Catherine Blum

Chapitre 20CONCLUSION

Mathieu fut donc conduit à la prison deVillers-Cotterêts, et écroué chez le père Sylvestre, aux lieu etplace de Bernard Watrin.

Une fois le vrai coupable arrêté et entraînépar les gendarmes sur la grande route ;

Une fois le maire sorti, la tête basse etjetant en arrière un regard de repentir ;

Une fois les braves habitants de laMaison-Neuve rendus à eux-mêmes et débarrassés des étrangers, carla mère Tellier, la bonne ménagère, car le digne abbé Grégoire, carLajeunesse et Bobineau, ces deux habiles acteurs qui avaientcontribué au dénouement du drame, car l’ami François, l’adroitsuiveur de traces qui l’avait accompli avec une sagacité qui eûtfait honneur au dernier des Mohicans, n’étaient point desétrangers, rien ne troubla plus l’explosion de joie qui éclata dansla famille.

Ce fut d’abord une loyale poignée de mainéchangée entre le fils et le père. La poignée de main du filsdisant :

– Vous voyez que je ne vous mentaispoint, mon père.

La poignée de main du pèrerépondant :

– Est-ce que je t’ai jamais sérieusementsoupçonné, Bernard ?

Puis vint une longue étreinte entre le fils etla mère, étreinte dans laquelle la mère murmurait toutbas :

– Et quand on pense que tout cela, c’estma faute !

– Chut ! n’en parlons plus,répondait Bernard.

– Que c’est moi qui, par mon entêtement,suis cause de tout !

– Voulez-vous bien ne pas direcela ?

– Me pardonneras-tu, mon pauvre cherenfant ?

– Oh ! ma mère ! ma bonnemère !

– En tout cas, j’ai été bien punie,va !

– Et vous serez bien récompensée, jel’espère.

Puis Bernard alla prendre les deux mains del’abbé Grégoire, et, regardant le bon prêtre en face :

– Ni vous non plus, monsieur l’abbé,dit-il, vous n’avez pas douté de moi ?

– Est-ce que je ne te connaissais pasmieux que ton père et ta mère ?

– Oh ! mieux, monsieur l’abbé, ditla mère Watrin.

– Eh ! oui, mieux, dit le père.

– Oh ! par exemple, s’écria lavieille, prête à commencer une discussion, je voudrais bien savoirqui est-ce qui connaît mieux un enfant que sa propremère ?

– Celui qui a fait l’esprit après que lamère a fait le corps, dit Watrin. Est-ce que je réclame, moi ?Fais comme moi, vieille, tais-toi.

– Oh ! non ça ! par exemple, jene me tairai jamais quand on me dira qu’il y a quelqu’un quiconnaît mieux mon fils que moi-même.

– Si, ma mère, si, vous vous tairez, ditBernard ; et je n’aurai pour cela qu’un mot à dire à une femmeaussi religieuse que vous êtes ; puis il ajouta enriant : Oubliez-vous que monsieur l’abbé est monconfesseur ?

Puis vint le tour de Catherine ; Bernardl’avait gardée pour la dernière.

L’égoïste ! c’était pour la garder pluslongtemps.

Aussi, arrivé à elle :

– Catherine, s’écria Bernard d’une voixétouffée, chère Catherine !

– Bernard, mon bon Bernard ! murmuracelle-ci avec des larmes plein les yeux et plein la voix.

– Oh ! viens, viens, dit Bernard enentraînant la jeune fille par la porte restée ouverte.

– Eh bien ! mais où vont-ilsdonc ? s’écria la mère Watrin avec un mouvement si rapidequ’il ressemblait à de la jalousie.

Le père haussa les épaules.

– À leurs affaires, il faut croire,dit-il en bourrant sa pipe : laisse-les donc aller, femme.

– Mais…

– Voyons, est-ce qu’à leur âge et enpareille circonstance nous n’aurions pas eu quelque chose à nousdire ?

– Hum ! fit la mère en jetant undernier regard du côté de la porte.

Mais la porte eût-elle été ouverte, elle n’eûtrien vu ; les deux jeunes gens avaient déjà gagné le bois ets’étaient perdus sous l’ombre la plus épaisse.

Quant à Bobineau, à Lajeunesse, à François etau père Watrin, ils s’étaient mis à mirer à la lumière deschandelles les bouteilles qui restaient sur la table, et à étudierconsciencieusement ce qui leur restait dans le ventre.

L’abbé Grégoire profita de cette occupationdans laquelle étaient absorbés les quatre compères, pour prendresilencieusement sa canne et son chapeau, se glisser sans bruit parl’entrebâillement de la porte, et reprendre sans bruit le chemin deVillers-Cotterêts, où il retrouva sa sœur, madame AdélaïdeGrégoire, qui l’attendait dans la plus vive anxiété.

Les deux femmes, la mère Watrin et la mèreTellier, s’accroupirent dans la grande cheminée, et se mirent àdévider un écheveau de paroles qui, pour être dévidé à voix basse,n’en fut ni moins long, ni moins embrouillé.

Aux premiers rayons du jour, Bernard etCatherine reparurent sur le seuil de la porte comme deux oiseauxvoyageurs qui, partis ensemble, reviennent ensemble. Catherine, lesourire sur les lèvres, et tout en perdant de vue le moins possibleson fiancé, alla embrasser la mère Watrin, le père Watrin, ets’apprêta à remonter à sa chambre.

Mais à peine eut-elle fait le premier pas quiconduisait de la table où étaient assis les quatre hommes à laporte de l’escalier, que Bernard l’arrêta comme si elle oubliaitquelque chose.

– Eh bien ! fit-il du ton d’un douxreproche.

Catherine n’eut point besoin de demanderd’explication : Bernard était compris par cette âme sœur de lasienne.

Elle alla à François et lui présenta les deuxjoues.

– Quoi ? demanda François toutétonné d’une pareille aubaine.

– Elle t’embrasse pour te remercier,parbleu ! dit Bernard. Il me semble que nous te devons biencela.

– Ah ! s’écria François. Ah !mademoiselle Catherine, et il s’essuya la bouche avec sa serviette,et fit claquer un gros baiser sur chaque joue rougissante de lajeune fille.

Puis Catherine, tendant une dernière fois lamain à Bernard, remonta dans sa chambre.

– Allons, allons, mes enfants ! ditcelui-ci, je crois qu’il serait temps de se mettre en tournée. Cen’est pas le tout que d’être heureux, il faut que la besogne du ducd’Orléans se fasse.

Et il reprit avec un indéfinissable regard sonfusil, rapporté par les gendarmes comme preuve de conviction, etdéchargé d’un côté.

– Et quand on pense, murmura-t-il…enfin.

Et, enfonçant son chapeau sur satête :

– Partons, dit-il, partons !

En sortant, Bernard leva la tête.

Catherine était à sa fenêtre, souriant à cesoleil levant qui allait éclairer un de ses bons jours. Elle vitBernard, cueillit un œillet, y déposa un baiser et le lui jeta.

Bernard ne laissa point tomber l’œilletjusqu’à terre. Il le retint à la volée, reprit le baiser qui étaitcaché entre ses feuilles parfumées, et mit l’œillet dans sapoitrine.

Puis, suivi de ses trois camarades, ils’enfonça dans la forêt.

Le jour rappelait la mère Tellier à sacantine. Elle prit congé des amis Watrin et s’achemina vers lacabane de la fontaine du Prince, du même pas pressé qu’elle étaitvenue.

Puis elle emportait une somme de nouvelles quiallait défrayer les conversations de toute la journée.

Bernard innocent, Mathieu coupable, le mariagede Catherine et de Bernard fixé à quinze jours. Il y avaitlongtemps qu’un pareil sujet de causerie n’avait été livré auxcommères du village.

Il y eut alors une lutte de dévouement entrele père et la mère Watrin, chacun des deux voulant envoyer coucherl’autre et tenant à se sacrifier pour la garde de la maison. Comme,grâce à l’entêtement de la mère, cet assaut d’abnégation menaçaitde dégénérer en querelle, le père Watrin prit son chapeau, enfonçases mains dans ses poches, et s’en alla se promener sur la route deVillers-Cotterêts.

Arrivé au Saut du Cerf, il vit monsieur Raisinqui revenait dans sa petite carriole avec son ancien domestique,Pierre.

À la vue du maire, Watrin fit un mouvementpour gagner la forêt ; mais il avait été reconnu.

Monsieur Raisin arrêta sa carriole, sauta àterre et courut vers le bonhomme en criant :

– Eh ! monsieur Watrin ! chermonsieur Watrin !

Watrin s’arrêta.

Ce qui lui faisait fuir le maire, c’était cesentiment de pudeur que tout honnête homme a au fond de laconscience, qui s’étend de lui aux autres, et qui le fait rougirpour les autres quand ceux-ci accomplissent des actes qui ne sontpas précisément honnêtes.

Or, on se rappelle que les propositions que lemarchand de bois avait faites la nuit précédente au père Watrinn’étaient pas précisément honnêtes.

Tout en s’arrêtant, le père Watrin sedemandait donc ce que pouvait lui vouloir le maire.

Il attendit, le dos tourné ; et,seulement quand le maire fut près de lui, il fit volte-face.

– Eh bien ! demanda-t-il brusquementà monsieur Raisin, qu’y a-t-il encore ?

– Il y a, monsieur Watrin, dit le maireassez embarrassé et parlant chapeau bas au vieux garde, tandis quecelui-ci l’écoutait le chapeau sur la tête, il y a que, depuis queje vous ai quitté ce matin, j’ai beaucoup réfléchi.

– Ah ! vraiment, dit le père Watrin,et à quoi ?

– À tout, cher monsieur Watrin, et,particulièrement à ceci, qu’il n’est ni bien ni beau de vouloirs’emparer du bien de son voisin, ce voisin fût-il prince.

– À quel propos me dites-vous cela,monsieur, et de quel bien ai-je jamais voulu m’emparer ?demanda le vieillard.

– Mon cher monsieur Watrin, dans ce queje viens de dire, continua le maire avec une certaine humilité,croyez qu’il n’a aucunement été question de vous.

– Et de qui donc est-il question,alors ?

– Mais de moi seulement, monsieur Watrin,et des méchantes propositions que je vous ai faites cette nuit àpropos des baliveaux et des modernes qui peuvent avoisiner leslimites de ma vente.

– Bon ! et c’est cela qui vousramène ?

– Pourquoi pas, si j’ai compris quej’avais tort et que je devais des excuses à un brave et honnêtehomme que j’avais insulté ?

– Moi ? vous ne m’avez pas insulté,monsieur le maire.

– Si fait. On insulte un honnête hommequand on lui fait des propositions telles qu’il ne peut lesaccepter qu’en donnant un démenti à sa vie tout entière.

– Bon ! ce n’était point la peine devous déranger pour si peu, monsieur Raisin.

– Vous appelez si peu que derougir devant son semblable et de ne plus oser lui donner la mainquand on le rencontre ! J’appelle cela beaucoup, moi,monsieur. Aussi je vous prie de me pardonner, monsieur Watrin.

– Moi ? demanda le vieux garde.

– Oui, vous.

– Je ne suis pas l’abbé Grégoire pourvous pardonner, dit le vieillard moitié touché, moitié riant.

– Non, mais vous êtes monsieur Watrin, ettous les honnêtes gens sont une même famille. J’en suis sorti uninstant, donnez-moi la main pour y rentrer, monsieur Watrin.

Le maire prononça ces paroles avec un accentsi profondément senti, que les larmes en vinrent aux yeux duvieillard. Il ôta son chapeau de la main gauche, comme il eût faitdevant l’inspecteur monsieur Deviolaine, et tendit la main aumaire.

Celui-ci la lui prit, et la lui serrant à labriser, si la main du vieux garde n’avait pas été douée elle-mêmed’une grande solidité :

– Maintenant, monsieur Watrin, luidit-il, ce n’est pas le tout !

– Comment, ce n’est pas le tout ?demanda le garde.

– Non.

– Qu’y a-t-il donc encore, monsieurRaisin ?

– J’ai que je n’ai pas eu de torts cettenuit seulement vis-à-vis de vous seul.

– Ah ! oui, vous voulez parler devotre accusation contre Bernard. Vous voyez, monsieur le maire, ilne faut pas se hâter d’accuser.

– Je vois, monsieur, que ma colère contrevous m’a rendu injuste et a failli me faire commettre une actionqui sera le remords de toute ma vie, si monsieur Bernard ne mepardonne pas.

– Oh ! qu’à cela ne tienne !tranquillisez-vous, monsieur le maire, Bernard est si heureux qu’ila déjà tout oublié.

– Oui, cher monsieur Watrin, mais danscertains moments il peut se souvenir, et, dans ces moments-là,secouer la tête et dire entre ses dents : « C’est égal,monsieur le maire est un méchant homme tout demême ! »

– Ah ! dit le père Watrin en riant,je ne vous réponds pas que dans un moment de méchante humeur lachose ne lui revienne à la pensée.

– Il y a un moyen ; non pas que lachose ne lui revienne pas à la pensée, on n’est pas maître de samémoire, – mais que la chose lui venant à la pensée, il larepousse !

– Lequel ?

– C’est qu’il me pardonne cordialement etsincèrement comme vous venez de le faire, vous.

– Oh ! quant à cela, je vous enréponds comme de moi-même. Bernard, voyez-vous, il n’a pas plus defiel qu’un poulet. Ainsi, regardez donc la chose comme faite ;s’il le faut même, pour ne pas vous déranger, et comme au bout ducompte il est le plus jeune, il passera chez vous.

– J’espère bien qu’il passera chez moi etqu’il s’y arrêtera même, et vous, la mère Watrin, et Catherine, etFrançois, et tous les gardes de votre garderie.

– Bon ! Et quand cela ?

– En sortant de la messe nuptiale.

– À quel propos ?

– À propos du repas des noces.

– Ah ! monsieur Raisin, non,merci !

– Ne dites pas non, monsieur Watrin,c’est résolu ainsi ; dame ! à moins que vous ne teniezabsolument à me garder rancune, vous et votre fils. Je me suis misdans la tête que ce serait moi qui donnerais le dîner de noces, quevoulez-vous ? J’ai été à peine couché en revenant de chezvous, cette nuit, que ça m’a trotté dans la tête au point dem’empêcher de dormir. J’en ai fait le menu.

– Mais, monsieur Raisin…

– Il y aura d’abord un jambon du sanglierque vous avez tué hier, ou plutôt que François a tué ; puismonsieur l’inspecteur permettra bien qu’on abatte unchevreuil ; j’irai moi-même aux étangs de la Ramée choisir lepoisson ; la maman Watrin fera les gibelottes, attendu qu’elleles fait, dame ! comme personne ; – puis nous avons unjoli vin de Champagne qui vient directement d’Épernay, et un vieuxvin de Bourgogne, qui ne demandent qu’à se laisser boire.

– Cependant, monsieur Raisin…

– Pas de si, pas demais, pas de cependant,père Guillaume, ou bien jedirai : Allons ! Raisin, il paraît que tu es vraiment unméchant homme, puisque te voilà brouillé à mort avec les plushonnêtes gens de la terre.

– Monsieur le maire, je ne puis vousrépondre de rien.

– Ah ! si vous ne répondez de rien,alors ça ira mal pour les femmes, car ce sont les femmes,voyez-vous, c’est madame Raisin, c’est mademoiselle Euphrosine, quim’ont fourré un tas de sottes et jalouses idées dans la tête !Ah ! que monsieur l’abbé a bien raison de dire que de touttemps la femme a perdu l’homme !

Le père Watrin allait peut-être résisterencore, quand il sentit qu’on le tirait par la poche de saveste.

Il se retourna.

C’était le vieux Pierre.

– Ah ! monsieur Watrin, dit lebonhomme, ne refusez pas à monsieur le maire ce qu’il vousdemande ! au nom… au nom…

Et le vieux Pierre chercha au nom de quoi ilpouvait invoquer la miséricorde du père Guillaume.

– Ah ! dit-il, au nom des deuxpièces de cent sous que vous avez données pour moi à monsieurl’abbé Grégoire, quand vous avez su que monsieur le maire m’avaitchassé pour prendre Mathieu.

– Encore une idée que ces satanées femmesm’avaient fourrée dans la tête. Ah ! les femmes, lesfemmes ! il n’y a que la vôtre qui soit une sainte, monsieurWatrin.

– La mère, elle !… s’écria Watrin.Oh ! oh ! l’on voit bien…

Le père Watrin allait dire : On voit bienque vous ne la connaissez pas ; mais il s’arrêta à temps, eten riant acheva sa phrase :

– On voit bien que vous la connaissez,dit-il.

Puis regardant le maire, qui attendait saréponse définitive avec anxiété :

– Allons ! dit-il, c’est convenu. Ondînera chez vous le jour de la noce.

– Et la noce aura lieu huit jours plustôt que vous ne croyez, s’écria monsieur Raisin.

– Comment cela ? demanda le vieuxgarde.

– Devinez où je vais ?

– Quand ?

– De ce pas ?

– Où vous allez ?

– Oui. Eh bien ! je vais à Soissonsacheter les dispenses à monseigneur l’évêque.

Et le maire remonta dans sa carriole avec levieux Pierre.

– Eh bien ! dit le père Watrin enriant, je vous réponds de Bernard alors. Vous lui en auriez faitdix fois pire qu’il vous pardonnerait tout de même.

Monsieur Raisin fouetta sa carriole, que lepère Guillaume suivit des yeux avec tant de préoccupation qu’il enlaissa éteindre sa pipe.

Puis, quand la carriole eut disparu :

– Ma foi ! dit-il, je ne le croyaispas si brave homme que cela !

Et battant le briquet :

– Il a raison, continua-t-il, ce sont lesfemmes… Oh ! les femmes ! les femmes ! murmura lepère Watrin entre les bouffées de fumée de sa pipe.

Puis, secouant la tête, il revint d’un paslent et pensif vers la Maison-Neuve.

Quinze jours après, grâce aux dispensesachetées par monsieur Raisin à monseigneur l’évêque de Soissons,l’orgue retentissait joyeusement dans la petite église deVillers-Cotterêts, tandis que Bernard et Catherine, agenouillésdevant l’abbé Grégoire, souriaient aux plaisanteries de François etde quiot Biche, qui suspendaient au-dessus de la tête des deuxjeunes gens le poêle nuptial.

Madame Raisin et sa fille, mademoiselleEuphrosine, agenouillées sur des chaises rembourrées de velours etmarquées à leur chiffre, assistaient à la cérémonie, un peu endehors des autres conviés.

Mademoiselle Euphrosine regardait du coin del’œil le beau Parisien encore pâle de sa blessure, mais déjà assezbien remis cependant pour assister à la noce.

Mais il était évident que monsieur Cholletétait bien autrement préoccupé de la belle mariée, touterougissante sous sa couronne d’oranger, que de mademoiselleEuphrosine.

L’inspecteur et toute sa famille assistaient àla cérémonie, entouré de ses trente ou quarante gardes forestierscomme d’une garde d’honneur.

L’abbé Grégoire prononça un discours qui nedura pas plus de dix minutes, mais qui fit fondre en larmes tousles assistants.

À la sortie de l’église, une pierre lancéeavec force tomba au milieu de la noce, mais par bonheur sansblesser personne.

La pierre venait du côté de la prison, quin’est séparée de l’église que par une petite ruelle.

On aperçut Mathieu derrière les barreaux d’unefenêtre.

C’était lui qui venait de lancer lapierre.

Alors, voyant qu’on le regardait, il rapprochases mains l’une de l’autre, et imita le cri de la chouette.

– Ohé ! monsieur Bernard, cria-t-il,vous savez, le cri de la chouette porte malheur.

– Oui, répondit François ; maisquand le prophète est mauvais, la prédiction est fausse.

Et la noce s’éloigna, laissant le prisonniergrincer les dents.

Le lendemain, Mathieu fut transféré desprisons de Villers-Cotterêts dans celles de Laon, où se tiennentles assises du département.

Comme il l’avait prévu, il fut condamné à dixans de galères.

Dix-huit mois après, les journaux, aux faitsdivers, contenaient cette nouvelle :

« On lit dans le Sémaphore deMarseille :

» Une évasion vient d’êtretentée au bagne de Toulon, qui a mal réussi au malheureux quiessayait de fuir.

» Un forçat, après s’être procuré, on nesait comment, une lime, était parvenu à scier l’anneau de sa chaîneet à se cacher sous une pile de bois des chantiers où travaillentles galériens.

» Le soir venu, il gagna le bord de lamer en rampant et sans être vu de la sentinelle ; mais, aubruit qu’il fit en sautant à l’eau, la sentinelle se retourna ets’apprêta à tirer sur le fugitif, au moment où, pour respirer, ilreparaîtrait à la surface de la mer. Au bout de quelques secondes,il reparut, et le coup de fusil du soldat suivit instantanément sonapparition.

» Le fugitif plongea, mais cette foispour ne plus reparaître.

» La détonation de l’arme à feu attira enun instant une partie des soldats et des employés du bagne sur lethéâtre de l’événement ; on mit deux ou trois barques à lamer, mais l’on chercha en vain soit le fugitif, soit soncadavre.

» Le lendemain seulement, vers dix heuresdu matin, un corps inerte et flottant reparut à la surface del’eau ; c’était celui du forçat qui avait tenté de s’évader laveille.

» Ce malheureux, condamné à dix ans detravaux forcés pour tentative d’assassinat avec préméditation, maisaccompagné de circonstances atténuantes, était inscrit au bagnesous le nom seul de Mathieu ! »

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