Hernani de Victor Hugo

VOIX DANS L’OMBRE.

Ad augusta. DEUXIEME CONJURÉ.
Per angusta.

Nouveaux conjurés. Bruit de pas. PREMIER CONJURÉ, au troisième. Regarde.
Il vient encor quelqu’un.

Qui vive ?

VOIX DANS L’OMBRE.

Ad angusta. TROISIEME CONJURÉ.
Per angusta.

Entrent de nouveaux conjurés qui échangent des signes mystérieux avec les autres.

PREMIER CONJURÉ.

C’est bien, nous voilà tous. Gotha,

Fais le rapport. Amis, l’ombre attend la lumière.

Les conjurés s’asseyent en demi-cercle sur des tombeaux. Le premier conjuré passe tour à tour devant tous, et chacun allume à sa torche une cire qu’il tient à la main. Puis le premier conjuré va s’asseoir en silence sur une tombe au centre du cercle, et plus haute que les autres.

LE DUC DE GOTHA, se levant.

Amis, Charles D’Espagne, étranger par sa mère, Prétend au saint empire.
PREMIER CONJURÉ.

Il aura le tombeau.

LE DUC DE GOTHA, jetant sa torche et l’écrasant du pied.

TOUS.

Que ce soit ! PREMIER CONJURÉ.
Mort à lui.

LE DUC DE GOTHA.

Qu’il meure ! TOUS.
Qu’on l’immole ! DON JUAN DE HARO.
Son père est allemand.

LE DUC DE LUTZELBOURG.

Sa mère est espagnole. LE DUC DE GOTHA.
Il n’est plus espagnol et n’est pas allemand. Mort !
UN CONJURÉ.

Si les électeurs allaient en ce moment Le nommer empereur ?

Lui ! Jamais !

DON GIL TELLEZ GIRON.

Dans la tombe,

Amis, jetons la tête, et la couronne y tombe. PREMIER CONJURÉ.
S’il a le saint empire, il devient, quel qu’il soit,

Très auguste, et Dieu seul peut le toucher du doigt. LE DUC DE GOTHA.
Le plus sûr, c’est qu’avant d’être auguste, il expire ! PREMIER CONJURÉ.
On ne l’élira point. TOUS.
Il n’aura pas l’empire. PREMIER CONJURÉ.
Combien faut-il de bras pour le mettre au linceul ? TOUS.
Un seul !

PREMIER CONJURÉ.

TOUS.

Un seul.

PREMIER CONJURÉ.

Qui frappera ? TOUS.
Nous tous.

PREMIER CONJURÉ.

La victime est un traître.

Ils font un empereur, nous, faisons un grand-prêtre. Tirons au sort.
Les conjurés écrivent leurs noms sur leurs tablettes, déchirent la feuille, la roulent et vont l’un après l’autre la jeter dans l’urne d’un tombeau, puis le premier conjuré dit :

Prions.

Tous s’agenouillent ; le premier conjuré se lève. Que l’élu croie en Dieu !
Frappe comme un romain, meure comme un hébreu ! Il faut qu’il brave roue et tenailles mordantes,
Qu’il chante aux chevalets, rie aux lampes ardentes,

Il fasse tout.

Il tire un des parchemins de l’urne. TOUS.
Quel nom ?

PREMIER CONJURÉ, à haute voix. Hernani !
HERNANI, sortant de la foule des conjurés. J’ai gagné !
Je te tiens, toi que j’ai si longtemps poursuivie, Vengeance !
DON RUY GOMEZ, prenant Hernani à part. Oh ! Cède-moi ce coup !
HERNANI.

Non, sur ma vie !

Oh ! Ne m’enviez pas ma fortune, seigneur ! C’est la première fois qu’il m’arrive bonheur ! DON RUY GOMEZ.
Tu n’as rien. Eh bien, tout, fiefs, châteaux, vasselages,

Pour ce coup à frapper, je te les donne, ami ! HERNANI.
Non !

LE DUC DE GOTHA.

Ton bras porterait un coup moins affermi, Vieillard !
DON RUY GOMEZ.

Arrière, vous ! Sinon le bras, j’ai l’âme.

Aux rouilles du fourreau ne jugez point la lame. A Hernani.
Tu m’appartiens ! HERNANI.
Ma vie à vous, la sienne à moi.

DON RUY GOMEZ, tirant le cor de sa ceinture. Eh bien, écoute, ami : je te rends ce cor !
HERNANI.

Quoi !

La vie ! – eh, que m’importe ! Ah ! Je tiens ma vengeance.

J’ai mon père à venger… peut être plus encor !

  • Elle, me la rends-tu ? DON RUY GOMEZ.
    Jamais ! Je rends ce cor. HERNANI.
    Non !

DON RUY GOMEZ.

Réfléchis, enfant. HERNANI.
Duc ! Laisse-moi ma proie. DON RUY GOMEZ.
Eh bien ! Maudit sois-tu de m’ôter cette joie ! Il remet le cor à sa ceinture.
PREMIER CONJURÉ, à Hernani.

Frère, avant qu’on ait pu l’élire, il serait bien D’attendre dès ce soir Carlos… Ne craignez rien !
Je sais comment on pousse un homme dans la tombe. PREMIER CONJURÉ, il impose les mains à Hernani.

Et Dieu soit avec vous ! Nous, comtes et barons, S’il périt sans tuer, continuons ! Jurons
De frapper tour à tour et sans nous y soustraire, Carlos qui doit mourir.
TOUS, tirant leurs épées. Jurons !
LE DUC DE GOTHA, au premier conjuré. Sur quoi, mon frère ?
DON RUY GOMEZ. Il prend son épée par la pointe et l’élève au-dessus de sa tête.

Jurons sur cette croix ! TOUS, élevant leurs épées. Qu’il meure impénitent !
On entend un coup de canon éloigné. Tous s’arrêtent en silence. La porte du tombeau s’entr’ouvre. Don Carlos paraît sur le seuil. Pâle, il écoute. Un second coup. Un troisième. Il ouvre tout-à-fait le tombeau, mais sans faire un pas, debout et immobile sur le seuil.

SCENE 4

Don Carlos, Hernani, don Ruy Gomez, les conjurés. DON CARLOS.

Tous les flambeaux s’éteignent à la fois. Profond silence. Il fait un pas dans les ténèbres, si épaisses qu’on y distingue à peine les conjurés muets et immobiles.

Silence et nuit ! – l’essaim en sort et s’y replonge. Croyez-vous que ceci va passer comme un songe ? Frappez, c’est Charles-Quint ! Frappez, faites un pas ! Voyons, oserez-vous ? Non, vous n’oserez pas.
Vos torches flamboyaient sanglantes sous ces voûtes ; Mon souffle a donc suffi pour les éteindre toutes !
Mais voyez, et tournez vos yeux irrésolus,

Si j’en éteins beaucoup, j’en allume encor plus.

Il frappe de la clef de fer sur la porte de bronze du tombeau. à ce bruit toutes les profondeurs du souterrain se remplissent de soldats portant des torches et des pertuisanes ; à leur tête le duc d’Alcala, le comte de Casa-Palma, etc.

Accourez, mes faucons ! J’ai le nid, j’ai la proie ! Aux conjurés.
J’illumine à mon tour. Le sépulcre flamboie, regardez ! Aux soldats.
Venez tous, car le crime est flagrant. HERNANI, regardant les soldats.
A la bonne heure ! Seul, il me semblait trop grand.

Ce n’est que Charles-Quint ! DON CARLOS.
Connétable d’Espagne !

Amiral de Castille, ici ! désarmez-les.

On entoure les conjurés et on les désarme. Don Ricardo, accourant et s’inclinant jusqu’à terre.

Majesté !

DON CARLOS.

Je te fais alcade du palais. DON RICARDO, s’inclinant.
Deux électeurs, au nom de la chambre dorée, Viennent complimenter la majesté sacrée !
DON CARLOS.

Qu’ils entrent. Bas à Ricardo. Doña Sol !
Ricardo salue et sort. Entrent avec flambeaux et fanfares le roi de Bohême et le duc de Bavière, vêtus en drap d’or, couronne en tête. Nombreux cortège de sei- gneurs allemands portant la bannière de l’empire, l’aigle à deux têtes, avec l’écus- son d’Espagne au milieu. Les soldats s’écartent, se rangent en haie, et font pas- sage aux deux électeurs jusqu’à l’empereur, qu’ils saluent profondément, et qui leur rend leur salut en soulevant son chapeau.

Don Carlos, le duc de Bavière, le roi de Bohême, Hernani, Ruy Gomez, les conju- rés.

LE DUC DE BAVIERE.

Sire ! Roi des romains !

Majesté très sacrée ! Empereur ! Dans vos mains Le monde est maintenant, car vous avez l’empire. Il est à vous, ce trône où tout monarque aspire !
Frédéric, duc de Saxe, y fut d’abord élu ;

Mais, vous jugeant plus digne, il n’en a pas voulu. Venez donc recevoir la couronne et le globe.
Le saint empire, ô roi, vous revêt de la robe ;

Il vous arme du glaive, et vous êtes très grand ! DON CARLOS.
J’irai remercier le collège en rentrant.

Allez, messieurs ; merci, mon frère de Bohême, Mon cousin de Bavière ; allez ! J’irai moi-même. Les deux électeurs baisent la main de l’empereur Et sortent.

Vivat ! Vivat !

DON CARLOS, à part.

J’y suis ! – et tout m’a fait passage. Empereur ! – au refus de Frédéric-Le-Sage. SCENE 6
Les mêmes, Ricardo, doña Sol. DOÑA SOL, conduite par Ricardo.
Des soldats ! L’empereur !… ô ciel ! Coup imprévu ! Hernani !…
HERNANI, à part. Doña Sol !
DON RUY GOMEZ, à côté d’Hernani. Elle ne m’a point vu !
Doña Sol court à Hernani, il la fait reculer d’un regard de défiance. HERNANI.
Madame…

DOÑA SOL, tirant le poignard de son sein. J’ai toujours son poignard !

Mon amie !

DON CARLOS, aux conjurés.

Silence tous. – Votre âme est-elle raffermie ?

Il convient que je donne au monde une leçon. Lara le castillan et Gotha le saxon,
Vous tous ! Que venait-on faire ici ? Parlez ! HERNANI, fait un pas.
Sire,

La chose est toute simple ; et l’on peut vous la dire. Nous gravions la sentence au mur de Balthazar ;
Il tire un poignard et l’agite.

Nous rendions à César ce qu’on doit à César. DON CARLOS, à don Ruy Gomez.
Bien ! – vous traître, Silva ? DON RUY GOMEZ.
Lequel de nous deux, sire ?

HERNANI, se tournant vers les conjurés. Nos têtes et l’empire !… il a ce qu’il désire.

Le bleu manteau des rois pouvait gêner vos pas. Le pourpre vous va mieux, le sang n’y paraît pas ! DON CARLOS, à don Ruy Gomez.
Mon cousin de Silva, c’est une félonie A faire du blason rayer ta baronnie !
C’est haute trahison, don Ruy, songes-y bien. DON RUY GOMEZ.
Les rois Rodrigue font les comtes Julien. DON CARLOS, au duc d’Alcala.
Ne prenez que ce qui peut être duc ou comte. Le reste !…
Les grands seigneurs sortent du groupe des conjurés où est resté Hernani. Le duc d’Alcala les entoure de gardes.

DOÑA SOL, à part.

Il est sauvé !…

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