Cruelle Énigme

Chapitre 4UN RÊVE VÉCU

   Le paquebotapprochait de la jetée de Folkestone. La mer toute verte, à peinestriée d’écume d’argent, soulevait la coque svelte. Les deuxcheminées blanches lançaient une fumée qui s’incurvait en arrièresous la pression de l’air déchiré par la course. Les énormes roues,toutes rouges, battaient les lames, et, derrière le bateau, secreusait un mouvant sillage, sorte de chemin glauque et frangé demousse. C’était par un jour d’un bleu tiède et voilé, comme il enfait parfois sur la côte anglaise dans les fins d’hiver, -jour detendresse et qui s’associait divinement aux pensées du jeune homme.Il s’était accoudé sur le bastingage de l’avant, et il n’en avaitpas bougé depuis le commencement de la traversée, laquelle avaitété d’une rare douceur. Il voyait maintenant les moindres détailsde l’approche du port : la ligne crayeuse de la côte à droite, avecson revêtement de maigre gazon; à gauche, la jetée soutenue par sespilotis, et par delà cette jetée, plus à gauche encore, la petiteville qui échelonne ses maisons depuis la base de la falaisejusqu’à sa crête. Il les examinait une par une, ces maisons qui sedétachaient avec une netteté de plus en plus précise. Laquellepouvait bien être l’asile où son bonheur l’attendait sous lestraits aimés de Thérèse de Sauve ; laquelle, ce StarHotel que son amie avait choisi dans le guide, à cause de cenom de Star, qui veut dire étoile? – « Je suissuperstitieuse, » avait-elle dit enfantinement, « et puis, n’es-tupas ma chère étoile? » – Elle avait ainsi de ces caresses soudainesde langage auxquelles Hubert songeait ensuite indéfiniment. Ilsavait bien qu’elle ne serait pas sur le quai à l’attendre, et illa cherchait des yeux malgré lui. Mais elle avait multiplié lesprécautions, jusqu’à être venue, elle, la veille, par Calais etDouvres… Le paquebot approche toujours. On distingue le visage dequelques habitants de la ville, dont l’unique distraction consisteà se tenir au bout de cette jetée afin d’assister à l’arrivée dubateau de marée. Encore quelques minutes, et Hubert sera auprès deThérèse. Ah ! si elle allait manquer au rendez-vous? Si elleavait été malade ou bien surprise? Si elle était morte enroute ? Toute la légion des folles hypothèses défile devant lapensée de l’amant inquiet. Le bateau est dans le port, lespassagers débarquent et se précipitent vers les wagons. Hubert estpresque le seul qui s’arrête dans la petite ville. Il laisse samalle partir pour Londres, et il prend place avec sa valise dansune des voitures qui stationnent devant la gare. Il a bien eu commeun passage de mélancolie en parlant au cocher et en constatant,quoiqu’il en soit à son premier voyage en Angleterre, combien sonanglais est correct et intelligible. Il se rappelle son enfance, sagouvernante venue du Yorkshire, le soin que sa mère avait de lefaire causer tous les jours. Si elle le voyait pourtant, cettepauvre mère !… Puis, ce souvenir s’efface, à mesure que lalégère calèche, enlevée au trot d’un petit cheval, gravitallègrement la rampe rude par laquelle on accède à la ville haute.L’admirable paysage de mer se développe à la gauche du jeune homme,gouffre démesuré d’un vert pâle, confondu à sa ligne extrême avecun gouffre bleu, et parsemé de barques, de goélettes, de bateaux àvapeur. Sur la hauteur, le chemin tourne. La voiture abandonne lafalaise ; elle entre dans une rue, puis dans une seconde, puisdans une troisième, bordées de maisons basses dont les fenêtres ensaillie laissent apparaître derrière leurs vitres des rangées degéraniums rouges et de fougères. A un détour, Hubertune plaque noire, dont la seule inscription en lettres doréeslui fait sauter le cœur. Il se trouve devant le StarHotel. Le temps de demander au bureau si Mme Sylvie estarrivée, – c’est le nom que Thérèse a voulu prendre à cause desinitiales gravées sur tous ses objets de toilette, et elle a dûêtre inscrite sur le livre comme artiste dramatique ; le tempsencore de monter deux étages, de suivre un long corridor. Ledomestique ouvre la porte d’un petit appartement, et, assise à unetable, dans un salon, avec son visage, dont la pâleur est augmentéepar l’émotion profonde, la taille prise dans un vêtement en étoffede soie rouge dont les plis gracieux dessinent son buste sans s’yajuster, c’est Thérèse. Le feu de charbon grésille dans lacheminée, dont les parois intérieures sont garnies de faïencecoloriée. Une fenêtre en rotonde, du genre de celles que lesAnglais appellent bow-windows, termine la pièce, àlaquelle l’ameublement ordinaire de ces sortes de salles dans laGrande-Bretagne donne un aspect de paisible intimité. « C’est bientoi?… » dit le jeune homme en s’approchant de Thérèse, qui luisourit, et il mit la main sur la poitrine de son amie comme pour seconvaincre de son existence. Cette douce pression lui fit sentirles battements affolés, sous la mince étoffe, de ce cœur de femmeheureuse « Oui! c’est bien moi, » répondit-elle avec plus delangueur que d’habitude. Il s’assit auprès d’elle et leurs bouchesse cherchèrent. Ce fut un de ces baisers d’une suprême douceur, oùdeux amants qui se retrouvent après une absence s’efforcent demettre, avec la tendresse de l’heure présente, toutes lestendresses inexprimées des heures perdues. Un léger coup frappé àla porte les sépara.

– « C’est pour tes bagages, » ditThérèse en repoussant son ami d’un geste de regret. Et avec un finsourire : « Veux-tu voir ta chambre? Je suis ici depuis hier soir;j’espère que tout te plaira. J’ai tant pensé à toi en faisantpréparer le petit appartement… »

Elle l’entraîna par la main dans unepièce contiguë au salon, dont la fenêtre donnait sur le jardin del’hôtel. Le feu était allumé dans la cheminée. Des fleurs égayaientles vases posés sur l’encoignure et aussi la table, sur laquelleThérèse avait déployé, pour lui donner un air plus à eux, uneétoffe japonaise apportée par elle. Elle y avait placé trois cadresavec les portraits d’elle que le jeune homme préférait. Il seretourna pour la remercier, et il rencontra un de ces regards quifont défaillir tout le cœur, par lesquels une femme attendriesemble remercier celui qu’elle aime du plaisir qu’il a bien voulurecevoir d’elle. Mais la présence du domestique, en train dedéposer et d’ouvrir la valise, l’empêcha de répondre à ce regardpar un baiser.

– « Tu dois être lassé, » fit-elle; «tandis que tu achèves de t’installer, je vais dire qu’on prépare lethé dans le salon. Si tu savais comme il m’est doux de teservir !… »

– «Va! » dit-il, sans pouvoir trouverune phrase à répondre, tant l’émotion heureuse envahissait l’âme deson âme. « Mais comme je l’aime! » ajouta-t-il tout bas, et pourlui seul, tandis qu’il la regardait disparaître par la porte, aveccette taille et cette démarche de très jeune fille que lui avaitlaissées son mariage sans enfants ; et il fut obligé des’asseoir pour ne pas s’évanouir devant l’évidence de son bonheur.La créature humaine est si naturellement organisée pourl’infortune, que la réalisation complète du désir comporte un je nesais quoi d’affolant, comme la soudaine entrée dans le miracle etdans le songe, et, à un certain degré d’intensité, il semble que lajoie ne soit pas vraie. Et puis l’étrangeté de la situation nedevait-elle pas agir comme une sorte d’opium sur le cerveau de cetenfant, qui ne pouvait pas comprendre que son amie avaitsaisi cette circonstance pour sauver justement parcette étrangeté les difficiles préliminaires d’un plus completabandon de sa personne?

Oui, cette joie était-elle vraie?…Hubert se le demandait, un quart d’heure plus tard, assis auprès deMme de Sauve devant la table carrée du petit salon, sur laquelleétait disposé l’appareil nécessaire pour le goûter : la théièred’argent, l’aiguière d’eau chaude, les fines tasses. N’avait-ellepas emporté ces deux tasses de Paris avec elle, afin, sans doute,de les garder toujours? Elle le servait, comme elle l’avait dit, deses jolies mains, d’où elle avait retiré son anneau d’alliance,pour éloigner de la pensée du jeune homme toute occasion de serappeler qu’elle n’était pas libre. Durant ces heures del’après-midi, le silence de la petite ville se faisait commepalpable autour d’eux, et la sensation de la solitude partagées’approfondissait dans leurs cœurs, si intense qu’ils ne separlaient pas, comme s’ils eussent craint que leurs paroles ne lesréveillassent de la sorte du sommeil enivré qui gagnait leurs âmes.Hubert appuyait sa tête sur sa main et regardait Thérèse. Il lasentait si parfaitement à lui dans cette minute, si voisine de sonêtre le plus secret, qu’il ne ressentait même plus le besoin de sescaresses. Ce fut elle qui, la première, rompit ce silence, dontelle eut subitement peur. Elle se leva de sa chaise et vints’asseoir aux pieds du jeune homme, la tête sur ses genoux. Puis,comme il continuait à ne pas bouger, une inquiétude passa dans sesyeux, et, docilement, avec ce son de voix vaincu auquel nul amantn’a jamais résisté : « Si tu savais, » dit-elle « comme je tremblede te déplaire? J’ai pleuré, hier au soir, toute seule, au coin dece feu, dans cette chambre où je t’attendais, en songeant que tum’aimerais sans doute moins après être venu ici. Ah! tu m’envoudras de t’aimer trop et d’avoir osé ce que j’ai osé pour toi… »L’angoisse à laquelle la charmante femme se trouvait en proie étaitsi forte qu’Hubert vit ses traits s’altérer un peu tandis qu’elleprononçait cette phrase. Le drame moral qui s’était joué en elledepuis le commencement de cette liaison se formulait pour lapremière fois. Surtout à cette minute, le voyant si jeune, si pur,si dépourvu de brutalité, si selon son rêve, elle éprouvait uninsensé besoin de lui prodiguer les marques de sa tendresse, etelle tremblait plus que jamais de l’effaroucher, peut-être aussi, -car il y a de ces replis étranges dans les consciences féminines, -de le corrompre. Elle continuait, se livrant au plaisir de penserhaut sur ces choses pour la première fois : « Nous autres femmes,nous ne savons rien qu’aimer, lorsque nous aimons. Du jour où jet’ai rencontré, en revenant de la campagne, je t’ai appartenu. Jet’aurais suivi où tu m’aurais demandé de te suivre. Rien n’a plusexisté pour moi, rien, si ce n’est toi… Non! » ajouta-t-elle avecun regard fixe, «ni bien, ni mal, ni devoirs, ni souvenirs. Maispeux-tu comprendre cela, toi qui penses, comme tous les hommes, quec’est un crime d’aimer quand on n’est pas libre? »

– « Je ne sais plus rien, » réponditHubert en se penchant vers elle pour la relever, « sinon que tu espour moi la plus noble des femmes et la plus chère, »

– « Non ! laisse-moi rester à tespieds comme ta petite esclave… » reprit-elle avec une expressiond’extase. « Mais est-ce vraiment vrai? Jure-moi que jamais tu nediras de mal de cette heure. »

– «Je te le jure, »dit le jeune homme, que l’émotion de son amie gagnait sans qu’ilpût bien se l’expliquer. Cette simple parole la fit se redresser.Légère comme une jeune fille, elle se releva, et, penchée surHubert, elle commença de lui couvrir le visage de baiserspassionnés; puis, fronçant le sourcil et comme par un effort surelle-même, elle le quitta, passa sa main sur ses yeux, et, d’unevoix encore mal assurée, mais plus calme : « Je suis folle, »dit-elle, « il faut sortir. Je vais mettre mon chapeau et nousallons faire une promenade. Will you be so kind asto ask for a carriage, will you?» ajouta-t-elleen anglais. Quand elle parlait cette langue, saprononciation devenait quelque chose de joliment gracieux, depresque enfantin ; et elle sortit du salon par une porteopposée à celle de la chambre d’Hubert, en lui envoyant un petitsalut de la main, coquettement.

Ce même mélange de caressanteinquiétude, de soudaine exaltation et d’enfantillage tendrecontinua de sa part durant cette promenade, qui se composa, pourl’un et pour l’autre, d’une suite d’émotions suprêmes. Par unhasard comme il ne s’en produit pas deux au cours d’une viehumaine, ils se trouvaient placés exactement dans les circonstancesqui devaient porter leurs âmes au plus haut degré possible d’amour.Le monde social, avec ses devoirs meurtriers, se trouvait écarté.Il existait aussi peu pour leur pensée que le cocher qui, juchéhaut par derrière et invisible, conduisait le léger cab oùils erraient en tête à tête, le long de la route de Folkestone àSandgate et à Hythe. Le monde de l’espérance s’ouvrait devant eux,en revanche, comme un jardin paré des plus belles fleurs. Ils sevoyaient récompensés, lui de son innocence, elle de la réserve quesa raison lui avait imposée, par une impression aussi délicieuseque rare : ils jouissaient de l’intimité du cœur, qui ne s’obtientd’ordinaire qu’après une longue possession, et ils en jouissaientdans la fraîcheur du désir timide. Mais ce désir timide avait pourarrière-fonds chez tous les deux une enivrante certitude,perspicace chez Thérèse, obscure encore chez Hubert, et c’étaitdans un vaste et noble paysage qu’ils promenaient ces sensationsrares. Ils suivaient donc cette route de Folkestone à Hythe, minceruban qui court au long de la mer. La verte falaise est sansrochers, mais sa hauteur suffit pour donner au chemin qu’ellesurplombe cette physionomie d’asile abrité, reposant attrait desvallées au pied des montagnes. La plage de galets était recouvertepar la marée haute. Le large Océan remuait, sans qu’un oiseau volâtau-dessus des lames. Son immensité verdâtre se fonçait Jusqu’auviolet à mesure que le jour tombant assombrissait l’azur froid duciel. La voiture allait vite sur ses deux roues, traînée par uncheval fortement râblé, que son mors trop dur forçait par instantsà relever la tête en tordant la bouche. Thérèse et Hubert, serrésl’un contre l’autre dans la petite guérite roulante ouverte àmoitié, se tenaient la main sous le plaid de voyage qui lesenveloppait. Ils laissaient leur passion se dilater comme cettelarge mer, frémir en eux avec la plénitude de ces houles,s’ensauvager comme cette côte stérile. Depuis que la jeune femmeavait demandé à son ami ce singulier serment, elle semblait un peuplus calme, malgré des passages de soudaine rêverie qui serésolvaient en effusions muettes. Lui, de son côté, ne l’avaitjamais si absolument aimée. Il lui fallait sans cesse la prendrecontre lui, la serrer dans ses bras. Un infini besoin de serapprocher d’elle encore davantage montait à sa tête et legrisait ; et, cependant, il appréhendait l’arrivée du soiravec cette mortelle angoisse de ceux pour qui l’univers féminin estun mystère. Malgré les preuves de passion que lui donnait Thérèse,il se sentait devant elle en proie à une défaillance de sa volonté,insurmontable, qui serait devenue de la douleur s’il n’avait pas euen même temps une immense confiance dans l’âme de cette femme.Cette impression de l’abîme inconnu dans lequel allait se plongerleur amour, et qui l’eût épouvanté d’une terreur presque animale,se faisait plus tranquille parce qu’il descendait dans cet abîmeavec elle. Véritablement, elle avait une intelligence adorable destroubles qui devaient traverser celui qu’elle aimait. N’était-cepas pour ménager ses nerfs trop vibrants qu’elle l’avait entraîné àcette promenade, durant laquelle le grandiose spectacle, le vent dularge et les marches à pied à de certaines minutes maintenaient etlui et elle au-dessus des troubles inévitables du trop ardentdésir? Ils allèrent ainsi, jusqu’à l’heure tragique où les astreséclatent dans le ciel nocturne, tantôt cheminant sur les galets,tantôt remontant dans la petite voiture, prenant et reprenant sanscesse les mêmes sentiers, sans pouvoir se décider à retourner,comme s’ils eussent compris qu’ils retrouveraient d’autres instantsde bonheur, mais d’un bonheur comme celui-là, jamais! L’obscureintuition de l’âme universelle, dont les visibles formes et lesinvisibles sentiments sont le commun effet, leur révélait, sansqu’ils s’en rendissent compte, une secrète analogie et comme unecorrespondance mystique entre la face particulière de ce coin denature et l’essence indéfinie de leur tendresse. Elle lui disait :« Être auprès de toi ici, c’est un bonheur à ne pouvoir ensuiterentrer dans la vie ! » et il ne souriait pas d’incrédulité àcette phrase, comme elle ne doutait pas lorsqu’il lui disait : « IIme semble que je n’ai jamais ouvert les yeux sur un paysage avantcette minute. » Et quand ils marchaient, c’est lui qui prenait lebras de Thérèse et qui s’y appuyait câlinement. Il symbolisaitainsi, sans le savoir, l’étrange renversement des rôles, quivoulait que, dans cette liaison, il eût toujours représentél’élément féminin, avec sa frêle personne, son innocence entière,la candeur de ses émotions craintives. Certes, elle était bienfemme aussi, par sa démarche souple, par la finesse féline de sesmanières, par ses yeux fondus, qui se donnaient à chaque regard.Elle paraissait pourtant une créature plus forte, mieux armée pourla vie que le délicat enfant, œuvre fragile de la tendresse de deuxfemmes pures, qu’elle avait enlacé d’un si léger tissu deséduction, et qui, à peine plus grand qu’elle de trois lignes dufront, s’abandonnait avec une fraternelle confiance ; et lemouvement même de leur démarche, d’une parfaite harmonie de rythme,disait assez la complète union des cœurs qui les faisait vibrerensemble à ce moment d’une étroite manière.

Ils rentrèrent. Le dîner qui suivit cetaprès-midi de songe fut silencieux et presque sombre. Il semblaitque tous deux eussent peur l’un de l’autre. Ou bien seulementétait-ce chez elle une recrudescence de cette crainte de déplairequi lui avait fait différer jusqu’à cette heure l’abandon de sapersonne, et chez lui la farouche mélancolie, dernier signe del’animalité primitive, qui précède chez l’homme toute entrée dansle complet amour? Comme il arrive à des moments pareils, leursdiscours se faisaient d’autant plus calmes et indifférents queleurs cœurs étaient plus troublés. Ces deux amants, qui seretrouvaient, après une journée dans la plus romanesque exaltation,dans la solitude de cet asile étranger, semblaient n’avoir à sedire que des phrases sur le monde qu’ils avaient quitté. Ils seséparèrent de bonne heure et comme s’ils se fussent dit adieu pourne se voir que le lendemain, quoiqu’ils sentissent bien tous deuxque dormir séparés l’un de l’autre ne leur était pas possible.Aussi Hubert ne fut-il pas étonné, quoique son cœur battit à serompre, lorsque, au moment où il allait lui-même se rendre auprèsd’elle, il entendit la clef tourner dans la porte. Thérèse entra,vêtue d’un long peignoir souple de dentelles blanches, et dans sesyeux une douceur passionnée. « Ah! » dit-elle en fermant de sa mainparfumée les paupières d’Hubert, « je voudrais tant reposer sur toncœur ! »

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Vers le milieu de la nuit, le jeunehomme s’éveilla, et, cherchant des lèvres le visage de celle à quiil pouvait désormais donner vraiment le doux nom de maîtresse, iltrouva que ces joues, qu’il ne voyait pas, étaient inondées depleurs. «Tu souffres? » lui dit-il. – « Non, » répondit-elle, « cesont des larmes de reconnaissance. Ah ! » continua-t-elle, «comment a-t-on pu ne pas te prendre à moi par avance, mon ange, etcomme je suis indigne de toi!… » Énigmatiques paroles qu’Hubertdevait se rappeler si souvent plus tard, et qui, même à cetteminute et sous ces baisers, firent soudain se lever en lui lavapeur de la tristesse, accompagnement habituel du plaisir. Atravers cette vapeur de tristesse, il aperçut, comme dans unéclair, une maison de lui bien connue, et les visages penchés sousla lampe, parmi les portraits de famille, des deux femmes quil’avaient élevé. Ce ne fut qu’une seconde, et il posa sa tête surla poitrine de Thérèse pour oublier toute pensée, tandis que lavague plainte de la mer arrivait jusqu’à lui, adoucie par ladistance, – rumeur mystérieuse et lointaine comme l’approche de ladestinée.

 

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