Hernani de Victor Hugo

HERNANI.
Je vous fais compliment ! Plus que je ne puis dire La parure me charme, et m’enchante, et j’admire ! Examinant le coffret.

Il n’oserait tromper, lui, qui touche au tombeau.

Il prend l’une après l’autre toutes les pièces de l’écrin. Rien n’y manque ! Colliers, brillants, pendants d’oreille, Couronne de duchesse, anneau d’or… – à merveille !
Grand merci de l’amour sûr, fidèle et profond ! Le précieux écrin !
Doña Sol va au coffret, y fouille et en tire un poignard. Vous n’allez pas au fond.
Hernani pousse un cri et tombe prosterné à ses pieds. C’est le poignard, qu’avec l’aide de ma patronne,
Je pris au roi Carlos lorsqu’il m’offrit un trône, Et que je refusai pour vous qui m’outragez !
HERNANI, toujours à genoux.

Oh ! Laisse, qu’à genoux, dans tes yeux affligés J’efface tous ces pleurs amers et pleins de charmes, Et tu prendras après tout mon sang pour tes larmes ! DOÑA SOL attendrie.
Hernani ! Je vous aime et vous pardonne, et n’ai

HERNANI.

Elle m’a pardonné,

Et m’aime ! Qui pourra faire aussi que moi-même, Après ce que j’ai dit, je me pardonne et m’aime ?… Oh ! Je voudrais savoir, ange au ciel réservé,
Où vous avez marché, pour baiser le pavé ! DONA SOL.
Ami ! HERNANI.
Non ! je dois t’être odieux ! Mais, écoute,

Dis-moi : je t’aime ! Hélas ! rassure un coeur qui doute, Dis-le moi ! car souvent, avec ce peu de mots
La bouche d’une femme a guéri bien des maux ! DOÑA SOL.
Croire que mon amour eût si peu de mémoire !

Que jamais ils pourraient, tous ces hommes sans gloire, Jusqu’à d’autres amours, plus nobles à leur gré, Rapetisser un cœur où son nom est entré !

Hélas ! J’ai blasphémé !… si j’étais à ta place, Doña Sol, j’en aurais assez ; je serais lasse De ce fou furieux, de ce sombre insensé Qui ne sait caresser qu’après qu’il a blessé !
Je lui dirais : Va-t-en ! Repousse-moi, repousse ! Et je te bénirai, car tu fus bonne et douce,
Car tu m’as supporté trop longtemps, car je suis Mauvais, je noircirais tes jours avec mes nuits ! Car c’en est trop, enfin, ton âme est belle et haute Et pure, et si je suis méchant, est-ce ta faute ?
Epouse le vieux duc ! Il est bon, noble, il a Par sa mère Olmedo, Par son père Alcala.
Encore un coup, sois riche avec lui, sois heureuse ! Moi, sais-tu ce que peut cette main généreuse T’offrir de magnifique ? une dot de douleurs.
Tu pourras y choisir ou du sang ou des pleurs. L’exil, les fers, la mort, l’effroi qui m’environne, C’est la ton collier d’or, c’est ta belle couronne,

N’offrit plus riche écrin de misère et de deuil ! Epouse le vieillard, te dis-je ! il te mérite !
Eh ! qui jamais croira que ma tête proscrite

Aille avec ton front pur ? qui, nous voyant tous deux, Toi, calme et belle, moi, violent, hasardeux,
Toi, paisible et croissant comme une fleur à l’ombre, Moi, heurté dans l’orage à des écueils sans nombre, Qui dira que nos sorts suivent la même loi ?
Non. Dieu qui fait tout bien ne te fit pas pour moi. Je n’ai nul droit d’en haut sur toi, je me résigne !
J’ai ton coeur, c’est un vol ! je le rends au plus digne. Jamais à nos amours le ciel n’a consenti.
Si j’ai dit que c’était ton destin, j’ai menti !

D’ailleurs, vengeance, amour, adieu ! mon jour s’achève. Je m’en vais, inutile, avec mon double rêve,
Honteux de n’avoir pu ni punir, ni charmer,

Qu’on m’ait fait pour haïr, moi qui n’ai su qu’aimer ! Pardonne-moi ! fuis-moi ! ce sont mes deux prières.

Tu vis, et je suis mort. Je ne vois pas pourquoi Tu te ferais murer dans ma tombe avec moi ! DONA SOL.
Ingrat ! HERNANI.
Monts d’Aragon ! Galice ! Estramadoure !

Oh ! je porte malheur à tout ce qui m’entoure !

J’ai pris vos meilleurs fils ; pour mes droits, sans remords, Je les ai fait combattre, et voilà qu’ils sont morts !
C’étaient les plus vaillants de la vaillante Espagne !

Ils sont morts ! ils sont tous tombés dans la montagne, Tous sur le dos couchés, en justes, devant Dieu,
Et s’ils ouvraient les yeux, ils verraient le ciel bleu ! Voilà ce que je fais de tout ce qui m’épouse !
Est-ce une destinée à te rendre jalouse ?

Dona Sol, prends le duc, prends l’enfer, prends le roi ! C’est bien. Tout ce qui n’est pas moi vaut mieux que moi ! Je n’ai plus un ami qui de moi se souvienne,

Car je dois être seul. Fuis ma contagion. Ne te fais pas d’aimer une religion !
Oh ! par pitié pour toi, fuis ! Tu me crois peut-être Un homme comme sont tous les autres, un être Intelligent, qui court droit au but qu’il rêva.
Détrompe-toi ! je suis une force qui va !

Agent aveugle et sourd de mystères funèbres ! Une âme de malheur faite avec des ténèbres ! Où vais-je ? je ne sais. Mais je me sens poussé D’un souffle impétueux, d’un destin insensé. Je descends, je descends, et jamais ne m’arrête. Si parfois, haletant, j’ose tourner la tête,
Une voix me dit : Marche ! et l’abîme et profond, Et de flamme et de sang je le vois rouge au fond ! Cependant, à l’entour de ma course farouche,
Tout se brise, tout meurt. Malheur à qui me touche ! Oh ! fuis ! détourne-toi de mon chemin fatal.
Hélas ! sans le vouloir, je te ferais du mal !

Grand Dieu ! HERNANI.
C’est un démon redoutable, te dis-je,

Que le mien. Mon bonheur, voilà le seul prodige Qui lui soit impossible. Et toi, c’est le bonheur !
Tu n’es donc pas pour moi, cherche un autre seigneur ! Va, si jamais le ciel à mon sort qu’il renie
Souriait… n’y crois pas ! ce serait ironie. Epouse le duc !
DOÑA SOL.

Donc ce n’était pas assez !

Vous aviez déchiré mon coeur, vous le brisez ! Ah ! Vous ne m’aimez plus !
HERNANI.

Oh ! Mon cœur et mon âme

C’est toi ! L’ardent foyer d’où me vient toute flamme, C’est toi ! Ne m’en veux pas de fuir, être adoré !…
DOÑA SOL.

HERNANI.

Mourir ! pour qui ? Pour moi ? se peut-il que tu meures Pour si peu ?
DOÑA SOL, pleurant et tombant dans un fauteuil. Voilà tout.
HERNANI, s’asseyant près d’elle. Oh ! Tu pleures ! Tu pleures !
Et c’est encor ma faute ! Et qui me punira ? Car tu pardonneras encor ! Qui te dira
Ce que je souffre au moins, lorsqu’une larme noie La flamme de tes yeux, dont l’éclair est ma joie !
Oh ! Mes amis sont morts ! Oh ! Je suis insensé ! Pardonne ! Je voudrais aimer, je ne le sai.
Hélas ! J’aime pourtant d’une amour bien profonde ! Ne pleure pas ; mourons plutôt ! Que n’ai-je un monde ! Je te le donnerais ! Je suis bien malheureux !
DOÑA SOL, se jetant à son cou.

Vous êtes mon lion, superbe et généreux !

HERNANI.

Ah ! L’amour serait un bien suprême Si l’on pouvait mourir de trop aimer ! DOÑA SOL.
Je t’aime !

Monseigneur ! Je vous aime, et je suis toute à vous. Hernani laisse tomber sa tête sur son épaule.
HERNANI.

Oh ! Qu’un coup de poignard de toi me serait doux ! DOÑA SOL, suppliante.
Ah ! Ne craignez-vous pas que Dieu ne vous punisse De parler de la sorte ?
HERNANI.

Eh bien ! Qu’il nous unisse,

Tu le veux !… qu’il en soit ainsi ! J’ai résisté !

Tous deux dans les bras l’un de l’autre se regardent avec extase, sans voir, sans entendre, et comme absorbés dans leurs regards. Don Ruy Gomez entre, et s’arrête comme pétrifié sur le seuil.

SCENE 6

DON RUY GOMEZ, immobile et croisant les bras. Voilà donc le paiement de l’hospitalité !
Voilà ce que céans notre hôte nous apporte !

Tous deux se détournent comme réveillés en sursaut. Bon seigneur, va-t’en voir si ta muraille est forte,
Si la porte est bien close et l’archer dans sa tour ; De ton château pour nous, fais et refais le tour ; Cherche en ton arsenal une armure à ta taille ; Ressaie, à soixante ans, ton harnais de bataille ! Voici la loyauté dont nous paierons ta foi !
Tu fais cela pour nous, et nous, ceci pour toi. Saints du ciel ! J’ai vécu plus de soixante années ; J’ai vu bien des bandits aux mains empoisonnées, J’en ai vu qui mouraient sans croix et sans pater ; J’ai vu Sforce, j’ai vu Borgia, je vois Luther ;
Mais je n’ai jamais vu perversité si haute

Qui n’eût craint le tonnerre en trahissant son hôte ! Ce n’est pas de mon temps ! – Si noire trahison

Et fait que le vieux maître, en attendant qu’il tombe, A l’air d’une statue à mettre sur sa tombe !
Maures et castillans ! Quel est cet homme-ci ?

Il lève les yeux et les promène sur les portraits qui entourent la salle. O vous ! Tous les Silva qui m’écoutez ici,
Pardon si devant vous, pardon si ma colère Dit l’hospitalité mauvaise conseillère !

  • Oh ! Je me vengerai ! HERNANI.
    Ruy Gomez De Silva,

Si jamais vers le ciel noble front s’éleva,

Si jamais cœur fut grand, si jamais âme haute,

C’est la vôtre, seigneur ! C’est la tienne, ô mon hôte ! Moi qui te parle ici, je suis coupable, et n’ai
Rien à dire, sinon que je suis bien damné !

Oui, j’ai voulu te prendre et t’enlever ta femme ; Oui, j’ai voulu souiller ton lit ; oui, c’est infâme ! J’ai du sang ; tu feras très bien de le verser,

DOÑA SOL.

Seigneur, ce n’est pas lui ! Ne frappez que moi-même !… HERNANI.
Attendez, doña Sol ; car cette heure est suprême. Cette heure m’appartient. Je n’ai plus qu’elle. Ainsi, Laissez-moi m’expliquer avec le duc ici.
Duc ! Crois aux derniers mots de ma bouche : j’en jure, Je suis coupable ; mais sois tranquille, – elle est pure.
DOÑA SOL.

Ah ! Moi seule ai tout fait ; car je l’aime.

A ce mot, Ruy Gomez se détourne en tressaillant, et fixe sur doña Sol un regard terrible.

DOÑA SOL, à genoux. Oui. Pardon !
Je l’aime, monseigneur ! DON RUY GOMEZ.
Vous l’aimez ! A Hernani.

Bruit de trompettes au dehors. Au page qui entre. Qu’est ce bruit ?
LE PAGE.

C’est le roi, monseigneur, en personne,

Avec un gros d’archers et son héraut qui sonne. DOÑA SOL.
Dieu ! Le roi ! Dernier coup ! LE PAGE, au duc.
Il demande pourquoi

La porte est close, et veut qu’on ouvre. DON RUY GOMEZ.
Ouvrez au roi !

Le page s’incline et sort. DOÑA SOL.
Il est perdu !

Don Ruy Gomez va à l’un des tableaux, qui est son propre portrait, et le dernier à gauche. Il presse un ressort ; le portrait s’ouvre comme une porte, et laisse voir une cachette pratiquée dans le mur. Le duc se tourne vers Hernani.

DON RUY GOMEZ.

HERNANI.

Ma tête

Est à toi, livre-la, seigneur, je la tiens prête. Je suis ton prisonnier.
Il entre dans la cachette. Don Ruy Gomez presse le ressort, tout se referme, et le portrait revient à sa place.

DOÑA SOL, au duc. Seigneur, pitié pour lui. LE PAGE entrant.
Son altesse le roi !

Doña Sol baisse précipitamment son voile. La porte s’ouvre à deux battants. Entre don Carlos en habit de guerre, suivi d’une foule de gentilshommes éga- lement armés, de pertuisaniers, d’arquebusiers, d’arbalétriers ; il s’avance à pas lents, la main gauche sur le pommeau de son épée, la droite dans sa poitrine, et fixe sur le vieux duc un oeil de défiance et de colère. Le duc va au-devant du roi et le salue profondément. Silence, attente et terreur à l’entour. Enfin le roi, arrivé en face du duc, lève brusquement la tête.

SCENE 7

Don Ruy Gomez, doña Sol voilée, don Carlos, suite. DON CARLOS.
D’où vient donc aujourd’hui,

Mon cousin, que ta porte est si bien verrouillée ?

Et je ne savais pas qu’elle eût hâte à ce point, Quand nous te venons voir, de reluire à ton poing !
Don Ruy Gomez veut parler, le roi poursuit avec un geste impérieux. C’est s’y prendre un peu tard pour faire le jeune homme !
Avons-nous des turbans ? Serait-ce qu’on me nomme Mahom ou Boabdil, et non Carlos, répond !
Pour nous baisser la herse et nous lever le pont ? DON RUY GOMEZ, s’inclinant.
Seigneur !…

DON CARLOS, à ses gentilshommes. Prenez les clés ! Saisissez-vous des portes !
Deux officiers sortent, plusieurs autres rangent les soldats en triple haie dans la salle. Don Carlos se tourne vers le duc.

Ah ! Vous réveillez donc les rébellions mortes ! Pardieu ! Si vous prenez de ces airs avec moi, Messieurs les ducs, le roi prendra des airs de roi ! Et j’irai par les monts, de mes mains aguerries, Dans leurs nids crénelés, tuer les seigneuries !

Altesse, les Silva sont loyaux… DON CARLOS, avec colère.
Sans détours,

Réponds, duc, ou je fais raser tes onze tours ! De l’incendie éteint il reste une étincelle,
Des bandits morts il reste un chef : qui le recèle ? C’est toi ! Ce Hernani, rebelle empoisonneur,
Ici, dans ton château, tu le caches ! DON RUY GOMEZ.Seigneur,
C’est vrai.

DON CARLOS.

Fort bien ! Je veux sa tête ou bien la tienne. Entends-tu, mon cousin ?
DON RUY GOMEZ, s’inclinant. Mais qu’à cela ne tienne !
Vous serez satisfait.

Doña Sol se cache la tête dans ses mains et tombe sur un fauteuil. DON CARLOS radouci.

Chercher mon prisonnier.

Le duc croise les bras, baisse la tête et reste un instant rêveur. Le roi et doña Sol l’observent en silence, et agités d’émotions contraires, enfin le duc relève son front, prend la main du roi, le mène devant le plus ancien des portraits, celui qui commence la galerie à droite du spectateur.

DON RUY GOMEZ, montrant le vieux portrait. Écoutez ! des Silva
C’est l’aîné, c’est l’aïeul, l’ancêtre, le grand homme ! Don Silvins, qui fut trois fois consul de Rome.
Mouvement d’impatience de Carlos. DON RUY GOMEZ, à un autre portrait. Écoutez-moi : voici Ruy Gomez De Silva,
Grand-maître de Saint-Jacque et de Calatrava. Son armure géante irait mal à nos tailles.
Il prit trois cents drapeaux, gagna trente batailles, Conquit au roi Motril, Antequera, Suez,
Nijar ; et mourut pauvre. Altesse, saluez.

Il s’incline, se découvre et passe à un autre. Le roi l’écoute avec une impatience et une colère toujours croissantes.

Près de lui Juan, son fils, cher aux âmes loyales.

A un autre.

Don Gaspar, de Mendoce et de Silva l’honneur ! Toute noble maison tient à Silva, seigneur.
Sandoval tour à tour nous craint ou nous épouse. Manrique nous envie et Lara nous jalouse.
Alencastre nous hait. Nous touchons à la fois Du pied à tous les ducs, du front à tous les rois ! Vasquez, qui soixante ans garda la foi jurée…
Geste d’impatience du roi.

J’en passe, et des meilleurs ! – cette tête sacrée,

C’est mon père ; il fut grand, quoiqu’il vînt le dernier. Les maures de Grenade avaient fait prisonnier
Le comte Alvar Giron son ami ; mais mon père

Prit pour l’aller chercher six cents hommes de guerre, Il fit tailler en pierre un comte Alvar Giron,
Qu’à sa suite il traîna, jurant par son patron De ne point reculer que le comte de pierre
Ne tournât front lui-même et n’allât en arrière ;

DON CARLOS, hors de lui. Mon prisonnier !
DON RUY GOMEZ.

C’était un Gomez De Silva.

Voilà donc ce qu’on dit, quand dans cette demeure On voit tous ces héros…
DON CARLOS, frappant du pied. Mon prisonnier, sur l’heure !
Don Ruy Gomez s’incline devant le roi, lui prend la main et le mène devant le dernier portrait, derrière lequel est caché Hernani. Doña Sol le suit des yeux avec anxiété.

Ce portrait, c’est le mien. Roi don Carlos, merci ! Car vous voulez qu’on dise en le voyant ici :
« Ce dernier, digne fils d’une race si haute, Fut un traître, et vendit la tête de son hôte ! »
Le roi, déconcerté, s’éloigne avec colère, et reste un instant silencieux, les lèvres tremblantes et l’oeil enflammé.

DON CARLOS.
Duc, ton château me gêne, et je le mettrai bas ! DON RUY GOMEZ.

DON CARLOS.

Duc, j’en ferai raser les tours pour tant d’audace, Et je ferai semer du chanvre sur la place.
DON RUY GOMEZ.

Mieux voir croître du chanvre où ma tour s’éleva, Qu’une tache ronger le vieux nom de Silva.
Aux portraits.

N’est-il pas vrai, vous tous ? Duc ! Cette tête est nôtre, Et tu m’avais promis…
DON RUY GOMEZ.

J’ai promis l’une ou l’autre. Se découvrant.
Je donne celle-ci. Prenez-la. DON CARLOS.
Ma bonté

Est à bout ! Livre-moi cet homme ! DON RUY GOMEZ.
En vérité,

DON CARLOS, à sa suite.

Fouillez partout ! Et qu’il ne soit point d’aile, De cave, ni de tour…
DON RUY GOMEZ.

Mon donjon est fidèle

Comme moi. Seul il sait le secret avec moi. Nous le garderons bien tous deux.
DON CARLOS.

Je suis le roi.

DON RUY GOMEZ.

A moins de démolir le château pierre à pierre, D’assassiner le maître, on n’aura rien !
DON CARLOS.

Prière,

Menace, tout est vain ! Livre-moi le bandit, Duc ! Ou, tête et château, j’abattrai tout.
DON RUY GOMEZ.

J’ai dit.

Hé bien donc ! Au lieu d’une, alors j’aurai deux têtes. Au duc d’Alcala.
Jorge, arrêtez le duc.

DOÑA SOL, arrache son voile, et se jette entre le roi, le duc et les gardes. Roi don Carlos, vous êtes
Un mauvais roi !

DON CARLOS, se détournant avec un cri de surprise. Grand dieu ! Que vois-je ?
Doña Sol ! DOÑA SOL.
Altesse, tu n’as pas le cœur d’un espagnol ! DON CARLOS, troublé et chancelant.
Madame, pour le roi, vous êtes bien sévère. Il s’approche de doña Sol. A voix basse :
C’est vous qui m’avez mis au cœur cette colère.

Un homme devient ange ou monstre en vous touchant. Ah ! Quand on est haï, que vite on est méchant !
Si vous aviez voulu, peut-être, ô jeune fille,

Vous m’en faites le tigre avec votre courroux. Le voilà qui rugit, madame ! Taisez-vous !
Doña Sol lui jette un regard impérieux, il s’incline. Pourtant, j’obéirai.
Se tournant vers le duc. Mon cousin, je t’estime.
Ton scrupule, après tout, peut sembler légitime. Sois fidèle à ton hôte, infidèle à ton roi ;
C’est bien ; je te fais grâce et suis meilleur que toi. J’emmène seulement ta nièce comme otage.
DON RUY GOMEZ.

Seulement !

DOÑA SOL, interdite. Moi ! Seigneur !
DON CARLOS.

Oui, vous.

DON RUY GOMEZ.

Pas davantage !

Qui ménage la tête et torture le cœur ! ! Belle grâce !
DON CARLOS.

Choisis : doña Sol, ou le traître. Il me faut l’un des deux.
DON RUY GOMEZ.

Ah ! Vous êtes le maître !

Le roi s’approche de doña Sol ; elle se réfugie vers Don Ruy Gomez.
DOÑA SOL.

Sauvez-moi, monseigneur !

Elle s’arrête tout-à-coup. à part. Malheureuse, il le faut !
La tête de mon oncle ou l’autre !… moi plutôt ! Au roi.
Je vous suis.

DON CARLOS, à part.

Par les saints ! L’idée est triomphante !

Doña Sol va au coffret, l’ouvre, et y prend le Poignard, qu’elle cache dans son sein.
DON CARLOS va à elle, et lui présente la main. Qu’emportez-vous là ?
DOÑA SOL.

Prince, un joyau précieux. DON CARLOS, souriant.
Ah ! Voyons. DOÑA SOL.
Vous verrez.

Elle donne la main à Carlos et se dispose à le suivre. Don Ruy Gomez, qui est resté profondément absorbé dans sa douleur, se retourne et fait quelques pas en criant.

DON RUY GOMEZ.

Doña Sol !… terre et cieux !

Doña Sol !… puisque l’homme ici n’a point d’entrailles, A mon aide ! Croulez ! Armures et murailles !
Il court au roi.

Laisse-moi mon enfant ! Je n’ai qu’elle, ô mon roi !

Alors… mon prisonnier !

Le duc baisse la tête et semble en proie à une horrible agitation ; il se relève, regarde les portraits en joignant les mains vers eux.

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