Hernani de Victor Hugo

DON GARCIE, au domino noir. Beau masque !…
Le masque se retourne. Il recule.

  • Sur mon âme,

Messeigneurs, dans ses yeux j’ai vu luire une flamme. DON MATIAS.
Si c’est le diable, il trouve à qui parler, pardieu !

Le masque s’arrête, le regarde fixement ; il revient tout interdit. Je vous jure qu’il a deux prunelles de feu !
Le masque reprend sa marche et disparaît par L’escalier ; tous le suivent des yeux avec effroi. DON FRANCISCO.
La vision est sombre autant qu’on le peut dire. DON GARCIE.
Baste ! Ce qui fait peur ailleurs, au bal fait rire. DON SANCHEZ.

DON GARCIE.

Ou si c’est Lucifer

Qui vient nous voir danser, en attendant l’enfer, Dansons !
DON SANCHEZ.

C’est à coup sûr quelque bouffonnerie. DON MATIAS.
Nous le saurons demain.

DON SANCHEZ, à don Matias. Regardez, je vous prie,
Que devient-il ?

DON MATIAS, à la balustrade de la terrasse. Il a descendu l’escalier.
Plus rien.

DON SANCHEZ, rêvant.

C’est un plaisant drôle !… c’est singulier. Marquise, dansons-nous celle-ci ? il lui présente La main.

Mon cher comte,

Vous savez, avec vous, que mon mari les compte. DON GARCIE.
Raison de plus ! Cela l’amuse apparemment. C’est son plaisir ; il compte, et nous dansons. La dame lui donne la main, et ils sortent.
DON SANCHEZ, pensif. Vraiment
C’est singulier ! DON MATIAS.
Voici les mariés… silence !

Entrent Hernani et doña Sol se donnant la main. Une foule de masques, de dames et de seigneurs. Deux hallebardiers en magnifiques livrées les suivent ; quatre pages les précèdent. On se range et l’on s’incline sur leur passage. Fanfare.

SCENE 2

Hernani, doña Sol, Sanchez, Matias, Ricardo, Francisco. HERNANI, saluant.
Chers amis !

DON RICARDO, allant à lui et s’inclinant.

DON FRANCISCO, contemplant doña Sol.

Saint Jacques, monseigneur ! C’est Vénus qu’il conduit. DON SANCHEZ, à Hernani.
Soyez Heureux, seigneur. Aux seigneurs.
Partons, il est minuit.

Pendant tout le commencement de la scène qui suit, les fanfares et les lumières éloignées s’éteignent par degrés ; la nuit et le silence reviennent peu à peu.

SCENE 3

Hernani, doña Sol. DOÑA SOL.
Ils s’en vont enfin ! C’est qu’il est tard, ce me semble. HERNANI.
Ange ! Il est toujours tard pour être seuls ensemble. DOÑA SOL.
Ce bruit me fatiguait. Est-ce pas, cher seigneur, Que toute cette joie étourdit le bonheur ?
HERNANI.

Il veut des cœurs de bronze et lentement s’y grave. Le plaisir l’effarouche en lui jetant des fleurs ;
Son sourire est moins près du rire que des pleurs ! DOÑA SOL.
Dans vos yeux, ce sourire est le jour. Il cherche à l’entraîner.
Tout à l’heure ! HERNANI.
Oh ! Je suis ton esclave ! Oui, demeure, demeure. Fais ce que tu voudras, je ne demande rien.
Tu sais ce que tu fais ! Ce que tu fais est bien. Je rirai, si tu veux, pour te plaire… -mon âme
Brûle ? Eh ! Dis au volcan qu’il étouffe sa flamme, Le volcan fermera ses gouffres entr’ouverts,
Et n’aura sur ses flancs que fleurs et gazons verts. DOÑA SOL.
Oh ! Que vous êtes bon pour une pauvre femme, Hernani de mon cœur !…

Quel est ce nom, madame ?

Oh ! Ne me nomme plus de ce nom, par pitié ! Tu me fais souvenir que j’ai tout oublié !
Je sais qu’il existait autrefois, dans un rêve, Un Hernani dont l’oeil avait l’éclair du glaive,
Un homme de la nuit et des monts, un proscrit, Sur qui le mot vengeance était partout écrit, Un malheureux traînant après lui l’anathème !
Mais je ne connais pas ce Hernani. – Moi, j’aime Les jeux et les festins, je suis noble espagnol,
Je suis Jean D’Aragon, mari de doña Sol ! Je suis heureux !
DOÑA SOL.

Je suis heureuse ! HERNANI.
Que m’importe

Les haillons qu’en entrant j’ai laissés à la porte ? Voici que je reviens à mon palais en deuil.

J’entre, et remets debout les colonnes brisées, Je rallume les feux, je rouvre les croisées,
Je fais arracher l’herbe au pavé de la cour ;

Je ne suis plus que joie, enchantement, amour !

Qu’on me rende mes tours, mes vassaux, mes bastilles, Mon panache, mon siège au conseil des Castilles, Vienne ma doña Sol, rouge et le front baissé,
Qu’on nous laisse tous deux, et le reste est passé ! Je n’ai rien vu, rien dit, rien fait. Je recommence, J’efface tout, j’oublie ! – ou sagesse ou démence, Je vous ai, je vous aime et vous êtes mon bien !
DOÑA SOL, examinant sa toison d’or.

Que sur ce velours noir ce collier d’or fait bien ! HERNANI.
Vous vîtes avant moi le roi mis de la sorte. DOÑA SOL.
Je n’ai pas remarqué. Tout autre, que m’importe ? Puis, est-ce le velours ou le satin encor ?

Il veut l’entraîner.

Vous êtes noble et fier, monseigneur… – tout à l’heure ! Un moment ! Vois-tu bien, c’est la joie ! Et je pleure !
A la balustrade.

Viens voir la belle nuit, – mon duc, rien qu’un moment ! Le temps de respirer et de voir seulement !
Tout s’est éteint, flambeaux, et musique de fête. Rien que la nuit et nous. Félicité parfaite !
Dis, ne le crois-tu pas ? Sur nous, tout en dormant, La nature à demi veille amoureusement.
Pas un nuage au ciel ! Tout, comme nous, repose. Viens, respire avec moi l’air embaumé de rose !
Regarde : plus de feux, plus de bruit. Tout se tait. La lune tout à l’heure à l’horizon montait
Tandis que tu parlais ; – sa lumière qui tremble

Et ta voix, toutes deux m’allaient au cœur ensemble, Je me sentais joyeuse et calme, ô mon amant !
Et j’aurais bien voulu mourir en ce moment.

Ah ! Qui n’oublierait tout à cette voix céleste !

Ta parole est un chant où rien d’humain ne reste. DOÑA SOL.
Ce silence est trop noir, ce calme est trop profond. Dis, ne voudrais-tu point voir une étoile au fond ? Ou qu’une voix des nuits, tendre et délicieuse, S’élevant tout-à-coup, chantât ?…
HERNANI, souriant. Capricieuse !
Tout à l’heure on fuyait la lumière et les chants ! DOÑA SOL.
Le bal ! Mais un oiseau qui chanterait aux champs ! Un rossignol perdu dans l’ombre et dans la mousse, Ou quelque flûte au loin… ! Car la musique est douce, Fait l’âme harmonieuse, et comme un divin chœur, Eveille mille voix qui chantent dans le cœur !
Oh ! Ce serait charmant !

Bruit lointain d’un cor dans l’ombre.

HERNANI, tressaillant, à part. Ah ! Malheureuse !
DOÑA SOL.

Un ange a compris ma pensée…

  • Ton bon ange, sans doute ? HERNANI, amèrement.
    Oui, mon bon ange ! à part. encor !… DOÑA SOL, souriant.
    Don Juan ! Je reconnais le son de votre cor ! HERNANI.
    N’est-ce pas ? DOÑA SOL.
    Seriez-vous dans cette sérénade De moitié ?
    HERNANI.

De moitié, tu l’as dit. DOÑA SOL.
Bal maussade !

Et puis, c’est votre cor ; c’est comme votre voix. Le cor recommence.
HERNANI, à part.

Ah ! Le tigre est en bas qui hurle et veut sa proie ! DOÑA SOL.
Don Juan, cette harmonie emplit le cœur de joie !… HERNANI, se levant terrible.
Nommez-moi Hernani ! Nommez-moi Hernani ! Avec ce nom fatal je n’en ai pas fini !
DOÑA SOL, tremblante. Qu’avez-vous ? Hernani. Le vieillard !
DOÑA SOL.

Dieu ! Quels regards funèbres ! Qu’avez-vous ?
HERNANI.

Le vieillard qui rit dans les ténèbres !…

  • Ne le voyez-vous pas ?

Où vous égarez-vous ? Qu’est-ce que ce vieillard ? HERNANI.
Le vieillard !

DOÑA SOL, à genoux.

Je t’en supplie, oh ! Dis ! Quel secret te déchire ? Qu’as-tu ?
HERNANI.

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