Contes – Tome I

Contes – Tome I

de Marie-Catherine d’Aulnoy

La Belle aux cheveux d’or

 

Il y avait une fois la fille d’un roi qui était si belle qu’il n’y avait rien de si beau au monde ; et à cause qu’elle était si belle on la nommait la Belle aux cheveux d’or car ses cheveux étaient plus fins que de l’or, et blonds par merveille, tout frisés, qui lui tombaient jusque sur les pieds.Elle allait toujours couverte de ses cheveux bouclés, avec une couronne de fleurs sur la tête et des habits brodés de diamants et de perles : tant y a qu’on ne pouvait la voir sans l’aimer.

Il y avait un jeune roi de ses voisins qui n’était point marié, et qui était bien fait et bien riche. Quand il eut appris tout ce qu’on disait de la Belle aux cheveux d’or, bien qu’il ne l’eût point encore vue, il se prit à l’aimer si fort,qu’il en perdait le boire et le manger, et il se résolut de lui envoyer un ambassadeur pour la demander en mariage. Il fit faire un carrosse magnifique à son ambassadeur ; il lui donna plus de cent chevaux et cent laquais, et lui recommanda bien de lui amener la princesse.

Quand il eut pris congé du roi et qu’il fut parti, toute la cour ne parlait d’autre chose ; et le roi, quine doutait pas que la Belle aux cheveux d’or ne consentît à ce qu’il souhaitait, lui faisait déjà faire de belles robes et des meubles admirables. Pendant que les ouvriers étaient occupés à travailler, l’ambassadeur, arrivé chez la Belle aux cheveux d’or,lui fit son petit message ; mais, soit qu’elle ne fût pas ce jour-là de bonne humeur, ou que le compliment ne lui semblât pas à son gré, elle répondit à l’ambassadeur qu’elle remerciait le roi,mais qu’elle n’avait point envie de se marier.

L’ambassadeur partit de la cour de cetteprincesse, bien triste de ne la pas amener avec lui ; ilrapporta tous les présents qu’il lui avait portés de la part duroi, car elle était fort sage, et savait bien qu’il ne faut pas queles filles reçoivent rien des garçons : aussi elle ne voulutjamais accepter les beaux diamants et le reste ; et, pour nepas mécontenter le roi, elle prit seulement un quarteron d’épinglesd’Angleterre.

Quand l’ambassadeur arriva à la grande villedu roi, où il était attendu si impatiemment, chacun s’affligea dece qu’il n’amenait point la Belle aux cheveux d’or. Le roi se mit àpleurer comme un enfant : on le consolait sans en pouvoirvenir à bout.

Il y avait un jeune garçon à la cour qui étaitbeau comme le soleil, et le mieux fait de tout le royaume : àcause de sa bonne grâce et de son esprit, on le nommait Avenant.Tout le monde l’aimait, hors les envieux, qui étaient fâchés que leroi lui fît du bien et qu’il lui confiât tous les jours sesaffaires.

Avenant se trouva avec des personnes quiparlaient du retour de l’ambassadeur, et qui disaient qu’il n’avaitrien fait qui vaille. Il leur dit, sans y prendre garde :

– Si le roi m’avait envoyé vers la Belle auxcheveux d’or, je suis certain qu’elle serait venue avec moi. Toutaussitôt ces méchantes gens vont dire au roi :

– Sire, vous ne savez pas ce que ditAvenant ? Que, si vous l’aviez envoyé chez la Belle auxcheveux d’or, il l’aurait ramenée. Considérez bien sa malice, ilprétend être plus beau que vous, et qu’elle l’aurait tant aimé,qu’elle l’aurait suivi partout.

Voilà le roi qui se met en colère, en colèretant et tant, qu’il était hors de lui.

– Ha ! ha ! dit-il, ce joli mignonse moque de mon malheur, et il se prise plus que moi. Allons, qu’onle mette dans ma grosse tour, et qu’il y meure de faim !

Les gardes du roi furent chez Avenant, qui nepensait plus à ce qu’il avait dit. Ils le traînèrent en prison etlui firent mille maux. Ce pauvre garçon n’avait qu’un peu de paillepour se coucher et il serait mort sans une petite fontaine quicoulait dans le pied de la tour, dont il buvait un peu pour serafraîchir, car la faim lui avait bien séché la bouche.

Un jour qu’il n’en pouvait plus, il disait ensoupirant :

– De quoi se plaint le roi ? Il n’a pointde sujet qui lui soit plus fidèle que moi, je ne l’ai jamaisoffensé.

Le roi, par hasard, passait près de la tour,et quand il entendit la voix de celui qu’il avait tant aimé, ils’arrêta pour l’écouter, malgré ceux qui étaient avec lui, quihaïssaient Avenant et qui disaient au roi :

– À quoi vous amusez-vous, sire ! nesavez-vous pas que c’est un fripon ?

Le roi répondit :

– Laissez-moi là, je veux l’écouter.

Ayant ouï ses plaintes, les larmes lui vinrentaux yeux. Il ouvrit la porte de la tour et l’appela. Avenant vinttout triste se mettre à genoux devant lui, et baisa sespieds :

– Que vous ai-je fait, sire, lui dit-il, pourme traiter si durement ?

– Tu t’es moqué de moi et de mon ambassadeur,dit le roi. Tu as dit que si je t’avais envoyé chez la Belle auxcheveux d’or, tu l’aurais bien amenée.

– Il est vrai, sire, répondit Avenant, que jelui aurais si bien fait connaître vos grandes qualités, que je suispersuadé qu’elle n’aurait pu s’en défendre ; et en cela jen’ai rien dit qui ne vous dût être agréable.

Le roi trouva qu’effectivement il n’avaitpoint de tort ; il regarda de travers ceux qui lui avaient ditdu mal de son favori, et il l’emmena avec lui, se repentant bien dela peine qu’il lui avait faite.

Après l’avoir fait souper à merveille, ill’appela dans son cabinet, et lui dit :

– Avenant, j’aime toujours la Belle auxcheveux d’or, ses refus ne m’ont point rebuté ; mais je nesais comment m’y prendre pour qu’elle veuille m’épouser : j’aienvie de t’y envoyer pour voir si tu pourras réussir.

Avenant répliqua qu’il était disposé à luiobéir en toutes choses, et qu’il partirait dès le lendemain.

– Ho ! dit le roi, je veux te donner ungrand équipage.

– Cela n’est point nécessaire,répondit-il ; il ne me faut qu’un bon cheval, avec des lettresde votre part. Le roi l’embrassa, car il était ravi de le voirsitôt prêt.

Ce fut le lundi matin qu’il prit congé du roiet de ses amis, pour aller à son ambassade tout seul, sans pompe etsans bruit. Il ne faisait que rêver aux moyens d’engager la Belleaux cheveux d’or à épouser le roi. Il avait une écritoire dans sapoche, et, quand il lui venait quelque belle pensée à mettre danssa harangue, il descendait de cheval et s’asseyait sous des arbrespour écrire, afin de ne rien oublier. Un matin qu’il était parti àla petite pointe du jour, en passant dans une grande prairie, illui vint une pensée fort jolie ; il mit pied à terre, et seplaça contre des saules et des peupliers qui étaient plantés lelong d’une petite rivière qui coulait au bord du pré. Après qu’ileut écrit, il regarda de tous côtés, charmé de se trouver en un sibel endroit. Il aperçut sur l’herbe une grosse carpe dorée quibâillait et qui n’en pouvait plus, car, ayant voulu attraper depetits moucherons, elle avait sauté si hors de l’eau, qu’elles’était élancée sur l’herbe, où elle était près de mourir. Avenanten eut pitié ; et, quoiqu’il fût jour maigre et qu’il eût pul’emporter pour son dîner, il fut la prendre et la remit doucementdans la rivière. Dès que ma commère la carpe sent la fraîcheur del’eau, elle commence à se réjouir, et se laisse couler jusqu’aufond ; puis revenant toute gaillarde au bord de larivière :

– Avenant, dit-elle, je vous remercie duplaisir que vous venez de me faire ; sans vous je seraismorte, et vous m’avez sauvée ; je vous le revaudrai.

Après ce petit compliment, elle s’enfonça dansl’eau ; et Avenant demeura bien surpris de l’esprit et de lagrande civilité de la carpe.

Un autre jour qu’il continuait son voyage, ilvit un corbeau bien embarrassé : ce pauvre oiseau étaitpoursuivi par un gros aigle grand mangeur de corbeaux ; ilétait près de l’attraper, et il l’aurait avalé comme une lentille,si Avenant n’eût éprouvé de la compassion pour cet oiseau.

– Voilà, dit-il, comme les plus fortsoppriment les plus faibles : quelle raison a l’aigle de mangerle corbeau ?

Il prend son arc qu’il portait toujours, etune flèche, puis, visant bien l’aigle, croc ! il lui décochela flèche dans le corps et le perce de part en part. L’aigle tombemort, et le corbeau, ravi, vient se percher sur un arbre.

– Avenant, lui dit-il, vous êtes bien généreuxde m’avoir secouru, moi qui ne suis qu’un misérable corbeau ;mais je ne demeurerai point ingrat, je vous le revaudrai.

Avenant admira le bon esprit du corbeau etcontinua son chemin. En entrant dans un grand bois, si matin qu’ilne voyait qu’à peine son chemin, il entendit un hibou qui criait enhibou désespéré.

– Ouais ! dit-il, voilà un hibou bienaffligé, il pourrait s’être laissé prendre dans quelque filet.

Il chercha de tous côtés, et enfin il trouvade grands filets que des oiseleurs avaient tendus la nuit pourattraper des oisillons.

– Quelle pitié ! dit-il ; les hommesne sont faits que pour s’entre-tourmenter, ou pour persécuter depauvres animaux qui ne leur font ni tort ni dommage.

Il tira son couteau et coupa les cordelettes.Le hibou prit l’essor ; mais, revenant àtire-d’aile :

– Avenant, dit-il, il n’est pas nécessaire queje vous fasse une longue harangue pour vous faire comprendrel’obligation que je vous ai ; elle parle assezd’elle-même : les chasseurs allaient venir, j’étais pris,j’étais mort sans votre secours. J’ai le cœur reconnaissant, jevous le revaudrai.

Voilà les trois plus considérables aventuresqui arrivèrent à Avenant dans son voyage. Il était si presséd’arriver, qu’il ne tarda pas à se rendre au palais de la Belle auxcheveux d’or. Tout y était admirable ; l’on y voyait lesdiamants entassés comme des pierres ; les beaux habits, lebonbon, l’argent ; c’étaient des choses merveilleuses ;et il pensait en lui-même que, si elle quittait tout cela pourvenir chez le roi son maître, il faudrait qu’il ait bien de lachance. Il prit un habit de brocart, des plumes incarnates etblanches ; il se peigna, se poudra, se lava le visage, mit uneriche écharpe toute brodée à son cou, avec un petit panier, etdedans un beau petit chien, qu’il avait acheté en passant àBoulogne. Avenant était si bien fait, si aimable, il faisait toutechose avec tant de grâce, que, lorsqu’il se présenta à la porte dupalais, tous les gardes lui firent une grande révérence ; etl’on courut dire à la Belle aux cheveux d’or qu’Avenant,ambassadeur du roi son plus proche voisin, demandait à la voir.

Sur ce nom d’Avenant, la princessedit :

– Cela me porte bonne signification ; jegagerais qu’il est joli et qu’il plaît à tout le monde.

– Vraiment oui, madame, lui dirent toutes sesfilles d’honneur, nous l’avons vu du grenier où nous accommodionsvotre filasse, et tant qu’il est demeuré sous les fenêtres nousn’avons pu rien faire.

– Voilà qui est beau, répliqua la Belle auxcheveux d’or, de vous amuser à regarder les garçons ! Çà, quel’on me donne ma grande robe de satin bleu brodée, et que l’onéparpille bien mes blonds cheveux ; que l’on me fasse desguirlandes de fleurs nouvelles ; que l’on me donne messouliers hauts et mon éventail ; que l’on balaie ma chambre etmon trône : car je veux qu’il dise partout que je suisvraiment la Belle aux cheveux d’or.

Voilà toutes les femmes qui s’empressaient dela parer comme une reine ; elles montraient tant de hâtequ’elles s’entrecognaient et n’avançaient guère. Enfin la princessepassa dans sa galerie aux grands miroirs, pour voir si rien ne luimanquait. Puis elle monta sur son trône d’or, d’ivoire, et d’ébène,qui sentait comme baume ; et elle commanda à ses filles deprendre des instruments et de chanter tout doucement pourn’étourdir personne.

On conduisit Avenant dans la salle d’audience.Il demeura si transporté d’admiration qu’il a dit depuis bien desfois qu’il ne pouvait presque parler. Néanmoins il reprit courageet fit sa harangue à merveille : il pria la princesse qu’iln’eût pas le déplaisir de s’en retourner sans elle.

– Gentil Avenant, lui dit-elle, toutes lesraisons que vous venez de me conter sont fort bonnes, et je vousassure que je serais bien aise de vous favoriser plus qu’un autre.Mais il faut que vous sachiez qu’il y a un mois je fus me promenersur la rivière avec toutes mes dames ; et comme l’on me servitma collation, en ôtant mon gant je tirai de mon doigt une bague quitomba par malheur dans la rivière. Je la chérissais plus que monroyaume. Je vous laisse à juger de quelle affliction cette pertefut suivie. J’ai fait serment de n’écouter jamais aucuneproposition de mariage, que l’ambassadeur qui me proposera un épouxne me rapporte ma bague. Voyez à présent ce que vous avez à fairelà-dessus car quand vous me parleriez quinze jours et quinze nuits,vous ne me persuaderiez pas de changer de sentiment.

Avenant demeura bien étonné de cette réponse.Il lui fit une profonde révérence et la pria de recevoir le petitchien, le panier et l’écharpe ; mais elle lui répliqua qu’ellene voulait point de présents, et qu’il songeât à ce qu’elle venaitde lui dire.

Quand il fut retourné chez lui, il se couchasans souper. Son petit chien, qui s’appelait Cabriolle, ne voulutpas souper non plus : il vint se mettre auprès de lui. Detoute la nuit, Avenant ne cessa point de soupirer.

– Où puis-je prendre une bague tombée depuisun mois dans une grande rivière ? disait-il. C’est toute foliede l’entreprendre ! La princesse ne m’a dit cela que pour memettre dans l’impossibilité de lui obéir.

Il soupirait et s’affligeait fort. Cabriolle,qui l’écoutait, lui dit :

– Mon cher maître, je vous prie, ne désespérezpoint de votre bonne fortune : vous êtes trop aimable pourn’être pas heureux. Allons dès qu’il fera jour au bord de larivière.

Avenant lui donna deux petits coups de la mainet ne répondit rien ; mais, tout accablé de tristesse, ils’endormit. Cabriolle, voyant le jour, cabriola tant qu’ill’éveilla, et lui dit :

– Mon maître, habillez-vous, et sortons.Avenant le voulut bien. Il se lève, s’habille et descend dans lejardin, et du jardin il va insensiblement au bord de la rivière, oùil se promenait son chapeau sur les yeux et ses bras croisés l’unsur l’autre, ne pensant qu’à son départ, quand tout d’un coup ilentendit qu’on l’appelait :

– Avenant ! Avenant !

Il regarde de tous côtés et ne voitpersonne ; il crut rêver. Il continue sa promenade ; onle rappelle :

– Avenant ! Avenant !

– Qui m’appelle ? dit-il.

Cabriolle, qui était fort petit, et quiregardait de près l’eau, lui répliqua :

– Ne me croyez jamais, si ce n’est une carpedorée que j’aperçois.

Aussitôt la grosse carpe paraît, et luidit :

– Vous m’avez sauvé la vie dans le pré desalisiers, où je serais restée sans vous ; je vous promis devous le revaloir. Tenez, cher Avenant, voici la bague de la Belleaux cheveux d’or.

Il se baissa et la prit dans la gueule de macommère la carpe, qu’il remercia mille fois.

Au lieu de retourner chez lui, il fut droit aupalais avec le petit Cabriolle, qui était bien aise d’avoir faitvenir son maître au bord de l’eau. On alla dire à la princessequ’il demandait à la voir.

– Hélas ! dit-elle, le pauvre garçon, ilvient prendre congé de moi. Il a considéré que ce que je veux estimpossible, et il va le dire à son maître.

On fit entrer Avenant, qui lui présenta sabague et lui dit :

– Madame la princesse, voilà votrecommandement fait ; vous plaît-il recevoir le roi mon maîtrepour époux ?

Quand elle vit sa bague où il ne manquaitrien, elle resta si étonnée, qu’elle croyait rêver.

– Vraiment, dit-elle, gracieux Avenant, ilfaut que vous soyez favorisé de quelque fée, car naturellement celan’est pas possible.

– Madame, dit-il, je n’en connais aucune, maisj’avais bien envie de vous obéir.

– Puisque vous avez si bonne volonté,continua-t-elle, il faut que vous me rendiez un autre service, sanslequel je ne me marierai jamais. Il y a un prince, qui n’est paséloigné d’ici, appelé Galifron, lequel s’était mis dans l’esprit dem’épouser. Il me fit déclarer son dessein avec des menacesépouvantables, que si je le refusais il désolerait mon royaume.Mais jugez si je pouvais l’accepter : c’est un géant qui estplus haut qu’une haute tour ; il mange un homme comme un singemange un marron. Quand il va à la campagne, il porte dans sespoches de petits canons, dont il se sert de pistolets ; et,lorsqu’il parle bien haut, ceux qui sont près de lui deviennentsourds. Je lui fis répondre que je ne voulais point me marier, etqu’il m’excusât ; cependant, il n’a point laissé de mepersécuter ; il tue tous mes sujets et, avant toutes choses,il faut vous battre contre lui et m’apporter sa tête.

Avenant demeura un peu étourdi de cetteproposition. Il rêva quelque temps, puis il dit :

– Eh bien, madame, je combattrai Galifron. Jecrois que je serai vaincu ; mais je mourrai en hommebrave.

La princesse resta bien étonnée : ellelui dit mille choses pour l’empêcher de faire cette entreprise.Cela ne servit à rien : il se retira pour aller chercher desarmes et tout ce qu’il lui fallait. Quand il eut ce qu’il voulait,il remit le petit Cabriolle dans son panier, monta sur son beaucheval, et fut dans le pays de Galifron. Il demandait de sesnouvelles à ceux qu’il rencontrait, et chacun lui disait quec’était un vrai démon dont on n’osait approcher : plus ilentendait dire cela, plus il avait peur. Cabriolle le rassurait, enlui disant :

– Mon cher maître, pendant que vous vousbattrez, j’irai lui mordre les jambes ; il baissera la têtepour me chasser, et vous le tuerez.

Avenant admirait l’esprit du petit chien, maisil savait assez que son secours ne suffirait pas.

Enfin, il arriva près du château de Galifron.Tous les chemins étaient couverts d’os et de carcasses d’hommesqu’il avait mangés ou mis en pièces. Il ne l’attendit paslongtemps, qu’il le vit venir à travers un bois. Sa tête dépassaitles plus grands arbres, et il chantait d’une voixépouvantable :

Où sont les petits enfants,

Que je les croque à belles dents ?

Il m’en faut tant, tant et tant

Que le monde n’est suffisant.

Aussitôt Avenant se mit à chanter sur le mêmeair :

Approche, voici Avenant,

Qui t’arrachera les dents ;

Bien qu’il ne soit pas des plus grands,

Pour te battre il est suffisant.

Les rimes n’étaient pas bien régulières maisil fit la chanson fort vite, et c’est même un miracle qu’il ne lafît pas plus mal, car il avait horriblement peur. Quand Galifronentendit ces paroles, il regarda de tous côtés, et aperçut Avenantl’épée à la main, qui lui dit deux ou trois injures pour l’irriter.Il n’en fallut pas tant : il se mit dans une colèreeffroyable ; et prenant une massue toute de fer, il auraitassommé du premier coup le gentil Avenant, sans un corbeau qui vintse mettre sur le haut de sa tête, et avec son bec lui donna sijuste dans les yeux, qu’il les creva ; le sang coulait sur sonvisage, il était comme un désespéré, frappant de tous côtés.Avenant l’évitait et lui portait de grands coups d’épée qu’ilenfonçait jusqu’à la garde, et qui lui faisaient mille blessures,par où il perdit tant de sang qu’il tomba. Aussitôt Avenant luicoupa la tête, bien ravi d’avoir été si heureux ; et lecorbeau, qui s’était perché sur un arbre, lui dit :

– Je n’ai pas oublié le service que vous merendîtes en tuant l’aigle qui me poursuivait. Je vous promis dem’en acquitter : je crois l’avoir fait aujourd’hui.

– C’est moi qui vous dois tout, monsieur duCorbeau, répliqua Avenant ; je demeure votre serviteur. Ilmonta aussitôt à cheval, chargé de l’épouvantable tête deGalifron.

Quand il arriva dans la ville, tout le mondele suivait et criait : « Voici le brave Avenant qui vientde tuer le monstre », de sorte que la princesse, qui entenditbien du bruit et qui tremblait qu’on ne lui vînt apprendre la mortd’Avenant, n’osait demander ce qui lui était arrivé ; maiselle vit entrer Avenant avec la tête du géant, qui ne laissa pas delui faire encore peur, bien qu’il n’y eût plus rien à craindre.

– Madame, lui dit-il, votre ennemi estmort ; j’espère que vous ne refuserez plus le roi monmaître ?

– Ah ! si fait, dit la Belle aux cheveuxd’or, je le refuserai si vous ne trouvez moyen, avant mon départ,de m’apporter de l’eau de la grotte ténébreuse.

« Il y a proche d’ici une grotte profondequi a bien six lieues de tour. On trouve à l’entrée deux dragonsqui empêchent qu’on y entre. Ils ont du feu dans la gueule et dansles yeux. Puis, lorsqu’on est dans la grotte, on trouve un grandtrou dans lequel il faut descendre : il est plein de crapauds,de couleuvres et de serpents. Au fond de ce trou, il y a une petitecave où coule la fontaine de beauté et de santé : c’est decette eau que je veux absolument. Tout ce qu’on en lave devientmerveilleux : si l’on est belle, on demeure toujoursbelle ; si l’on est laide, on devient belle ; si l’on estjeune, on reste jeune ; si l’on est vieille, on devient jeune.Vous jugez bien, Avenant, que je ne quitterai pas mon royaume sansen emporter.

– Madame, lui dit-il, vous êtes si belle quecette eau vous est bien inutile ; mais je suis un malheureuxambassadeur dont vous voulez la mort : je vais aller chercherce que vous désirez, avec la certitude de n’en pouvoir revenir.

La Belle aux cheveux d’or ne changea point dedessein, et Avenant partit avec le petit chien Cabriolle, pouraller à la grotte ténébreuse chercher de l’eau de beauté. Tous ceuxqu’il rencontrait sur le chemin disaient :

– C’est une pitié de voir un garçon si aimablealler se perdre de gaieté de cœur ; il va seul à la grotte, etquand irait-il accompagné de cent braves, il n’en pourrait venir àbout. Pourquoi la princesse ne veut-elle que des chosesimpossibles ?

Il continuait de marcher, et ne disait pas unmot ; mais il était bien triste.

Il arriva vers le haut d’une montagne où ils’assit pour se reposer un peu, et il laissa paître son cheval etcourir Cabriolle après des mouches. Il savait que la grotteténébreuse n’était pas loin de là, il regardait s’il ne la verraitpoint. Enfin il aperçut un vilain rocher noir comme de l’encre,d’où sortait une grosse fumée, et au bout d’un moment un desdragons, qui jetait du feu par les yeux et par la gueule : ilavait le corps jaune et vert, des griffes et une longue queue quifaisait plus de cent tours. Cabriolle vit tout cela ; il nesavait où se cacher, tant il avait peur.

Avenant, tout résolu de mourir, tira son épée,descendit avec une fiole que la Belle aux cheveux d’or lui avaitdonnée pour la remplir de l’eau de beauté. Il dit à son chienCabriolle :

– C’est fait de moi ! je ne pourraijamais avoir de cette eau qui est gardée par des dragons. Quand jeserai mort, remplis la fiole de mon sang et porte-la à laprincesse, pour qu’elle voie ce qu’elle me coûte ; et puis vatrouver le roi mon maître et conte-lui mon malheur.

Comme il parlait ainsi, il entendit qu’onappelait :

– Avenant ! Avenant !

Il dit :

– Qui m’appelle ?

Et il vit un hibou dans le trou d’un vieilarbre, qui lui dit :

– Vous m’avez retiré du filet des chasseurs oùj’étais pris, et vous me sauvâtes la vie, je vous promis que jevous le revaudrais : en voici le temps. Donnez-moi votrefiole : je sais tous les chemins de la grotteténébreuse ; je vais vous chercher de l’eau de beauté.

Dame ! qui fut bien aise ? je vousle laisse à penser. Avenant lui donna vite la fiole, et le hibouentra sans nul empêchement dans la grotte. En moins d’un quartd’heure, il revint rapporter la bouteille bien bouchée. Avenant futravi, il le remercia de tout son cœur, et, remontant la montagne,il prit le chemin de la ville bien joyeux.

Il alla droit au palais ; il présenta lafiole à la Belle aux cheveux d’or, qui n’eut plus rien àdire : elle remercia Avenant, et donna ordre à tout ce qu’ilfallait pour partir ; puis elle se mit en voyage avec lui.Elle le trouvait bien aimable et lui disait quelquefois :

– Si vous aviez voulu, je vous aurais faitroi, nous ne serions point partis de mon royaume.

Mais il répondit :

– Je ne voudrais pas faire un si granddéplaisir à mon maître pour tous les royaumes de la terre, quoiqueje vous trouve plus belle que le soleil.

Enfin ils arrivèrent à la grande ville du roi,qui, sachant que la Belle aux cheveux d’or venait, alla au-devantd’elle et lui fit les plus beaux présents du monde. Il l’épousaavec tant de réjouissances que l’on ne parlait d’autre chose. Maisla Belle aux cheveux d’or, qu’aimait Avenant dans le fond de soncœur, n’était heureuse que quand elle le voyait, et elle le louaittoujours.

– Je ne serais point venue sans Avenant,disait-elle au roi. Il a fallu qu’il ait fait des chosesimpossibles pour mon service : vous lui devez être obligé. Ilm’a donné de l’eau de beauté : je ne vieillirai jamais, jeserai toujours belle.

Les envieux qui écoutaient la reine dirent auroi :

– Vous n’êtes point jaloux, et vous en avezsujet de l’être. La reine aime si fort Avenant qu’elle en perd leboire et le manger. Elle ne fait que parler de lui et desobligations que vous lui avez, comme si tel autre que vous auriezenvoyé n’en eût pas fait autant.

Le roi dit :

– Vraiment, je m’en avise ; qu’on aillele mettre dans la tour avec les fers aux pieds et aux mains.

L’on prit Avenant, et, pour sa récompensed’avoir si bien servi le roi, on l’enferma dans la tour avec lesfers aux pieds et aux mains. Il ne voyait personne que le geôlier,qui lui jetait un morceau de pain noir par un trou, et de l’eaudans une écuelle de terre. Pourtant son petit chien Cabriolle ne lequittait point ; il le consolait et venait lui dire toutes lesnouvelles.

Quand la Belle aux cheveux d’or sut sadisgrâce, elle se jeta aux pieds du roi, et, tout en pleurs, ellele pria de faire sortir Avenant de prison. Mais plus elle lepriait, plus il se fâchait, songeant : « C’est qu’ellel’aime », et il n’en voulut rien faire. Elle n’en parlaplus ; elle était bien triste.

Le roi s’avisa qu’elle ne le trouvaitpeut-être pas assez beau ; il eut envie de se frotter levisage avec de l’eau de beauté, afin que la reine l’aimât plusqu’elle ne faisait. Cette eau était dans une fiole sur le bord dela cheminée de la chambre de la reine, elle l’avait mise là pour laregarder plus souvent ; mais une de ses femmes de chambre,voulant tuer une araignée avec un balai, jeta par malheur la fiolepar terre, qui se cassa, et toute l’eau fut perdue. Elle balayavitement, et, ne sachant que faire, elle se souvint qu’elle avaitvu dans le cabinet du roi une fiole toute semblable pleine d’eauclaire comme était l’eau de beauté ; elle la prit adroitementsans rien dire, et la porta sur la cheminée de la reine.

L’eau qui était dans le cabinet du roi servaità faire mourir les princes et les grands seigneurs quand ilsétaient criminels ; au lieu de leur couper la tête ou de lespendre, on leur frottait le visage de cette eau : ilss’endormaient, et ne se réveillaient plus. Un soir donc, le roiprit la fiole et se frotta bien le visage, puis il s’endormit etmourut. Le petit chien Cabriolle l’apprit parmi les premiers et nemanqua pas de l’aller dire à Avenant, qui lui dit d’aller trouverla Belle aux cheveux d’or et de la faire souvenir du pauvreprisonnier.

Cabriolle se glissa doucement dans la presse,car il y avait grand bruit à la cour pour la mort du roi. Il dit àla reine :

– Madame, n’oubliez pas le pauvre Avenant.

Elle se souvint aussitôt des peines qu’ilavait souffertes à cause d’elle et de sa grande fidélité. Ellesortit sans parler à personne, et fut droit à la tour, où elle ôtaelle-même les fers des pieds et des mains d’Avenant. Et, luimettant une couronne d’or sur la tête et le manteau royal sur lesépaules, elle lui dit :

– Venez, aimable Avenant, je vous fais roi etvous prends pour mon époux.

Il se jeta à ses pieds et la remercia. Chacunfut ravi de l’avoir pour maître. Il se fit la plus belle noce dumonde, et la Belle aux cheveux d’or vécut longtemps avec le belAvenant, tous deux heureux et satisfaits.

Si par hasard un malheureux

Te demande ton assistance,

Ne lui refuse point un secours généreux.

Un bienfait tôt ou tard reçoit sa récompense.

Quand Avenant, avec tant de bonté,

Servati carpe et corbeau ; quand jusqu’au hiboumême,

Sans être rebuté de sa laideur extrême,

Il conservait la liberté !

Aurait-on pu jamais pu le croire,

Que ces animaux quelque jour

Le conduiraient au comble de la gloire,

Lorsqu’il voudrait du roi servir le tendreamour ?

Malgré tous les attraits d’une beauté charmante,

Qui commençait pour lui de sentir des désirs,

Il conserve à son maître, étouffant ses soupirs,

Une fidélité constante.

Toutefois, sans raison, il se voit accusé :

Mais quand à son bonheur il paraît plus d’obstacle,

Le Ciel lui devait un miracle,

Qu’à la vertu jamais le Ciel n’a refusé.

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