Timon d’Athènes

SCÈNE III

Appartement de la maison de Sempronius.

Entrent SEMPRONIUS ET UN SERVITEUR de Timon.

SEMPRONIUS. – Et pourquoi m’importuner, moi,hom ! par préférence à tous les autres ? Ne pouvait-ilpas s’adresser au seigneur Lucius, à Lucullus ? Ce Ventidius,qu’il a racheté de la prison, est riche maintenant. Ces troishommes lui sont redevables de tout ce qu’ils possèdent.

LE SERVITEUR. – Hélas ! seigneur, toustrois ont été essayés à la pierre de touche, et nous n’avons trouvéen eux qu’un vil métal ; car ils ont tous refusé.

SEMPRONIUS. – Comment, ils l’ont refusé !Lucullus, Ventidius l’ont refusé, et il vient s’adresser àmoi ?… Tous trois ? Une pareille démarche annonce de sapart peu de jugement, ou peu d’amitié ; dois-je être sondernier refuge ? Ses amis, comme autant de médecins, l’onttous trois condamné, et il faut que ce soit moi qu’on charge decette cure ? Je m’en trouve très-offensé, je suis en colèrecontre lui, il eût dû mieux connaître mon rang. Je ne vois pas deraison pour que, dans son besoin, il ne m’ait pas imploréd’abord ; car enfin je suis, je l’avoue, le premier homme quiait reçu des présents de lui, et il me recule dans son souvenir aupoint de penser que je serais le dernier à lui marquer mareconnaissance ! Non. – Il n’en faut pas davantage pour merendre un objet de risée aux yeux de toute la ville, et me fairepasser pour un fou parmi les grands seigneurs. J’aimerais mieux,pour trois fois la somme qu’il demande, qu’il se fût adressé à moile premier, ne fût-ce que pour l’honneur de mon cœur, j’avais sigrand désir de rendre un service. Retourne, et à la froide réponsede ses amis ajoute celle-ci : « Celui qui blesse monhonneur ne verra pas mon argent. »

(Il sort.)

LE SERVITEUR. – À merveille ! VotreSeigneurie est un admirable coquin ! Le diable n’a pas su cequ’il faisait en rendant l’homme si astucieux : il s’est faittort ; et je ne puis m’empêcher de penser qu’au bout du comptela scélératesse de l’homme le blanchira lui-même. Comme ce seigneurcherche à colorer sa bassesse, et copie de vertueux modèles pourjustifier sa méchanceté ! ainsi font ceux qui, sous le voiled’un patriotisme ardent, voudraient mettre des royaumes entiers enfeu ! Tel est le caractère de cet ami politique. Il était leplus solide espoir de mon maître. Tous ont déserté, les dieux seulsexceptés. Tous ses amis sont morts. Ces portes qui, dans des joursde prospérité, ne connurent jamais de verrous, vont être employéesà protéger la liberté de leur maître. Voilà tout le fruit qu’ilrecueille de ses largesses. Celui qui ne peut garder son argentdoit à la fin garder sa maison.

(Il sort.)

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