Expédition nocturne autour de ma chambre

Chapitre 17

 

J’avouerai cependant de bonne foi que je ne comprends guèremieux mon système que tous les autres systèmes éclos jusqu’à cejour de l’imagination des philosophes anciens et modernes ;mais le mien a l’avantage précieux d’être contenu dans quatrelignes ; tout énorme qu’il est.

Le lecteur indulgent voudra bien observer aussi qu’il a étécomposé tout entier au sommet d’une échelle. Je l’aurais cependantembelli de commentaires et de notes, si dans le moment où j’étaisle plus fortement occupé de mon sujet, je n’avais été distrait pardes chants enchanteurs qui vinrent frapper agréablement monoreille. Une voix telle que je n’en ai jamais entendu de plusmélodieuse, sans en excepter même celle de Zénéide, une de ces voixqui sont toujours à l’unisson des fibres de mon cœur, chantait toutprès de moi une romance dont je ne perdis pas un mot, et qui nesortira jamais de ma mémoire. En écoutant avec attention, jedécouvris que la voix partait d’une fenêtre plus basse que lamienne : malheureusement je ne pouvais la voir, l’extrémité dutoit, au-dessus duquel s’élevait ma lucarne, la cachant à mes yeux.Cependant le désir d’apercevoir la sirène qui me charmait par sesaccords augmentait à proportion du charme de la romance, dont lesparoles touchantes auraient arraché des larmes à l’être le plusinsensible. Bientôt ne pouvant plus résister à ma curiosité, jemontai jusqu’au dernier échelon, je mis un pied sur le bord dutoit, et, me tenant d’une main au montant de la fenêtre, je mesuspendis ainsi sur la rue, au risque de me précipiter.

Je vis alors sur un balcon à ma gauche, un peu au-dessous demoi, une jeune femme en déshabillé blanc : sa main soutenait satête charmante, assez penchée pour laisser entrevoir, à la lueurdes astres, le profil le plus intéressant, et son attitude semblaitimaginée pour présenter dans tout son jour, à un voyageur aériencomme moi, une taille svelte et bien prise ; un de ses piedsnus, jeté négligemment en arrière, était tourné, de façon qu’ilm’était possible, malgré l’obscurité, d’en présumer les heureusesdimensions, tandis qu’une jolie petite mule, dont il était séparé,les déterminait encore mieux à mon œil curieux. Je vous laisse àpenser, ma chère Sophie, quelle était la violence de ma situation.Je n’osais faire la moindre exclamation, de peur d’effaroucher mabelle voisine, ni le moindre mouvement, de peur de tomber dans larue. Un soupir m’échappa cependant malgré moi ; mais je fus àtemps d’en retenir la moitié ; le reste fut emporté par unzéphir qui passait, et j’eus tout le loisir d’examiner la rêveuse,soutenu dans cette position périlleuse par l’espoir d’entendrechanter encore. Mais, hélas ! sa romance était finie, et monmauvais destin lui fit garder le silence le plus opiniâtre. Enfin,après avoir attendu bien longtemps, je crus pouvoir me hasarder àlui adresser la parole ; il ne s’agissait plus que de trouverun compliment digne d’elle et des sentiments qu’elle m’avaitinspirés. Oh ! combien je regrettai de n’avoir pas terminé monépître dédicatoire en vers ! comme je l’aurais placée à proposdans cette occasion ! Ma présence d’esprit ne m’abandonnacependant pas au besoin. Inspiré par la douce influence des astreset par le désir plus puissant encore de réussir auprès d’une belle,après avoir toussé légèrement pour la prévenir et pour rendre leson de ma voix plus doux :

« Il fait bien beau temps cette nuit », lui dis-je du ton leplus affectueux qu’il me fut possible.

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