Notre Coeur

Chapitre 3

 

Bonjour, cher monsieur.

Mariolle remarqua que ce n’était plus le « cher ami » d’Auteuil,et la poignée de main fut courte, une pression hâtive de femmeoccupée, agitée, en pleines fonctions mondaines. Il entra dans lesalon pendant que Mme de Burne s’avançait vers la toute belle MmeLe Prieur que ses décolletages hardis et ses prétentions aux formessculpturales avaient fait surnommer un peu ironiquement « la Déesse». Elle était femme d’un membre de l’Institut, section desInscriptions et Belles-Lettres.

– Ah, Mariolle, s’écria Lamarthe, d’où sortez-vous donc, moncher ? On vous croyait mort.

– Je viens de faire un voyage dans le Finistère.

Il racontait ses impressions, quand le romancierl’interrompit.

– Est-ce que vous connaissez la baronne de Frémines ?

– Non, de vue seulement, mais on m’a beaucoup parlé d’elle. Onla dit fort curieuse.

– L’archiduchesse des détraquées, mais avec une saveur, unbouquet de modernité exquis. Venez que je vous présente.

Le prenant par le bras, il l’entraîna vers une jeune femme qu’oncomparait toujours à une poupée, une pâle et ravissante petitepoupée blonde, inventée et créée par le diable lui-même pour ladamnation des grands enfants à barbe ! Elle avait des yeuxlongs, minces, fendus, un peu retroussés, semblait-il, vers lestempes, comme ceux de la race chinoise ; leur regard d’émailbleu glissait entre les paupières qui s’ouvraient rarement tout àfait, de lentes paupières, faites pour voiler, pour retomber sanscesse sur le mystère de cette créature.

Les cheveux, très clairs, luisaient de reflets argentés de soie,et la bouche fine, aux lèvres étroites, semblait dessinée par unminiaturiste, puis creusée par la main légère d’un ciseleur. Lavoix qui sortait de là avait des vibrations de cristal, et lesidées imprévues, mordantes, d’un tour particulier, méchant etdrôle, d’un charme destructeur, la séduction corruptrice et froide,la complication tranquille de cette gamine névrosée, troublaientson entourage de passions et d’agitations violentes. Elle étaitconnue de tout Paris comme la plus extravagante des mondaines duvrai monde, la plus spirituelle aussi ; mais personne nesavait au juste ce qu’elle était, ce qu’elle faisait. Elle dominaiten général les hommes avec une puissance irrésistible. Son mariégalement demeurait une énigme. Affable et grand seigneur, ilsemblait ne rien voir. Était-il aveugle, indifférent oucomplaisant ? Peut-être n’avait-il vraiment autre chose à voirque des excentricités qui, sans doute, l’amusaient lui-même. Toutesles opinions d’ailleurs se donnaient cours sur lui. Des bruits trèsméchants couraient. On allait jusqu’à insinuer qu’il profitait desvices secrets de sa femme.

Entre Mme de Burne et elle, il y avait des attirances de natureet des jalousies féroces, des périodes d’intimité suivies par descrises d’inimitié furieuse. Elles se plaisaient, se redoutaient etse recherchaient, comme deux duellistes de profession quis’apprécient et désirent se tuer.

La baronne de Frémines, en ce moment, triomphait. Elle venait deremporter une victoire, une grande victoire : elle avait conquisLamarthe ; elle l’avait pris à sa rivale, détaché et cueillipour le domestiquer ostensiblement parmi ses suivants attitrés. Leromancier semblait épris, intrigué, charmé et stupéfait de tout cequ’il avait découvert dans cette créature invraisemblable, et il nepouvait s’empêcher de parler d’elle à tout le monde, ce dont onjasait déjà.

Au moment où il présentait Mariolle, le regard de Mme de Burnetomba sur lui de l’autre bout du salon, et il sourit, en murmurantà l’oreille de son ami :

– Regardez donc la Souveraine d’ici qui n’est pas contente.

André leva les yeux ; mais Mme de Burne se retournait versMassival, apparu sous la portière soulevée.

Il fut suivi presque immédiatement par la marquise deBratiane ; ce qui fit dire à Lamarthe :

– Tiens ! nous n’aurons qu’une seconde audition de Didon,la première a dû avoir lieu dans le coupé de la marquise.

Mme de Frémines ajouta :

– La collection de notre amie de Burne perd vraiment ses plusbeaux joyaux.

Une colère, une sorte de haine contre cette femme, s’éveillabrusquement au cœur de Mariolle, et une irritation subite contretout ce monde, contre la vie de ces gens, leurs idées, leurs goûts,leurs penchants futiles, leurs amusements de pantins. Alors,profitant de ce que Lamarthe s’était penché pour parler bas à lajeune femme, il tourna le dos et s’éloigna.

La belle Mme Le Prieur se trouvait seule, à quelques pas devantlui. Il alla la saluer. D’après Lamarthe, celle-là représentaitl’ancien jeu dans ce milieu d’avant-garde. Jeune, grande, jolie,avec des traits fort réguliers, avec des cheveux châtains oùcouraient des nuances de feu, affable, captivante par son charmetranquille et bienveillant, par une coquetterie calme et savanteaussi, par un grand désir de plaire dissimulé sous des dehors desincère et simple affection, elle avait des partisans déterminés,qu’elle se gardait bien d’exposer à des rivalités dangereuses. Samaison passait pour un cercle d’étroite intimité, où tous leshabitués d’ailleurs vantaient avec ensemble les mérites dumari.

Elle et Mariolle se mirent à causer. Elle appréciait beaucoupcet homme intelligent et réservé, dont on parlait peu et qui valaitpeut-être mieux que les autres.

Les derniers invités entraient. Le gros Fresnel, essoufflé,essuyant encore d’un dernier effleurement de mouchoir son fronttoujours tiède et luisant, le philosophe mondain Georges de Maltry,puis, ensemble le baron de Gravil et le comte de Marantin. M. dePradon faisait avec sa fille les honneurs de cette matinée. Il futplein d’attentions pour Mariolle. Mais Mariolle, le cœur serré, laregardait aller, venir, s’occuper de tout ce monde plus que de lui.Deux fois, il est vrai, elle lui avait jeté de loin des regardsrapides qui semblaient dire : « Je pense à vous », mais si courtsqu’il s’était peut-être mépris sur leur sens. Et puis il ne pouvaitplus ne pas voir que l’assiduité agressive de Lamarthe pour Mme deFrémines irritait Mme de Burne. « Ce n’est là, pensait-il, que dudépit de coquette, de la jalousie de salonnière à qui on a volé unbibelot rare. » Il en souffrait déjà pourtant ; il souffraitsurtout de constater qu’elle les regardait sans cesse d’une façonfurtive et dissimulée, et qu’elle ne s’inquiétait nullement de levoir, lui, assis près de Mme Le Prieur. C’est qu’elle le tenait,elle en était sûre, tandis que l’autre lui échappait. Alorsqu’était donc pour elle déjà cet amour, leur amour né d’hier, etqui ne laissait survivre en lui aucune autre idée ?

M. de Pradon demandait le silence, et Massival ouvrait le piano,dont Mme de Bratiane s’approchait en ôtant ses gants, car elleallait chanter les transports de Didon, quand la porte s’ouvritencore une fois, et un jeune homme parut qui fixa tous les yeux. Ilétait grand, svelte, avec des favoris frisés, des cheveux blonds,courts et bouchés, un air absolument aristocrate. Mme Le Prieurelle-même semblait émue.

– Qui est-ce ? lui demanda Mariolle.

– Comment ! vous ne le connaissez pas ?

– Mais non.

– Le comte Rodolphe de Bernhaus.

– Ah ! celui qui s’est battu avec Sigismond Fabre.

– Oui.

L’histoire avait fait grand bruit. Le comte de Bernhaus,conseiller de l’ambassade d’Autriche, diplomate du plus grandavenir, un Bismarck élégant, disait-on, ayant entendu, dans uneréception officielle, un mot mal sonnant sur sa souveraine, sebattit le surlendemain avec celui qui l’avait prononcé, escrimeurcélèbre, et le tua. Après ce duel par qui l’opinion publique avaitété ravagée, le comte de Bernhaus acquit du jour au lendemain unecélébrité à la Sarah Bernhardt, avec cette différence que son nomapparaissait dans une auréole de poésie chevaleresque. Il était, enoutre, charmant, agréable causeur, excellemment distingué. Lamarthedisait de lui : « C’est le dompteur de nos belles féroces. »

Il s’assit auprès de Mme de Burne avec un air très galant, etMassival prit place devant le clavier, où ses doigts coururentquelques instants.

Presque tous les auditeurs changèrent de sièges, serapprochèrent, de façon à bien entendre et à bien voir en mêmetemps la chanteuse. Lamarthe se retrouva près de Mariolle épaulecontre épaule.

Il y eut un grand silence plein d’attente, d’attention et derespect ; puis le musicien commença par une lente, une trèslente succession de notes qui avaient l’air d’un récit musical. Ily avait des pauses, des reprises légères, des séries de petitesphrases, tantôt languissantes, tantôt nerveuses, inquiètessemblait-il, mais d’une originalité imprévue. Mariolle rêvait. Ilvoyait une femme, la reine de Carthage, dans la force de sajeunesse mûre et de sa beauté pleinement éclose, marchant à petitspas sur une côte baignée par la mer. Il devinait qu’elle souffrait,qu’elle avait dans l’âme un grand malheur, et il examinait Mme deBratiane.

Immobile, pâle sous ses pesants cheveux noirs, qui semblaientavoir été trempés dans de la nuit, l’Italienne, le regard fixedevant elle, attendait. Il y avait dans son visage énergique, unpeu dur, que ses yeux et ses sourcils marquaient comme des taches,dans tout son être brun, puissant et passionné, quelque chose desaisissant, une de ces menaces d’orages qu’on devine dans les cielssombres.

Massival continuait, en balançant un peu sa tête aux longscheveux, l’histoire poignante qu’il contait sur les sonores touchesd’ivoire.

Soudain un frisson parcourut la chanteuse ; elleentr’ouvrit la bouche, et il en sortit une plainte d’angoisseinterminable et déchirante. Ce n’était point une de ces clameurs dedésespoir tragique que les chanteurs exhalent sur la scène avec desgestes dramatiques, ce n’était pas non plus un de ces beauxgémissements d’amour trompé qui font éclater une salle en bravos,mais un inexprimable cri, sorti de la chair et non de l’âme, poussécomme un hurlement de bête écrasée, le cri de l’animal féminintrahi. Puis elle se tut ; et Massival recommença, vibrante,plus animée, plus tourmentée, l’histoire de cette misérable reinequ’un homme aimé avait abandonnée.

Alors, de nouveau, la voix de la femme s’éleva. Elle parlaitmaintenant, elle disait l’intolérable torture de la solitude,l’inapaisable soif des caresses enfuies et le supplice de savoirqu’il est parti pour toujours.

Sa voix chaude et vibrante faisait tressaillir les cœurs. Ellesemblait souffrir tout ce qu’elle disait, aimer ou du moins êtrecapable d’aimer d’une ardeur furieuse, cette sombre Italienne avecsa chevelure de ténèbres. Quand elle se tut, elle avait les yeuxpleins de larmes, et elle les essuya lentement. Lamarthe, penchévers Mariolle, et tout frémissant d’exaltation artiste, lui dit:

– Dieu ! qu’elle est belle en ce moment, mon cher : c’estune femme, la seule qui soit ici.

Puis, après une courte réflexion il ajouta :

– Au fait, qui sait ? Il n’y a peut-être là qu’un mirage dela musique, car rien n’existe que l’illusion ! Mais quel artpour en donner des illusions, celui-là, et toutes lesillusions !

Il y eut alors un repos entre la première et la deuxième partiedu poème musical, et on félicita chaudement le compositeur de soninterprète. Lamarthe surtout fut très ardent dans ses compliments,et il était vraiment sincère, en homme doué pour sentir, pourcomprendre, et que touchent également toutes les formes expriméesde la beauté. La façon dont il dit à Mme de Bratiane ce qu’il avaitéprouvé en l’écoutant fut flatteur à la faire un peu rougir ;et les autres femmes qui l’entendirent en conçurent quelque dépit.Il n’était peut-être pas inconscient de l’effet qu’il avaitproduit. Quand il se retourna pour reprendre sa place, il aperçutle comte Rodolphe de Bernhaus qui s’asseyait auprès de Mme deFrémines. Elle eut l’air tout de suite de lui faire desconfidences, et ils souriaient l’un et l’autre comme si cettecauserie intime les eût enchantés et ravis. Mariolle, de plus enplus morne, était debout contre une porte. Le romancier alla lerejoindre. Le gros Fresnel, Georges de Maltry, le baron de Gravilet le comte de Marantin entouraient Mme de Burne, qui, debout,offrait du thé. Elle semblait enfermée dans une couronned’adorateurs. Lamarthe le fit remarquer ironiquement à son ami, etil ajouta :

– Une couronne sans joyau d’ailleurs, et je suis certain qu’elledonnerait tous ces cailloux du Rhin pour le brillant qui luimanque.

– Quel brillant ? demanda Mariolle.

– Mais Bernhaus, le beau, l’irrésistible, l’incomparableBernhaus, celui pour qui cette fête est donnée, pour qui on a faitce miracle de décider Massival à faire chanter ici sa Didonflorentine.

André, bien qu’incrédule, se sentit étreint par un poignantchagrin.

– Y a-t-il longtemps qu’elle le connaît ? dit-il.

– Oh ! non, dix jours tout au plus. Mais elle en a fait desefforts pendant cette courte campagne, et de la tactique deconquérante. Si vous aviez été ici, vous auriez bien ri.

– Ah ! pourquoi donc ?

– Elle l’a rencontré pour la première fois chez Mme de Frémines.J’y dînais ce soir-là. Bernhaus est très bien dans cette maison,comme vous pouvez voir ; il suffit de le regarder en cemoment ; et voilà, à la minute même qui suivit leur doublesalut, notre belle amie de Burne partie en guerre à la conquête del’unique Autrichien. Et elle réussit, elle réussira, bien que lapetite Frémines lui soit bien supérieure en rosserie, enindifférence réelle et en perversité peut-être. Mais notre amie deBurne est plus savante en coquetterie, plus femme, j’entends femmemoderne, c’est-à-dire irrésistible par l’artifice de séduction quiremplace chez elles l’ancien charme naturel. Et ce n’est pas encorel’artifice qu’il faudrait dire, mais l’esthétique, le sens profondde l’esthétique féminin. Toute sa puissance est là. Elle se connaîtadmirablement, parce qu’elle se plaît à elle-même plus que tout, etelle ne se trompe jamais sur le meilleur moyen de conquérir unhomme et de se mettre en valeur pour nous capter.

Mariolle protesta.

– Je crois que vous exagérez ; avec moi elle a été toujoursfort simple !

– Parce que la simplicité est le truc qui vous convient.D’ailleurs, je n’en veux pas dire de mal ; je la trouvesupérieure à presque toutes ses semblables. Mais ce ne sont pas desfemmes.

Quelques accords de Massival les firent taire, et Mme deBratiane chanta la seconde partie du poème, où elle fut vraimentune Didon superbe de passion physique et de désespoir sensuel.

Mais Lamarthe ne quittait pas des yeux le tête-à-tête de Mme deFrémines et du comte de Bernhaus.

Dès que la dernière vibration du piano se fut perdue dans lesapplaudissements, il reprit, irrité comme s’il eût continué unediscussion, comme s’il eût répondu à quelque adversaire :

– Non, ce ne sont pas des femmes. Les plus honnêtes d’entreelles sont des rosses inconscientes. Plus je les connais, moins jetrouve en elles cette sensation d’ivresse douce qu’une vraie femmedoit nous donner. Elles grisent aussi, mais en exaspérant lesnerfs, car elles sont frelatées. Oh, c’est très bon à déguster,mais ça ne vaut pas le vrai vin d’autrefois. Voyez-vous, mon cher,la femme n’est créée et venue en ce monde que pour deux choses, quiseules peuvent faire épanouir ses vraies, ses grandes, sesexcellentes qualités : l’amour et l’enfant. Je parle comme M.Prudhomme. Or celles-ci sont incapables d’amour, et elles neveulent pas d’enfants ; quand elles en ont, par maladresse,c’est un malheur, puis un fardeau. En vérité, ce sont desmonstres.

Étonné du ton violent qu’avait pris l’écrivain et du regard decolère qui brillait dans ses yeux, Mariolle lui demanda :

– Alors pourquoi passez-vous la moitié de votre vie dans leursjupes ?

Lamarthe répondit avec vivacité :

– Pourquoi ? Pourquoi ? Mais parce que ça m’intéresse,parbleu ! Et puis… et puis… allez vous défendre aux médecinsd’entrer dans les hôpitaux regarder les maladies ? C’est maclinique à moi, ces femmes-là.

Cette réflexion parut l’avoir calmé. Il ajouta :

– Puis, je les adore parce qu’elles sont bien d’aujourd’hui. Aufond je ne suis guère plus un homme qu’elles ne sont des femmes.Quand je me suis à peu près attaché à l’une d’elles, je m’amuse àdécouvrir et à examiner tout ce qui m’en détache avec une curiositéde chimiste qui s’empoisonne pour expérimenter des venins.

Après un silence il reprit encore :

– De cette façon je ne serai jamais vraiment pincé par elles. Jejoue leur jeu, aussi bien qu’elles, mieux qu’elles peut-être, et çame sert pour mes livres, tandis que ça ne leur sert à rien, àelles, ce qu’elles font. Sont-elles bêtes ! Toutes des ratées,de délicieuses ratées qui n’arrivent, quand elles sont sensibles àleur manière, qu’à crever de chagrin en vieillissant.

En l’écoutant, Mariolle sentait tomber sur lui une de cestristesses pareilles aux humides mélancolies dont les pluiescontinues assombrissent la terre. Il savait bien qu’en générall’homme de lettres n’avait pas tort, mais il ne pouvait admettrequ’il eût tout à fait raison.

Alors, un peu irrité, il discuta, non pas tant pour défendre lesfemmes que pour découvrir les causes de leur mobilité désenchantéedans la littérature contemporaine.

– Au temps où les romanciers et les poètes les exaltaient et lesfaisaient rêver, disait-il, elles cherchaient et croyaient trouverdans la vie l’équivalent de ce que leur cœur avait pressenti dansleurs lectures. Aujourd’hui, vous vous obstinez à supprimer toutesles apparences poétiques et séduisantes, pour ne montrer que lesréalités désillusionnantes. Or, mon cher, plus d’amour dans leslivres, plus d’amour dans la vie. Vous étiez des inventeursd’idéal, elles croyaient à vos inventions. Vous n’êtes maintenantque des évocateurs de réalités précises, et derrière vous elles sesont mises à croire à la vulgarité de tout.

Lamarthe, qu’amusaient toujours les discussions littéraires,commençait une dissertation quand Mme de Burne s’approchad’eux.

Elle était vraiment dans un de ses beaux jours, habillée à ravirles yeux, avec cet air hardi et provocant que lui donnait lasensation de la lutte. Elle s’assit :

– Voilà ce que j’aime, dit-elle : surprendre deux hommes quicausent, sans qu’ils parlent pour moi. Vous êtes d’ailleurs lesdeux seuls intéressants à entendre ici. Sur quoidiscutez-vous ?

Lamarthe, sans embarras et d’un ton de gouaillerie galante, luirévéla la question soulevée. Puis il reprit ses arguments avec uneverve accentuée par le désir de parade qui excite devant les femmestous les buveurs de gloire.

Elle s’amusa tout de suite du motif de cette querelle, et,excitée elle-même par ce sujet, y prit part, en défendant lesfemmes modernes avec beaucoup d’esprit, de finesse et d’à-propos.Quelques phrases, incompréhensibles pour le romancier, sur lafidélité et l’attachement dont les plus suspectes pouvaient êtrecapables, firent battre le cœur de Mariolle, et, quand elle futpartie pour aller s’asseoir à côté de Mme de Frémines, qui avaitgardé près d’elle obstinément le comte de Bernhaus, Lamarthe etMariolle, séduits par tout ce qu’elle leur avait montré de scienceféminine et de grâce, se déclarèrent l’un à l’autre qu’elle étaitincontestablement exquise.

– Et regardez-là ! dit l’écrivain.

C’était le grand duel. De quoi parlaient-ils, à présent,l’Autrichien et les deux femmes ? Mme de Burne était arrivéejuste au moment où le tête-à-tête trop prolongé de deux personnes,même quand elles se plaisent devient monotone ; et elle lerompait en racontant d’un air indigné tout ce qu’elle venaitd’entendre dans la bouche de Lamarthe. Tout cela certes pouvaits’appliquer à Mme de Frémines, tout cela venait de sa plus récenteconquête, tout cela était répété devant un homme très fin quisavait tout comprendre. Le feu de nouveau prit à cette questionéternelle de l’amour ; et la maîtresse de la maison fit signeà Lamarthe et à Mariolle de les rejoindre. Puis, comme les voixs’élevaient, elle appela tout le monde.

Une discussion générale suivit, gaie et passionnée, où chacundit son mot, et où Mme de Burne trouva le moyen d’être la plus fineet la plus amusante, en laissant traîner du sentiment, peut-êtrefactice, en de drolatiques opinions, car elle était vraiment dansun jour de succès, plus animée, intelligente et jolie qu’ellen’avait jamais été.

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer