Catherine Blum

Chapitre 19LES BRISÉES DE MATHIEU

À la vue du jeune homme, faisant d’un airimpératif signe à tout le monde de ne pas faire un pas de plus,chacun comprit que François était porteur de quelque nouvelleimportante.

Excepté Bernard, tout le monde fit donc un pasen arrière.

Mathieu ne pouvait reculer, le mur de lacheminée l’en empêchant, mais, quoiqu’il parût éprouver quelquedifficulté à rester debout, il ne s’assit cependant point.

– Ouf ! dit François en jetant, ouplutôt en laissant tomber son habit contre la muraille et ens’appuyant au chambranle de la porte, comme un homme prêt àtomber.

– Eh bien ! demanda le maire,qu’est-ce encore ? n’en finirons-nous pas aujourd’hui !Gendarmes ! à Villers-Cotterêts.

Mais l’abbé Grégoire comprit que c’était dusecours qui arrivait.

– Monsieur le maire, dit-il en faisant unpas en avant, ce jeune homme a quelque chose d’important à nousdire, écoutez-le ; n’est-ce pas, François, que tu apportesquelque chose de nouveau et d’important ?

– Non, ne faites pas attention, ditFrançois à la mère Tellier et à Catherine, qui s’empressaient prèsde lui, tandis que l’abbé, la mère Watrin et Guillaume leregardaient, comme des naufragés perdus sur un radeau, au milieu del’Océan et par la tempête, regardent à l’horizon le navire qui doitles sauver.

Puis, s’adressant au maire et auxgendarmes.

– Eh bien ! où allez-vous donc, vousautres ? demanda-t-il.

– François ! François ! s’écriala mère Watrin, ils emmènent mon enfant, mon fils, mon pauvreBernard, en prison !

– Oh ! dit François, bon ! iln’est pas encore en prison, et il y a une lieue et demie d’ici àVillers-Cotterêts, sans compter que le père Sylvestre est couché,et que ça lui ferait de la peine de se lever à cette heure-ci.

– Ah ! fit Guillaume en respirant,car il comprenait que du moment où François le prenait sur ce ton,François n’avait plus d’inquiétudes.

Et il bourra sa pipe, oubliée depuis plusd’une demi-heure.

Quant à Mathieu, il fit un mouvement dontpersonne ne s’aperçut, il se glissa de la cheminée à la fenêtre,sur le rebord de laquelle il s’assit.

– Ah ça ! dit le maire, nous sommesdonc ici les serviteurs de monsieur François ? En route,gendarmes, en route.

– Pardon ! monsieur le maire, ditFrançois, mais j’ai quelque chose à dire contre ça.

– Contre quoi ?

– Contre l’ordre que vous venez dedonner.

– Et ce que tu as à dire en vaut-il lapeine ? demanda le maire.

– Dame ! vous allez en juger.Seulement, je vous en préviens, cela sera peut-être un peulong.

– Ah ! si c’est si long que tu ledis, c’est bien ; ce sera pour demain, alors.

– Oh ! non, monsieur le maire, ditFrançois, pour bien faire, il faudrait que ce fût pour ce soir.

– Mon ami, reprit le maire d’un tond’impatience protectrice, comme des renseignements positifs peuventseuls être admis en matière criminelle, vous trouverez bon que jepasse outre. Gendarmes, emmenez le prisonnier.

– Eh bien ! dit François enredevenant sérieux, alors vous m’écouterez, monsieur le maire, carles renseignements que j’apporte sont positifs.

– Monsieur le maire ! s’écria l’abbéGrégoire, au nom de la religion et de l’humanité, je vous adjured’écouter ce jeune homme !

– Et moi, monsieur, dit Guillaume, au nomde la justice, je vous ordonne de surseoir !

Le maire s’arrêta, presque effrayé, devantl’autorité magistrale de cet amour paternel. Cependant, ne voulantpas avoir l’air de se rendre :

– Messieurs, dit-il, du moment où il y aun mort, il y a un assassin.

– Pardon ! monsieur le maire,interrompit François, il y a un assassin, c’est vrai, mais il n’y apas de mort.

– Comment ! pas de mort ?s’écria le maire.

– Pas de mort ? répétèrent tous lesassistants.

– Que dit-il donc ? fit Mathieu.

– Le Seigneur soit loué ! dit leprêtre.

– Eh bien ! reprit François, quandje n’aurais que cela à vous dire, il me semble que c’est déjà unejolie nouvelle.

– Expliquez-vous, jeune homme, fitmajestueusement le maire, enchanté d’avoir cette bonne nouvellepour prétexte du sursis accordé à Bernard.

– Monsieur Chollet a été renversé par laviolence du coup, il est tombé évanoui du choc, mais la balle s’estaplatie sur la bourse pleine d’or qu’il avait dans la poche de sonhabit, et elle a glissé le long des côtes.

– Oh ! oh ! fit le maire, quedites-vous, mon ami ; la balle s’est aplatie sur labourse ?

– En voilà de l’argent bien placé,hein ! monsieur le maire, fit François.

– N’importe ! mort ou non, repritcelui-ci, il y a eu tentative d’assassinat.

– Eh ! continua François, qui vousdit le contraire ?

– Allons au fait, fit le magistrat.

– Dame ! dit François, je ne demandepas mieux ; mais vous m’interrompez à tout moment.

– Voyons, parlez, parlez, François !s’écrièrent tous les assistants.

Deux d’entre eux restaient seuls muets, maisdans une attente bien différente : Bernard et Mathieu.

– Eh ! dit François, écoutez donc,monsieur le maire, voici comment la chose s’est passée…

– Mais, demanda le magistrat, commentpeux-tu savoir de quelle façon la chose s’est passée, puisque tuétais avec nous dans cette chambre, à table, tandis qu’elle sepassait à près d’une demi-lieue d’ici, et que tu ne nous as pasquittés ?

– Eh bien ! non, je ne vous ai pasquittés ; après ? mais est-ce que, quand je dis : Ily a un sanglier là, c’est un mâle ou une femelle ; c’est untiéran, un ragot ou un solitaire, est-ce que j’ai vu lesanglier ? Non, j’ai vu la trace, et c’est tout ce qu’il mefaut.

François n’avait pas même regardé du côté deMathieu, mais Mathieu n’en avait pas moins senti un frisson luipasser par tout le corps.

– Je reprends donc, continuaFrançois ; voici comment cela s’est passé : monsieurBernard est arrivé le premier au cabaret de la mère Tellier. Est-cevrai, mère Tellier ?

– C’est vrai, dit la bonne femme,après ?

– Il était fort agité ?

– Oh ! dit-elle, c’est encorevrai.

– Silence ! fit le maire.

– Il marchait comme cela, continuaFrançois en faisant de grands pas, et deux ou trois fois,d’impatience, il a frappé du pied près de la table qui estvis-à-vis de la porte.

– En demandant du vin, c’est vrai encore,s’écria la mère Tellier en levant au ciel des bras qui exprimaientson admiration pour la perspicacité presque miraculeuse deFrançois.

Mathieu essuya avec sa manche la sueur quiperlait sur son front.

– Oh ! dit François, répondant àl’exclamation de la bonne femme, cela n’est pas bien difficile àvoir ; il y a dans le sable des empreintes de soulier, detrois ou quatre lignes plus profondes que les autres.

– Comment as-tu pu voir cela lanuit ?

– Bon, et la lune ! Vous croyez doncqu’elle est là-haut pour faire aboyer les chiens seulement ?Alors monsieur Chollet est arrivé à cheval, du côté deVillers-Cotterêts ; il a mis pied à terre à trente pas ducabaret de la mère Tellier, il a attaché sa bête à un arbre, puisil a passé devant monsieur Bernard. Je croirais même qu’il avaitperdu et cherché quelque chose comme de l’argent, car il y avait dusuif à terre, ce qui prouve qu’on a regardé à terre avec unechandelle. Pendant ce temps-là, monsieur Bernard était cachéderrière le hêtre qui est en face de la maison, et il continuait derager beaucoup ; la preuve, c’est qu’il y avait deux ou troisplaces où la mousse avait été arrachée à la hauteur de la main.Après avoir retrouvé ce qu’il cherchait, le Parisien s’est éloignédu côté de la fontaine du Prince, puis il s’est assis à quatre pasde la fontaine, puis s’est levé ; puis il a fait vingt-deuxpas du côté de la route de Soissons : alors il a reçu le coupet est tombé.

– Oh ! c’est bien cela, c’est biencela ! s’écria Catherine.

– Demain, dit le maire, on saura qui atiré le coup de fusil ; on retrouvera la bourre et l’oncherchera la balle.

– Oh ! il n’y a pas besoind’attendre à demain pour cela, je les rapporte, moi !

Un rayon de joie illumina le front livide deMathieu.

– Comment, dit le maire, vous lesrapportez ? vous rapportez les bourres et la balle ?

– Oui, les bourres, comprenez-vous, ellesétaient dans la direction du coup, et il était bien facile de lesretrouver, mais pour la balle il y a eu plus de besogne, ladiablesse de bourse et puis peut-être aussi un peu la côtel’avaient fait dévier, mais n’importe, je l’ai retrouvée dans unhêtre, tenez, la voici.

Et François, dans le creux de sa main,présenta au maire les deux bourres et la balle aplatie. Le maire sefit éclairer par un des gendarmes.

– Vous voyez, messieurs, dit-il, que lesbourres sont en feutre, et quant à la balle, quoique aplatie etdéformée, elle porte encore la marque d’une croix.

– Pardieu ! dit François, la bellemerveille ! puisque ce sont les bourres de Bernard, et quecette croix, c’est celle qu’il a faite ce matin sur la balle.

– Que dit-il donc, mon Dieu !s’écria le père Watrin retenant sa pipe prête à lui échapper de sesmâchoires tremblantes.

– Oh ! mais il le perd, lemalheureux ! s’écria Catherine.

– Ah ! voilà ce dont j’avais peur,balbutia Mathieu avec une feinte pitié. Pauvre monsieurBernard !

– Mais vous reconnaissez donc que le coupa été tiré avec le fusil de Bernard ?

– Certainement que je le reconnais, ditFrançois. C’est le fusil de monsieur Bernard, c’est la balle demonsieur Bernard, et ce sont les bourres de monsieur Bernard ;mais tout cela ne prouve pas que le coup ait été tiré par monsieurBernard.

– Oh ! oh ! murmura Mathieu, sedouterait-il de quelque chose ?

– Seulement, comme je vous l’ai dit,monsieur Bernard rageait beaucoup ; il frappait du pied, ilarrachait la mousse, puis, quand monsieur Chollet s’est éloigné, ila suivi monsieur Chollet jusqu’au pied du chêne ; là il avisé, puis tout à coup il a changé d’avis, il a fait quelques pas àreculons, puis il a jeté son fusil à terre ; le chien quiétait armé et le bout du canon sont marqués dans le chemin ;puis il s’est enfui !

– Oh ! mon bon seigneur Jésus !dit la mère Watrin, il y a miracle.

– Que vous ai-je dit, monsieur lemaire ? demanda Bernard.

– Tais-toi, Bernard, fit le pèreGuillaume, laisse parler François ; ne vois-tu pas qu’il estsur la piste, le fin lévrier ?

– Oh ! oh ! murmura Mathieu,cela commence à devenir inquiétant.

– Alors, continua François, un autre estvenu.

– Quel autre ? demanda le maire.

– Oh ! je ne sais pas, moi, ditFrançois en clignant de l’œil à Bernard ; un autre, voilà toutce que j’ai pu voir.

– Bon ! je respire, fit Mathieu.

– Il a ramassé le fusil, il a mis ungenou en terre, ce qui prouve qu’il n’est pas si fin tireur queBernard, et il a fait feu ; c’est alors, comme je vous l’aidit, que monsieur Chollet est tombé.

– Mais quel intérêt le nouveau venupouvait-il avoir à tuer monsieur Chollet ?

– Ah ! je n’en sais rien, pour levoler peut-être.

– Comment savait-il qu’il avait del’argent ?

– Est-ce que je ne vous ai pas dit que jecroyais que le Parisien avait laissé tomber sa bourse dans la huttede feuillage où la mère Tellier fait rafraîchir son vin ? Ehbien ! je ne serais pas étonné que l’assassin eût été cachédans la hutte à ce moment-là. J’y ai vu la trace d’un homme couchéà plat ventre, et qui avait creusé le sable avec ses mains.

– Mais on a donc volé monsieurChollet ? demanda Guillaume.

– Je crois bien, on lui a pris deux centslouis : rien que cela.

– Oh ! pardon ! mon pauvreBernard, dit le père Guillaume ; je ne savais pas qu’on eûtvolé le Parisien quand je t’ai demandé si tu étais sonmeurtrier.

– Merci ! bon père, dit Bernard.

– Mais enfin, le voleur ? demanda lemaire.

– Puisque je vous dis que je ne leconnais pas ; seulement, en courant de l’endroit où il a tiréle coup à celui où monsieur Chollet est tombé, il a enfoncé unterrier de lapins, et il s’est donné une entorse au piedgauche.

– Oh ! le démon ! murmuraMathieu qui sentait ses cheveux se dresser sur sa tête.

– Par exemple ! c’est tropfort ! s’écria le maire. Comment peux-tu savoir qu’il s’estdonné une entorse ?

– Ah ! la belle malice !répondit François. Pendant trente pas, les deux pieds sont tracésd’une façon égale ; pendant tout le reste de la route, il n’yen a plus qu’un qui porte tout le poids du corps. Celui-là, c’estle droit ; l’autre marque à peine, c’est le gauche : doncil s’est donné une entorse au pied gauche, et quand il appuiedessus, dame ! ça lui fait mal.

– Ah ! murmura Mathieu.

– Voilà pourquoi il ne s’est pas sauvé,continua François. Non, s’il s’était sauvé, il serait à cette heureà cinq ou six lieues d’ici, d’autant plus qu’avec les pieds qu’il ail doit bien marcher. Non, il est venu enterrer ses deux centslouis à vingt pas de la route et à cent pas d’ici, entre deux grosbuissons, au pied d’un bouleau ; il est reconnaissable, étantseul de son espèce, – le bouleau bien entendu.

Mathieu passa, en s’essuyant le front pour laseconde fois, une de ses jambes de l’autre côté de la croiséeouverte.

– Et de là, demanda le maire, où est-ilallé ?

– Ah ! de là, il est allé sur lagrande route, et sur la grande route, il y a des pavés : ni vuni connu, je t’embrouille.

– Et l’argent ?

– Pardon ! c’est de l’or, monsieurle maire, toutes pièces de vingt et de quarante francs.

– Cet or, vous l’avez pris et apportécomme preuve de conviction ?

– Ouf ! dit François. Je m’en suisgardé, de l’or de voleur, ça brûle.

Et il secoua les doigts comme s’il s’étaitbrûlé effectivement.

– Mais enfin ?

– Et puis, continua François, je me suisdit : Mieux vaut faire une descente sur les lieux avec lajustice, et, comme le voleur ne se doute pas que je connais sacachette, on trouvera le magot.

– Tu te trompes, dit Mathieu en enjambantla fenêtre et en jetant un regard de haine à Bernard et à François,on ne le trouvera pas.

Et il s’éloigna sans que personne, exceptéFrançois, s’aperçût de son départ.

– Est-ce tout, mon ami ? demanda lemaire.

– Ma foi ! oui, à peu près, monsieurRaisin, répondit François.

– C’est bien ; la justice apprécieravotre déposition. En attendant, comprenez bien que, comme vous nenommez personne, comme tout roule sur des suppositions,l’accusation continue de peser sur Bernard.

– Ah ! quant à cela je n’ai rien àdire, répliqua François.

– En conséquence, j’en suis désespéré,monsieur Guillaume, j’en suis désespéré, madame Watrin, maisBernard doit suivre les gendarmes et se rendre en prison.

– Eh bien ! soit, monsieur lemaire ; femme, donne-moi deux chemises et ce qu’il me fautpour rester en prison avec Bernard.

– Et moi aussi ! et moi aussi !s’écria la mère, je suivrai mon fils partout où il ira.

– Faites comme vous voudrez, mais enroute.

Et le maire fit un signe aux gendarmes, quiforcèrent Bernard de faire un pas vers la porte.

Mais François fit ce qu’il avait déjà fait,et, se mettant sur la route du prisonnier :

– Encore un instant, monsieur le maire,dit-il.

– Si tu n’as rien à ajouter à ce que tuas dit, répliqua le maire…

– Non, rien ; mais c’est égal.Tenez, supposons…

Il parut chercher quelque chose dans satête.

– Supposons quoi ? demanda lemaire.

– Supposons, une supposition, supposonsque je connaisse le coupable.

Tout le monde jeta un cri.

– Supposons, par exemple, continuaFrançois en baissant la voix, qu’il était là tout à l’heure.

– Mais alors ! s’écria le maire, lapreuve nous échapperait, et nous retomberions dans le doute.

– Oui, c’est vrai ; mais unedernière supposition, monsieur le maire. Supposons que j’aieembusqué dans le buisson de droite Bobineau, et dans le buisson degauche Lajeunesse, et qu’au moment où le voleur mettra la main surson trésor, ils mettent eux, la main sur le voleur, ah !

En ce moment, ou entendit un bruit sur lagrande route, pareil à celui d’un homme qui ne voudrait pointmarcher et qu’on force de marcher malgré lui.

– Eh ! tenez, dit François avec unéclat de rire qui couronnait sa période, ils le tiennent, il neveut pas revenir, et ils sont obligés de le pousser.

En même temps Lajeunesse et Bobineau, tenantMathieu au collet, parurent sur le seuil de la porte.

– Eh ! troun de l’air ! ditBobineau, marcheras-tu, vagabond ?

– Allons ! drôle, ne fais pas leméchant, dit Lajeunesse.

– Mathieu ! s’écrièrent lesassistants d’une seule voix.

– Tenez, monsieur le maire, ditLajeunesse, voilà la bourse…

– Et voilà le voleur, ajouta Bobineau.Allons causer un peu avec monsieur le maire, mon bijou.

Et il poussa Mathieu, qui, obéissant malgrélui à l’impulsion, fit quelques pas en boitant.

– Eh bien ! s’écria François, quandje vous disais qu’il boitait de la jambe gauche. En prendrez-vousune autre fois de mes almanachs, monsieur le maire ?

Mathieu vit qu’il n’y avait point ànier ; il était pris, il ne lui restait plus qu’à faire contrefortune bon cœur.

– Eh bien ! oui, dit-il. Quoi ?Après ? C’est moi qui ai fait le coup, je ne nie pas. Jevoulais seulement brouiller monsieur Bernard avec mademoiselleCatherine, parce que monsieur Bernard m’avait donné un soufflet.Quand j’ai vu l’or, ça m’a tourné la tête. Monsieur Bernard avaitjeté son fusil ; le diable m’a tenté, je l’ai ramassé, et puisvoilà. Mais pas un cheveu de préméditation, et, comme le Parisienn’est pas mort, on en sera quitte pour dix ans de galères.

Toutes les poitrines se dilatèrent, tous lesbras se tendirent vers Bernard, mais la première qui fut sur lecœur du jeune homme fut Catherine.

Bernard fit un mouvement inutile pour lapresser contre son cœur, il avait les mains liées.

L’abbé Grégoire aperçut le douloureux sourirequi passa sur les lèvres du jeune homme.

– Monsieur le maire, dit-il, j’espère quevous allez ordonner qu’à l’instant même Bernard soit libre.

– Gendarmes, ce jeune homme est libre,dit le maire ; déliez-lui les mains.

Les gendarmes obéirent.

Il y eut alors un moment de confusion danslequel père, mère, enfant, fiancée, formèrent un groupe sans formecomme sans nom, d’où il sortait des cris de bonheur, des sanglotsde joie.

Tout le monde pleurait, il n’y eut pasjusqu’au maire qui essuya une larme.

Mais comme Mathieu jurait dans letableau :

– Emmenez cet homme à la prison deVillers-Cotterêts, dit-il aux gendarmes en désignant Mathieu, etécrouez-le solidement.

– Oh ! le père Sylvestre, ditMathieu, va-t-il être embêté d’être réveillé à cetteheure-ci !

Et dégageant ses mains de celles des gendarmesqui voulaient lui mettre les menottes, il fit entendre une dernièrefois le cri de la chouette.

Après quoi il livra ses mains, se laissagarrotter, et sortit entre les gendarmes.

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