Chapitre 20
Un feu follet traversa le ciel en ce moment, et disparut presqueaussitôt. Mes yeux, que la clarté du météore avait détournés uninstant, se reportèrent sur le balcon, et n’y virent plus que lapetite pantoufle. Ma voisine, dans sa retraite précipitée, avaitoublié de la reprendre. Je contemplai longtemps ce joli moule d’unpied digne du ciseau de Praxitèle avec une émotion dont jen’oserais avouer toute la force, mais, ce qui pourra paraître biensingulier, et ce dont je ne saurais me rendre raison à moi-même,c’est qu’un charme insurmontable m’empêchait d’en détourner mesregards, malgré tous les efforts que je faisais pour les porter surd’autres objets.
On raconte que, lorsqu’un serpent regarde un rossignol, lemalheureux oiseau, victime d’un charme irrésistible, est forcé des’approcher du reptile vorace. Ses ailes rapides ne lui serventplus qu’à le conduire à sa perte, et chaque effort qu’il fait pours’éloigner le rapproche de l’ennemi qui le poursuit de son regardinévitable.
Tel était sur moi l’effet de cette pantoufle, sans que cependantje puisse dire avec certitude qui, de la pantoufle ou de moi, étaitle serpent, puisque, selon les lois de la physique, l’attractiondevait être réciproque. Il est certain que cette influence funesten’était point un jeu de mon imagination. J’étais si réellement etsi fortement attiré, que je fus deux fois au moment de lâcher lamain et de me laisser tomber. Cependant, comme le balcon sur lequelje voulais aller n’était pas exactement sous ma fenêtre, mais unpeu de côté, je vis fort bien que, la force de gravitation inventéepar Newton venant à se combiner avec l’attraction oblique de lapantoufle, j’aurais suivi dans ma chute une diagonale, et je seraistombé sur une guérite qui ne me paraissait pas plus grosse qu’unœuf, de la hauteur où je me trouvais, en sorte que mon but auraitété manqué… Je me cramponnai donc plus fortement encore à lafenêtre, et faisant un effort de résolution, je parvins à lever lesyeux et à regarder le ciel.