Catherine Blum

Chapitre 5CATHERINE BLUM

Le simple contact de ce papier, la simplelecture de cette adresse, fit passer un frisson par tout le corpsde Bernard, comme s’il eût deviné que cette lettre renfermait pourlui toute une période d’existence nouvelle, toute une série demalheurs inconnus.

La jeune fille à laquelle était adressée cettelettre, et dont nous avons déjà dit deux mots, était la fille de lasœur du père Guillaume et, par conséquent, la cousine germaine deBernard.

Maintenant, comment cette jeune filleportait-elle un nom allemand ? comment avait-elle été élevéepar d’autres que son père et sa mère ? comment setrouvait-elle en ce moment rue Bourg-l’Abbé, n° 15, à Paris.C’est ce que nous allons dire.

En 1808, une colonne de prisonniers allemands,qui venaient des champs de bataille de Friedland et d’Eylau,traversa la France, logeant militairement chez les particuliers,comme logeaient les soldats français eux-mêmes.

Un jeune Badois, blessé grièvement à lapremière de ces deux batailles, se trouva avec son billet delogement chez le père Guillaume Watrin, marié depuis quatre ou cinqans, et dans la maison duquel demeurait Rose Watrin, sa sœur, bellejeune fille de dix-sept à dix-huit ans.

La blessure de l’étranger, déjà grave aumoment où il était sorti de l’ambulance, avait tellement empiré parles marches, les fatigues et le manque de soins, que force lui fut,sur un certificat du médecin et du chirurgien de Villers-Cotterêts,messieurs Lécosse et Raynal, de séjourner dans la ville natale decelui qui raconte cette histoire.

On voulut le conduire à l’hôpital ; maisle jeune soldat manifesta une telle répugnance pour cettetranslation, que le père Guillaume, qu’à cette époque on appelaitencore Guillaume tout court, attendu que c’était un beau jeunehomme de vingt-huit à trente ans, fut le premier à lui proposer derester à la Faisanderie.

C’est ainsi que se nommait, en 1808, larésidence de Guillaume, située à un quart de lieue à peine de laville, sous les plus beaux et les plus grands arbres de cettepartie de la forêt qu’on appelle le Parc.

Ce qui avait surtout inspiré à Frédéric Blum,tel était le nom du blessé, cette vive répugnance pour l’hôpital,c’étaient non seulement la propreté de son hôte et de sa jeunefemme, l’air excellent de la Faisanderie et la délicieuse vue de sapetite chambre donnant sur les parterres des gardes et les arbresverts de la forêt, mais encore, et bien plutôt, la vue de cettecharmante fleur qu’on eût crue cueillie dans l’un de ces parterreset que l’on nommait Rose Watrin.

Elle, de son côté, quand elle avait vu lejeune homme si beau, si pâle, si souffrant, prêt à être mis sur lebrancard des pauvres et transporté à l’hôpital, elle avait éprouvéune si douloureuse impression, que le cœur lui avait manqué, etqu’elle avait été trouver son frère, les mains jointes et leslarmes aux yeux, n’osant prononcer un seul mot, mais bien pluséloquente par son silence qu’elle ne l’eût été par les paroles lesplus pressantes de la terre.

Watrin avait compris tout ce qui se passaitdans l’âme de sa sœur, et, poussé moins encore par le désir de lajeune fille que par ce fonds de pitié qu’on est toujours sûr derencontrer dans les hommes de l’isolement et de la solitude, ilavait consenti à ce que le jeune Badois restât à laFaisanderie.

À partir de ce moment, par une conventiontacite, la femme de Watrin avait repris tout entiers les soins deson ménage et de son fils Bernard, alors âgé de trois ans ;tandis que Rose, la belle fleur de la forêt, s’était consacréeexclusivement à la garde du blessé.

La blessure avait été faite, qu’on nouspardonne les quelques mots scientifiques que nous allons êtreobligé de prononcer, la blessure avait, disons-nous, été faite parune balle qui avait frappé sur le condyle du fémur, avait glissé àtravers les aponévroses du fascia lata, et pénétré dansles couches profondes, où elle s’était engagée en y déterminant uneviolente irritation. D’abord, les chirurgiens avaient cru l’os dufémur brisé, et avaient voulu pratiquer la désarticulation ;mais cette opération avait effrayé le jeune homme, non pas tant àcause de la douleur dont elle devait être accompagnée que parl’idée d’une mutilation éternelle. Il avait déclaré qu’il préféraitmourir ; et, comme il avait affaire à des chirurgiensfrançais, auxquels il était à peu près égal qu’il mourût ou nemourût pas, ceux-ci l’avaient laissé à l’ambulance, où, peu à peu,pour me servir toujours du terme scientifique, la balle s’étaitenchatonnée dans les régions musculaires par une sécrétionaponévrotique.

Sur ces entrefaites était arrivé l’ordre defaire filer les prisonniers sur la France. Les prisonniers, blessésou non, avaient été mis dans des charrettes, et avaient étéexpédiés à leur destination : Frédéric Blum comme les autres,et avec les autres. Il avait fait deux cents lieues de cettefaçon ; mais, en arrivant à Villers-Cotterêts, ses souffrancesavaient été, comme nous l’avons dit, si intolérables, qu’il luiavait été impossible d’aller plus loin.

Par bonheur, ce que l’on pouvait regardercomme une aggravation était, au contraire, un commencement deconvalescence. La balle, soit qu’elle eût été chassée par quelqueviolent effort, soit qu’elle eût été entraînée par son proprepoids, avait déchiré son enveloppe anormale, et descendait àtravers la séparation des muscles, dont elle déchirait, endescendant, le tissu intersticiel.

Or, on le comprend, ce miracle de la nature,cette guérison étrange que le corps entreprend pour son proprecompte, ne s’opère pas instantanément et sans de violentesdouleurs. Le blessé resta trois mois étendu sur sa couchefiévreuse, puis peu à peu une amélioration sensible semanifesta ; il put se lever, marcher jusqu’à la fenêtred’abord, ensuite jusqu’à la porte, puis sortir, puis se promenerappuyé au bras de Rose Watrin, sous les grands arbres quiavoisinent la Faisanderie ; puis enfin, un jour, il sentitentre les fléchisseurs de sa jambe gauche rouler un corps étranger.Il appela le chirurgien : le chirurgien opéra une légèreincision, et la balle, qui avait failli être mortelle, tombainoffensive dans les mains de l’opérateur.

Frédéric Blum était guéri.

Mais, à la suite de cette guérison, il setrouva qu’il y avait dans la maison Watrin deux blessés au lieud’un.

Heureusement, la paix de Tilsit arriva. Unnouveau royaume avait été créé dès 1807 ; il empruntait àl’ancien duché de Westphalie l’évêché de Paderborn, Horn etBilefeld ; il y joignait une partie des cercles du Haut-Rhinet de la Basse-Saxe ; il comprenait en outre le sud duHanovre, Hesse-Cassel et les principautés de Magdebourg et deVerden.

Ce royaume se nommait le royaume deWestphalie. Demeuré à l’état de mythe tant que la grande questiondébattue à main armée ne fut pas résolue par les victoires deFriedland et d’Eylau, il fut reconnu par Alexandre, à la paix deTilsit, et désormais compta parmi les royaumes européens, où il nedevait figurer que pendant six ans.

Un matin Frédéric Blum se réveilla doncdéfinitivement Westphalien, et, par conséquent, allié du peuplefrançais, au lieu d’en être l’ennemi.

Alors, il fut sérieusement question deréaliser l’idée qui préoccupait les deux jeunes gens depuis plus desix mois, c’est-à-dire de les marier.

La véritable difficulté avait disparu :Guillaume Watrin était trop bon Français pour donner sa sœur à unhomme exposé à servir contre la France, et à tirer un jour descoups de fusil contre Bernard, que son père voyait déjà revêtu d’ununiforme et marchant au pas de charge contre les ennemis de sonpays ; mais Frédéric Blum, devenu Westphalien, par conséquentFrançais, le mariage des deux jeunes gens était la chose la plussimple du monde.

Frédéric engagea sa parole de bon et braveAllemand de revenir avant trois mois, et partit.

Il y eut force larmes au départ ; mais laloyauté était si bien peinte sur le visage de Blum, que l’on nedouta pas un seul instant de son retour.

Il avait un projet dont il n’avait rien dit àpersonne : c’était d’aller trouver le nouveau roi à Cassel, etde lui présenter un placet par lequel il lui raconterait toute sonhistoire, et lui demanderait une place de garde dans cette forêt dequatre-vingts lieues de long sur quinze de large qui s’étend duRhin au Danube, et qu’on appelle la forêt Noire.

Le plan était simple et naïf : il réussità cause même de sa simplicité et de sa naïveté.

Un jour, du balcon de son château, le roi vitun soldat qui, un papier à la main, semblait solliciter sabienveillance ; il était de bonne humeur, comme tous les roisqui en sont aux premières marches du trône : au lieu d’envoyerprendre le placet, il envoya chercher le soldat. Celui-ci luiexposa en assez bon français ce que contenait ce placet. Le roi mitle mot accordé au-dessous de la demande, et Frédéric Blumse trouva garde chef d’un canton de la forêt Noire.

Un congé d’un mois, pour donner au nouveaugarde chef le temps d’aller chercher sa fiancée, et unegratification de cinq cents florins pour l’aider à faire le voyage,étaient joints au brevet qui assurait l’avenir de nos deux jeunesgens.

Frédéric Blum avait demandé trois mois, on levit revenir au bout de six semaines. C’était une épreuve de sonamour qui parlait d’elle-même, et si haut, que Guillaume Watrinn’eut aucune objection à faire.

Mais Marianne en fit une, et des plussérieuses même.

Marianne était bonne catholique, allant tousles dimanches entendre la messe à l’église de Villers-Cotterêts, etcommuniant aux quatre grandes fêtes de l’année, sous la directionde l’abbé Grégoire.

Or, Frédéric Blum était protestant, et, auxyeux de Marianne, l’âme de Frédéric Blum était inévitablementperdue, et celle de sa belle-sœur sérieusement compromise.

On fit venir l’abbé Grégoire.

L’abbé Grégoire était un excellent homme,myope comme une taupe des yeux du corps ; mais cette myopieextérieure et matérielle avait rendu plus perçante chez lui la vuede l’âme. Il était impossible d’avoir un sens plus juste et plusdroit des choses de ce monde et des choses du ciel que le digneabbé, et nul prêtre, depuis que des vœux abnégatifs ont étéprononcés par un homme, n’est, j’en réponds, resté plusscrupuleusement fidèle aux vœux qu’il avait faits.

L’abbé Grégoire répondit qu’il y avait unereligion qu’il fallait suivre avant tout, savoir, celle del’âme ; or, l’âme des deux jeunes gens avait fait sermentd’amour mutuel : Frédéric Blum suivrait sa religion ;Rose Watrin la sienne ; les enfants seraient élevés dans lareligion du pays qu’ils habiteraient, et, au jour du jugementdernier, Dieu, qui est toute miséricorde, se contenterait deséparer, c’était l’espoir du brave abbé, non pas les protestantsdes catholiques, mais simplement les bons des méchants.

Cette décision de l’abbé Grégoire, appuyée parles deux fiancés et par Guillaume Watrin, ayant réuni trois voix ensa faveur tandis que la proposition contraire n’en avait eu qu’uneseule, celle de Marianne, il fut convenu que le mariage aurait lieuaussitôt que seraient accomplies les formalités religieuses.

Ces formalités prirent trois semaines, aprèslesquelles Rose Watrin et Frédéric Blum furent mariés à la mairiede Villers-Cotterêts, sur les registres de laquelle on peut voirleurs noms à la date du 12 septembre 1809, et à l’église de la mêmeville.

L’absence d’un pasteur protestant fit différerle mariage au temple jusqu’à l’arrivée des deux époux enWestphalie.

Un mois après, jour pour jour, ils étaientremariés par le pasteur de Verden, et toutes les cérémonies quiliaient l’un à l’autre les deux sectateurs de deux cultesdifférents se trouvèrent accomplies.

Au bout de dix mois naquit un enfant du sexeféminin, lequel ou plutôt laquelle reçut le nom de Catherine, etfut, selon l’usage du pays où elle était née, élevée dansla religion protestante.

Trois ans et demi d’une félicité parfaites’écoulèrent pour les jeunes époux ; puis vint la campagne de1812, mère désastreuse de la non moins fatale campagne de 1813.

La grande armée disparut sous les neiges de laRussie et sous les glaces de la Berezina. Il fallut lever une arméenouvelle : tout ce qui avait déjà figuré sur les cadres, toutce qui n’avait pas trente ans révolus, fut appelé à prendre lesarmes.

Frédéric Blum, par ce décret, se trouvait deuxfois soldat : soldat pour avoir figuré autrefois sur lescadres de l’armée, soldat parce qu’il n’avait que vingt-neuf ans etquatre mois.

Peut-être eût-il pu faire valoir près du roide Westphalie ce motif d’exemption, qu’il souffrait parfoiscruellement de son ancienne blessure ; il n’y songea même pas.Il partit pour Cassel, se présenta au roi, se fît reconnaître delui, demanda à servir, comme autrefois, dans la cavalerie,recommanda au prince sa femme et son enfant, et partit commebrigadier dans les chasseurs westphaliens.

Il était parmi les vainqueurs à Lützen et àBautzen ; il fut parmi les vaincus et les morts à Leipzig.

Cette fois, une balle saxonne lui avaittraversé la poitrine, et il se coucha pour ne plus se relever, aumilieu des soixante mille mutilés de cette journée, où l’on tiracent dix-sept mille coups de canon, cent onze mille de plus qu’àMalplaquet. On voit que la succession des siècles amène leprogrès !

Le roi de Westphalie n’oublia pas la promessefaite : une pension de trois cents florins fut accordée à laveuve de Frédéric Blum et vint la trouver au milieu de son deuil etde ses larmes ; mais, dès le commencement de 1814, le royaumede Westphalie n’existait plus, et le roi Jérôme avait cessé decompter au nombre des têtes couronnées.

Frédéric Blum avait été tué dans les rangsfrançais ; à cette époque de réaction, c’était assez pour quesa veuve fût mal vue dans cette Allemagne qui venait de se soulevertout entière contre nous. Elle se mit donc en route avec les débrisde l’armée française qui repassait la frontière, et, un matin, sonenfant dans les bras, elle vint frapper à la porte de son frèreGuillaume.

La mère et l’enfant furent reçus par ce cœurd’or comme des envoyés de Dieu.

La petite fille, – elle avait trois ans, –devint la sœur de Bernard qui en avait neuf ; la mère reprit,sur le lit de douleur de Blum, dans la petite chambre d’où l’onapercevait les jardins de la forêt, la place de Frédéric Blum.

Hélas ! la pauvre femme était plusdangereusement malade que ne l’avait été son mari ; la fatigueet le chagrin avaient donné chez elle naissance à une péripneumoniequi dégénéra en phtisie pulmonaire, et qui, malgré tous les soinsdont elle fut entourée par son frère et sa belle-sœur, amena lamort.

Vers la fin de 1814, c’est-à-dire à l’âge dequatre ans, la petite Catherine Blum se trouva donc orpheline.

Orpheline de nom, bien entendu, car elle eûtretrouvé un père et une mère dans Watrin et dans sa femme, si unpère et une mère perdus se retrouvaient jamais.

Mais ce qu’elle trouva, aussi tendre, aussidévoué que s’il eût eu le même père et la même mère qu’elle, ce futun frère dans le jeune Bernard.

Les deux enfants grandirent sans s’inquiéterle moins du monde des vicissitudes politiques qui agitèrent laFrance, et qui mirent deux ou trois fois en question l’existencematérielle de leurs parents.

Napoléon abdiqua à Fontainebleau, rentra un anaprès à Paris, tomba une seconde fois à Waterloo, s’embarqua àRochefort, fut enchaîné et mourut sur son rocher de Sainte-Hélène,sans que toutes ces grandes catastrophes prissent à leurs yeuxaucune des proportions que devait un jour leur donnerl’histoire.

Ce qui importait à la famille perdue sous cesépais feuillages, où la vie et la mort des puissants de ce mondeavaient un si faible écho, c’est que le duc d’Orléans, redevenucomme apanagiste propriétaire de la forêt de Villers-Cotterêts, eûtconservé à Guillaume Watrin sa position de garde chef.

Cette position lui avait été conservée, ets’était même améliorée. À la mort tragique de Choron, Watrin avaitété appelé de la garderie de la Pépinière à celle de Chavigny, etavait dû quitter son logement de la Faisanderie pour la maisonneuve du chemin de Soissons.

Or, cent francs de plus étaient attribués àcette garderie, et une augmentation de cent francs c’était unenotable amélioration dans les appointements du vieux gardechef.

De son côté, Bernard avait grandi, et, admiscomme garde adjoint à dix-huit ans, avait été nommé garde auxappointements de cinq cents francs le jour même où il avait atteintsa majorité. Il en résultait quatorze cents francs réunis dans lamême maison, lesquels, joints au logement gratuit et aux bénéficesdu coup de fusil, avaient amené l’aisance dans la famille.

Tout le monde s’était ressenti de cetteaisance : Catherine Blum avait été mise en pension àVillers-Cotterêts, et y avait reçu une éducation qui de la paysanneavait peu à peu fait une demoiselle de la ville. Puis, en mêmetemps que son éducation, sa beauté avait fleuri, et Catherine Blumà seize ans était une des plus charmantes filles deVillers-Cotterêts et des environs.

C’était alors que cet amour de frère, queBernard avait pendant toute sa jeunesse porté à Catherine, changeainsensiblement de nature, et se transforma en un amour d’amant.

Cependant, ni l’un ni l’autre des deux jeunesgens n’avait vu bien clair dans ce sentiment : chacun de soncôté comprenait qu’il aimait l’autre davantage, au fur et à mesurequ’il passait de l’enfance à l’adolescence, mais aucun d’eux ne serendit compte de la situation de son cœur, jusqu’au moment où vintune circonstance qui leur prouva que leur double existence n’avaitqu’une seule source, comme deux fleurs n’ont qu’une même tige.

Au sortir de sa pension, c’est-à-dire à l’âgede treize ou quatorze ans, Catherine Blum avait été mise enapprentissage chez mademoiselle Rigolot, la premièrelingère-modiste de Villers-Cotterêts ; elle y était restéedeux ans, et y avait donné tant de preuves d’intelligence et degoût, que mademoiselle Rigolot avait déclaré que, si Catherine Blumpassait un an ou dix-huit mois à Paris pour y prendre le goût de lacapitale, elle n’hésiterait pas, même sans argent comptant, maismoyennant deux mille livres par an pendant six ans, à lui céder sonfonds, et cela de préférence à toute autre.

Cette ouverture était trop sérieuse pour nepoint ordonner de graves réflexions entre Guillaume Watrin et safemme.

Il fut décidé que, munie d’une lettre demademoiselle Rigolot pour sa correspondante de Paris, Catherinepartirait de Villers-Cotterêts et s’installerait pendant un an oudix-huit mois dans la capitale.

La rue Bourg-l’Abbé n’était peut-être pas unedes rues où la mode se produisît sous son aspect le plus neuf et leplus élégant ; mais rue Bourg-l’Abbé demeurait lacorrespondante de mademoiselle Rigolot, et l’on s’en rapportait àCatherine pour corriger ce que le goût des habitants de cette ruebourgeoise pouvait avoir de trop arriéré.

Ce fut lorsque Bernard et Catherine durent sequitter qu’ils apprécièrent véritablement le point où en était venuleur amour, et qu’ils s’aperçurent que cet amour avait toutl’égoïsme de celui d’un amant à une maîtresse, loin d’avoirl’élasticité de celui d’un frère à une sœur.

Des promesses de penser éternellement l’un àl’autre, de s’écrire au moins trois fois par semaine, et de segarder une fidélité inébranlable, furent échangées entre les deuxjeunes gens, qui, muets comme de véritables amants, enfermèrentdans leurs deux cœurs le secret de leur amour, dont peut-être ne serendaient-ils point parfaitement compte eux-mêmes.

Pendant les dix-huit mois d’absence deCatherine, Bernard avait obtenu deux congés de quatre jourschacun ; ces deux congés, dus à la protection spéciale de soninspecteur, qui aimait comme homme et appréciait comme serviteursles deux Watrin, furent tout naturellement employés par Bernard àfaire à Paris deux voyages qui ne servirent qu’à resserrer encoreles liens qui unissaient les deux jeunes gens.

Enfin l’heure du retour était arrivée, et pourfêter ce retour, l’inspecteur avait permis qu’un sanglier fût mis àmort. C’était donc dans ce but que François s’était levé à troisheures du matin, qu’il avait détourné la bête, qu’il avait fait sonrapport au père Guillaume, que le père Guillaume était allé de sapersonne vérifier le rapport, que les gardes de la garderie deChavigny, acolytes et convives naturels des hôtes de laMaison-Neuve, avaient pris rendez-vous au Saut du Cerf, et queBernard, bercé par les plus doux rêves à l’idée de ce retour, étaitdescendu peigné, frisé, pomponné, souriant et joyeux, lorsque lalettre mise sous ses yeux par Mathieu Goguelue avait tout à coupchangé ce sourire en un froncement de sourcils, et cette joie eninquiétude !

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