Fort Comme la Mort

Fort Comme la Mort

de Guy de Maupassant

Partie 1

 

Chapitre 1

 

Le jour tombait dans le vaste atelier par la baie ouverte du plafond. C’était un grand carré de lumière éclatante et bleue, un trou clair sur un infini lointain d’azur, où passaient, rapides,des vols d’oiseaux.

Mais à peine entrée dans la haute pièce sévère et drapée, la clarté joyeuse du ciel s’atténuait, devenait douce, s’endormait sur les étoffes, allait mourir dans les portières, éclairait à peine les coins sombres où, seuls, les cadres d’or s’allumaient comme des feux. La paix et le sommeil semblaient emprisonnés là-dedans, la paix des maisons d’artistes où l’âme humaine a travaillé. En ces murs que la pensée habite, où la pensée s’agite, s’épuise en des efforts violents, il semble que tout soit las, accablé, dès qu’elle s’apaise. Tout semble mort après ces crises de vie ; et tout repose, les meubles, les étoffes, les grands personnages inachevés sur les toiles, comme si le logis entier avait souffert de lafatigue du maître, avait peiné avec lui, prenant part, tous lesjours, à sa lutte recommencée. Une vague odeur engourdissante depeinture, de térébenthine et de tabac flottait, captée par lestapis et les sièges ; et aucun autre bruit ne troublait lelourd silence que les cris vifs et courts des hirondelles quipassaient sur le châssis ouvert, et la longue rumeur confuse deParis à peine entendue pardessus les toits. Rien ne remuait que lamontée intermittente d’un petit nuage de fumée bleue s’élevant versle plafond à chaque bouffée de cigarette qu’Olivier Bertin, allongésur son divan, soufflait lentement entre ses lèvres.

Le regard perdu dans le ciel lointain, il cherchait le sujetd’un nouveau tableau. Qu’allait-il faire ? Il n’en savait rienencore. Ce n’était point d’ailleurs un artiste résolu et sûr delui, mais un inquiet dont l’inspiration indécise hésitait sanscesse entre toutes les manifestations de l’art. Riche, illustre,ayant conquis tous les honneurs, il demeurait, vers la fin de savie, l’homme qui ne sait pas encore au juste vers quel idéal il amarché. Il avait été prix de Rome, défenseur des traditions,évocateur, après tant d’autres, des grandes scènes del’histoire ; puis, modernisant ses tendances, il avait peintdes hommes vivants avec des souvenirs classiques. Intelligent,enthousiaste, travailleur tenace au rêve changeant, épris de sonart qu’il connaissait à merveille, il avait acquis, grâce à lafinesse de son esprit, des qualités d’exécution remarquables et unegrande souplesse de talent née en partie de ses hésitations et deses tentatives dans tous les genres. Peut-être aussi l’engouementbrusque du monde pour ses œuvres élégantes, distinguées etcorrectes, avait-il influencé sa nature en l’empêchant d’être cequ’il serait normalement devenu. Depuis le triomphe du début, ledésir de plaire toujours le troublait sans qu’il s’en rendîtcompte, modifiait secrètement sa voie, atténuait ses convictions.Ce désir de plaire, d’ailleurs, apparaissait chez lui sous toutesles formes et avait contribué beaucoup à sa gloire.

L’aménité de ses manières, toutes les habitudes de sa vie, lesoin qu’il prenait de sa personne, son ancienne réputation de forceet d’adresse, d’homme d’épée et de cheval, avaient fait un cortègede petites notoriétés à sa célébrité croissante. Après Cléopâtre,la première toile qui l’illustra jadis, Paris brusquement s’étaitépris de lui, l’avait adopté, fêté, et il était devenu soudain unde ces brillants artistes mondains qu’on rencontre au bois, que lessalons se disputent, que l’Institut accueille dès leur jeunesse. Ily était entré en conquérant avec l’approbation de la villeentière.

La fortune l’avait conduit ainsi jusqu’aux approches de lavieillesse, en le choyant et le caressant.

Donc, sous l’influence de la belle journée qu’il sentaitépanouie au-dehors, il cherchait un sujet poétique. Un peu engourdid’ailleurs par sa cigarette et son déjeuner, il rêvassait, leregard en l’air, esquissant dans l’azur des figures rapides, desfemmes gracieuses dans une allée du bois ou sur le trottoir d’unerue, des amoureux au bord de l’eau, toutes les fantaisies galantesoù se complaisait sa pensée. Les images changeantes se dessinaientau ciel, vagues et mobiles dans l’hallucination colorée de sonœil ; et les hirondelles qui rayaient l’espace d’un volincessant de flèches lancées semblaient vouloir les effacer en lesbiffant comme des traits de plume.

Il ne trouvait rien ! Toutes les figures entrevuesressemblaient à quelque chose qu’il avait fait déjà, toutes lesfemmes apparues étaient les filles ou les sœurs de celles qu’avaitenfantées son caprice d’artiste ; et la crainte encoreconfuse, dont il était obsédé depuis un an, d’être vidé, d’avoirfait le tour de ses sujets, d’avoir tari son inspiration, seprécisait devant cette revue de son œuvre, devant cette impuissanceà rêver du nouveau, à découvrir de l’inconnu.

Il se leva mollement pour chercher dans ses cartons parmi sesprojets délaissés s’il ne trouverait point quelque chose quiéveillerait une idée en lui.

Tout en soufflant sa fumée, il se mit à feuilleter lesesquisses, les croquis, les dessins qu’il gardait enfermés en unegrande armoire ancienne ; puis, vite dégoûté de ces vainesrecherches, l’esprit meurtri par une courbature, il rejeta sacigarette, siffla un air qui courait les rues et, se baissant,ramassa sous une chaise un pesant haltère qui traînait.

Ayant relevé de l’autre main une draperie voilant la glace quilui servait à contrôler la justesse des poses, à vérifier lesperspectives, à mettre à l’épreuve la vérité, et s’étant placéjuste en face, il jongla en se regardant.

Il avait été célèbre dans les ateliers pour sa force, puis dansle monde pour sa beauté. L’âge, maintenant, pesait sur lui,l’alourdissait. Grand, les épaules larges, la poitrine pleine, ilavait pris du ventre comme un ancien lutteur, bien qu’il continuâtà faire des armes tous les jours et à monter à cheval avecassiduité. La tête était restée remarquable, aussi bellequ’autrefois, bien que différente. Les cheveux blancs, drus etcourts, avivaient son œil noir sous d’épais sourcils gris. Samoustache forte, une moustache de vieux soldat, était demeuréepresque brune et donnait à sa figure un rare caractère d’énergie etde fierté.

Debout devant la glace, les talons unis, le corps droit, ilfaisait décrire aux deux boules de fonte tous les mouvementsordonnés, au bout de son bras musculeux, dont il suivait d’unregard complaisant l’effort tranquille et puissant.

Mais soudain, au fond du miroir où se reflétait l’atelier toutentier, il vit remuer une portière, puis une tête de femme parut,rien qu’une tête qui regardait. Une voix, derrière lui, demanda:

« On est ici ? »

Il répondit : « Présent » en se retournant. Puis jetant sonhaltère sur le tapis, il courut vers la porte avec une souplesse unpeu forcée.

Une femme entrait, en toilette claire. Quand ils se furent serréla main :

« Vous vous exerciez, dit-elle.

– Oui, dit-il, je faisais le paon, et je me suis laissésurprendre. »

Elle rit et reprit :

« La loge de votre concierge était vide et, comme je vous saistoujours seul à cette heure-ci, je suis entrée sans me faireannoncer. »

Il la regardait.

« Bigre ! comme vous êtes belle. Quel chic !

– Oui, j’ai une robe neuve. La trouvez-vous jolie ?

– Charmante, d’une grande harmonie. Ah ! on peut direqu’aujourd’hui on a le sentiment des nuances. »

Il tournait autour d’elle, tapotait l’étoffe, modifiait du boutdes doigts l’ordonnance des plis, en homme qui sait la toilettecomme un couturier, ayant employé, durant toute sa vie, sa penséed’artiste et ses muscles d’athlète à raconter, avec la barbe mincedes pinceaux, les modes changeantes et délicates, à révéler lagrâce féminine enfermée et captive en des armures de velours et desoie ou sous la neige des dentelles.

Il finit par déclarer :

« C’est très réussi. Ça vous va très bien. »

Elle se laissait admirer, contente d’être jolie et de luiplaire.

Plus toute jeune, mais encore belle, pas très grande un peuforte, mais fraîche avec cet éclat qui donne à là chair de quaranteans une saveur de maturité, elle avait l’air d’une de ces roses quis’épanouissent indéfiniment jusqu’à ce que, trop fleuries, ellestombent en une heure.

Elle gardait sous ses cheveux blonds la grâce alerte et jeune deces Parisiennes qui ne vieillissent pas, qui portent en elles uneforce surprenante de vie, une provision inépuisable de résistance,et qui, pendant vingt ans, restent pareilles, indestructibles ettriomphantes, soigneuses avant tout de leur corps et économes deleur santé.

Elle leva son voile et murmura :

« Eh bien, on ne m’embrasse pas ?

– J’ai fumé », dit-il.

Elle fit : « Pouah. » Puis, tendant ses lèvres : « Tant pis.»

Et leurs bouches se rencontrèrent.

Il enleva son ombrelle et la dévêtit de sa jaquette printanière,avec des mouvements prompts et sûrs, habitués à cette manœuvrefamilière. Comme elle s’asseyait ensuite sur le divan, il demandaavec intérêt :

« Votre mari va bien ?

– Très bien, il doit même parler à la Chambre en ce moment.

– Ah ! Sur quoi donc ?

– Sans doute sur les betteraves ou les huiles de colza, commetoujours. »

Son mari, le comte de Guilleroy, député de l’Eure, s’était faitune spécialité de toutes les questions agricoles.

Mais ayant aperçu dans un coin une esquisse qu’elle neconnaissait pas, elle traversa l’atelier, en demandant :

« Qu’est-ce que cela ?

– Un pastel que je commence, le portrait de la princesse dePontève.

– Vous savez, dit-elle gravement, que si vous vous remettez àfaire des portraits de femme, je fermerai votre atelier. Je saistrop où ça mène, ce travail-là.

– Oh ! dit-il, on ne fait pas deux fois un portraitd’Any.

– Je l’espère bien. »

Elle examinait le pastel commencé en femme qui sait lesquestions d’art. Elle s’éloigna, se rapprocha, fit un abat-jour desa main, chercha la place d’où l’esquisse était le mieux enlumière, puis elle se déclara satisfaite.

« Il est fort bon. Vous réussissez très bien le pastel. »

Il murmura, flatté :

« Vous trouvez ?

– Oui, c’est un art délicat où il faut beaucoup de distinction.Ça n’est pas fait pour les maçons de la peinture.

Depuis douze ans elle accentuait son penchant vers l’artdistingué, combattait ses retours vers la simple réalité, et pardes considérations d’élégance mondaine, elle le poussait tendrementvers un idéal de grâce un peu maniéré et factice.

Elle demanda :

« Comment est-elle, la princesse ? »

Il dut lui donner mille détails de toute sorte, ces détailsminutieux où se complaît la curiosité jalouse et subtile desfemmes, en passant des remarques sur la toilette aux considérationssur l’esprit.

Et soudain :

« Est-elle coquette avec vous ? »

Il rit et jura que non.

Alors, posant ses deux mains sur les épaules du peintre, elle leregarda fixement. L’ardeur de l’interrogation faisait frémir lapupille ronde au milieu de l’iris bleu taché d’imperceptiblespoints noirs comme des éclaboussures d’encre.

Elle murmura de nouveau :

« Bien vrai, elle n’est pas coquette ?

– Oh ! bien vrai. »

Elle ajouta :

« Je suis tranquille d’ailleurs. Vous n’aimerez plus que moimaintenant. C’est fini, fini pour d’autres. Il est trop tard, monpauvre ami. »

Il fut effleuré par ce léger frisson pénible qui frôle le cœurdes hommes mûrs quand on leur parle de leur âge, et il murmura:

« Aujourd’hui, demain, comme hier, il n’y a eu et il n’y auraque vous en ma vie, Any. »

Elle lui prit alors le bras, et retournant vers le divan, le fitasseoir à côté d’elle.

« À quoi pensiez-vous ?

– Je cherche un sujet de tableau.

– Quoi donc ?

– Je ne sais pas, puisque je cherche.

– Qu’avez-vous fait ces jours-ci ? »

Il dut lui raconter toutes les visites qu’il avait reçues, lesdîners et les soirées, les conversations et les potins. Ilss’intéressaient l’un et l’autre d’ailleurs à toutes ces chosesfutiles et familières de l’existence mondaine. Les petitesrivalités, les liaisons connues ou soupçonnées, les jugements toutfaits, mille fois redits, mille fois entendus, sur les mêmespersonnes, les mêmes événements et les mêmes opinions, emportaientet noyaient leurs esprits dans ce fleuve trouble et agité qu’onappelle la vie parisienne. Connaissant tout le monde, dans tous lesmondes, lui comme artiste devant qui toutes les portes s’étaientouvertes, elle comme femme élégante d’un député conservateur, ilsétaient exercés à ce sport de la causerie française fine, banale,aimablement malveillante, inutilement spirituelle, vulgairementdistinguée qui donne une réputation particulière et très enviée àceux dont la langue s’est assouplie à ce bavardage médisant.

« Quand venez-vous dîner ? demanda-t-elle tout à coup.

– Quand vous voudrez. Dites votre jour.

– Vendredi. J’aurai la duchesse de Mortemain, les Corbelle etMusadieu, pour fêter le retour de ma fillette qui arrive ce soir.Mais ne le dites pas. C’est un secret.

– Oh ! mais oui, j’accepte. Je serai ravi de retrouverAnnette. Je ne l’ai pas vue depuis trois ans.

– C’est vrai ! Depuis trois ans ! »

Élevée d’abord à Paris chez ses parents, Annette était devenuel’affection dernière et passionnée de sa grand-mère, Mme Paradin,qui, presque aveugle, demeurait toute l’année dans la propriété deson gendre, au château de Roncières, dans l’Eure. Peu à peu, lavieille femme avait gardé de plus en plus l’enfant près d’elle et,comme les Guilleroy passaient presque la moitié de leur vie en cedomaine où les appelaient sans cesse des intérêts de toute sorte,agricoles et électoraux, on avait fini par ne plus amener à Parisque de temps en temps la fillette, qui préférait d’ailleurs la vielibre et remuante de la campagne à la vie cloîtrée de la ville.

Depuis trois ans elle n’y était même pas venue une seule fois,la comtesse préférant l’en tenir tout à fait éloignée, afin de nepoint éveiller en elle un goût nouveau avant le jour fixé pour sonentrée dans le monde. Mme de Guilleroy lui avait donné là-bas deuxinstitutrices fort diplômées, et elle multipliait ses voyagesauprès de sa mère et de sa fille. Le séjour d’Annette au châteauétait d’ailleurs rendu presque nécessaire par la présence de lavieille femme.

Autrefois, Olivier Bertin allait chaque été passer six semainesou deux mois à Roncières ; mais depuis trois ans desrhumatismes l’avaient entraîné en des villes d’eaux lointaines quiavaient tellement ravivé son amour de Paris, qu’il ne le pouvaitplus quitter en y rentrant.

La jeune fille, en principe, n’aurait dû revenir qu’à l’automne,mais son père avait brusquement conçu un projet de mariage pourelle, et il la rappelait afin qu’elle rencontrât immédiatementcelui qu’il lui destinait comme fiancé, le marquis de Farandal.Cette combinaison, d’ailleurs, était tenue très secrète, et seulOlivier Bertin en avait reçu la confidence de Mme de Guilleroy.

Donc il demanda :

« Alors, l’idée de votre mari est bien arrêtée ?

– Oui, je la crois même très heureuse. »

Puis ils parlèrent d’autres choses.

Elle revint à la peinture et voulut le décider à faire unChrist. Il résistait, jugeant qu’il y en avait déjà assez par lemonde ; mais elle tenait bon, obstinée, et elles’impatientait.

« Oh ! si je savais dessiner, je vous montrerais mapensée ; ce serait très nouveau, très hardi. On le descend dela croix et l’homme qui a détaché les mains laisse échapper tout lehaut du corps. Il tombe et s’abat sur la foule qui lève les braspour le recevoir et le soutenir. Comprenez-vous bien ? »

Oui, il comprenait ; il trouvait même la conceptionoriginale, mais il se sentait dans une veine de modernité, et,comme son amie était étendue sur le divan, un pied tombant, chausséd’un fin soulier, et donnant à l’œil la sensation de la chair àtravers le bas presque transparent, il s’écria :

« Tenez, tenez, voilà ce qu’il faut peindre, voilà la vie : unpied de femme au bord d’une robe ! On peut mettre toutlà-dedans, de la vérité, du désir, de la poésie. Rien n’est plusgracieux, plus joli qu’un pied de femme, et quel mystèreensuite ; la jambe cachée, perdue et devinée sous cetteétoffe ! »

S’étant assis par terre, à la turque, il saisit le soulier etl’enleva ; et le pied, sorti de sa gaine de cuir, s’agitacomme une petite bête remuante, surprise d’être laissée libre.

Bertin répétait :

« Est-ce fin, et distingué, et matériel, plus matériel que lamain. Montrez votre main, Any ! »

Elle avait de longs gants, montant jusqu’au coude. Pour en ôterun, elle le prit tout en haut par le bord et vivement le fitglisser, en le retournant à la façon d’une peau de serpent qu’onarrache. Le bras apparut, pâle, gras, rond, dévêtu si vite qu’ilfit surgir l’idée d’une nudité complète et hardie.

Alors, elle tendit sa main en la laissant pendre au bout dupoignet. Les bagues brillaient sur ses doigts blancs ; et lesongles roses, très effilés, semblaient des griffes amoureusespoussées au bout de cette mignonne patte de femme.

Olivier Bertin, doucement, la maniait en l’admirant. Il faisaitremuer les doigts comme des joujoux de chair, et il disait :

« Quelle drôle de chose ! Quelle drôle de chose ! Quelgentil petit membre, intelligent et adroit, qui exécute tout cequ’on veut, des livres, de la dentelle, des maisons, des pyramides,des locomotives, de la pâtisserie, ou des caresses, ce qui estencore sa meilleure besogne. »

Il enlevait les bagues une à une ; et comme l’alliance, unfil d’or, tombait à son tour, il murmura en souriant :

« La loi. Saluons.

– Bête ! » dit-elle un peu froissée.

Il avait toujours eu l’esprit gouailleur, cette tendancefrançaise qui mêle une apparence d’ironie aux sentiments les plussérieux, et souvent il la contristait sans le vouloir, sans savoirsaisir les distinctions subtiles des femmes et discerner leslimites des départements sacrés, comme il disait. Elle se fâchaitsurtout chaque fois qu’il parlait avec une nuance de blaguefamilière de leur liaison si longue qu’il affirmait être le plusbel exemple d’amour du XIXe siècle. Elle demanda après un silence:

« Vous nous mènerez au vernissage, Annette et moi ?

– Je crois bien. »

Alors, elle l’interrogea sur les meilleures toiles du prochainSalon, dont l’ouverture devait avoir lieu dans quinze jours.

Mais soudain, saisie peut-être par le souvenir d’une courseoubliée :

« Allons, donnez-moi mon soulier. Je m’en vais. »

Il jouait rêveusement avec la chaussure légère en la tournant etla retournant dans ses mains distraites.

Il se pencha, baisa le pied qui semblait flotter entre la robeet le tapis et qui ne remuait plus, un peu refroidi par l’air, puisil le chaussa ; et Mme de Guilleroy s’étant levée, alla versla table où traînaient des papiers des lettres ouvertes, vieilleset récentes, à côté d’un encrier de peintre où l’encre ancienneétait séchée. Elle regardait d’un œil curieux, touchait auxfeuilles, les soulevait pour voir dessous.

Il dit en s’approchant d’elle :

« Vous allez déranger mon désordre. »

Sans répondre, elle demanda :

« Quel est ce monsieur qui veut acheter vosBaigneuses ?

– Un Américain que je ne connais pas.

– Avez-vous consenti pour la Chanteuse des rues ?

– Oui. Dix mille.

– Vous avez bien fait. C’était gentil, mais pas exceptionnel.Adieu, cher. »

Elle tendit alors sa joue, qu’il effleura d’un calmebaiser ; et elle disparut sous la portière, après avoir dit, ami-voix :

« Vendredi, huit heures. Je ne veux point que vous mereconduisiez. Vous le savez bien. Adieu. »

Quand elle fut partie, il ralluma d’abord une cigarette, puis semit à marcher à pas lents à travers son atelier. Tout le passé decette liaison se déroulait devant lui.

Il se rappelait les détails lointains disparus, les recherchaiten les enchaînant l’un à l’autre, s’intéressait tout seul à cettechasse aux souvenirs.

C’était au moment où il venait de se lever comme un astre surl’horizon du Paris artiste, alors que les peintres avaient accaparétoute la faveur du public et peuplaient un quartier d’hôtelsmagnifiques gagnés en quelques coups de pinceau.

Bertin, après son retour de Rome, en 1864, était demeuréquelques années sans succès et sans renom ; puis soudain, en1868, il exposa sa Cléopâtre et fut en quelques jours porté auxnues par la critique et le public.

En 1872, après la guerre, après que la mort d’Henri Regnault eutfait à tous ses confrères une sorte de piédestal de gloire, uneJocaste, sujet hardi, classa Bertin parmi les audacieux, bien queson exécution sagement originale le fît goûter quand même par lesacadémiques. En 1873, une première médaille le mit hors concoursavec sa Juive d’Alger qu’il donna au retour d’un voyage enAfrique ; et un portrait de la princesse de Salia, en 1874, lefit considérer, dans le monde élégant, comme le premierportraitiste de son époque. De ce jour, Il devint le peintre chéride la Parisienne et des Parisiennes, l’interprète le plus adroit etle plus ingénieux de leur grâce, de leur tournure, de leur nature.En quelques mois toutes les femmes en vue à Paris sollicitèrent lafaveur d’être reproduites par lui. Il se montra difficile et se fitpayer fort cher.

Or, comme il était à la mode et faisait des visites à la façond’un simple homme du monde, il aperçut un jour, chez la duchesse deMortemain, une jeune femme en grand deuil, sortant alors qu’ilentrait, et dont la rencontre sous une porte l’éblouit d’une jolievision de grâce et d’élégance.

Ayant demandé son nom, il apprit qu’elle s’appelait la comtessede Guilleroy, femme d’un hobereau normand, agronome et député,qu’elle portait le deuil du père de son mari, qu’elle étaitspirituelle, très admirée et recherchée.

Il dit aussitôt, encore ému de cette apparition qui avait séduitson œil d’artiste :

« Ah ! en voilà une dont je ferais volontiers le portrait.»

Le mot dès le lendemain fut répété à la jeune femme et il reçut,le soir même, un petit billet teinté de bleu très vaguementparfumé, d’une écriture régulière et fine, montant un peu de gaucheà droite, et qui disait :

Monsieur,

La duchesse de Mortemain sort de chez moi et m’assure que vousseriez disposé à faire, avec ma pauvre figure, un de voschefs-d’œuvre. Je vous la confierais bien volontiers si j’étaiscertaine que vous n’avez point dit une parole en l’air et que vousvoyez en moi quelque chose qui puisse être reproduit et idéalisépar vous.

Croyez, Monsieur, à mes sentiments très distingués.

Anne de Guilleroy.

Il répondit en demandant quand il pourrait se présenter chez lacomtesse, et il fut très simplement invité à déjeuner le lundisuivant.

C’était au premier étage, boulevard Malesherbes, dans une grandeet luxueuse maison moderne. Ayant traversé un vaste salon tendu desoie bleue à encadrements de bois, blanc et or, on fit entrer lepeintre dans une sorte de boudoir à tapisseries du siècle dernierclaires et coquettes, ces tapisseries à la Watteau, aux nuancestendres, aux sujets gracieux, qui semblent faites, dessinées etexécutées par des ouvriers rêvassant d’amour.

Il venait de s’asseoir quand la comtesse parut. Elle marchait silégèrement qu’il ne l’avait point entendue traverser l’appartementvoisin, et il fut surpris en l’apercevant. Elle lui tendit la maind’une façon familière.

« Alors, c’est vrai, dit-elle, que vous voulez bien faire monportrait.

– J’en serai très heureux, Madame. »

Sa robe noire, étroite, la faisait très mince, lui donnait l’airtout jeune, un air grave pourtant que démentait sa tête souriante,tout éclairée par ses cheveux blonds. Le comte entra, tenant par lamain une petite fille de six ans.

Mme de Guilleroy présenta :

« Mon mari. »

C’était un homme de petite taille, sans moustaches, aux jouescreuses, ombrées, sous la peau, par la barbe rasée.

Il avait un peu l’air d’un prêtre ou d’un acteur, les cheveuxlongs rejetés en arrière, des manières polies, et autour de labouche deux grands plis circulaires descendant des joues au mentonet qu’on eût dit creusés par l’habitude de parler en public.

Il remercia le peintre avec une abondance de phrases quirévélait l’orateur. Depuis longtemps il avait envie de faire fairele portrait de sa femme, et certes, c’est M. Olivier Bertin qu’ilaurait choisi, s’il n’avait craint un refus, car il savait combienil était harcelé de demandes.

Il fut donc convenu, avec beaucoup de politesses de part etd’autre, qu’il amènerait dès le lendemain la comtesse à l’atelier.Il se demandait cependant, à cause du grand deuil qu’elle portait,s’il ne vaudrait pas mieux attendre, mais le peintre déclara qu’ilvoulait traduire la première émotion reçue et ce contrastesaisissant de la tête si vive, si fine, lumineuse sous la cheveluredorée, avec le noir austère du vêtement.

Elle vint donc le lendemain avec son mari, et les jours suivantsavec sa fille, qu’on asseyait devant une table chargée de livresd’images.

Olivier Bertin, selon sa coutume, se montrait fort réservé. Lesfemmes du monde l’inquiétaient un peu, car il ne les connaissaitguère. Il les supposait en même temps rouées et niaises, hypocriteset dangereuses, futiles et encombrantes. Il avait eu, chez lesfemmes du demi-monde, des aventures rapides dues à sa renommée, àson esprit amusant, à sa taille d’athlète élégant et à sa figureénergique et brune. Il les préférait donc et aimait avec elles leslibres allures et les libres propos, accoutumé aux mœurs faciles,drolatiques et joyeuses des ateliers et des coulisses qu’ilfréquentait. Il allait dans le monde pour la gloire et non pour lecœur, s’y plaisait par vanité, y recevait des félicitations et descommandes, y faisait la roue devant les belles damescomplimenteuses, sans jamais leur faire la cour. Ne se permettantpoint près d’elles les plaisanteries hardies et les parolespoivrées, il les jugeait bégueules, et passait pour avoir bon ton.Toutes les fois qu’une d’elles était venue poser chez lui, il avaitsenti, malgré les avances qu’elle faisait pour lui plaire, cettedisparité de race qui empêche de confondre, bien qu’ils se mêlent,les artistes et les mondains. Derrière les sourires et derrièrel’admiration, qui chez les femmes est toujours un peu factice, ildevinait l’obscure réserve mentale de l’être qui se juge d’essencesupérieure. Il en résultait chez lui un petit sursaut d’orgueil,des manières plus respectueuses, presque hautaines, et à côté d’unevanité dissimulée de parvenu traité en égal par des princes et desprincesses, une fierté d’homme qui doit à son intelligence unesituation analogue à celle donnée aux autres par leur naissance. Ondisait de lui, avec une légère surprise : « Il est extrêmement bienélevé ! » Cette surprise, qui le flattait, le froissait enmême temps, car elle indiquait des frontières.

La gravité voulue et cérémonieuse du peintre gênait un peu Mmede Guilleroy, qui ne trouvait rien à dire à cet homme si froid,réputé spirituel.

Après avoir installé sa petite fille, elle venait s’asseoir surun fauteuil auprès de l’esquisse commencée, et elle s’efforçait,selon la recommandation de l’artiste, de donner de l’expression àsa physionomie.

Vers le milieu de la quatrième séance, il cessa tout à coup depeindre et demanda :

« Qu’est-ce qui vous amuse le plus dans la vie ? »

Elle demeura embarrassée.

« Mais je ne sais pas ! Pourquoi cette question ?

– Il me faut une pensée heureuse dans ces yeux-là, et je ne l’aipas encore vue.

– Eh bien, tâchez de me faire parler, j’aime beaucoupcauser.

– Vous êtes gaie ?

– Très gaie.

– Causons, Madame. »

Il avait dit « Causons, Madame » d’un ton très grave, puis, seremettant à peindre, il tâta avec elle quelques sujets, cherchantun point sur lequel leurs esprits se rencontreraient. Ilscommencèrent par échanger leurs observations sur les gens qu’ilsconnaissaient, puis ils parlèrent d’eux-mêmes, ce qui est toujoursla plus agréable et la plus attachante des causeries.

En se retrouvant le lendemain, ils se sentirent plus à l’aise,et Bertin, voyant qu’il plaisait et qu’il amusait, se mit àraconter des détails de sa vie d’artiste, mit en liberté sessouvenirs avec le tour d’esprit fantaisiste qui lui étaitparticulier.

Accoutumée à l’esprit composé des littérateurs de salon, ellefut surprise par cette verve un peu folle, qui disait les chosesfranchement en les éclairant d’une ironie, et tout de suite ellerépliqua sur le même ton, avec une grâce fine et hardie.

En huit jours elle l’eut conquis et séduit par cette bonnehumeur, cette franchise et cette simplicité. Il avait complètementoublié ses préjugés contre les femmes du monde, et auraitvolontiers affirmé qu’elles seules ont du charme et de l’entrain.Tout en peignant, debout devant sa toile, avançant et reculant avecdes mouvements d’homme qui combat, il laissait couler ses penséesfamilières, comme s’il eût connu depuis longtemps cette jolie femmeblonde et noire, faite de soleil et de deuil, assise devant lui,qui riait en l’écoutant et qui lui répondait gaiement avec tantd’animation qu’elle perdait la pose à tout moment.

Tantôt il s’éloignait d’elle, fermait un œil, se penchait pourbien découvrir tout l’ensemble de son modèle, tantôt ils’approchait tout près pour noter les moindres nuances de sonvisage, les plus fuyantes expressions, et saisir et rendre ce qu’ily a dans une figure de femme de plus que l’apparence visible, cetteémanation d’idéale beauté, ce reflet de quelque chose qu’on ne saitpas, l’intime et redoutable grâce propre à chacune, qui fait quecelle-là sera aimée éperdument par l’un et non par l’autre.

Un après-midi, la petite fille vint se planter devant la toile,avec un grand sérieux d’enfant, et demanda :

« C’est maman, dis ? »

Il la prit dans ses bras pour l’embrasser, flatté de cet hommagenaïf à la ressemblance de son œuvre.

Un autre jour, comme elle paraissait très tranquille onl’entendit tout à coup déclarer d’une petite voix triste :

« Maman, je m’ennuie. »

Et le peintre fut tellement ému par cette première plainte,qu’il fit apporter, le lendemain, tout un magasin de jouets àl’atelier.

La petite Annette étonnée, contente et toujours réfléchie, lesmit en ordre avec grand soin, pour les prendre l’un après l’autre,suivant le désir du moment. À dater de ce cadeau, elle aima lepeintre, comme aiment les enfants, de cette amitié animale etcaressante qui les rend si gentils et si capteurs des âmes.

Mme de Guilleroy prenait goût aux séances. Elle était fortdésœuvrée, cet hiver-là, se trouvant en deuil ; donc, le mondeet les fêtes lui manquant, elle enferma dans cet atelier tout lesouci de sa vie.

Fille d’un commerçant parisien fort riche et hospitalier, mortdepuis plusieurs années, et d’une femme toujours malade que le soinde sa santé tenait au lit six mois sur douze, elle était devenue,toute jeune, une parfaite maîtresse de maison, sachant recevoir,sourire causer, discerner les gens, et distinguer ce qu’on devaitdire à chacun, tout de suite à l’aise dans la vie, clairvoyante etsouple. Quand on lui présenta comme fiancé le comte de Guilleroy,elle comprit aussitôt les avantages que ce mariage lui apporterait,et les admit sans aucune contrainte, en fille réfléchie, qui saitfort bien qu’on ne peut tout avoir, et qu’il faut faire le bilan dubon et du mauvais en chaque situation.

Lancée dans le monde, recherchée surtout parce qu’elle étaitjolie et spirituelle, elle vit beaucoup d’hommes lui faire la coursans perdre une seule fois le calme de son cœur, raisonnable commeson esprit.

Elle était coquette, cependant, d’une coquetterie agressive etprudente qui ne s’avançait jamais trop loin. Les compliments luiplaisaient, les désirs éveillés la caressaient, pourvu qu’elle pûtparaître les ignorer ; et quand elle s’était sentie tout unsoir dans un salon encensée par les hommages, elle dormait bien, enfemme qui a accompli sa mission sur terre. Cette existence, quidurait à présent depuis sept ans, sans la fatiguer, sans luiparaître monotone, car elle adorait cette agitation incessante dumonde, lui laissait pourtant parfois désirer d’autres choses. Leshommes de son entourage, avocats politiques, financiers ou gens decercle désœuvrés, l’amusaient un peu comme des acteurs ; etelle ne les prenait pas trop au sérieux, bien qu’elle estimât leursfonctions, leurs places et leurs titres.

Le peintre lui plut d’abord par tout ce qu’il avait en lui denouveau pour elle. Elle s’amusait beaucoup dans l’atelier, riait detout son cœur, se sentait spirituelle, et lui savait gré del’agrément qu’elle prenait aux séances. Il lui plaisait aussi parcequ’il était beau, fort et célèbre, aucune femme, bien qu’ellesprétendent, n’étant indifférente à la beauté physique et à lagloire. Flattée d’avoir été remarquée par cet expert, disposée à lejuger fort bien à son tour, elle avait découvert chez lui unepensée alerte et cultivée, de la délicatesse, de la fantaisie, unvrai charme d’intelligence et une parole colorée, qui semblaitéclairer ce qu’elle exprimait.

Une intimité rapide naquit entre eux, et la poignée de mainqu’ils se donnaient quand elle entrait semblait mêler quelque chosede leur cœur un peu plus chaque jour.

Alors, sans aucun calcul, sans aucune détermination réfléchie,elle sentit croître en elle le désir naturel de le séduire, et ycéda. Elle n’avait rien prévu, rien combiné ; elle futseulement coquette, avec plus de grâce, comme on l’est par instinctenvers un homme qui vous plaît davantage que les autres ; etelle mit dans toutes ses manières avec lui, dans ses regards et sessourires, cette glu de séduction que répand autour d’elle la femmeen qui s’éveille le besoin d’être aimée.

Elle lui disait des choses flatteuses qui signifiaient : « Jevous trouve fort bien, Monsieur », et elle le faisait parlerlongtemps, pour lui montrer, en l’écoutant avec attention, combienil lui inspirait d’intérêt. Il cessait de peindre, s’asseyait prèsd’elle, et, dans cette surexcitation d’esprit que provoquel’ivresse de plaire, il avait des crises de poésie, de drôlerie oude philosophie, suivant les jours.

Elle s’amusait quand il était gai ; quand il était profond,elle tâchait de le suivre en ses développements, sans y parvenirtoujours ; et lorsqu’elle pensait à autre chose, elle semblaitl’écouter avec des airs d’avoir si bien compris, de tant jouir decette initiation, qu’il s’exaltait à la regarder l’entendre, émud’avoir découvert une âme fine, ouverte et docile, en qui la penséetombait comme une graine.

Le portrait avançait et s’annonçait fort bien, le peintre étantarrivé à l’état d’émotion nécessaire pour découvrir toutes lesqualités de son modèle, et les exprimer avec l’ardeur convaincuequi est l’inspiration des vrais artistes.

Penché vers elle, épiant tous les mouvements de sa figure,toutes les colorations de sa chair, toutes les ombres de la peau,toutes les expressions et les transparences des yeux, tous lessecrets de sa physionomie, il s’était imprégné d’elle comme uneéponge se gonfle d’eau ; et transportant sur sa toile cetteémanation de charme troublant que son regard recueillait, et quicoulait, ainsi qu’une onde, de sa pensée à son pinceau, il endemeurait étourdi, grisé comme s’il avait bu de la grâce defemme.

Elle le sentait s’éprendre d’elle, s’amusait à ce jeu, à cettevictoire de plus en plus certaine, et s’y animait elle-même.

Quelque chose de nouveau donnait à son existence une saveurnouvelle, éveillait en elle une joie mystérieuse. Quand elleentendait parler de lui, son cœur battait un peu plus vite, et elleavait envie de dire, – une de ces envies qui ne vont jamaisjusqu’aux lèvres – : « Il est amoureux de moi. » Elle étaitcontente quand on vantait son talent, et plus encore peut-êtrequand on le trouvait beau. Quand elle pensait à lui, toute seule,sans indiscrets pour la troubler, elle s’imaginait vraiment s’êtrefait là un bon ami, qui se contenterait toujours d’une cordialepoignée de main.

Lui, souvent, au milieu de la séance, posait brusquement lapalette sur son escabeau, allait prendre en ses bras la petiteAnnette, et tendrement l’embrassait sur les yeux ou dans lescheveux, en regardant la mère, comme pour dire : « C’est vous, cen’est pas l’enfant que j’embrasse ainsi. »

De temps en temps, d’ailleurs, Mme de Guilleroy n’amenait plussa fille, et venait seule. Ces jours-là on ne travaillait guère, oncausait davantage.

Elle fut en retard un après-midi. Il faisait froid. C’était à lafin de février. Olivier était rentré de bonne heure, comme ilfaisait maintenant, chaque fois qu’elle devait venir, car ilespérait toujours qu’elle arriverait en avance. En l’attendant, ilmarchait de long en large et il fumait, et il se demandait, surprisde se poser cette question pour la centième fois depuis huit jours,« Est-ce que je suis amoureux ? » Il n’en savait rien, nel’ayant pas encore été vraiment. Il avait eu des caprices trèsvifs, même assez longs, sans les prendre jamais pour de l’amour.Aujourd’hui il s’étonnait de ce qu’il sentait en lui.

L’aimait-il ? Certes, il la désirait à peine, n’ayant pasréfléchi à la possibilité d’une possession. Jusqu’ici, dès qu’unefemme lui avait plu, le désir l’avait aussitôt envahi, lui faisanttendre les mains vers elle, comme pour cueillir un fruit, sans quesa pensée intime eût été jamais profondément troublée par sonabsence ou par sa présence.

Le désir de celle-ci l’avait à peine effleuré, et semblaitblotti, caché derrière un autre sentiment plus puissant, encoreobscur et à peine éveillé. Olivier avait cru que l’amour commençaitpar des rêveries, par des exaltations poétiques. Ce qu’iléprouvait, au contraire, lui paraissait provenir d’une émotionindéfinissable, bien plus physique que morale. Il était nerveux,vibrant, inquiet comme lorsqu’une maladie germe en nous. Rien dedouloureux cependant ne se mêlait à cette fièvre du sang quiagitait aussi sa pensée, par contagion. Il n’ignorait pas que cetrouble venait de Mme de Guilleroy, du souvenir qu’elle luilaissait et de l’attente de son retour. Il ne se sentait pas jetévers elle, par un élan de tout son être, mais il la sentaittoujours présente en lui, comme si elle ne l’eût pas quitté ;elle lui abandonnait quelque chose d’elle en s’en allant, quelquechose de subtil et d’inexprimable. Quoi ? Était-ce del’amour ? Maintenant, il descendait en son propre cœur pourvoir et pour comprendre. Il la trouvait charmante, mais elle nerépondait pas au type de la femme idéale, que son espoir aveugleavait créé. Quiconque appelle l’amour, a prévu les qualités moraleset les dons physiques de celle qui le séduira ; et Mme deGuilleroy, bien qu’elle lui plût infiniment, ne lui paraissait pasêtre celle-là.

Mais pourquoi l’occupait-elle ainsi, plus que les autres, d’unefaçon différente, incessante ?

Était-il tombé simplement dans le piège tendu de sa coquetterie,qu’il avait flairé et compris depuis longtemps, et, circonvenu parses manœuvres, subissait-il l’influence de cette fascinationspéciale que donne aux femmes la volonté de plaire ?

Il marchait, s’asseyait, repartait, allumait des cigarettes etles jetait aussitôt ; et il regardait à tout instantl’aiguille de sa pendule, allant vers l’heure ordinaire d’une façonlente et immuable.

Plusieurs fois déjà, il avait hésité à soulever, d’un coupd’ongle, le verre bombé sur les deux flèches d’or qui tournaient,et à pousser la grande du bout du doigt jusqu’au chiffre qu’elleatteignait si paresseusement.

Il lui semblait que cela suffirait pour que la porte s’ouvrît etque l’attendue apparût, trompée et appelée par cette ruse. Puis ils’était mis à sourire de cette envie enfantine obstinée etdéraisonnable.

Il se posa enfin cette question : « Pourrai-je devenir sonamant ? » Cette idée lui parut singulière, peu réalisable,guère poursuivable aussi à cause des complications qu’elle pourraitamener dans sa vie.

Pourtant cette femme lui plaisait beaucoup, et il conclut : «Décidément, je suis dans un drôle d’état. »

La pendule sonna, et le bruit de l’heure le fit tressaillir,ébranlant ses nerfs plus que son âme. Il l’attendit avec cetteimpatience que le retard accroît de seconde en seconde. Elle étaittoujours exacte ; donc, avant dix minutes, il la verraitentrer. Quand les dix minutes furent passées, il se sentittourmenté comme à l’approche d’un chagrin, puis irrité qu’elle luifît perdre du temps, puis il comprit brusquement que si elle nevenait pas, il allait beaucoup souffrir. Que ferait-il ? Ill’attendrait !-Non, -il sortirait, afin que si, par hasard,elle arrivait fort en retard, elle trouvât l’atelier vide.

Il sortirait, mais quand ? Quelle latitude luilaisserait-il ? Ne vaudrait-il pas mieux rester et lui fairecomprendre, par quelques mots polis et froids, qu’il n’était pas deceux qu’on fait poser’ ? Et si elle ne venait pas ? Alorsil recevrait une dépêche, une carte, un domestique ou uncommissionnaire ? Si elle ne venait pas, qu’allait-ilfaire ? C’était une journée perdue : il ne pourrait plustravailler. Alors ?… Alors, il irait prendre de ses nouvelles,car il avait besoin de la voir.

C’était vrai, il avait besoin de la voir, un besoin profond,oppressant, harcelant. Qu’était cela ? de l’amour ? Maisil ne se sentait ni exaltation dans la pensée, ni emportement dansles sens, ni rêverie dans l’âme, en constatant que, si elle nevenait pas ce jour-là, il souffrirait beaucoup.

Le timbre de la rue retentit dans l’escalier du petit hôtel, etOlivier Bertin se sentit tout à coup un peu haletant, puis sijoyeux, qu’il fit une pirouette en jetant sa cigarette enl’air.

Elle entra ; elle était seule.

Il eut une grande audace, immédiatement.

« Savez-vous ce que je me demandais en vous attendant ?

– Mais non, je ne sais pas.

– Je me demandais si je n’étais pas amoureux de vous.

– Amoureux de moi ! vous devenez fou ! »

Mais elle souriait, et son sourire disait : « C’est gentil, jesuis très contente. »

Elle reprit :

« Voyons, vous n’êtes pas sérieux ; pourquoi faites-vouscette plaisanterie ? »

Il répondit :

« Je suis très sérieux, au contraire. Je ne vous affirme pas queje suis amoureux de vous, mais je me demande si je ne suis pas entrain de le devenir.

– Qu’est-ce qui vous fait penser ainsi ?

– Mon émotion quand vous n’êtes pas là, mon bonheur quand vousarrivez. »

Elle s’assit.

« Oh ! ne vous inquiétez pas pour si peu. Tant que vousdormirez bien et que vous dînerez avec appétit il n’y aura pas dedanger. »

Il se mit à rire.

« Et si je perds le sommeil et le manger !

– Prévenez-moi.

– Et alors ?

– Je vous laisserai vous guérir en paix.

– Merci bien. »

Et sur le thème de cet amour, ils marivaudèrent toutl’après-midi. Il en fut de même les jours suivants. Acceptant celacomme une drôlerie spirituelle et sans importance, elle lequestionnait avec bonne humeur en entrant.

« Comment va votre amour aujourd’hui ? »

Et il lui disait, sur un ton sérieux et léger, tous les progrèsde ce mal, tout le travail intime, continu, profond de la tendressequi naît et grandit. Il s’analysait minutieusement devant elle,heure par heure, depuis la séparation de la veille, avec une façonbadine de professeur qui fait un cours ; et elle l’écoutaitintéressée, un peu émue, troublée aussi par cette histoire quisemblait celle d’un livre dont elle était l’héroïne. Quand il avaiténuméré, avec des airs galants et dégagés, tous les soucis dont ildevenait la proie, sa voix, par moments, se faisait tremblante enexprimant par un mot ou seulement par une intonationl’endolorissement de son cœur.

Et toujours elle l’interrogeait, vibrante de curiosité, les yeuxfixés sur lui, l’oreille avide de ces choses un peu inquiétantes àentendre, mais si charmantes à écouter.

Quelquefois, en venant près d’elle pour rectifier la pose, illui prenait la main et essayait de la baiser. D’un mouvement vifelle lui ôtait ses doigts des lèvres et fronçant un peu lessourcils :

« Allons, travaillez », disait-elle.

Il se remettait au travail, mais cinq minutes ne s’étaient pasécoulées sans qu’elle lui posât une question pour le rameneradroitement au seul sujet qui les occupât.

En son cœur maintenant elle sentait naître des craintes. Ellevoulait bien être aimée, mais pas trop. Sûre de n’être pasentraînée, elle redoutait de le laisser s’aventurer trop loin, etde le perdre, forcée de le désespérer après avoir parul’encourager. S’il avait fallu cependant renoncer à cette tendre etmarivaudante amitié, à cette causerie qui coulait, roulant desparcelles d’amour comme un ruisseau dont le sable est plein d’or,elle aurait ressenti un gros chagrin, un chagrin pareil à undéchirement.

Quand elle sortait de chez elle pour se rendre à l’atelier dupeintre, une joie l’inondait, vive et chaude, la rendait légère etjoyeuse. En posant sa main sur la sonnette de l’hôtel d’Olivier,son cœur battait d’impatience, et le tapis de l’escalier était leplus doux que ses pieds eussent jamais pressé.

Cependant Bertin devenait sombre, un peu nerveux, souventirritable.

Il avait des impatiences aussitôt comprimées, maisfréquentes.

Un jour, comme elle venait d’entrer, il s’assit à côté d’elle,au lieu de se mettre à peindre, et il lui dit :

« Madame, vous ne pouvez ignorer maintenant que ce n’est pas uneplaisanterie, et que je vous aime follement. »

Troublée par ce début, et voyant venir la crise redoutée, elleessaya de l’arrêter, mais il ne l’écoutait plus. L’émotiondébordait de son cœur, et elle dut l’entendre, pâle, tremblante,anxieuse. Il parla longtemps, sans rien demander, avec tendresse,avec tristesse, avec une résignation désolée ; et elle selaissa prendre les mains qu’il conserva dans les siennes. Ils’était agenouillé sans qu’elle y prît garde, et avec un regardd’halluciné il la suppliait de ne pas lui faire de mal ! Quelmal ? Elle ne comprenait pas et n’essayait pas de comprendre,engourdie dans un chagrin cruel de le voir souffrir, et ce chagrinétait presque du bonheur. Tout à coup, elle vit des larmes dans sesyeux et fut tellement émue, qu’elle fit : « Oh ! » prête àl’embrasser comme on embrasse les enfants qui pleurent. Il répétaitd’une voix très douce : « Tenez, tenez, je souffre trop », et toutà coup, gagnée par cette douleur, par la contagion des larmes, ellesanglota, les nerfs affolés, les bras frémissants, prêts às’ouvrir.

Quand elle se sentit tout à coup enlacée par lui et baiséepassionnément sur les lèvres, elle voulut crier, lutter, lerepousser, mais elle se jugea perdue tout de suite, car elleconsentait en résistant, elle se donnait en se débattant, ellel’étreignait en criant : « Non, non, je ne veux pas. »

Elle demeura ensuite bouleversée, la figure sous ses mains, puistout à coup, elle se leva, ramassa son chapeau tombé sur le tapis,le posa sur sa tête et se sauva, malgré les supplications d’Olivierqui la retenait par sa robe.

Dès qu’elle fut dans la rue, elle eut envie de s’asseoir au borddu trottoir, tant elle se sentait écrasée, les jambes rompues. Unfiacre passait, elle l’appela et dit au cocher : « Allez doucement,promenez-moi où vous voudrez. » Elle se jeta dans la voiture,referma la portière, se blottit au fond, se sentant seule derrièreles glaces relevées, seule pour songer.

Pendant quelques minutes, elle n’eut dans la tête que le bruitdes roues et les secousses des cahots. Elle regardait les maisons,les gens à pied, les autres en fiacre, les omnibus, avec des yeuxvides qui ne voyaient rien ; elle ne pensait à rien non plus,comme si elle se fût donné du temps, accordé un répit avant d’oserréfléchir à ce qui s’était passé.

Puis, comme elle avait l’esprit prompt et nullement lâche, ellese dit : « Voilà, je suis une femme perdue. » Et pendant quelquesminutes encore, elle demeura sous l’émotion, sous la certitude dumalheur irréparable, épouvantée comme un homme tombé d’un toit etqui ne remue point encore, devinant qu’il a les jambes brisées etne le voulant point constater.

Mais au lieu de s’affoler sous la douleur qu’elle attendait etdont elle redoutait l’atteinte, son cœur, au sortir de cettecatastrophe, restait calme et paisible ; il battait lentement,doucement, après cette chute dont son âme était accablée, et nesemblait point prendre part à l’effarement de son esprit.

Elle répéta, à voix haute, comme pour l’entendre et s’enconvaincre : « Voilà, je suis une femme perdue. » Aucun écho desouffrance ne répondit dans sa chair à cette plainte de saconscience.

Elle se laissa bercer quelque temps par le mouvement de fiacre,remettant à tout à l’heure les raisonnements qu’elle aurait à fairesur cette situation cruelle. Non, elle ne souffrait pas. Elle avaitpeur de penser, voilà tout, peur de savoir, de comprendre et deréfléchir ; mais, au contraire, il lui semblait sentir dansl’être obscur et impénétrable que crée en nous la lutte incessantede nos penchants et de nos volontés, une invraisemblablequiétude.

Après une demi-heure, peut-être, de cet étrange repos,comprenant enfin que le désespoir appelé ne viendrait pas, ellesecoua cette torpeur et murmura : « C’est drôle, je n’ai presquepas de chagrin. »

Alors elle commença à se faire des reproches. Une colères’élevait en elle, contre son aveuglement et sa faiblesse. Commentn’avait-elle pas prévu cela ? compris que l’heure de cettelutte devait venir ? que cet homme lui plaisait assez pour larendre lâche ? et que dans les cœurs les plus droits le désirsouffle parfois comme un coup de vent qui emporte la volonté.

Mais quand elle se fut durement réprimandée et méprisée, elle sedemanda avec terreur ce qui allait arriver.

Son premier projet fut de rompre avec le peintre et de ne leplus jamais revoir.

À peine eut-elle pris cette résolution que mille raisons vinrentaussitôt la combattre.

Comment expliquerait-elle cette brouille ? Que dirait-elleà son mari ? La vérité soupçonnée ne serait-elle paschuchotée, puis répandue partout ?

Ne valait-il pas mieux, pour sauver les apparences, jouervis-à-vis d’Olivier Bertin lui-même l’hypocrite comédie del’indifférence et de l’oubli, et lui montrer qu’elle avait effacécette minute de sa mémoire et de sa vie ?

Mais le pourrait-elle ? aurait-elle l’audace de paraître nese rappeler de rien, de regarder avec un étonnement indigné en luidisant : « Que me voulez-vous ? » l’homme dont vraiment elleavait partagé la rapide et brutale émotion ?

Elle réfléchit longtemps et s’y décida néanmoins, aucune autresolution ne lui paraissant possible.

Elle irait chez lui le lendemain, avec courage, et lui feraitcomprendre aussitôt ce qu’elle voulait, ce qu’elle exigeait de lui.Il fallait que jamais un mot, une allusion, un regard, ne pût luirappeler cette honte.

Après avoir souffert, car il souffrirait aussi, il en prendraitassurément son parti, en homme loyal et bien élevé, et demeureraitdans l’avenir ce qu’il avait été jusque-là.

Dès que cette nouvelle résolution fut arrêtée, elle donna aucocher son adresse, et rentra chez elle, en proie à un abattementprofond, à un désir de se coucher, de ne voir personne, de dormir,d’oublier. S’étant enfermée dans sa chambre, elle demeura jusqu’audîner étendue sur sa chaise longue, engourdie, ne voulant plusoccuper son âme de cette pensée pleine de dangers.

Elle descendit à l’heure précise, étonnée d’être si calme etd’attendre son mari avec sa figure ordinaire. Il parut, portantdans ses bras leur fille ; elle lui serra la main et embrassal’enfant, sans qu’aucune angoisse l’agitât.

M. de Guilleroy s’informa de ce qu’elle avait fait. Ellerépondit avec indifférence, qu’elle avait posé comme tous lesjours.

« Et le portrait, est-il beau ? dit-il.

– Il vient fort bien. »

À son tour, il parla de ses affaires qu’il aimait raconter enmangeant, de la séance de la Chambre et de la discussion du projetde loi sur la falsification des denrées.

Ce bavardage, qu’elle supportait bien d’ordinaire, l’irrita, luifit regarder avec plus d’attention l’homme vulgaire et phraseur quis’intéressait à ces choses ; mais elle souriait en l’écoutant,et répondait aimablement, plus gracieuse même que de coutume, pluscomplaisante pour ces banalités. Elle pensait en le regardant : «Je l’ai trompé. C’est mon mari, et je l’ai trompé. Est-cebizarre ? Rien ne peut plus empêcher cela, rien ne peut pluseffacer cela ! J’ai fermé les yeux. J’ai consenti pendantquelques secondes, pendant quelques secondes seulement, au baiserd’un homme, et je ne suis plus une honnête femme. Quelques secondesdans ma vie, quelques secondes qu’on ne peut supprimer, ont amenépour moi ce petit fait irréparable, si grave, si court, un crime,le plus honteux pour une femme… et je n’éprouve point de désespoir.Si on me l’eût dit hier, je ne l’aurais pas cru. Si on me l’eûtaffirmé, j’aurais aussitôt songé aux affreux remords dont jedevrais être aujourd’hui déchirée. Et je n’en ai pas, presque pas.»

M. de Guilleroy sortit après dîner, comme il faisait presquetous les jours.

Alors elle prit sur ses genoux sa petite fille et pleura enl’embrassant ; elle pleura des larmes sincères, larmes de laconscience, non point larmes du cœur.

Mais elle ne dormit guère.

Dans les ténèbres de sa chambre, elle se tourmenta davantage desdangers que pouvait lui créer l’attitude du peintre ; et lapeur lui vint de l’entrevue du lendemain et des choses qu’il luifaudrait dire, en le regardant en face.

Levée tôt, elle demeura sur sa chaise longue durant toute lamatinée, s’efforçant de prévoir ce qu’elle avait à craindre, cequ’elle aurait à répondre, d’être prête pour toutes lessurprises.

Elle partit de bonne heure, afin de réfléchir encore enmarchant.

Il ne l’attendait guère et se demandait, depuis la veille, cequ’il devait faire vis-à-vis d’elle.

Après son départ, après cette fuite, à laquelle il n’avait pasosé s’opposer, il était demeuré seul, écoutant encore, bien qu’ellefût loin déjà, le bruit de ses pas, de sa robe, et de la porteretombant, poussée par une main éperdue.

Il restait debout, plein d’une joie ardente, profonde,bouillante. Il l’avait prise, elle ! Cela s’était passé entreeux ! Était-ce possible ? Après la surprise de cetriomphe, il le savourait, et pour le mieux goûter, il s’assit, secoucha presque sur le divan où il l’avait possédée.

Il y resta longtemps, plein de cette pensée qu’elle était samaîtresse, et qu’entre eux, entre cette femme qu’il avait tantdésirée et lui, s’était noué en quelques moments le lien mystérieuxqui attache secrètement deux êtres l’un à l’autre. Il gardait entoute sa chair encore frémissante le souvenir aigu de l’instantrapide où leurs lèvres s’étaient rencontrées, où leurs corpss’étaient unis et mêlés pour tressaillir ensemble du grand frissonde la vie.

Il ne sortit point ce soir-là, pour se repaître de cettepensée ; il se coucha tôt, tout vibrant de bonheur.

À peine éveillé, le lendemain, il se posa cette question : « Quedois-je faire ? » À une cocotte, à une actrice, il eût envoyédes fleurs ou même un bijou ; mais il demeurait torturé deperplexité devant cette situation nouvelle.

Assurément, il fallait écrire. Quoi ?… Il griffonna,ratura, déchira, recommença vingt lettres, qui toutes luisemblaient blessantes, odieuses, ridicules.

Il aurait voulu exprimer en termes délicats et charmeurs lareconnaissance de son âme, ses élans de tendresse folle, ses offresde dévouement sans fin ; mais il ne découvrait, pour dire ceschoses passionnées et pleines de nuances, que des phrases connues,des expressions banales, grossières ou puériles.

Il renonça donc à l’idée d’écrire, et se décida à l’aller voir,dès que l’heure de la séance serait passée, car il pensait bienqu’elle ne viendrait pas.

S’enfermant alors dans l’atelier, il s’exalta devant leportrait, les lèvres chatouillées de l’envie de se poser sur lapeinture où quelque chose d’elle était fixé ; et de moment enmoment, il regardait dans la rue par la fenêtre. Toutes les robesapparues au loin lui donnaient un battement de cœur. Vingt fois ilcrut la reconnaître, puis, quand la femme aperçue était passée, ils’asseyait un moment, accablé comme après une déception.

Soudain, il la vit, douta, prit sa jumelle, la reconnut, etbouleversé par une émotion violente, s’assit pour l’attendre.

Quand elle entra, il se précipita sur les genoux et voulut luiprendre les mains ; mais elle les retira brusquement, et commeil demeurait à ses pieds, saisi d’angoisse et les yeux levés verselle, elle lui dit avec hauteur :

« Que faites-vous donc, Monsieur, je ne comprends pas cetteattitude ? »

Il balbutia :

« Oh ! Madame, je vous supplie… »

Elle l’interrompit durement.

« Relevez-vous, vous êtes ridicule. »

Il se releva, effaré, murmurant :

« Qu’avez-vous ? Ne me traitez pas ainsi, je vousaime !… »

Alors, en quelques mots rapides et secs, elle lui signifia savolonté, et régla la situation.

« Je ne comprends pas ce que vous voulez dire ! Ne meparlez jamais de votre amour, ou je quitterai cet atelier pour n’ypoint revenir. Si vous oubliez, une seule fois, cette condition dema présence ici, vous ne me reverrez plus. »

Il la regardait, affolé par cette dureté qu’il n’avait pointprévue ; puis il comprit et murmura :

« J’obéirai, Madame. »

Elle répondit :

« Très bien, j’attendais cela de vous ! Maintenanttravaillez, car vous êtes long à finir ce portrait. »

Il prit donc sa palette et se mit à peindre ; mais sa maintremblait, ses yeux troublés regardaient sans voir ; il avaitenvie de pleurer, tant il se sentait le cœur meurtri.

Il essaya de lui parler ; elle répondit à peine. Comme iltentait de lui dire une galanterie sur son teint, elle l’arrêtad’un ton si cassant qu’il eut tout à coup une de ces fureursd’amoureux qui changent en haine la tendresse. Ce fut, dans son âmeet dans son corps, une grande secousse nerveuse, et tout de suite,sans transition, il la détesta. Oui, oui, c’était bien cela, lafemme ! Elle était pareille aux autres, elle aussi !Pourquoi pas ? Elle était fausse, changeante et faible commetoutes. Elle l’avait attiré, séduit par des ruses de fille,cherchant à l’affoler sans rien donner ensuite, le provoquant pourse refuser, employant pour lui toutes les manœuvres des lâchescoquettes qui semblent toujours prêtes à se dévêtir, tant quel’homme qu’elles rendent pareil aux chiens des rues n’est pashaletant de désir.

Tant pis pour elle, après tout ; il l’avait eue, il l’avaitprise. Elle pouvait éponger son corps et lui répondre insolemment,elle n’effacerait rien, et il l’oublierait, lui. Vraiment, ilaurait fait une belle folie en s’embarrassant d’une maîtressepareille qui aurait mangé sa vie d’artiste avec des dentscapricieuses de jolie femme.

Il avait envie de siffler, ainsi qu’il faisait devant sesmodèles ; mais comme il sentait son énervement grandir etqu’il redoutait de faire quelque sottise, il abrégea la séance,sous prétexte d’un rendez-vous. Quand ils se saluèrent en seséparant, ils se croyaient assurément plus loin l’un de l’autre quele jour où ils s’étaient rencontrés chez la duchesse deMortemain.

Dès qu’elle fut partie, il prit son chapeau et son pardessus etil sortit. Un soleil froid, dans un ciel bleu ouaté de brume,jetait sur la ville une lumière pâle, un peu fausse et triste.

Lorsqu’il eut marché quelque temps, d’un pas rapide et irrité,en heurtant les passants, pour ne point dévier de la ligne droite,sa grande fureur contre elle s’émietta en désolations et enregrets. Après qu’il se fut répété tous les reproches qu’il luifaisait, il se souvint, en voyant passer d’autres femmes, combienelle était jolie et séduisante. Comme tant d’autres qui nel’avouent point, il avait toujours attendu l’impossible rencontre,l’affection rare, unique, poétique et passionnée, dont le rêveplane sur nos cœurs. N’avait-il pas failli trouver cela ?N’était-ce pas elle qui lui aurait donné ce presque impossiblebonheur ? Pourquoi donc est-ce que rien ne se réalise ?Pourquoi ne peut-on rien saisir de ce qu’on poursuit, ou n’enatteint-on que des parcelles, qui rendent plus douloureuse cettechasse aux déceptions ?

Il n’en voulait plus à la jeune femme, mais à la vie elle-même.Maintenant qu’il raisonnait, pourquoi lui en aurait-il voulu àelle ? Que pouvait-il lui reprocher, après tout ? –d’avoir été aimable, bonne et gracieuse pour lui – tandis qu’ellepouvait lui reprocher, elle, de s’être conduit comme unmalfaiteur !

Il rentra plein de tristesse. Il aurait voulu lui demanderpardon, se dévouer pour elle, faire oublier, et il chercha ce qu’ilpourrait tenter pour qu’elle comprît combien il serait, jusqu’à lamort, docile désormais à toutes ses volontés.

Or, le lendemain, elle arriva accompagnée de sa fille, avec unsourire si morne, avec un air si chagrin, que le peintre crut voirdans ces pauvres yeux bleus, jusque-là si gais, toute la peine,tout le remords, toute la désolation de ce cœur de femme. Il futremué de pitié, et pour qu’elle oubliât, il eut pour elle, avec unedélicate réserve, les plus fines prévenances. Elle y répondit avecdouceur, avec bonté, avec l’attitude lasse et brisée d’une femmequi souffre.

Et lui, en la regardant, repris d’une folle idée de l’aimer etd’être aimé, il se demandait comment elle n’était pas plus fâchée,comment elle pouvait revenir encore, l’écouter et lui répondre,avec ce souvenir entre eux.

Du moment qu’elle pouvait le revoir, entendre sa voix etsupporter en face de lui la pensée unique qui ne devait pas laquitter, c’est qu’alors cette pensée ne lui était pas devenueodieusement intolérable. Quand une femme hait l’homme qui l’aviolée, elle ne peut plus se trouver devant lui sans que cettehaine éclate. Mais cet homme ne peut non plus lui demeurerindifférent. Il faut qu’elle le déteste ou qu’elle lui pardonne. Etquand elle pardonne cela, elle n’est pas loin d’aimer.

Tout en peignant avec lenteur, il raisonnait par petitsarguments précis, clairs et sûrs ; il se sentait lucide, fort,maître à présent des événements.

Il n’avait qu’à être prudent, qu’à être patient, qu’à êtredévoué, et il la reprendrait, un jour ou l’autre.

Il sut attendre. Pour la rassurer et la reconquérir, il eut desruses à son tour, des tendresses dissimulées sous d’apparentsremords, des attentions hésitantes et des attitudes indifférentes.Tranquille dans la certitude du bonheur prochain, que lui importaitun peu plus tôt, un peu plus tard. Il éprouvait même un plaisirbizarre et raffiné à ne se point presser, à la guetter, à se dire :« Elle a peur » en la voyant venir toujours avec son enfant.

Il sentait qu’entre eux se faisait un lent travail derapprochement, et que dans les regards de la comtesse quelque chosed’étrange, de contraint, de douloureusement doux, apparaissait, cetappel d’une âme qui lutte, d’une volonté qui défaille et qui sembledire : « Mais, force-moi donc ! »

Au bout de quelque temps, elle revint seule, rassurée par saréserve. Alors il la traita en amie, en camarade, lui parla de savie, ses projets, de son art, comme à un frère.

Séduite par cet abandon, elle prit avec joie ce rôle deconseillère, flattée qu’il la distinguât ainsi des autres femmes etconvaincue que son talent gagnerait de la délicatesse à cetteintimité intellectuelle. Mais à force de la consulter et de luimontrer de la déférence, il la fit passer, naturellement, desfonctions de conseillère au sacerdoce d’inspiratrice. Elle trouvacharmant d’étendre ainsi son influence sur le grand homme, etconsentit à peu près à ce qu’il l’aimât en artiste, puisqu’elleinspirait ses œuvres.

Ce fut un soir, après une longue causerie sur les maîtresses despeintres illustres, qu’elle se laissa glisser dans ses bras. Elle yresta, cette fois, sans essayer de fuir, et lui rendit sesbaisers.

Alors, elle n’eut plus de remords, mais le vague sentiment d’unedéchéance, et pour répondre aux reproches de sa raison, elle crut àune fatalité. Entraînée vers lui par son cœur qui était vierge, etpar son âme qui était vide, la chair conquise par la lentedomination des caresses, elle s’attacha peu à peu, commes’attachent les femmes tendres, qui aiment pour la premièrefois.

Chez lui, ce fut une crise d’amour aigu, sensuel et poétique. Illui semblait parfois qu’il s’était envolé, un jour, les mainstendues, et qu’il avait pu étreindre à pleins bras le rêve ailé etmagnifique qui plane toujours sur nos espérances.

Il avait fini le portrait de la comtesse, le meilleur, certes,qu’il eût peint, car il avait su voir et fixer ce je ne sais quoid’inexprimable que presque jamais un peintre ne dévoile, ce reflet,ce mystère, cette physionomie de l’âme qui passe, insaisissable,sur les visages.

Puis des mois s’écoulèrent, et puis des années qui desserrèrentà peine le lien qui unissait l’un à l’autre la comtesse deGuilleroy et le peintre Olivier Bertin. Ce n’était plus chez luil’exaltation des premiers temps, mais une affection calmée,profonde, une sorte d’amitié amoureuse dont il avait prisl’habitude.

Chez elle, au contraire, grandit sans cesse l’attachementpassionné, l’attachement obstiné de certaines femmes qui se donnentà un homme pour tout à fait et pour toujours. Honnêtes et droitesdans l’adultère comme elles auraient pu l’être dans le mariage,elles se vouent à une tendresse unique dont rien ne les détournera.Non seulement elles aiment leur amant, mais elles veulent l’aimer,et les yeux uniquement sur lui, elles occupent tellement leur cœurde sa pensée, que rien d’étranger n’y peut plus entrer. Elles ontlié leur vie avec résolution, comme on se lie les mains, avant desauter à l’eau du haut d’un pont, lorsqu’on sait nager et qu’onveut mourir.

Mais à partir du moment où la comtesse se fut donnée ainsi, ellese sentit assaillie de craintes sur la constance d’Olivier Bertin.Rien ne le tenait que sa volonté d’homme, son caprice, son goûtpassager pour une femme rencontrée un jour comme il en avait déjàrencontré tant d’autres ! Elle le sentait si libre et sifacile à tenter, lui qui vivait sans devoirs, sans habitudes etsans scrupules, comme tous les hommes ! Il était beau garçon,célèbre, recherché, ayant à la portée de ses désirs vite éveilléstoutes les femmes du monde dont la pudeur est si fragile, et toutesles femmes d’alcôve ou de théâtre prodigues de leurs faveurs avecdes gens comme lui. Une d’elles, un soir, après souper, pouvait lesuivre et lui plaire et le garder.

Elle vécut donc dans la terreur de le perdre, épiant sesallures, ses attitudes, bouleversée par un mot, pleine d’angoissedès qu’il admirait une autre femme, vantait le charme d’un visage,ou la grâce d’une tournure. Tout ce qu’elle ignorait de sa vie lafaisait trembler, et tout ce qu’elle en savait l’épouvantait. Àchacune de leurs rencontres, elle devenait ingénieuse àl’interroger, sans qu’il s’en aperçût, pour lui faire dire sesopinions sur les gens qu’il avait vus, sur les maisons où il avaitdîné, sur les impressions les plus légères de son esprit. Dèsqu’elle croyait deviner l’influence possible de quelqu’un, elle lacombattait avec une prodigieuse astuce, avec d’innombrablesressources.

Oh ! souvent elle pressentit ces courtes intrigues, sansracines profondes, qui durent huit ou quinze jours, de temps entemps, dans l’existence de tout artiste en vue.

Elle avait, pour ainsi dire, l’intuition du danger, avant mêmed’être prévenue de l’éveil d’un désir nouveau chez Olivier, parl’air de fête que prennent les yeux et le visage d’un homme quesurexcite une fantaisie galante.

Alors elle commençait à souffrir ; elle ne dormait plus quedes sommeils troublés par les tortures du doute. Pour lesurprendre, elle arrivait chez lui sans l’avoir prévenu, lui jetaitdes questions qui semblaient naïves, tâtait son cœur, écoutait sapensée, comme on tâte, comme on écoute, pour connaître le mal cachédans un être.

Et elle pleurait sitôt qu’elle était seule, sûre qu’on allait lelui prendre cette fois, lui voler cet amour à qui elle tenait sifort parce qu’elle y avait mis, avec toute sa volonté, toute saforce d’affection, toutes ses espérances et tous ses rêves.

Aussi, quand elle le sentait revenir à elle, après ces rapideséloignements, elle éprouvait à le reprendre, à le reposséder commeune chose perdue et retrouvée, un bonheur muet et profond quiparfois, quand elle passait devant une église, la jetait dedanspour remercier Dieu.

La préoccupation de lui plaire toujours, plus qu’aucune autre,et de le garder contre toutes, avait fait de sa vie entière uncombat ininterrompu de coquetterie. Elle avait lutté pour lui,devant lui, sans cesse, par la grâce, par la beauté, parl’élégance. Elle voulait que partout où il entendrait parlerd’elle, on vantât son charme, son goût, son esprit et sestoilettes. Elle voulait plaire aux autres pour lui et les séduireafin qu’il fût fier et jaloux d’elle. Et chaque fois qu’elle ledevina jaloux, après l’avoir fait un peu souffrir elle luiménageait un triomphe qui ravivait son amour en excitant savanité.

Puis comprenant qu’un homme pouvait toujours rencontrer, par lemonde, une femme dont la séduction physique serait plus puissante,étant nouvelle, elle eut recours à d’autres moyens : elle le flattaet le gâta.

D’une façon discrète et continue, elle fit couler l’éloge surlui ; elle le berça d’admiration et l’enveloppa decompliments, afin que, partout ailleurs, il trouvât l’amitié etmême la tendresse un peu froides et incomplètes, afin que sid’autres l’aimaient aussi, il finît par s’apercevoir qu’aucune nele comprenait comme elle.

Elle fit de sa maison, de ses deux salons où il entrait sisouvent, un endroit où son orgueil d’artiste était attiré autantque son cœur d’homme, l’endroit de Paris où il aimait le mieuxvenir parce que toutes ses convoitises y étaient en même tempssatisfaites.

Non seulement, elle apprit à découvrir tous ses goûts, afin delui donner en les rassasiant chez elle, une impression de bien-êtreque rien ne remplacerait, mais elle sut en faire naître denouveaux, lui créer des gourmandises de toute sorte, matérielles ousentimentales, des habitudes de petits soins, d’affection,d’adoration, de flatterie ! Elle s’efforça de séduire ses yeuxpar des élégances, son odorat par des parfums, son oreille par descompliments et sa bouche par des nourritures.

Mais lorsqu’elle eut mis en son âme et en sa chair decélibataire égoïste et fêté une multitude de petits besoinstyranniques, lorsqu’elle fut bien certaine qu’aucune maîtressen’aurait comme elle le souci de les surveiller et de les entretenirpour le ligoter par toutes les menues jouissances de la vie, elleeut peur tout à coup, en le voyant se dégoûter de sa propre maison,se plaindre sans cesse de vivre seul, et, ne pouvant venir chezelle qu’avec toutes les réserves imposées par la société, chercherau Cercle, chercher partout les moyens d’adoucir son isolement,elle eut peur qu’il ne songeât au mariage.

En certains jours, elle souffrait tellement de toutes cesinquiétudes, qu’elle désirait la vieillesse pour en avoir fini aveccette angoisse-là, et se reposer dans une affection refroidie etcalme.

Les années passèrent, cependant, sans les désunir. La chaîneattachée par elle était solide, et elle en refaisait les anneaux àmesure qu’ils s’usaient. Mais toujours soucieuse, elle surveillaitle cœur du peintre comme on surveille un enfant qui traverse unerue pleine de voitures, et chaque jour encore elle redoutaitl’événement inconnu, dont la menace est suspendue sur nous.

Le comte, sans soupçons et sans jalousie, trouvait naturellecette intimité de sa femme et d’un artiste fameux qui était reçupartout avec de grands égards. À force de se voir, les deux hommes,habitués l’un à l’autre, avaient fini par s’aimer.

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