Micah Clarke – Tome III – La Bataille de Sedgemoor

III – Du grand cri qui part d’une maisonisolée.

Là se terminent nos marches et contremarchesmonotones.

Nous étions cette fois au pied du mur, ayanten face de nous toutes les forces du gouvernement.

Il ne nous arrivait aucune nouvelle d’unsoulèvement, d’un mouvement en notre faveur dans une partiequelconque de l’Angleterre.

Partout, les Dissenters étaient jetés enprison, et l’Église avait le dessus.

La milice des comtés, dans le Nord, dansl’Est, dans l’Ouest, marchait contre nous.

Six régiments hollandais, prêtés par le Princed’Orange, étaient arrivés à Londres et on disait qu’il y en avaitd’autres en route.

La capitale avait mis sur pied dix millehommes.

Partout on enrôlait, on marchait pourrenforcer l’élite de l’armée anglaise, qui était déjà dans le comtéde Somerset.

Et tout cela dans le but d’écraser cinq ou sixmille pieds terreux et pêcheurs, à demi armés, sans un penny, prêtsà sacrifier leurs existences pour un homme et pour une idée.

Mais c’était une idée noble, une de celles quiméritent amplement qu’on leur sacrifie tout et qu’on se dise quec’était un sacrifice bien placé.

En effet, ces pauvres paysans auraient éprouvéde grandes difficultés à dire, dans leur langage pauvre et gauche,toutes leurs raisons, mais au plus profond de leur cœur, il y avaitla certitude, le sentiment qu’ils luttaient pour la cause del’Angleterre, qu’ils défendaient la véritable personnalité de leurpays contre ceux qui voulaient détruire les systèmes de jadis,grâce auxquels elle avait marché à la tête des nations.

Trois ans plus tard, on vit celaclairement.

Alors on reconnut que nos compagnons illettrésavaient aperçu et apprécié les signes du temps avec plus dejustesse que ceux qui se disaient leurs supérieurs.

Il y a, selon mon opinion, des phases duprogrès humain, auxquelles convient admirablement l’ÉgliseRomaine.

Lorsque l’intelligence d’une nation est jeune,il est peut-être préférable qu’elle ne s’occupe point d’affairesspirituelles, qu’elle s’appuie sur l’antique support de la coutumeet de l’autorité.

Mais l’Angleterre avait rejeté ses langes etétait devenue une pépinière d’hommes énergiques et de penseurs,disposés à ne s’incliner devant aucune autre autorité que celle quereconnaissaient leur raison et leur conscience.

C’était une tentative désespérée, inutile, etfolle que de vouloir ramener les gens à une croyance que leurdéveloppement avait dépassée.

Et c’était pourtant une tentative de ce genrequi se faisait, avec l’appui d’un Roi bigot, qui avait pour alliéeune Église puissante et opulente.

Trois ans plus tard, la Nation comprit cela etle Roi s’enfuit devant la colère de son peuple, mais présentement,plongé dans sa torpeur après les longues guerres civiles et lerègne corrompu de Charles, la masse de la nation n’était pas enmesure de se rendre compte quel était l’enjeu.

Elle se tourna contre ceux quil’avertissaient, ainsi qu’un homme emporté s’en prend au porteur defâcheuses nouvelles.

N’y a-t-il pas de quoi s’étonner, mes chersenfants, quand on voit une pensée, qui n’était qu’une sorte devague fantôme, prendre une forme vivante et se transformer en laréalité la plus tragique.

À un bout de la chaîne est un roi quis’opiniâtre dans un thème de doctrine.

À l’autre, six mille hommes prêts à tout,persécutés, pourchassés d’un comté à l’autre, et qui, enfin,réduits aux abois, se dressent sur les landes désolées deBridgewater, leur cœur aussi plein d’amertume et de désespoir ques’ils étaient des bêtes de proie traquées.

La théologie d’un roi est chose dangereusepour ses sujets.

Mais si l’idée, pour laquelle ces pauvres genscombattaient, était digne, que dirons-nous de l’homme qui avait étéchoisi comme champion de leur cause ?

Hélas, fallait-il que de tels hommes eussentun tel chef !

Oscillant contre les cimes de la confiance etles abîmes du désespoir, un jour faisant choix de ses conseillersd’état, et le lendemain parlant d’abandonner secrètement l’armée,il parût dès le premier jour possédé du démon même del’inconstance.

Et pourtant il avait acquis une belleréputation avant son entreprise.

En Écosse, il avait conquis une renomméemagnifique, non seulement par sa victoire, mais encore par samodération, la pitié avec laquelle il avait traité les vaincus.

Sur le Continent, il avait commandé unebrigade anglaise d’une manière qui lui avait valu les éloges devieux soldats de Louis et de l’Empire.

Et pourtant, maintenant que sa tête et safortune étaient en jeu, il était faible, irrésolu, poltron.

Selon le langage de mon père, « toutevertu s’était écartée de lui. »

Je le déclare, quand je l’ai vu chevauchant aumilieu de ses troupes, la tête penchée sur sa poitrine, avec lafigure d’un pleureur à un enterrement, jetant une atmosphère desombre désespoir tout autour de lui, j’ai senti qu’un pareil homme,même s’il réussissait, ne porterait jamais la couronne des Tudorsou des Plantagenets, mais qu’elle lui serait arrachée par une mainplus forte, peut-être celle d’un de ses propres généraux.

Je rendrai cette justice à Monmouth de direque depuis le jour où il fut enfin décidé qu’on livrerait bataille,et cela pour l’excellente raison qu’il était impossible de faireautrement, il montra un caractère plus digne d’un soldat et d’unhomme.

Pendant les premiers jours de juillet, aucunmoyen ne fut négligé pour donner du cœur à nos troupes et lesraffermir en vue de la prochaine bataille.

Du matin au soir, nous étions à l’œuvre,apprenant à notre infanterie à se former en masses compactes pourrecevoir une charge de cavalerie, à s’appuyer les uns sur lesautres, à attendre les ordres de leurs officiers.

Le soir, les rues de la petite ville, depuisla pelouse du château jusqu’au pont sur la Parret, retentissaientde prières et de sermons.

Les officiers n’eurent plus de désordres àcombattre, car les troupes les répugnaient elles-mêmes.

Un homme, qui s’était montré dans les rueséchauffé par le vin, faillit être pendu par ses camarades, quifinirent par le chasser de la ville comme indigne de combattre dansce qu’ils regardaient comme une sainte querelle.

Quant à leur courage, il n’y avait pas lieu del’exciter, car ils étaient aussi intrépides que des lions, et leseul danger à craindre était une témérité capable de les entraînerà de folles entreprises.

Ils souhaitaient de fondre sur l’ennemi commeune horde de fanatiques musulmans, et ce n’était pas chose aiséeque d’imposer par l’exercice, à des gaillards à tête aussi chaude,le sang-froid et la prudence qu’exige la guerre.

Le troisième jour de notre halte àBridgewater, les provisions diminuèrent d’inquiétante façon parsuite de ce fait, que nous avions déjà épuisé auparavant cetterégion, grâce aussi à la vigilance de la cavalerie royale, quibattait le pays et nous coupait les vivres.

Lord Gray décida donc d’envoyer deuxescadrons, à la faveur de la nuit, faire tout ce qu’ils pourraientpour regarnir notre garde-manger.

Le commandement de cette petite expédition futconfié au Major Hooker, vieux soldat des Gardes du Corps, aulangage grossier et bref, qui s’était rendu utile en imposant unesorte d’ordre à ces fortes têtes qu’étaient les fermiers et lesyeomen.

Sir Gervas Jérôme et moi, nous demandâmes àLord Grey à faire partie de la troupe de fourrageurs.

Cette faveur nous fut accordée avecempressement, car on ne se remuait guère dans la ville.

Nous partîmes de Bridgport à onze heures parune nuit sans lune, dans l’intention de reconnaître le pays du côtéde Boroughbridge et d’Athelney.

Nous étions prévenus qu’il n’y avait pas degrandes forces ennemies dans cette région, que c’était un paysfertile et où nous pouvions compter sur des quantités suffisantesde provisions.

Nous emmenions avec nous quatre charrettesvides, pour emporter ce que notre bonne chance nous feraittrouver.

Notre commandant décida qu’un escadronmarcherait devant les charrettes, et un autre derrière, avec unepetite troupe d’avant-garde sous les ordres de Sir Gervas, qui leprécéderait de quelques centaines de pas.

Nous sortîmes de la ville dans cet ordre aumoment où résonnaient les derniers coups de clairon et noussuivîmes à grand train les routes sombres et silencieuses, enfaisant apparaître aux fenêtres des cottages, qui bordaient leschemins, des figures anxieuses, qui nous regardaient disparaîtredans l’obscurité.

Cette chevauchée se représente trèsdistinctement à mon esprit lorsque j’y pense.

Le noir contour des saules taillés en têtardspasse rapidement devant nous.

La brise gémit à travers les osiers.

Les silhouettes vagues et confuses dessoldats, le choc sourd des fers sur le sol, le tintement desfourreaux contre les étriers, autant de souvenir de ces tempspassés que l’œil et l’oreille peuvent également évoquer.

Le baronnet et moi nous marchions en tête,côte à côte.

Ses légers propos où il contait l’existencequ’on mène à la ville, les fragments de chansons ou de tiradesempruntés à Cowley ou à Waller, étaient un véritable baume deGalaad pour mon humeur sombre et pas très sociable.

– On se sent vraiment vivre, en une nuit commecelle-ci, disait-il, pendant que nous aspirions l’air frais de lacampagne avec les senteurs des moissons et du lapereau. Par mafoi ! Clarke, mais il y a de quoi être jaloux de vous, quiêtes né et avez vécu à la campagne. Quels plaisirs la villepeut-elle offrir qui vaillent les dons généreux de la nature, à lacondition toutefois qu’on y trouve à sa portée un perruquier, unmarchand de tabac à priser, un parfumeur, et un ou deux tailleurspassables ? Joignons-y un bon café, un théâtre, et je croisque je pourrais m’arranger pour mener pendant quelques mois une viesimple, pastorale.

– À la campagne, dis-je en riant, nous avonstoujours la sensation que le séjour des villes a pour effetd’exprimer sous le poids de la science et de la philosophie tout cequ’il y a de véritable vie dans l’homme.

– Ventre Saint-Gris, ce que j’y ai acquis descience et de philosophie se réduit à bien peu de chose,répondit-il. À dire vrai, j’ai plus vécu et j’en ai apprisdavantage en ces quelques semaines que nous avons passées à fairedes glissades sous la pluie, en compagnie de vos gars en guenilles,que je n’en appris jamais au temps où j’étais page à la Cour, oùj’avais sous mes pieds la boule de la fortune. C’est chose fâcheusepour l’esprit d’un homme que de n’avoir pas de préoccupation plusgrave que la façon de tourner un compliment ou de danser unecourante. Pardieu ! mon garçon, j’ai de grandes obligations àvotre charpentier. Ainsi qu’il le dit dans sa lettre, à moins qu’unhomme n’arrive à mettre en œuvre ce qu’il y a de bon en lui, il amoins de valeur qu’une de ces volailles que nous entendonscaqueter, car elles, du moins, remplissent leur destination, ne fûtce qu’en pondant des œufs. Diable, voilà que je me fais prêcheur.C’est une religion nouvelle pour moi.

– Mais, dis-je, quand vous étiez dansl’opulence, vous avez dû vous rendre utile à quelqu’un. Sans celacomment peut-on dépenser tant d’argent et ne s’en trouver pas plusavancé ?

– Ah ! cher et bucolique Micah !s’écria-t-il avec un rire joyeux, parlerez-vous toujours de mapauvre fortune en retenant votre souffle, en baissant la voix avecrespect comme s’il s’agissait des trésors de l’Inde ? Vous nesauriez vous imaginer avec quelle facilité un sac d’écus prend desailes et s’envole. Il est vrai que l’homme qui dépense l’argent nele mange pas et qu’il se borne à le transmettre à un autre qui entire parti. Mais notre tort consistait en ce que nous transmettionsnotre argent à des gens qui ne le méritaient point et qu’ainsi nousfaisions vivre une classe inutile et débauchée au détriment desprofessions honnêtes. Par ma foi, mon garçon, quand je pense auxessaims de parasites mendiants, d’entremetteurs de débauche, debravaches fendeurs de nez, d’avaleurs de crapauds, de flatteurs quenous avions formés, je sens qu’en couvant une nichée pareille deces êtres venimeux, notre argent a fait un mal qu’aucune sommed’argent ne saurait défaire, n’ai-je pas vu de ces gens là surtrente rangs de profondeur, à mon petit lever, rampant autour demon lit…

– Autour de votre lit ! m’écriai-je.

– Oui, c’était la mode, de recevoir au lit, enchemise de batiste ornée de dentelles et en perruque, bien que parla suite il ait été admis qu’on pouvait recevoir assis dans sachambre, mais en costume négligé, robe de chambre etpantoufles.

La mode est un terrible tyran, Clarke, bienque son bras ne s’étende jamais jusqu’à Havant.

L’homme désœuvré de la ville doit soumettre savie à une certaine règle. Aussi devient-il l’esclave de la loi quefait la mode.

Personne, à Londres, n’y fut plus docile quemoi.

J’étais très réglé dans mes irrégularités,très rangé dans mes désordres.

Au coup de onze heures, mon valet apportait lacoupe d’hypocras du matin, chose excellente pour les maux de tête,et un très léger repas, un filet d’ortolan, une aile de canard.

Puis venait le lever.

Vingt, trente, quarante individus de la classedont j’ai parlé, sans doute il pouvait s’y trouver çà et làd’honnêtes gens dans l’indigence, des gens de lettres besogneux enquête d’une guinée, un pédant sans élève, la tête pleined’érudition antique, mais les poches mal garnies de monnaiemoderne.

Cela tenait non seulement à ce qu’on mereconnaissait quelque influence personnelle mais encore parce qu’onsavait que j’avais accès facile auprès de Mylord Halifax, de SidneyGodolphin, de Lawrence Hyde, et d’autres dont la volonté suffisaitpour faire ou défaire un homme.

Remarquez-vous ces lumières sur lagauche ? Ne serait-il pas à propos d’aller voir si nous nepourrions pas y trouver quelque chose ?

– Hooker a des ordres pour se rendre à unecertaine ferme, répondis-je. Nous pourrions visiter celle-ci ànotre retour, si nous en avions le temps. Nous repasserons par iciavant le jour.

– Il faut que nous ayons des vivres, dit-il,dussé-je aller à cheval jusque dans le Surrey. Je veux être pendu,si j’ose regarder en face mes mousquetaires à moins de leurrapporter quelque chose à faire rôtir au bout de leur baguette.

Ils n’avaient rien eu de plus savoureux à semettre sous la dent que leurs balles, au moment où je les aiquittés.

Mais je parlais de ma vie d’autrefois àLondres.

Notre journée était bien remplie.

Un homme de qualité avait-il du goût pour lesport ? Il y avait toujours de quoi l’intéresser.

Il pouvait aller voir tirer à l’épée àHockley, ou les combats de corps à Shoo-Lane, ou les combatsd’animaux à Southwark, ou aller tirer à la cible de TothillFields.

Ou bien encore il pouvait faire un tour auxjardins des plantes médicinales de Saint-James, ou profiter de lamarée basse pour aller par la rivière jusqu’aux vergers decerisiers de Rotherhithe, ou se rendre en voiture à Islington pourboire la crème, mais il lui fallait avant tout sa promenade dans leParc, ce qui est le dernier mot de la mode pour un gentlemanfashionable dans sa tenue.

Vous le voyez, Clarke, nous étions des gensfort actifs, dans notre désœuvrement, et ce n’étaient pas lesoccupations qui nous manquaient.

Puis, le soir venu, il y avait les théâtrespour nous attirer, les jardins de Dorset, Lincoln’s Inn,Drury-Lane, le théâtre de la Reine, et entre les quatre, il s’entrouvait bien un qui procurât quelque amusement.

– Là du moins, dis-je, votre temps était bienemployé, vous ne pouviez écouter les grandes pensées et les phrasessublimes de Shakespeare, de Massinger, sans en sentir en votre âmequelque effet.

Sir Gervas eut un rire silencieux.

– Vous me rafraîchissez autant que cet airdélicieux de la campagne, Micah, dit-il. Sachez-le donc, grand cherenfant que vous êtes. Si nous fréquentions le théâtre, ce n’étaitpoint pour voir les pièces.

– Pourquoi donc, au nom du Ciel ?demandai-je.

– Pour nous voir les uns les autres,répondit-il. La mode exigeait, je vous l’assure, qu’un hommefashionable restât debout, tournant le dos à la scène depuis que lerideau se levait jusqu’à ce qu’il tombât.

C’était les vendeuses d’oranges à taquiner, etje vous réponds qu’elles ont la langue bien pendue, cesdonzelles.

C’étaient les masques du parterre, dont lespetits loups noirs invitaient à l’indiscrétion.

C’étaient les beautés de la ville, lescélébrités de la Cour, autant de cibles pour nos monocles.

La pièce ! Oui vraiment, pardieu, nousavions mieux à faire que d’écouter des alexandrins ou d’apprécierle mérite des hexamètres !

Il est vrai que si la Jeune dansait, siMistress Bracegirdle ou Mistress Oldfield paraissaient en scène,nous faisions entendre nos bourdonnements ou nos battoirs, mais ceque nous applaudissions, c’était la beauté de la femme plutôt quel’actrice.

– Et la pièce finie, vous alliez sans doutesouper, puis vous coucher.

– Souper ? Oui certes. On allait parfoisà la maison du Rhin, d’autres fois chez Pontack dans Abchurch-Lane.Chacun avait ses préférences à ce point de vue.

Puis c’étaient les dés et les cartes chez leGroom Porter, le piquet, le hasard, le primero, à votre choix.

Ensuite vous pouviez rencontrer l’universentier dans les cafés, où l’on servait souvent un arrière-souperaux os grillés et fortement épicés et aux prunes, pour dissiper lesvapeurs du vin.

Ah ! ma foi ! Micah, si les juifsvoulaient bien desserrer leurs griffes, ou si cette guerre nousportait quelque chance, vous devriez venir à la ville avec moi etvoir toutes ces choses-là par vous-même.

– À parler franchement, cela ne me tenteguère, répondis-je. J’ai le caractère lent et solennel, et dans lesscènes de cette sorte je ferais l’effet d’une tête de mort sur latable du festin.

Sir Gervas allait répondre quand tout à couple silence de la nuit fut déchiré par un cri très long, perçant,qui fit frémir jusqu’aux dernières fibres de notre corps.

Jamais je n’entendis une clameur empreinted’une pareille angoisse.

Nous arrêtâmes nos chevaux.

Nos hommes en firent autant derrière nous, etnous tendîmes l’oreille pour saisir quelque indice qui nous fitconnaître de quel côté venait ce bruit.

Les uns étaient d’avis qu’il partait de notredroite et les autres que c’était de notre gauche.

Bientôt il retentit de nouveau, violent, aigu,comme un cri d’agonie.

C’était celui d’une femme qui expire dans lasouffrance.

– C’est par ici, Major Hooker, cria Sir Gervasse dressant sur ses étriers et sondant les ténèbres du regard. Il ya une maison au delà des deux champs. J’aperçois une faiblelumière, comme celle d’une fenêtre dont les volets seraientfermés.

– N’allons-nous pas y courir sans retarddemandai-je avec impatience, car notre commandant restaitimpassible sur son cheval, comme s’il ne savait pas du tout quelparti prendre.

– Je suis ici, Capitaine Clarke, dit il, pouramener des vivres à l’armée, et je n’ai en aucune manière le droitde me détourner de mon trajet pour m’occuper d’autresincidents.

– Par la mort, mon homme ! s’écria SirGervas. Il y a une femme en danger. Major, vous n’allez paspoursuivre votre route en la laissant appeler vainement ausecours ? Écoutez, c’est encore elle.

Et comme il parlait encore, le cri de détressepartit de nouveau de la maison isolée.

– Non, je ne peux en supporter davantage,m’écriai-je.

Mon sang bouillonnait dans mes veines.

– Major Hooker, allez exécuter vos ordres, monami et moi nous vous quitterons ici. Nous saurons justifier notremanière d’agir devant le Roi ; venez, Sir Gervas.

– Remarquez-le, c’est bel et bien de lamutinerie, Capitaine Clarke. Vous êtes sous mes ordres, et si vousme quittez, ce sera à vos risques et périls.

– En pareille circonstance, je me soucie detes ordres autant que d’un liard, répartis-je avec vivacité.

Faisant faire demi-tour à Covenant, je lelançai d’un coup d’éperon dans un sentier étroit, labouré d’ornièreprofonde qui conduisait à la maison, suivi de Sir Gervas et de deuxou trois soldats.

Au même instant, j’entendis Hooker donner unordre d’un ton bref, et les roues grincer, ce qui me prouva qu’ilne comptait plus sur nous, et qu’il s’était remis en route pouraccomplir sa mission.

– Il a raison, dit le baronnet pendant quenous suivions le sentier. Saxon ou tout autre vieux soldat, lelouerait de son esprit de discipline.

– Il y a des choses qui l’emportent sur ladiscipline, dis-je à demi-voix. Il m’était impossible d’aller plusloin en abandonnant cette pauvre créature dans la détresse. Maisvoyez, qu’est-ce que ceci ?

En face de nous se dessinait une massesombre.

En approchant, nous reconnûmes que c’étaientquatre chevaux attachés par la bride à la haie.

– Des chevaux de la cavalerie, CapitaineClarke, s’écria un des soldats, qui avaient mis pied à terre pourles regarder de près. Ils portent la selle et les harnais dugouvernement. Voici une grille de bois. Elle ouvre sur un cheminqui aboutit à la maison.

– Alors il vaut mieux descendre, dit SirGervas en sautant à bas et attachant son cheval à côté des autres.Mes gars, restez près des chevaux, et si nous appelons, venez ànotre aide. Sergent Holloway, vous pouvez nous accompagner. Prenezvos pistolets.

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