Hernani de Victor Hugo

DOÑA SOL.

C’est toi qui l’as voulu. HERNANI.
C’est une mort affreuse !… DOÑA SOL.
Non. – Pourquoi donc ?

Ce philtre au sépulcre conduit. DOÑA SOL.
Devions-nous pas dormir ensemble cette nuit ? Qu’importe dans quel lit !
HERNANI.

Mon père, tu te venges Sur moi qui t’oubliais !
Il porte la fiole à sa bouche. DOÑA SOL, se jetant sur lui. Ciel ! Des douleurs étranges !…
Ah ! Jette loin de toi ce philtre !… ma raison S’égare. – Arrête ! Hélas ! Mon don Juan ! Ce poison

Une hydre à mille dents qui ronge et qui dévore ! Oh ! Je ne savais pas qu’on souffrît à ce point !
Qu’est-ce donc que cela ? C’est du feu ! Ne bois point ! Oh ! Tu souffrirais trop !
HERNANI, à don Ruy. Ah ! Ton âme est cruelle !
Pouvais-tu pas choisir d’autre poison pour elle ? Il boit et jette la fiole.
DOÑA SOL.

Que fais-tu ? HERNANI.
Qu’as-tu fait ? DOÑA SOL.
Viens, ô mon jeune amant,

Dans mes bras. ils s’assoient l’un près de l’autre. Est-ce pas qu’on souffre horriblement ?
HERNANI.

Non !

Voilà notre nuit de noce commencée ! Je suis bien pâle, dis, pour une fiancée ? HERNANI.
Ah !

DON RUY GOMEZ.

La fatalité s’accomplit. HERNANI.
Désespoir ! Ô tourment !
Doña Sol souffrir, et moi le voir ! DOÑA SOL.
Calme-toi. Je suis mieux. – Vers des clartés nouvelles Nous allons tout à l’heure ensemble ouvrir nos ailes. Partons d’un vol égal vers un monde meilleur.
Un baiser seulement, un baiser ! Ils s’embrassent.
DON RUY GOMEZ.

Ô douleur !

Oh ! Béni soit le ciel qui m’a fait une vie D’abîmes entourée et de spectres suivie,
Mais qui permet que, las d’un si rude chemin, Je puisse m’endormir, ma bouche sur ta main ! DON RUY GOMEZ.
Ils sont encore heureux !

HERNANI, d’une voix de plus en plus faible. Doña Sol, tout est sombre…
Souffres-tu ?

DOÑA SOL, d’une voix également éteinte. Rien, plus rien.
HERNANI.

Vois-tu des feux dans l’ombre ? DOÑA SOL.
Pas encor.

HERNANI, avec un soupir. Voici…
Il tombe.

Mort !

DOÑA SOL, échevelée et se dressant à demi sur son séant. Mort ! Non pas !… nous dormons.
Il dort ! C’est mon époux, vois-tu, nous nous aimons, Nous sommes couchés là. C’est notre nuit de noce… D’une voix qui s’éteint.
Ne le réveillez pas, seigneur duc de Mendoce !… Il est las… (Elle retourne la figure d’Hernani.) Mon amour, tiens-toi vers moi tourné…
Plus près… plus près encor… elle retombe. DON RUY GOMEZ.
Morte !… oh ! Je suis damné. Il se tue.

NOTE
Shakespeare, par la bouche de Hamlet, donne aux comédiens des conseils qui prouvent que ce grand poète était aussi un grand comédien. Molière, comédien comme Shakespeare et non moins admirable poète, indique en maint endroit de quelle façon il comprend que ses pièces soient jouées. Beaumarchais, qui n’est pas indigne d’être cité après de si grands noms, se complaît également à ces dé- tails minutieux qui guident et conseillent l’acteur dans la manière de composer un

et nous croyons que rien n’est plus utile à l’acteur que les explications, bonnes ou mauvaises, vraies ou fausses, du poète. C’était l’avis de Talma, c’est le nôtre.

Pour nous, si nous avions un avis à offrir aux acteurs qui pourraient être ap- pelés à jouer les principaux rôles de cette pièce, nous leur conseillerions de bien marquer dans Hernani l’âpreté sauvage du montagnard mêlée à la fierté native du grand d’Espagne ; dans le don Carlos des trois premiers actes, la gaieté, l’insou- ciance, l’esprit d’aventure et de plaisir, et qu’à travers tout cela, à la fermeté, à la hauteur, à je ne sais quoi de prudent dans l’audace, on distingue déjà en germe le Charles-Quint du quatrième acte ; enfin, dans le don Ruy Gomez, la dignité, la passion mélancolique et profonde, le respect des aïeux, de l’hospitalité et des serments, en un mot, un vieillard homérique selon le moyen âge. Au reste, nous signalons ces nuances aux comédiens qui n’auraient pas pu étudier la manière dont ces rôles sont représentés à Paris par trois excellents acteurs, M Firmin, dont le jeu plein d’âme électrise si souvent l’auditoire, M Michelot, que sert une si rare intelligence, M Joanny, qui empreint tous ses rôles d’une originalité si vraie et si individuelle. Quant à Mademoiselle Mars, un de nos meilleurs journaux a dit avec raison que le rôle de doña Sol avait été pour elle ce que Charles Vi a été pour Talma, c’est-à-dire son triomphe et son chef-d’œuvre. Espérons seulement que la com- paraison ne sera pas entièrement juste, et que Mademoiselle Mars, plus heureuse que Talma, ajoutera encore bien des créations à celle-ci. Il est impossible, du reste, à moins de l’avoir vue, de se faire une idée de l’effet que la grande actrice produit dans ce rôle. Dans les quatre premiers actes, c’est bien la jeune catalane, simple, grave, ardente, concentrée. Mais au cinquième, Mademoiselle Mars donne au rôle un développement immense. Elle y parcourt en quelques instants toute la gamme de son talent, du gracieux au sublime, du sublime au pathétique le plus déchirant. Après les applaudissements, elle arrache tant de larmes que le spectateur perd jus- qu’à la force d’applaudir.

Arrêtons-nous à cet éloge ; car on l’a dit spirituellement, les larmes qu’ils font verser parlent contre les rois et pour les comédiens.

FIN

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