérante ducadet de Gascogne, et ces retrouvailles allégeaient beaucoup pourelle les tristesses de l’exil.

Mais quelqu’un d’autre que la braveMme Lopion avait aussi reconnu Castel-Rajac.C’était Durbec, à l’affût derrière la jalousie de sa chambre.

– C’est bien ce que je pensais !murmura-t-il. Décidément, le sort me favorise ! J’espère quecette fois, le cardinal sera content !

Les deux amants étaient loin de se douterqu’ils étaient épiés et suivis de la sorte. Ils se livraient àtoute la joie de s’être retrouvés sans arrière-pensée.

– Chère Marie ! dit Castel-Rajac enenveloppant d’un geste caressant l’épaule de sa maîtresse, quelprofond bonheur est pour moi notre réunion ! Pardonnez-moi monégoïsme, mais je bénis la rigueur du cardinal, qui, par votredisgrâce, vous a rapprochée de moi !

– Fi chevalier ! s’écria Marie enriant. Je devrais vous en vouloir pour cette parole ! Vousvous réjouissez de mon malheur !

– M’en voulez-vous vraimentbeaucoup ? demanda tendrement le Gascon en se rapprochantencore de la duchesse.

Il la contemplait, et dans les yeux noirs dujeune homme brillait le feu d’une telle passion, queMme de Chevreuse, troublée,balbutia :

– Comment puis-je vous en vouloir…

Elle n’acheva pas sa phrase. Castel-Rajacl’avait saisie et l’embrassait avec emportement.

Il la lâcha avec autant de brusquerie qu’ill’avait prise. La porte s’ouvrait, et Mme Lopion,qui apportait le dîner, entra.

– Excusez-moi…, commença la brave femme.J’ai frappé trois fois…

– Oui, oui, dit Marie… Cela n’a pasd’importance… Posez les plats…

L’aubergiste prépara la table, dans la chambrede Marie, où celle-ci avait prié qu’on la serve, et disparut commeune ombre.

Lorsqu’elle fut sortie, ils ne purents’empêcher de rire.

– Pauvre femme ! dit Castel-Rajac.Elle semblait toute confuse. Bah ! je suis certain que cela nel’empêche pas maintenant d’écouter à la porte…

Il se leva et, sur la pointe des pieds, ouvritle battant.

– Oh ! monsieur le chevalier !s’écria Mme Lopion, rouge comme le ruban qui ornaitsa guimpe, j’allais justement vous demander si vous aviez encorebesoin de mes services…

– Non, non, madame Lopion,rassurez-vous ! fit le Gascon qui riait sous cape. Vous nousavez apporté tout ce qu’il nous faut, et maintenant, nous nedésirons plus que la tranquillité…

Gaëtan vint de nouveau s’asseoir sur un petittabouret, aux pieds de sa dame. Celle-ci passa sa main, blanche etfine, aux doigts parfumés, dans la chevelure du jeune homme.

– Çà, mon beau chevalier, fit-elle,badine, avez-vous un peu rêvé à moi ?

– Si j’ai rêvé à vous, capédédiou !s’écria-t-il. Je peux dire, que nuit et jour, votre pensée ne m’apas quitté…

Il s’arrêta pour baiser avec passion les mainsqu’on lui abandonnait.

– Mon plus vif désir est de vous voirrester ici le plus longtemps possible… Vous verrez commet notrevillage est beau et pittoresque ! On croit habiter le bout dumonde… Plus rien, que la nature devant soi… Vous oublierez Paris,duchesse !

Mme de Chevreuse eut unfugitif sourire.

– Je ne sais trop… Je n’ose vous lepromettre… Des devoirs aussi m’attachent à la Cour, vous le savezbien…

Gaëtan se passa la main sur le front.

– Pardonnez-moi : je rêveencore ! je suis fou… Mais qu’importe ! Je vous ai pourquelques jours ; ce répit me semble si beau que j’ose à peiney croire… Laissez-moi l’illusion qu’il est éternel !

– Enfant ! murmura-t-elle.

– Marie… Je vous aime…

Elle retira son bras, dont il s’étaitemparé.

– Chut ! soyez sage ! Avant,parlez-moi d’Henry…

– Il est charmant… Il est confié à unenourrice basque, qui en prend soin comme si c’était son propreenfant. Vous serez fière de moi lorsque vous le verrez !

– Vous ressemble-t-il déjà ?interrogea-t-elle malicieusement.

Ils éclatèrent de rire.

– Ce serait bien là le miracle duSaint-Esprit ! s’écria Gaëtan. Non… Il ressemblerait plutôt…au signor Capeloni…

– Chut ! murmura la duchesse,effrayée, en mettant un doigt sur ses lèvres. Voilà une imprudenteparole, chevalier !

Mme de Chevreuse necroyait pas encore si bien dire. Car, derrière le vantail de laporte du couloir, un homme, courbé, tenait son oreille collée et neperdait pas une syllabe de la conversation.

– Oh ! oh ! fit-il pourlui-même en se redressant. Voilà une indication intéressante !Après tout, c’est bien possible ! Voyez-moi ce faquin deMazarini !

Il se retira sur la pointe des pieds, laissantles amants à leur tête-à-tête. Il en savait assez pour cesoir-là.

Comme il l’avait prévu, dès le lendemainmatin, on se remit en route, au grand soulagement deMme Lopion, qui croyait à chaque instant voirsurgir les gardes du cardinal-ministre et recommencer une bataillecomme celle à laquelle elle avait déjà assisté.

Castel-Rajac chevauchait à côté du carrosse desa bien-aimée, et tout en marchant, ils réussissaient à échangerquelques mots. Ils se sentaient l’un et l’autre parfaitementheureux. Jamais Richelieu n’avait imaginé, pour celle qu’ilespérait punir, une pénitence aussi agréable !

Mais comme un rappel de l’homme rouge qui, deson aire, les surveillait encore, Durbec, derrière l’escorte, lessuivait comme leur ombre, guidé par l’intérêt qui le liait auservice du cardinal et par sa haine personnelle.

Bientôt, le paysage changea. Après la plainede Gascogne, apparurent les premiers contreforts des montagnespyrénéennes.

D’un geste, Castel-Rajac les montra àMarie.

– Voyez ! s’écria-t-il. C’est aumilieu de cette nature sauvage que notre filleul est élevé. L’airdes montagnes lui fera des muscles forts et un cœur intrépide…

Marie sourit.

– Dites aussi votre éducation et votreexemple, ami ! Je ne doute pas que notre cher Henry ne soitaussi un jour un gentilhomme accompli.

Lorsqu’ils arrivèrent à Bidarray, la jeunefemme put se convaincre que le cadre était en effet idéal.

C’était un tout petit village, dominé par unevieille gentilhommière qui appartenait à une tante d’Hectord’Assignac, laquelle avait eu le bon esprit de mourir afin delaisser son manoir à son neveu.

Il était perché à l’avant d’un rocher faisantéperon, et dominant toute une verdoyante vallée, au fond delaquelle mugissait un torrent. Les maisons des paysanss’accrochaient au petit bonheur à la pierre, et les champsdégringolaient de terrasse en terrasse coupés çà et là deboqueteaux. Des troupeaux de chèvres faisaient tinter leursclochettes ; par instant, l’aboi bref du chien qui les gardaitse répercutait au loin dans le vallon. Le soleil peignait d’or lesflancs de la montagne, et irradiait les vitres du vieux castel. Enface, l’autre versant se teignait de pourpre et de violet comme unerobe cardinalice. Très haut, dans le ciel, tournoyait un oiseau deproie… Et l’air était si pur, le ciel était si bleu, que Marie,suffoquée de plaisir, comprit maintenant pourquoi le jeune hommelui avait dit : « Vous oublierez Paris… »

Immobile, les narines frémissantes, laduchesse regardait ce prestigieux spectacle, ne pouvant s’enarracher. Il fallut que Gaëtan, doucement, lui murmure :

– Marie… Ne voulez-vous point voir lepetit ?

La jeune femme tressaillit. Puis, s’arrachantà cette vision magique, elle se détourna.

– Vous avez raison, mon ami. Menez-moivers lui !

Elle ne remonta point dans son carrosse,qu’elle avait quitté pour mieux contempler le splendide paysage.Elle voulut aller à pied jusqu’au château, dont la grande porteétait ouverte à deux battants sur la cour intérieure.

– Prenez mon bras, ma chère Marie !murmura Castel-Rajac.

Soutenant la jeune femme, dont les piedsdélicats s’accommodaient mal des rudes galets des Pyrénées, ilsarrivèrent au pont-levis et entrèrent dans la grande cour.

Des poules, des oies, picoraient, jusqu’entreles pattes d’un gros chien noir et feu, qui les laissait faire. Unhomme s’avança à leur rencontre, et salua Marie jusqu’à terre.C’était Henri de Laparède.

– Où donc est monsieur d’Assignac ?interrogea gracieusement la duchesse.

Laparède eut un sourire.

– Par ma foi, madame, venez donc avecmoi, si cela vous plaît ; je vous le montrerai…

Ils s’approchèrent du grand perron et legravirent.

– Serait-il malade ? questionnaMme de Chevreuse, avec sollicitude, inquiètede ne pas avoir vu leur hôte.

– C’est, en tout cas, une maladie sansgravité, répondit Laparède.

Castel-Rajac devait savoir à quoi s’en tenir,car il souriait silencieusement.

Laparède ouvrit une porte.

Une nourrice était assise près d’un berceau.Dans celui-ci, un ravissant bébé riait aux anges. Et devant, legros d’Assignac faisait mille pitreries pour distraire le filsadoptif de son ami…

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