Micah Clarke – Tome III – La Bataille de Sedgemoor

X – Où tout prend fin.

Ainsi donc, mes chers enfants, me voiciparvenu à la fin du récit d’un échec, – d’une aventure qui échouabravement, noblement, mais qui n’en fut pas moins un échec.

Trois ans plus tard, l’Angleterre devaitreprendre possession d’elle-même, rejeter les chaînes quientravaient la liberté de ses membres, faire fuir Jacques et savenimeuse couvée loin de ses rivages, tout comme je les fuyaisalors.

Nous avions commis l’erreur d’être en avancesur notre temps.

Et pourtant il vint une époque où l’on serappela avec sympathie les gars qui avaient combattu avec tant devigueur dans l’Ouest, où leurs membres, recueillis dans bien desfossés et les solitudes où les avaient semés les bourreaux, furentrapportés au milieu du deuil silencieux d’une nation, dans lesjolis cimetières champêtres où ils auraient voulu reposer.

Là, à portée du tintement de la cloche qui lesavait, en leur enfance, appelés à la prière, sous le gazon où ilss’étaient promenés, à l’ombre de ces collines de Mendip et deQuantock qu’ils avaient tant aimées, ces braves cœurs dorment enpaix dans le sein maternel.

Requiescant ! Requiescant inpace !

Pas un mot de plus sur moi-même, chersenfants.

Ce récit est tout hérissé de Je. Ondirait un Argus…

Cela, c’est un trait d’esprit, que vous necomprendrez peut-être pas, je m’en doute.

J’ai entrepris de vous faire l’histoire de laguerre de l’Ouest, et cette histoire, vous venez de l’entendre.

Vous aurez beau me dorloter, me cajoler, vousn’en aurez pas un mot de plus.

Ah ! je sais combien il est bavard, levieillard, et que si vous pouviez seulement le mener jusqu’àFlessingue, il vous conduirait à travers les guerres de l’Empire, àla cour de Guillaume et à la seconde invasion de l’Ouest, qui eutune issue plus heureuse que la première.

Mais je ne ferai pas un pouce de plus.

Allez sur la pelouse, petits scélérats.

N’avez-vous rien autre à exercer que vosoreilles, pour aimer tant que cela à vous accroupir autour de lachaise de grand’père ?

Si je dure jusqu’à l’hiver prochain et que lerhumatisme me laisse tranquille, il pourra bien se faire que jerattache les fils brisés de mon récit.

Quant aux autres personnages, je ne puis direque ce que je sais d’eux.

Certains disparurent entièrement de maconnaissance.

Sur certains autres, je n’ai entendu que deschoses vagues et incomplètes.

Les meneurs de l’insurrection s’échappèrentbien plus aisément que ceux qui les avaient suivis, car ilss’aperçurent que la passion de l’avidité est plus forte encore quecelle de la cruauté.

Grey, Buyse, Wade et d’autres se rachetèrentau prix de tout ce qu’ils possédaient.

Ferguson s’échappa.

Monmouth fut exécuté sur le tertre de la Tour,et du moins à ses derniers moments il montra cet entrain qui, detemps à autre, se faisait jour à travers sa faiblesse naturelle,comme la flamme qui jaillit par intermittences d’un feu près des’éteindre.

Mon père et ma mère vécurent assez pour voirla Religion protestante reprendre son ancienne place etl’Angleterre se faire le champion de la foi réformée sur leContinent.

Trois ans plus tard, je les retrouvai àHavant, presque tels que je les avais quittés, à cela près qu’il yavait quelques fils d’argent de plus dans les tresses brunes de mamère, que les larges épaules de mon père étaient un peu courbées,et son front sillonné par les rides du souci.

Ils firent, la main dans la main, le voyage dela vie, lui le Puritain, et elle disciple de l’Église, et je n’aijamais désespéré de voir se guérir l’hostilité religieuse enAngleterre, après avoir reconnu combien il est aisé à deuxpersonnes de garder la foi la plus énergique en leur proprecroyance, tout en éprouvant l’affection et le respect le plussincère pour celle qui professe un autre culte.

Il viendra peut-être un jour où Église etChapelle seront entre elles comme un frère cadet et un frère aîné,travaillant ensemble au même but et chacun se réjouissant du succèsde l’autre.

Que le désaccord entre elles se traduiseautrement que par la pique et le pistolet, par le tribunal et laprison, que ce soit la rivalité en vue d’une vie plus haute, à quiadoptera la manière de voir la plus large, à qui pourras’enorgueillir de montrer les classes pauvres les plus heureuses etles mieux soignées.

Dès lors cette rivalité sera non plus unemalédiction, mais un bienfait pour ce pays d’Angleterre.

Ruben Lockarby fut malade pendant bien desmois, mais lorsque enfin il fut rétabli, il se trouva amnistiégrâce aux soins que se donna le Major Ogilvy.

Au bout d’un certain temps, quand l’agitationeût entièrement pris fin, il épousa la fille du Maire Timewell etil vit encore à Taunton en citoyen opulent, prospère.

Il y a trente ans que vint au monde un petitMicah Lockarby, et maintenant on m’apprend qu’il y en a un autre,fils du premier, et qui promet d’être un Tête-Ronde aussi déluréque pas un de ceux qui marchèrent au roulement du tambour.

Quant à Saxon, j’ai reçu plus d’une fois deses nouvelles.

Il fit un si habile usage de la prise qu’ilavait sur le Duc de Beaufort que par la protection de celui-ci, ilobtint le commandement d’une expédition envoyée pour châtier lessauvages de la Virginie, qui avaient commis de grandes cruautés surles colons.

Car il lutta si bien d’embuscades contre leursembuscades, joua de tels tours à leurs guerriers les plus rusés,qu’il a laissé un grand nom parmi eux et que son souvenir vitencore parmi eux, sous un sobriquet indien, qui signifie« l’homme matois aux longues jambes et aux yeux derat. »

Après avoir repoussé les tribus fort loin dansle désert, il reçut comme récompense de ses services un territoire,sur lequel il s’établit.

Il s’y maria et passa le reste de ses jours àcultiver du tabac et à enseigner les principes de la guerre à unenombreuse lignée d’enfants dégingandés, longs comme desperches.

On m’apprend qu’une grande nation de gensd’une force étonnante et d’une stature extraordinaire promet de seformer de l’autre côté de l’eau. Si cela venait vraiment à seréaliser, il pourrait bien se faire que ces jeunes Saxons ou leursenfants y contribuent.

Plaise à Dieu que leurs cœurs nes’endurcissent jamais à l’égard de cette petite île de la mer, quiest, qui devra toujours être le berceau de leur race !

Salomon Sprent se maria et vécut de longuesannées aussi heureux que ses amis pouvaient le souhaiter.

Pendant mon séjour à l’étranger, je reçus unelettre de lui, où il m’apprenait que bien que son navire compagnonet lui fussent partis seuls pour la traversée du mariage, ilsétaient maintenant escortés d’un petit canot et d’un bateau depassage.

Une nuit d’hiver où le sol était couvert deneige, il envoya chercher mon père, qui accourut chez lui.

Il trouva le vieux marin assis dans son lit,sa bouteille de rhum à portée de sa main, sa boîte à tabac près delui, et une grande Bible jaunie en équilibre sur ses genouxployés.

Il respirait péniblement et était dans destranses terribles.

– J’ai une planche défoncée et neuf piedsd’eau dans la cale. C’est venu plus vite que je ne puis mel’expliquer. À la vérité, ami, voilà bien des jours que je ne suispropre à tenir la mer, et il est temps que je sois condamné et misau rebut.

Mon père hocha la tête avec tristesse, enremarquant la teinte sombre de son visage et sa respirationembarrassée.

– En quel état est votre âme ?demanda-t-il.

– Ah ! oui, dit Salomon, c’est là unecargaison que nous transportons sous nos écoutilles, sans être enétat de la voir et nous n’avons pas donné de coup de main pour sonarrimage. Je viens de repasser les ordres de mise à la voile quevoici et les dix articles de guerre, mais je ne trouve pas, il mesemble, que je me sois écarté de ma route au point de n’avoir pas àespérer de rentrer dans la passe.

– N’ayez pas confiance en vous-même, mais enChrist, dit mon père.

– C’est lui le pilote naturellement, réponditle vieux marin. Mais quand j’avais un pilote à bord, je ne manquaisjamais selon mon habitude d’avoir l’œil au grain, voyez-vous, etc’est ce que je ferai à présent. Le pilote ne vous en estime pasmoins pour cela. Aussi je vais jeter de mon côté ma ligne de sonde,bien qu’on me dise qu’il n’y a de fond nulle part dans l’Océan dela miséricorde de Dieu. Dites-moi, ami, pensez-vous que ce mêmecorps, cette même carcasse que voici, ressuscitera un jour.

– C’est ce qu’on nous enseigne, répondit monpère.

– Je la reconnaîtrai n’importe où, auxtatouages, dit Salomon. Ils ont été faits quand j’étais avec SirChristophe dans les Indes occidentales, et je serais fâché d’avoirà les perdre.

Quant à moi, voyez-vous, je n’ai jamais voulude mal à personne, pas même à ces ventrus de Hollandais, bien queje me sois battu contre eux dans trois guerres, et qu’ils m’aientemporté un de mes espars, et qu’on le pende après eux !

Si j’ai fait entrer le grand jour dansquelques-uns d’entre eux, voyez-vous, c’était en bonne part etaffaire de service.

J’ai bu ma part, ma bonne part, assez pouradoucir mon eau de cale, mais bien peu de gens m’ont vu en mauvaisétat dans les agrès d’en haut, ou refusant d’obéir à mongouvernail.

Je n’ai jamais touché ma solde ou ma part deprise, sans que mon matelot fût bien accueilli à en demander lamoitié.

Quant aux catins, moins on en parlera, mieuxcela vaudra.

J’ai été un fidèle navire compagnon pour maPhébé depuis qu’elle a jugé bon d’attendre mes signaux.

Voilà mes papiers, tous nets et sans rien decaché.

Si je suis mandé à l’arrière cette nuit mêmepar le Suprême Lord grand amiral en chef, je ne crains pas qu’il mefasse mettre aux fers, car bien que je ne sois qu’un pauvre hommede marin, j’ai trouvé dans ce livre-ci une promesse, et je n’aipoint peur que Lui ne la tienne pas.

Mon père passa quelques heures avec levieillard et fit de son mieux pour le réconforter et l’aider, caril était évident qu’il baissait rapidement.

Lorsque enfin il le quitta, le laissant avecsa fidèle épouse près de lui, il saisit la main brune, maisamaigrie, qui gisait sur les couvertures.

– Je vous reverrai, dit-il.

– Oui, sous la latitude du ciel, répondit lemarin agonisant.

Son pressentiment était juste, car auxpremières heures du matin, sa femme se penchant sur lui, vit unbeau sourire sur sa figure tannée, bronzée par les coups demer.

Se soulevant sur son oreiller, il porta lamain à une mèche de son front, selon l’usage des marins, puis ilretomba lentement, paisiblement dans le long sommeil d’où l’on seréveille quand la nuit cesse d’exister.

Vous me demanderez sans doute ce qu’il advintd’Hector Marot et de l’étrange cargaison qui avait mis à la voiledu port de Poole.

On n’entendit jamais parler d’eux, à moinsqu’on applique à leur destinée un bruit qui fut répandu quelquesmois plus tard par le Capitaine Elias Hopkins, du navire LaCaroline, de Bristol.

Le Capitaine Hopkins rapporte que dans latraversée qui le ramenait de nos colonies, il rencontra une brumeépaisse et eut le vent debout au voisinage des grands bancs demorue.

Une nuit, pendant qu’il faisait sa ronde, parun brouillard si dense, qu’il pouvait à peine voir la pomme de sonpropre mat, il éprouva une sensation des plus étranges, car commelui et d’autres étaient debout sur le pont, ils entendirent, à leurgrand étonnement, le bruit d’un grand nombre de voix, quiparaissaient former un chœur, bruit d’abord faible et certain, puisprenant bientôt une ampleur croissante, jusqu’à ce qu’il fût, à cequ’il semblait, à la distance d’un jet de pierre.

Après quoi il diminua et s’éteignit lentementpour se perdre au loin.

Certains hommes de l’équipage mirent la chosesur le compte du Maudit, mais comme le Capitaine Elias Hopkins nemanquait pas de le faire remarquer, il était bien étrange que leMalin eût choisi des hymnes familiers de l’Ouest pour son exercicenocturne, et plus étrange encore que les habitants de l’abîmeeussent, en chantant, une prononciation aussi pâteuse que celle duComté de Somerset.

Quant à moi, je ne doute guère que ce ne fûten effet la Dorothée Fox qui eût passé par là dans lebrouillard, et que les prisonniers, ayant reconquis leur liberté,n’aient célébré leur délivrance à la façon de vrais Puritains.

Où furent-ils entraînés ?

Fut-ce sur la côte rocheuse du Labrador, oubien trouvèrent-ils un asile dans quelque région désolée où lacruauté royale ne pouvait pas les poursuivre, voilà qui doit resteréternellement ignoré.

Zacharie Palmer vécut de longues années envieillard vénérable et honoré, avant d’être appelé à son tourauprès de ses pères.

C’était un doux et simple philosophe devillage que cet homme-là, et dans sa vieille poitrine il y avait uncœur d’enfant.

Rien qu’à penser à lui, il me vient comme unparfum de violettes, car si dans ma manière d’envisager la vie, etdans mes espérances d’avenir, je ne partage pas en tout point lesdoctrines dures et sombres de mon père, je sais que je le dois auxsages paroles et aux enseignements bienveillants ducharpentier.

Si les actes sont tout, si les dogmes ne sontrien en ce monde, ainsi qu’il se plaisait à le dire, dès lors savie sans faute, exempte de blâme, pourrait servir de modèle à vouset à tous.

Puisse la poussière lui être légère !

Un mot au sujet d’un autre ami, le dernier queje rappelle, mais non le moins apprécié.

Guillaume le hollandais occupait depuis dixans le trône d’Angleterre, qu’on pouvait encore voir dans le champvoisin de la maison paternelle un grand cheval fortement charpenté,dont le pelage gris était tacheté de marques blanches.

Et, comme on l’a toujours remarqué, lorsqueles soldats sortaient de Plymouth, ou que le son aigu de latrompette ou le roulement du tambour parvenait à son oreille, ilarquait son cou fatigué par l’âge, agitait sa queue mêlée de gris,levait ses genoux raidis pour faire un temps de trot majestueux etpédantesque.

Les gens de la campagne s’arrêtaientvolontiers à considérer les gambades du vieux cheval, et il estbien probable que l’un d’eux racontait aux autres que ce coursierlà avait porté à la guerre un des jeunes gens de leur proprevillage, et comment le cavalier avait dû fuir le pays, mais aussicomment un bon sergent des troupes royales avait ramené le chevalau père du jeune homme comme souvenir de lui.

Ce fut ainsi que Covenant passa ses dernièresannées, en vétéran des chevaux, bien nourri, bien soigné et fortenclin peut-être à conter en langage de cheval, à tous les pauvressots bidets de la campagne, les merveilleuses, aventures qu’ilavait eues dans l’Ouest.

 

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