Hernani de Victor Hugo

Je l’ai juré… ! DOÑA SOL.
Juré !

Elle suit tous ses mouvements avec anxiété. Il s’arrête tout-à-coup, et passe la main sur son front.

HERNANI, à part. Qu’allais-je dire ? épargnons-la…
Haut.

Moi, rien ! De quoi t’ai-je parlé ?

Vous avez dit… HERNANI.
Non, non ; j’avais l’esprit troublé…

Je souffre un peu, vois-tu ! N’en prends pas d’épouvante. DOÑA SOL.
Te faut-il quelque chose ? Ordonne à ta servante ! Le cor recommence.
HERNANI, à part, cherchant son poignard.

Il le veut ! Il le veut ! Il a mon serment. – Rien ! Ce devrait être fait !.. – ah !…
DOÑA SOL.

Tu souffres donc bien ? HERNANI.
Une blessure ancienne, et que j’ai cru fermée, Se rouvre…
A part. Eloignons-la. Haut.

Écoute : ce coffret qu’en des jours moins heureux Je portais avec moi…
DOÑA SOL.

Je sais ce que tu veux.

Eh bien, qu’en veux-tu faire ? HERNANI.
Un flacon qu’il renferme

Contient un élixir qui pourra mettre un terme Au mal que je ressens… va !
DOÑA SOL.

J’y vais, monseigneur.

Elle sort par la porte de la chambre nuptiale. SCENE 4
HERNANI, seul.

Voilà donc ce qu’il vient faire de mon bonheur. Voici le doigt fatal qui luit sur la muraille !
Oh ! Que la destinée amèrement me raille !

Il tombe dans une profonde et convulsive rêverie, puis se détourne brusque- ment.

Si je m’étais trompé !…

Le masque en domino noir paraît au haut de la rampe. Hernani s’arrête pétrifié. SCENE 5
Hernani, le masque.

LE MASQUE, d’une voix sépulcrale.

« Quoi qu’il puisse advenir,

Quand tu voudras, vieillard, quel que soit le lieu, l’heure, S’il te passe à l’esprit qu’il est temps que je meure, Viens, sonne de ce cor, et ne prends d’autres soins !
Tout sera fait. »- Ce pacte eut les morts pour témoins : Hé bien ! Tout est-il fait ?
HERNANI, à voix basse. C’est lui !
LE MASQUE.

Dans ta demeure

Je viens, et je te dis qu’il est temps. C’est mon heure. Je te trouve en retard.
HERNANI.

Que feras-tu de moi ? Parle. LE MASQUE.
Tu peux choisir

Du fer ou du poison. Ce qu’il faut, je l’apporte. Nous partirons tous deux.
HERNANI.

Soit.

LE MASQUE.

Prions-nous ? HERNANI.
Qu’importe ! LE MASQUE.
Que prends-tu ? HERNANI.
Le poison. LE MASQUE.
Bien ! Donne-moi ta main.

Il présente une fiole à Hernani qui la reçoit en pâlissant.

Hernani approche la fiole de ses lèvres, puis recule. HERNANI.
Oh ! Par pitié ! Demain !

  • Oh ! S’il te reste un cœur, duc, ou du moins une âme ; Si tu n’es pas un spectre échappé de la flamme ;
    Un mort damné, fantôme ou démon désormais ;

Si Dieu n’a point encor mis sur ton front : « jamais ! » Si tu sais ce que c’est que ce bonheur suprême D’aimer, d’avoir vingt ans, d’épouser quand on aime ; Si jamais femme aimée a tremblé dans tes bras, Attends jusqu’à demain. – Demain tu reviendras !
LE MASQUE.

Simple qui parle ainsi ! Demain ! Demain ! – tu railles ! Ta cloche a ce matin sonné tes funérailles !
Et que ferais-je, moi, cette nuit ? J’en mourrais. Et qui viendrait te prendre et t’emporter après ?
Seul descendre au tombeau ! Jeune homme, il faut me suivre ! HERNANI.

Je n’obéirai pas. LE MASQUE.
Je m’en doutais. – Fort bien.

Sur quoi donc m’as-tu fait ce serment ? Ah, sur rien. Peu de chose après tout ! La tête de ton père.
Cela peut s’oublier, la jeunesse est légère. HERNANI.
Mon père ! – mon père !… ah ! J’en perdrai la raison !… LE MASQUE.
Non, ce n’est qu’un parjure et qu’une trahison. HERNANI.
Duc !…

LE MASQUE.

Puisque les aînés des maisons espagnoles

Se font jeu maintenant de fausser leurs paroles, Adieu !…
Il fait un pas pour sortir. HERNANI.

LE MASQUE.

Alors… HERNANI.
Vieillard cruel ! Il prend la fiole.
Revenir sur mes pas à la porte du ciel !…

Rentre doña Sol, sans voir le masque qui est debout près de la rampe au fond du théâtre.

SCENE 6

Les mêmes, doña Sol. DOÑA SOL.
Je n’ai pu le trouver, ce coffret ! HERNANI, à part.
Dieu ! C’est elle ! Dans quel moment ! DOÑA SOL.
Qu’a-t-il ? Je l’effraie, il chancelle

A ma voix ! – Que tiens-tu dans ta main ? Quel soupçon !

Le domino se démasque. Elle pousse un cri, et reconnaît don Ruy.

  • C’est du poison ! HERNANI.
    Grand dieu !

DOÑA SOL, à Hernani.

Que t’ai-je fait ? Quel horrible mystère !… Vous me trompiez, don Juan !…
HERNANI.

Ah ! J’ai dû te le taire.

J’ai promis de mourir au duc qui me sauva. Aragon doit payer cette dette à Silva.
DOÑA SOL.

Vous n’êtes pas à lui, mais à moi. Que m’importe Tous vos autres serments.
A don Ruy Gomez.

Duc, l’amour me rend forte.

Contre vous, contre tous, duc, je le défendrai. DON RUY GOMEZ, immobile.

DOÑA SOL.

Quel serment ? HERNANI.
J’ai juré. DOÑA SOL.
Non, non ; rien ne te lie ;

Cela ne se peut pas ! Crime, attentat, folie ! DON RUY GOMEZ.
Allons, duc !

Hernani fait un geste pour obéir. Doña Sol cherche à l’arrêter. HERNANI.
Laissez-moi, doña Sol, il le faut.

Le duc a ma parole, et mon père est là haut ! DOÑA SOL, à don Ruy.
Il vaudrait mieux pour vous aller aux tigres même Arracher leurs petits, qu’à moi celui que j’aime.
Savez-vous ce que c’est que doña Sol ? Long-temps, Par pitié pour votre âge et pour vos soixante ans,

Mais voyez-vous cet oeil de pleurs de rage humide ? Elle tire un poignard sur son sein.
Voyez-vous ce poignard ? Ah ! Vieillard insensé, Craignez-vous pas le fer, quand l’oeil a menacé ? Prenez garde, don Ruy ! – Je suis de la famille, Mon oncle ! Ecoutez-moi, fussé-je votre fille, Malheur si vous portez la main sur mon époux !…
Elle jette le poignard et tombe à genoux devant le duc. Ah ! Je tombe à vos pieds ! Ayez pitié de nous !
Grâce ! Hélas ! Monseigneur, je ne suis qu’une femme, Je suis faible, ma force avorte dans mon âme,
Je me brise aisément… je tombe à vos genoux ! Ah ! Je vous en supplie, ayez pitié de nous !
DON RUY GOMEZ.

Doña Sol ! DOÑA SOL.
Pardonnez !… nous autres espagnoles, Notre douleur s’emporte à de vives paroles,

Pitié ! Vous me tuez, mon oncle, en le touchant ! Pitié ! Je l’aime tant !…
DON RUY GOMEZ, sombre. Vous l’aimez trop !
HERNANI.

Tu pleures ! DOÑA SOL.
Non, non, je ne veux pas, mon amour, que tu meures ! Non, je ne le veux pas. à don Ruy. faites grâce aujourd’hui ; Je vous aimerai bien aussi, vous.
DON RUY GOMEZ.

Après lui ! Allons.
Hernani approche la fiole de ses lèvres. Doña Sol se jette sur son bras. DOÑA SOL.
Oh ! Pas encor ! Daignez tous deux m’entendre. DON RUY GOMEZ.
Le sépulcre est ouvert, et je ne puis attendre.

Un instant, monseigneur !… mon don Juan ! Ah ! Tous deux Vous êtes bien cruels ! – Qu’est-ce que je veux d’eux ?
Un instant ! Voilà tout… tout ce que je réclame !… Enfin on laisse dire à cette pauvre femme
Ce qu’elle a dans le cœur !… – oh ! Laissez-moi parler… DON RUY GOMEZ, à Hernani.
J’ai hâte. DOÑA SOL.
Messeigneurs ! Vous me faites trembler ! Que vous ai-je donc fait ?
HERNANI.

Ah ! Son cri me déchire.

DOÑA SOL, lui retenant toujours le bras. Vous voyez bien que j’ai mille choses à dire. DON RUY GOMEZ, à Hernani.
Il faut mourir.

Don Juan, lorsque j’aurai parlé, Tout ce que tu voudras, tu le feras.

Je l’ai.

Elle élève la fiole aux yeux d’Hernani et du vieillard étonné. DON RUY GOMEZ.
Puisque je n’ai céans affaire qu’à deux femmes,

Don Juan, il faut qu’ailleurs j’aille chercher des âmes. Tu fais de beaux serments par le sang dont tu sors,
Et je vais à ton père en parler chez les morts !…

  • Adieu !…

Il fait quelques pas pour sortir. Hernani le retient. HERNANI.
Duc, arrêtez. A doña Sol.
Hélas ! Je t’en conjure,

Veux-tu me voir faussaire, et félon, et parjure ? Veux-tu que partout j’aille avec la trahison écrite sur le front ? Par pitié, ce poison,
Rends-le-moi ! Par l’amour, par notre âme Immortelle…

Tu veux ? elle boit. tiens maintenant. DON RUY GOMEZ.
Ah ! C’était donc pour elle !

DOÑA SOL, rendant à Hernani la fiole à demi vidée. Prends, te dis-je.
HERNANI, à don Ruy.

Vois-tu, misérable vieillard ? DOÑA SOL.
Ne te plains pas de moi, je t’ai gardé ta part. HERNANI, prenant la fiole.
Dieu ! DOÑA SOL.
Tu ne m’aurais pas ainsi laissé la mienne,

Toi !… tu n’as pas le cœur d’une épouse chrétienne, Tu ne sais pas aimer comme aime une Silva.
Mais j’ai bu la première et suis tranquille. -va ! Bois si tu veux !
HERNANI.

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