La Bête Humaine

Chapitre 10

 

Tante Phasie était morte, le jeudi soir, à neuf heures, dans unedernière convulsion ; et, vainement, Misard, qui attendaitprès de son lit, avait essayé de lui fermer les paupières :les yeux obstinés restaient ouverts, la tête s’était raidie,penchée un peu sur l’épaule, comme pour regarder dans la chambre,tandis qu’un retrait des lèvres semblait les retrousser d’un riregoguenard. Une seule chandelle brûlait, plantée au coin d’unetable, près d’elle. Et les trains qui, depuis neuf heures,passaient là, à toute vitesse, dans l’ignorance de cette mortetiède encore, l’ébranlaient une seconde, sous la flamme vacillantede la chandelle.

Tout de suite, Misard, pour se débarrasser de Flore, l’envoyadéclarer le décès à Doinville. Elle ne pouvait pas être de retouravant onze heures, il avait deux heures devant lui. Tranquillement,il se coupa d’abord un morceau de pain, car il se sentait le ventrevide, n’ayant pas dîné, à cause de cette agonie qui n’en finissaitplus. Et il mangeait debout, allant et venant, rangeant les choses.Des quintes de toux l’arrêtaient, plié en deux, à moitié mortlui-même, si maigre, si chétif, avec ses yeux ternes et ses cheveuxdécolorés, qu’il ne paraissait pas devoir jouir longtemps de savictoire. N’importe, il l’avait mangée, cette gaillarde, cettegrande et belle femme, comme l’insecte mange le chêne ; elleétait sur le dos, finie, réduite à rien, et lui durait encore. Maisune idée le fit s’agenouiller, afin de prendre sous le lit uneterrine, où se trouvait un reste d’eau de son, préparée pour unlavement : depuis qu’elle se doutait du coup, ce n’était plusdans le sel, c’était dans ses lavements qu’il mettait de lamort-aux-rats ; et, trop bête, ne se méfiant pas de cecôté-là, elle l’avait avalée tout de même, pour de bon cettefois-ci. Dès qu’il eut vidé la terrine dehors, il rentra, lava avecune éponge le carreau de la chambre, souillé de taches. Aussipourquoi s’était-elle obstinée ? Elle avait voulu faire lamaligne, tant pis ! Lorsque, dans un ménage, on joue à quienterrera l’autre, sans mettre le monde dans la dispute, on ouvrel’œil. Il en était fier, il en ricanait comme d’une bonne histoire,de la drogue avalée si innocemment par en bas, quand ellesurveillait avec tant de soin tout ce qui entrait par en haut. À cemoment, un express qui passa, enveloppa la maison basse d’un telsouffle de tempête, que, malgré l’habitude, il se tourna vers lafenêtre, en tressaillant. Ah ! oui, ce continuel flot, cemonde venu de partout, qui ne savait rien de ce qu’il écrasait enroute, qui s’en moquait, tant il était pressé d’aller audiable ! Et, derrière le train, dans le lourd silence, ilrencontra les yeux grands ouverts de la morte, dont les prunellesfixes semblaient suivre chacun de ses mouvements, pendant que lecoin retroussé des lèvres riait.

Misard, si flegmatique, fut pris d’un petit mouvement de colère.Il entendait bien, elle lui disait : « Cherche !cherche ! » Mais sûrement qu’elle ne les emportait pasavec elle, ses mille francs ; et, maintenant qu’elle n’y étaitplus, il finirait par les trouver. Est-ce qu’elle n’aurait pas dûles donner de bon cœur ? ça aurait évité tous ces ennuis. Lesyeux partout le suivaient. « Cherche !cherche ! » Cette chambre, où il n’avait point oséfouiller, tant qu’elle y avait vécu, il la parcourait du regard.Dans l’armoire, d’abord : il prit les clefs sous le traversin,bouleversa les planches chargées de linge, vida les deux tiroirs,les enleva même, pour voir s’il n’y avait pas de cachette. Non,rien ! Ensuite, il songea à la table de nuit. Il en décolla lemarbre, le retourna, inutilement. Derrière la glace de la cheminée,une mince glace de foire, fixée par deux clous, il pratiqua aussiun sondage, glissa une règle plate, ne retira qu’un floconnementnoir de poussière. « Cherche ! cherche ! »Alors, pour échapper aux yeux grands ouverts qu’il sentait sur lui,il se mit à quatre pattes, tapant le carreau à légers coups depoing, écoutant si quelque résonance ne lui révélerait pas un vide.Plusieurs carreaux étaient descellés, il les arracha. Rien,toujours rien ! Lorsqu’il fut debout de nouveau, les yeux lereprirent, il se tourna, voulut planter son regard dans le regardfixe de la morte ; tandis que, du coin de ses lèvresretroussées, elle accentuait son terrible rire. Il n’en doutaitplus, elle se moquait de lui. « Cherche !cherche ! » La fièvre le gagnait, il s’approcha d’elle,envahi d’un soupçon, d’une idée sacrilège, qui pâlissait encore saface blême. Pourquoi avait-il cru que, sûrement, elle ne lesemportait pas, ses mille francs ? peut-être bien tout de mêmequ’elle les emportait. Et il osa la découvrir, la dévêtir, il lavisita, chercha à tous les plis de ses membres, puisqu’elle luidisait de chercher. Sous elle, derrière sa nuque, derrière sesreins, il chercha. Le lit fut bouleversé, il enfonça son brasjusqu’à l’épaule dans la paillasse. Il ne trouva rien.« Cherche ! cherche ! » Et la tête, retombéesur l’oreiller en désordre, le regardait toujours de ses prunellesgoguenardes.

Comme Misard, furieux et tremblant, tâchait d’arranger le lit,Flore rentra, de retour de Doinville.

« Ce sera pour après-demain samedi, onze heures »,dit-elle.

Elle parlait de l’enterrement. Mais, d’un coup d’œil, elle avaitcompris à quelle besogne Misard s’était essoufflé, pendant sonabsence. Elle eut un geste d’indifférence dédaigneuse.

« Laissez donc, vous ne les trouverez pas. »

Il s’imagina qu’elle aussi le bravait. Et, s’avançant, les dentsserrées :

« Elle te les a donnés, tu sais où ils sont. »

L’idée que sa mère avait pu donner ses mille francs à quelqu’un,même à elle, sa fille, lui fit hausser les épaules.

« Ah ! ouitche ! donnés… Donnés à la terre,oui !… Tenez, ils sont par là, vous pouvezchercher. »

Et, d’un geste large, elle indiqua la maison entière, le jardinavec son puits, la ligne ferrée, toute la vaste campagne. Oui, parlà, au fond d’un trou, quelque part où jamais plus personne ne lesdécouvrirait. Puis, pendant que, hors de lui, anxieux, il seremettait à bousculer les meubles, à taper dans les murs, sans segêner devant elle, la jeune fille, debout près de la fenêtre,continua à demi-voix :

« Oh ! il fait doux dehors, la belle nuit !… J’aimarché vite, les étoiles éclairent comme en plein jour… Demain,quel beau temps, au lever du soleil ! »

Un instant, Flore resta devant la fenêtre, les yeux dans cettecampagne sereine, attendrie par les premières tiédeurs d’avril, etdont elle revenait songeuse, souffrant davantage de la plaie avivéede son tourment. Mais, lorsqu’elle entendit Misard quitter lachambre et s’acharner dans les pièces voisines, elle s’approcha dulit à son tour, elle s’assit, les regards sur sa mère. Au coin dela table, la chandelle brûlait toujours, d’une flamme haute etimmobile. Un train passa, qui secoua la maison.

La résolution de Flore était de rester la nuit là, et elleréfléchissait. D’abord, la vue de la morte la tira de son idéefixe, de la chose qui la hantait, qu’elle avait débattue sous lesétoiles, dans la paix des ténèbres, tout le long de la route deDoinville. Une surprise, maintenant, endormait sa souffrance :pourquoi n’avait-elle pas eu plus de chagrin, à la mort de samère ? et pourquoi, à cette heure encore, ne pleurait-ellepas ? Elle l’aimait pourtant bien, malgré sa sauvagerie degrande fille muette, s’échappant sans cesse, battant les champs,dès qu’elle n’était pas de service. Vingt fois, pendant la dernièrecrise qui devait la tuer, elle était venue s’asseoir là, pour lasupplier de faire appeler un médecin ; car elle se doutait ducoup de Misard, elle espérait que la peur l’arrêterait. Mais ellen’avait jamais obtenu de la malade qu’un « non » furieux,comme si cette dernière eût mis l’orgueil de la lutte à n’accepterde secours de personne, certaine quand même de la victoire,puisqu’elle emporterait l’argent ; et, alors, ellen’intervenait point, reprise elle-même de son mal, disparaissant,galopant pour oublier. C’était cela, certainement, qui lui barraitle cœur : lorsqu’on a un trop gros chagrin, il n’y a plus deplace pour un autre ; sa mère était partie, elle la voyait là,détruite, si pâle, sans pouvoir être plus triste, en dépit de soneffort. Appeler les gendarmes, dénoncer Misard, à quoi bon, puisquetout allait crouler ? Et, peu à peu, invinciblement, bien queson regard restât fixé sur la morte, elle cessa de l’apercevoir,elle retourna à sa vision intérieure, reconquise tout entière parl’idée qui lui avait planté son clou dans le crâne, n’ayant plusque la sensation de la secousse profonde des trains, dont lepassage, pour elle, sonnait les heures.

Depuis un instant, au loin, grondait l’approche d’un omnibus deParis. Lorsque la machine enfin passa devant la fenêtre, avec sonfanal, ce fut, dans la chambre, un éclair, un coup d’incendie.

« Une heure dix-huit, pensa-t-elle. Encore sept heures. Cematin, à huit heures seize, ils passeront. »

Chaque semaine, depuis des mois, cette attente l’obsédait. Ellesavait que, le vendredi matin, l’express, conduit par Jacques,emmenait aussi Séverine à Paris ; et elle ne vivait plus, dansune torture jalouse, que pour les guetter, les voir, se dire qu’ilsallaient se posséder librement, là-bas. Oh ! ce train quifuyait, cette abominable sensation de ne pouvoir s’accrocher audernier wagon, afin d’être emportée elle aussi ! Il luisemblait que toutes ces roues lui coupaient le cœur. Elle avaittant souffert, qu’un soir elle s’était cachée, voulant écrire à lajustice ; car ce serait fini, si elle pouvait faire arrêtercette femme ; et elle qui avait surpris autrefois ses saletésavec le président Grandmorin, se doutait qu’en apprenant ça auxjuges, elle la livrait. Mais, la plume à la main, jamais elle neput tourner la chose. Et puis, est-ce que la justicel’écouterait ? Tout ce beau monde devait s’entendre. Peut-êtrebien que ce serait elle qu’on mettrait en prison, comme on y avaitmis Cabuche. Non ! elle voulait se venger, elle se vengeraitseule, sans avoir besoin de personne. Ce n’était même pas unepensée de vengeance, ainsi qu’elle en entendait parler, la penséede faire du mal pour se guérir du sien ; c’était un besoind’en finir, de culbuter tout, comme si le tonnerre les eût balayés.Elle était très fière, plus forte et plus belle que l’autre,convaincue de son bon droit à être aimée ; et, quand elle s’enallait solitaire, par les sentiers de ce pays de loups, avec sonlourd casque de cheveux blonds, toujours nus, elle aurait voulu latenir, l’autre, pour vider leur querelle au coin d’un bois, commedeux guerrières ennemies. Jamais encore un homme ne l’avaittouchée, elle battait les mâles ; et c’était sa forceinvincible, elle serait victorieuse.

La semaine d’auparavant, l’idée brusque s’était plantée,enfoncée en elle, comme sous un coup de marteau venu elle ne savaitd’où : les tuer, pour qu’ils ne passent plus, qu’ils n’aillentplus là-bas ensemble. Elle ne raisonnait pas, elle obéissait àl’instinct sauvage de détruire. Quand une épine restait dans sachair, elle l’en arrachait, elle aurait coupé le doigt. Les tuer,les tuer la première fois qu’ils passeraient ; et, pour cela,culbuter le train, traîner une poutre sur la voie, arracher unrail, enfin, tout casser, tout engloutir. Lui, certainement, sur samachine, y resterait, les membres aplatis ; la femme, toujoursdans la première voiture, pour être plus près, n’en pouvaitréchapper ; quant aux autres, à ce flot continuel de monde,elle n’y songeait seulement pas. Ce n’était personne, est-cequ’elle les connaissait ? Et cet écrasement d’un train, cesacrifice de tant de vies, devenait l’obsession de chacune de sesheures, l’unique catastrophe, assez large, assez profonde de sanget de douleur humaine, pour qu’elle y pût baigner son cœur énorme,gonflé de larmes.

Pourtant, le vendredi matin, elle avait faibli, n’ayant pasencore décidé à quel endroit, ni de quelle façon elle enlèverait unrail. Mais, le soir, n’étant plus de service, elle eut une idée,elle s’en alla, par le tunnel, rôder jusqu’à la bifurcation deDieppe. C’était une de ses promenades, ce souterrain long d’unegrande demi-lieue, cette avenue voûtée, toute droite, où elle avaitl’émotion des trains roulant sur elle, avec leur fanalaveuglant : chaque fois, elle manquait de s’y faire broyer, etce devait être ce péril qui l’y attirait, dans un besoin debravade. Mais, ce soir-là, après avoir échappé à la surveillance dugardien et s’être avancée jusqu’au milieu du tunnel, en tenant lagauche, de façon à être certaine que tout train arrivant de facepasserait à sa droite, elle avait eu l’imprudence de se retourner,justement pour suivre les lanternes d’un train allant auHavre ; et, quand elle s’était remise en marche, un faux pasl’ayant de nouveau fait virer sur elle-même, elle n’avait plus sude quel côté les feux rouges venaient de disparaître. Malgré soncourage, étourdie encore par le vacarme des roues, elle s’étaitarrêtée, les mains froides, ses cheveux nus soulevés d’un souffled’épouvante. Maintenant, lorsqu’un autre train passerait, elles’imaginait qu’elle ne saurait plus s’il était montant oudescendant, elle se jetterait à droite ou à gauche, et seraitcoupée au petit bonheur. D’un effort, elle tâchait de retenir saraison, de se souvenir, de discuter. Puis, tout d’un coup, laterreur l’avait emportée, au hasard, droit devant elle, dans ungalop furieux. Non, non ! elle ne voulait pas être tuée, avantd’avoir tué les deux autres ! Ses pieds s’embarrassaient dansles rails, elle glissait, tombait, courait plus fort. C’était lafolie du tunnel, les murs qui semblaient se resserrer pourl’étreindre, la voûte qui répercutait des bruits imaginaires, desvoix de menace, des grondements formidables. À chaque instant, elletournait la tête, croyant sentir sur son cou l’haleine brûlanted’une machine. Deux fois, une subite certitude qu’elle se trompait,qu’elle serait tuée du côté où elle fuyait, lui avait fait, d’unbond, changer la direction de sa course. Et elle galopait, ellegalopait, lorsque, devant elle, au loin, avait paru une étoile, unœil rond et flambant, qui grandissait. Mais elle s’était bandéecontre l’irrésistible envie de retourner encore sur ses pas. L’œildevenait un brasier, une gueule de four dévorante. Aveuglée, elleavait sauté à gauche, sans savoir ; et le train passait, commeun tonnerre, en ne la souffletant que de son vent de tempête. Cinqminutes après, elle sortait du côté de Malaunay, saine etsauve.

Il était neuf heures, encore quelques minutes, et l’express deParis serait là. Tout de suite, elle avait continué, d’un pas depromenade, jusqu’à la bifurcation de Dieppe, à deux cents mètres,examinant la voie, cherchant si quelque circonstance ne pouvait laservir. Justement, sur la voie de Dieppe, en réparation,stationnait un train de ballast, que son ami Ozil venait d’yaiguiller ; et, dans une illumination subite, elle trouva,arrêta un plan : empêcher simplement l’aiguilleur de remettrel’aiguille sur la voie du Havre, de sorte que l’express irait sebriser contre le train de ballast. Cet Ozil, depuis le jour où ils’était rué sur elle, ivre de désir, et où elle lui avait à demifendu le crâne d’un coup de bâton, elle lui gardait de l’amitié,aimait à lui rendre ainsi des visites imprévues, à travers letunnel, en chèvre échappée de sa montagne. Ancien militaire, trèsmaigre et peu bavard, tout à la consigne, il n’avait pas encore unenégligence à se reprocher, l’œil ouvert de jour et de nuit.Seulement, cette sauvage, qui l’avait battu, forte comme un garçon,lui retournait la chair, rien que d’un appel de son petit doigt.Bien qu’il eût quatorze ans de plus qu’elle, il la voulait, ets’était juré de l’avoir, en patientant, en étant aimable, puisquela violence n’avait pas réussi. Aussi, cette nuit-là, dans l’ombre,lorsqu’elle s’était approchée de son poste, l’appelant au-dehors,l’avait-il rejointe, oubliant tout. Elle l’étourdissait, l’emmenaitvers la campagne, lui contait des histoires compliquées, que samère était malade, qu’elle ne resterait pas à la Croix-de-Maufras,si elle la perdait. Son oreille, au loin, guettait le grondement del’express, quittant Malaunay, s’approchant à toute vapeur. Et,quand elle l’avait senti là, elle s’était retournée, pour voir.Mais elle n’avait pas songé aux nouveaux appareilsd’enclenchement : la machine, en s’engageant sur la voie deDieppe, venait, d’elle-même, de mettre le signal à l’arrêt ;et le mécanicien avait eu le temps d’arrêter, à quelques pas dutrain de ballast. Ozil, avec le cri d’un homme qui s’éveille sousl’effondrement d’une maison, regagnait son poste en courant ;tandis qu’elle, raidie, immobile, suivait, du fond des ténèbres, lamanœuvre nécessitée par l’accident. Deux jours après, l’aiguilleur,déplacé, était venu lui faire ses adieux, ne soupçonnant rien, lasuppliant de le rejoindre, dès qu’elle n’aurait plus sa mère.Allons ! le coup était manqué, il fallait trouver autrechose.

À ce moment, sous ce souvenir évoqué, la brume de rêverie quiobscurcissait le regard de Flore, s’en alla ; et, de nouveau,elle aperçut la morte, éclairée par la flamme jaune de lachandelle. Sa mère n’était plus, devait-elle donc partir, épouserOzil qui la voulait, qui la rendrait heureuse peut-être ? Toutson être se souleva. Non, non ! si elle était assez lâche pourlaisser vivre les deux autres, et pour vivre elle-même, elle auraitpréféré battre les routes, se louer comme servante, plutôt qued’être à un homme qu’elle n’aimait pas. Et un bruit inaccoutumé luiayant fait prêter l’oreille, elle comprit que Misard, avec unepioche, était en train de fouiller le sol battu de lacuisine : il s’enrageait à la recherche du magot, il auraitéventré la maison. Pourtant, elle ne voulait pas rester aveccelui-là non plus. Qu’allait-elle faire ? Une rafale souffla,les murs tremblèrent, et sur le visage blanc de la morte, passa unreflet de fournaise, ensanglantant les yeux ouverts et le rictusironique des lèvres. C’était le dernier omnibus de Paris, avec salourde et lente machine.

Flore avait tourné la tête, regardé les étoiles qui luisaient,dans la sérénité de la nuit printanière.

« Trois heures dix. Encore cinq heures, et ilspasseront. »

Elle recommencerait, elle souffrait trop. Les voir, les voirainsi chaque semaine aller à l’amour, cela était au-dessus de sesforces. Maintenant qu’elle était certaine de ne jamais posséderJacques à elle seule, elle préférait qu’il ne fût plus, qu’il n’yeût plus rien. Et cette lugubre chambre où elle veillaitl’enveloppait de deuil, sous un besoin grandissant del’anéantissement de tout. Puisqu’il ne restait personne quil’aimât, les autres pouvaient bien partir avec sa mère. Des morts,il y en aurait encore, et encore, et on les emporterait tous d’uncoup. Sa sœur était morte, sa mère était morte, son amour étaitmort : quoi faire ? être seule, rester ou partir, seuletoujours, lorsqu’ils seraient deux, les autres. Non, non ! quetout croulât plutôt, que la mort, qui était là, dans cette chambrefumeuse, soufflât sur la voie et balayât le monde !

Alors, décidée après ce long débat, elle discuta le meilleurmoyen de mettre son projet à exécution. Et elle en revint à l’idéed’enlever un rail. C’était le moyen le plus sûr, le plus pratique,d’une exécution facile : rien qu’à chasser les coussinets avecun marteau, puis à faire sauter le rail des traverses. Elle avaitles outils, personne ne la verrait, dans ce pays désert. Le bonendroit à choisir était certainement, après la tranchée, en allantvers Barentin, la courbe qui traversait un vallon, sur un remblaide sept ou huit mètres : là, le déraillement devenait certain,la culbute serait effroyable. Mais le calcul des heures quil’occupa ensuite, la laissa anxieuse. Sur la voie montante, avantl’express du Havre, qui passait à huit heures seize, il n’y avaitqu’un train omnibus à sept heures cinquante-cinq. Cela lui donnaitdonc vingt minutes pour faire le travail, ce qui suffisait.Seulement, entre les trains réglementaires, on lançait souvent destrains de marchandises imprévus, surtout aux époques des grandsarrivages. Et quel risque inutile alors ! Comment savoir àl’avance si ce serait bien l’express qui viendrait se briserlà ? Longtemps, elle roula les probabilités dans sa tête. Ilfaisait nuit encore, une chandelle brûlait toujours, noyée de suif,avec une haute mèche charbonnée, qu’elle ne mouchait plus.

Comme justement un train de marchandises arrivait, venant deRouen, Misard rentra. Il avait les mains pleines de terre, ayantfouillé le bûcher ; et il était haletant, éperdu de sesrecherches vaines, si enfiévré d’impuissante rage, qu’il se remit àchercher sous les meubles, dans la cheminée, partout. Le traininterminable n’en finissait pas, avec le fracas régulier de sesgrosses roues, dont chaque secousse agitait la morte dans son lit.Et, lui, en allongeant le bras pour décrocher un petit tableaupendu au mur, rencontra encore les yeux ouverts qui le suivaient,tandis que les lèvres remuaient, avec leur rire.

Il devint blême, il grelotta, bégayant dans une colèreépouvantée :

« Oui, oui, cherche ! cherche !… Va, je lestrouverai, nom de Dieu ! quand je devrais retourner chaquepierre de la maison et chaque motte de terre dupays ! »

Le train noir était passé, d’une lenteur écrasante dans lesténèbres, et la morte, redevenue immobile, regardait toujours sonmari, si railleuse, si certaine de vaincre, qu’il disparut denouveau, en laissant la porte ouverte.

Flore, distraite dans ses réflexions, s’était levée. Ellereferma la porte, pour que cet homme ne revînt pas déranger samère. Et elle s’étonna de s’entendre dire tout haut :

« Dix minutes auparavant, ce sera bien. »

En effet, elle aurait le temps en dix minutes. Si, dix minutesavant l’express, aucun train n’était signalé, elle pouvait semettre à la besogne. Dès lors, la chose étant réglée, certaine, sonanxiété tomba, elle fut très calme.

Vers cinq heures, le jour se leva, une aube fraîche, d’unelimpidité pure. Malgré le petit froid vif, elle ouvrit la fenêtretoute grande, et la délicieuse matinée entra dans la chambrelugubre, pleine d’une fumée et d’une odeur de mort. Le soleil étaitencore sous l’horizon, derrière une colline couronnéed’arbres ; mais il parut, vermeil, ruisselant sur les pentes,inondant les chemins creux, dans la gaieté vivante de la terre, àchaque printemps nouveau. Elle ne s’était pas trompée, laveille : il ferait beau, ce matin-là, un de ces temps dejeunesse et de radieuse santé, où l’on aime vivre. Dans ce paysdésert, parmi les continuels coteaux, coupés de vallons étroits,qu’il serait bon de s’en aller le long des sentiers de chèvre, à salibre fantaisie ! Et, lorsqu’elle se retourna, rentrant dansla chambre, elle fut surprise de voir la chandelle, comme éteinte,ne plus tacher le grand jour que d’une larme pâle. La mortesemblait maintenant regarder sur la voie, où les trainscontinuaient à se croiser, sans même remarquer cette lueur pâlie decierge, près de ce corps.

Au jour seulement, Flore reprenait son service. Et elle nequitta la chambre que pour l’omnibus de Paris, à six heures douze.Misard, lui aussi, à six heures, venait de remplacer son collègue,le stationnaire de nuit. Ce fut à son appel de trompe qu’elle vintse planter devant la barrière, le drapeau à la main. Un instant,elle suivit le train des yeux.

« Encore deux heures », pensa-t-elle tout haut.

Sa mère n’avait plus besoin de personne. Désormais, elleéprouvait une invincible répugnance à rentrer dans la chambre.C’était fini, elle l’avait embrassée, elle pouvait disposer de sonexistence et de celle des autres. D’habitude, entre les trains,elle s’échappait, disparaissait ; mais, ce matin-là, unintérêt semblait la tenir à son poste, près de la barrière, sur unbanc, une simple planche qui se trouvait au bord de la voie. Lesoleil montait à l’horizon, une tiède averse d’or tombait dansl’air pur ; et elle ne remuait pas, baignée de cette douceur,au milieu de la vaste campagne, toute frissonnante de la sèved’avril. Un moment, elle s’était intéressée à Misard, dans sacabane de planches, à l’autre bord de la ligne, visiblement agité,hors de sa somnolence habituelle : il sortait, rentrait,manœuvrait ses appareils d’une main nerveuse, avec de continuelscoups d’œil vers la maison, comme si son esprit y fût demeuré, àchercher toujours. Puis, elle l’avait oublié, ne le sachant mêmeplus là. Elle était toute à l’attente, absorbée, la face muette etrigide, les yeux fixés au bout de la voie, du côté de Barentin. Et,là-bas, dans la gaieté du soleil, devait se lever pour elle unevision, où s’acharnait la sauvagerie têtue de son regard.

Les minutes s’écoulèrent, Flore ne bougeait pas. Enfin, lorsque,à sept heures cinquante-cinq, Misard, de deux sons de trompe,signala l’omnibus du Havre, sur la voie montante, elle se leva,ferma la barrière et se planta devant, le drapeau au poing. Déjà,au loin, le train se perdait, après avoir secoué le sol ; eton l’entendit s’engouffrer dans le tunnel, où le bruit cessa. Ellen’était pas retournée sur le banc, elle demeurait debout, à compterde nouveau les minutes. Si, dans dix minutes, aucun train demarchandises n’était signalé, elle courrait là-bas, au-delà de latranchée, faire sauter un rail. Elle était très calme, la poitrineseulement serrée, comme sous le poids énorme de l’acte. D’ailleurs,à ce dernier moment, la pensée que Jacques et Séverineapprochaient, qu’ils passeraient là encore, allant à l’amour, sielle ne les arrêtait pas, suffisait à la raidir, aveugle et sourde,dans sa résolution, sans que le débat même recommençât enelle : c’était l’irrévocable, le coup de patte de la louve quicasse les reins au passage. Elle ne voyait toujours, dans l’égoïsmede sa vengeance, que les deux corps mutilés, sans se préoccuper dela foule, du flot de monde qui défilait devant elle, depuis desannées, inconnu. Des morts, du sang, le soleil en serait cachépeut-être, ce soleil dont la gaieté tendre l’irritait.

Encore deux minutes, encore une, et elle allait partir, ellepartait, lorsque de sourds cahots, sur la route de Bécourt,l’arrêtèrent. Une voiture, un fardier sans doute. On luidemanderait le passage, il lui faudrait ouvrir la barrière, causer,rester là : impossible d’agir, le coup serait manqué. Et elleeut un geste d’enragée insouciance, elle prit sa course, lâchantson poste, abandonnant la voiture et le conducteur, qui sedébrouillerait. Mais un fouet claqua dans l’air matinal, une voixcria gaiement :

« Eh ! Flore ! »

C’était Cabuche. Elle fut clouée au sol, arrêtée dès son premierélan, devant la barrière même.

« Quoi donc ? continua-t-il, tu dors encore, par cebeau soleil ? Vite, que je passe avantl’express ! »

En elle, un écroulement se faisait. Le coup était manqué, lesdeux autres iraient à leur bonheur, sans qu’elle trouvât rien pourles briser là. Et, tandis qu’elle ouvrait lentement la vieillebarrière à demi pourrie, dont les ferrures grinçaient dans leurrouille, elle cherchait furieusement un obstacle, quelque chosequ’elle pût jeter en travers de la voie, désespérée à ce point,qu’elle s’y serait allongée elle-même, si elle s’était crue d’osassez durs pour faire sauter la machine hors des rails. Mais sesregards venaient de tomber sur le fardier, l’épaisse et bassevoiture, chargée de deux blocs de pierre, que cinq vigoureuxchevaux avaient de la peine à traîner. Énormes, hauts et larges,d’une masse géante à barrer la route, ces blocs s’offraient àelle ; et ils éveillèrent, dans ses yeux, une brusqueconvoitise, un désir fou de les prendre, de les poser là. Labarrière était grande ouverte, les cinq bêtes suantes, soufflantes,attendaient.

« Qu’as-tu, ce matin ? reprit Cabuche. Tu as l’airtout drôle. »

Alors, Flore parla :

« Ma mère est morte hier soir. »

Il eut un cri de douloureuse amitié. Posant son fouet, il luiserrait les mains dans les siennes.

« Oh ! ma pauvre Flore ! Il fallait s’y attendredepuis longtemps, mais c’est si dur tout de même !… Alors,elle est là, je veux la voir, car nous aurions fini par nousentendre, sans le malheur qui est arrivé. »

Doucement, il marcha avec elle jusqu’à la maison. Sur le seuil,pourtant, il eut un regard vers ses chevaux. D’une phrase, elle lerassura.

« Pas de danger qu’ils bougent ! Et puis, l’expressest loin. »

Elle mentait. De son oreille exercée, dans le frisson tiède dela campagne, elle venait d’entendre l’express quitter la station deBarentin. Encore cinq minutes, et il serait là, il déboucherait dela tranchée, à cent mètres du passage à niveau. Tandis que lecarrier, debout dans la chambre de la morte, s’oubliait, songeant àLouisette, très ému, elle, restée dehors, devant la fenêtre,continuait d’écouter, au loin, le souffle régulier de la machine,de plus en plus proche. Brusquement, l’idée de Misard luivint : il devait la voir, il l’empêcherait ; et elle eutun coup à la poitrine, lorsque, s’étant tournée, elle ne l’aperçutpas à son poste. De l’autre côté de la maison, elle le retrouva,qui fouillait la terre, sous la margelle du puits, n’ayant purésister à sa folie de recherches, pris sans doute de la certitudesubite que le magot était là : tout à sa passion, aveugle,sourd, il fouillait, il fouillait. Et ce fut, pour elle,l’excitation dernière. Les choses elles-mêmes le voulaient. Un deschevaux se mit à hennir, tandis que la machine, au-delà de latranchée, soufflait très haut, en personne pressée qui accourt.

« Je vas les faire tenir tranquilles, dit Flore à Cabuche.N’aie pas peur. »

Elle s’élança, prit le premier cheval par le mors, tira, detoute sa force décuplée de lutteuse. Les chevaux se raidirent, uninstant, le fardier, lourd de son énorme charge, oscilla sansdémarrer ; mais, comme si elle se fût attelée elle-même, enbête de renfort, il s’ébranla, s’engagea sur la voie. Et il étaiten plein sur les rails, lorsque l’express, là-bas, à cent mètres,déboucha de la tranchée. Alors, pour immobiliser le fardier, decrainte qu’il ne traversât, elle retint l’attelage, dans unebrusque secousse, d’un effort surhumain, dont ses membrescraquèrent. Elle qui avait sa légende, dont on racontait des traitsde force extraordinaires, un wagon lancé sur une pente, arrêté à lacourse, une charrette poussée, sauvée d’un train, elle faisaitaujourd’hui cette chose, elle maintenait, de sa poigne de fer, lescinq chevaux, cabrés et hennissants dans l’instinct du péril.

Ce furent à peine dix secondes d’une terreur sans fin. Les deuxpierres géantes semblaient barrer l’horizon. Avec ses cuivresclairs, ses aciers luisants, la machine glissait, arrivait de samarche douce et foudroyante, sous la pluie d’or de la bellematinée. L’inévitable était là, rien au monde ne pouvait plusempêcher l’écrasement. Et l’attente durait.

Misard, revenu d’un bond à son poste, hurla, les bras en l’air,agitant les poings, dans la volonté folle de prévenir et d’arrêterle train. Sorti de la maison au bruit des roues et deshennissements, Cabuche s’était rué, hurlant lui aussi, pour faireavancer les bêtes. Mais Flore, qui venait de se jeter de côté, leretint, ce qui le sauva. Il croyait qu’elle n’avait pas eu la forcede maîtriser ses chevaux, que c’étaient eux qui l’avaient traînée.Et il s’accusait, il sanglotait, dans un râle de terreurdésespérée ; tandis qu’elle, immobile, grandie, les paupièresélargies et brûlantes, regardait. Au moment même où le poitrail dela machine allait toucher les blocs, lorsqu’il lui restait un mètrepeut-être à parcourir, pendant ce temps inappréciable, elle vittrès nettement Jacques, la main sur le volant du changement demarche. Il s’était tourné, leurs yeux se rencontrèrent dans unregard, qu’elle trouva démesurément long.

Ce matin-là, Jacques avait souri à Séverine, quand elle étaitdescendue sur le quai, au Havre, pour l’express, ainsi que chaquesemaine. À quoi bon se gâter la vie de cauchemars ? Pourquoine pas profiter des jours heureux, lorsqu’il s’en présentait ?Tout finirait par s’arranger peut-être. Et il était résolu à goûterau moins la joie de cette journée, faisant des projets, rêvant dedéjeuner avec elle au restaurant. Aussi, comme elle lui jetait uncoup d’œil désolé, parce qu’il n’y avait pas de wagon de premièreen tête, et qu’elle était forcée de se mettre loin de lui, à laqueue, avait-il voulu la consoler en lui souriant si gaiement. Onarriverait toujours ensemble, on se rattraperait, là-bas, d’avoirété séparés. Même, après s’être penché pour la voir monter dans uncompartiment, tout au bout, il avait poussé la belle humeur jusqu’àplaisanter le conducteur-chef, Henri Dauvergne, qu’il savaitamoureux d’elle. La semaine précédente, il s’était imaginé quecelui-ci s’enhardissait et qu’elle l’encourageait, par un besoin dedistraction, voulant échapper à l’existence atroce qu’elle s’étaitfaite. Roubaud le disait bien, elle finirait par coucher avec cejeune homme, sans plaisir, dans l’unique envie de recommencer autrechose. Et Jacques avait demandé à Henri pour qui donc, la veille,caché derrière un des ormes de la cour du départ, il envoyait desbaisers en l’air ; ce qui avait fait éclater d’un gros rirePecqueux, en train de charger le foyer de la Lison, fumante, prêteà partir.

Du Havre à Barentin, l’express avait marché à sa vitesseréglementaire, sans incident ; et ce fut Henri qui, lepremier, du haut de sa cabine de vigie, au sortir de la tranchée,signala le fardier en travers de la voie. Le fourgon de tête setrouvait bondé de bagages, car le train, très chargé, amenait toutun arrivage de voyageurs, débarqués la veille d’un paquebot. Àl’étroit, au milieu de cet entassement de malles et de valises, quefaisait danser la trépidation, le conducteur-chef était debout àson bureau, classant des feuilles ; tandis que la petitebouteille d’encre, accrochée à un clou, se balançait, elle aussi,d’un mouvement continu. Après les stations où il déposait desbagages, il avait pour quatre ou cinq minutes d’écritures. Deuxvoyageurs étant descendus à Barentin, il venait donc de mettre sespapiers en ordre, lorsque, montant s’asseoir dans sa vigie, ildonna, en arrière et en avant, selon son habitude, un coup d’œilsur la voie. Il restait là, assis dans cette guérite vitrée, toutesses heures libres, en surveillance. Le tender lui cachait lemécanicien ; mais, grâce à son poste élevé, il voyait souventplus loin et plus vite que celui-ci. Aussi le train tournait-ilencore, dans la tranchée, qu’il aperçut, là-bas, l’obstacle. Sasurprise fut telle, qu’il douta un instant, effaré, paralysé. Il yeut quelques secondes perdues, le train filait déjà hors de latranchée, et un grand cri montait de la machine, lorsqu’il sedécida à tirer la corde de la cloche d’alarme, dont le bout pendaitdevant lui.

Jacques, à ce moment suprême, la main sur le volant duchangement de marche, regardait sans voir, dans une minuted’absence. Il songeait à des choses confuses et lointaines, d’oùl’image de Séverine elle-même s’était évanouie. Le branle fou de lacloche, le hurlement de Pecqueux, derrière lui, le réveillèrent.Pecqueux, qui avait haussé la tige du cendrier, mécontent dutirage, venait de voir, en se penchant pour s’assurer de lavitesse. Et Jacques, d’une pâleur de mort, vit tout, comprit tout,le fardier en travers, la machine lancée, l’épouvantable choc, toutcela avec une netteté si aiguë, qu’il distingua jusqu’au grain desdeux pierres, tandis qu’il avait déjà dans les os la secousse del’écrasement. C’était l’inévitable. Violemment, il avait tourné levolant du changement de marche, fermé le régulateur, serré lefrein. Il faisait machine arrière, il s’était pendu, d’une maininconsciente, au bouton du sifflet, dans la volonté impuissante etfurieuse d’avertir, d’écarter la barricade géante, là-bas. Mais, aumilieu de cet affreux sifflement de détresse qui déchirait l’air,la Lison n’obéissait pas, allait quand même, à peine ralentie. Ellen’était plus la docile d’autrefois, depuis qu’elle avait perdu dansla neige sa bonne vaporisation, son démarrage si aisé, devenuequinteuse et revêche maintenant, en femme vieillie, dont un coup defroid a détruit la poitrine. Elle soufflait, se cabrait sous lefrein, allait, allait toujours, dans l’entêtement alourdi de samasse. Pecqueux, fou de peur, sauta. Jacques, raidi à son poste, lamain droite crispée sur le changement de marche, l’autre restée ausifflet, sans qu’il le sût, attendait. Et la Lison, fumante,soufflante, dans ce rugissement aigu qui ne cessait pas, vint tapercontre le fardier, du poids énorme des treize wagons qu’elletraînait.

Alors, à vingt mètres d’eux, du bord de la voie où l’épouvanteles clouait, Misard et Cabuche les bras en l’air, Flore les yeuxbéants, virent cette chose effrayante : le train se dresserdebout, sept wagons monter les uns sur les autres, puis retomberavec un abominable craquement, en une débâcle informe de débris.Les trois premiers étaient réduits en miettes, les quatre autres nefaisaient plus qu’une montagne, un enchevêtrement de toituresdéfoncées, de roues brisées, de portières, de chaînes, de tampons,au milieu de morceaux de vitre. Et, surtout, l’on avait entendu lebroiement de la machine contre les pierres, un écrasement sourdterminé en un cri d’agonie. La Lison, éventrée, culbutait à gauche,par-dessus le fardier ; tandis que les pierres, fendues,volaient en éclats, comme sous un coup de mine, et que, des cinqchevaux, quatre, roulés, traînés, étaient tués net. La queue dutrain, six wagons encore, intacts, s’étaient arrêtés, sans mêmesortir des rails.

Mais des cris montèrent, des appels dont les mots se perdaienten hurlements inarticulés de bête.

« À moi ! au secours !… Oh ! mon Dieu !je meurs ! au secours ! au secours ! »

On n’entendait plus, on ne voyait plus. La Lison, renversée surles reins, le ventre ouvert, perdait sa vapeur, par les robinetsarrachés, les tuyaux crevés, en des souffles qui grondaient,pareils à des râles furieux de géante. Une haleine blanche ensortait, inépuisable, roulant d’épais tourbillons au ras dusol ; pendant que, du foyer, les braises tombées, rouges commele sang même de ses entrailles, ajoutaient leurs fumées noires. Lacheminée, dans la violence du choc, était entrée en terre ; àl’endroit où il avait porté, le châssis s’était rompu, faussant lesdeux longerons ; et, les roues en l’air, semblable à unecavale monstrueuse, décousue par quelque formidable coup de corne,la Lison montrait ses bielles tordues, ses cylindres cassés, sestiroirs et leurs excentriques écrasés, toute une affreuse plaiebâillant au plein air, par où l’âme continuait de sortir, avec unfracas d’enragé désespoir. Justement, près d’elle, le cheval quin’était pas mort, gisait lui aussi, les deux pieds de devantemportés, perdant également ses entrailles par une déchirure de sonventre. À sa tête droite, raidie dans un spasme d’atroce douleur,on le voyait râler, d’un hennissement terrible, dont rienn’arrivait à l’oreille, au milieu du tonnerre de la machineagonisante.

Les cris s’étranglèrent, inentendus, perdus, envolés.

« Sauvez-moi ! tuez-moi !… Je souffre trop,tuez-moi ! tuez-moi donc ! »

Dans ce tumulte assourdissant, cette fumée aveuglante, lesportières des voitures restées intactes venaient de s’ouvrir, etune déroute de voyageurs se ruait au-dehors. Ils tombaient sur lavoie, se ramassaient, se débattaient à coups de pied, à coups depoing. Puis, dès qu’ils sentaient la terre solide, la campagnelibre devant eux, ils s’enfuyaient au galop, sautaient la haievive, coupaient à travers champs, cédant à l’unique instinct d’êtreloin du danger, loin, très loin. Des femmes, des hommes, hurlant,se perdirent au fond des bois.

Piétinée, ses cheveux défaits et sa robe en loques, Séverineavait fini par se dégager ; et elle ne fuyait pas, ellegalopait vers la machine grondante, lorsqu’elle se trouva en facede Pecqueux.

« Jacques, Jacques ! il est sauvé, n’est-cepas ? »

Le chauffeur, qui, par un miracle, ne s’était pas même foulé unmembre, accourait lui aussi, le cœur serré d’un remords, à l’idéeque son mécanicien se trouvait là-dessous. On avait tant voyagé,tant peiné ensemble, sous la continuelle fatigue des grandsvents ! Et leur machine, leur pauvre machine, la bonne amie siaimée de leur ménage à trois, qui était là sur le dos, à rendretout le souffle de sa poitrine, par ses poumons crevés !

« J’ai sauté, bégaya-t-il, je ne sais rien, rien du tout…Courons, courons vite ! »

Sur le quai, ils se heurtèrent contre Flore, qui les regardaitvenir. Elle n’avait pas bougé encore, dans la stupeur de l’acteaccompli, de ce massacre qu’elle avait fait. C’était fini, c’étaitbien ; et il n’y avait en elle que le soulagement d’un besoin,sans une pitié pour le mal des autres, qu’elle ne voyait même pas.Mais, lorsqu’elle reconnut Séverine, ses yeux s’agrandirentdémesurément, une ombre d’affreuse souffrance noircit son visagepâle. Et quoi ? elle vivait, cette femme, lorsque luicertainement était mort ! Dans cette douleur aiguë de sonamour assassiné, ce coup de couteau qu’elle s’était donné en pleincœur, elle eut la brusque conscience de l’abomination de son crime.Elle avait fait ça, elle l’avait tué, elle avait tué tout cemonde ! Un grand cri déchira sa gorge, elle tordait ses bras,elle courait follement.

« Jacques, oh ! Jacques… Il est là, il a été lancé enarrière, je l’ai vu… Jacques, Jacques ! »

La Lison râlait moins haut, d’une plainte rauque quis’affaiblissait, et dans laquelle, maintenant, on entendaitcroître, de plus en plus déchirante, la clameur des blessés.Seulement, la fumée restait épaisse, l’énorme tas de débris d’oùsortaient ces voix de torture et de terreur, semblait enveloppéd’une poussière noire, immobile dans le soleil. Que faire ?par où commencer ? comment arriver jusqu’à cesmalheureux ?

« Jacques ! criait toujours Flore. Je vous dis qu’ilm’a regardée et qu’il a été jeté par là, sous le tender… Accourezdonc ! aidez-moi donc ! »

Déjà, Cabuche et Misard venaient de relever Henri, leconducteur-chef, qui, à la dernière seconde, avait sauté lui aussi.Il s’était démis le pied, ils l’assirent par terre, contre la haie,d’où, hébété, muet, il regarda le sauvetage, sans paraîtresouffrir.

« Cabuche, viens donc m’aider, je te dis que Jacques estlà-dessous ! »

Le carrier n’entendait pas, courait à d’autres blessés,emportait une jeune femme dont les jambes pendaient, cassées auxcuisses.

Et ce fut Séverine qui se précipita, à l’appel de Flore.

« Jacques, Jacques !… Où donc ? Je vousaiderai.

– C’est ça, aidez-moi, vous ! »

Leurs mains se rencontrèrent, elles tiraient ensemble sur uneroue brisée. Mais les doigts délicats de l’une n’arrivaient à rien,tandis que l’autre, avec sa forte poigne, abattait lesobstacles.

« Attention ! » dit Pecqueux, qui se mettait, luiaussi, à la besogne.

D’un mouvement brusque, il avait arrêté Séverine, au moment oùelle allait marcher sur un bras, coupé à l’épaule, encore vêtud’une manche de drap bleu. Elle eut un recul d’horreur. Pourtant,elle ne reconnaissait pas la manche : c’était un bras inconnu,roulé là, d’un corps qu’on retrouverait autre part sans doute. Etelle en resta si tremblante, qu’elle en fut comme paralysée,pleurante et debout, à regarder travailler les autres, incapableseulement d’enlever les éclats de vitre, où les mains secoupaient.

Alors, le sauvetage des mourants, la recherche des morts furentpleins d’angoisse et de danger, car le feu de la machine s’étaitcommuniqué à des pièces de bois, et il fallut, pour éteindre cecommencement d’incendie, jeter de la terre à la pelle. Pendantqu’on courait à Barentin demander du secours, et qu’une dépêchepartait pour Rouen, le déblaiement s’organisait le plus activementpossible, tous les bras s’y mettaient, d’un grand courage. Beaucoupdes fuyards étaient revenus, honteux de leur panique. Mais onavançait avec d’infinies précautions, chaque débris à enleverdemandait des soins, car on craignait d’achever les malheureuxensevelis, s’il se produisait des éboulements. Des blessésémergeaient du tas, engagés jusqu’à la poitrine, serrés là commedans un étau, et hurlant. On travailla un quart d’heure à endélivrer un, qui ne se plaignait pas, d’une pâleur de linge, disantqu’il n’avait rien, qu’il ne souffrait de rien ; et, quand onl’eut sorti, il n’avait plus de jambes, il expira tout de suite,sans avoir su ni senti cette mutilation horrible, dans lesaisissement de sa peur. Toute une famille fut retirée d’unevoiture de seconde, où le feu s’était mis : le père et la mèreétaient blessés aux genoux, la grand-mère avait un brascassé ; mais eux non plus ne sentaient pas leur mal,sanglotant, appelant leur petite fille, disparue dans l’écrasement,une blondine de trois ans à peine, qu’on retrouva sous un lambeaude toiture, saine et sauve, la mine amusée et souriante. Une autrefillette, couverte de sang, celle-ci, ses pauvres petites mainsbroyées, qu’on avait portée à l’écart, en attendant de découvrirses parents, demeurait solitaire et inconnue, si étouffée, qu’ellene disait pas un mot, la face seulement convulsée en un masqued’indicible terreur, dès qu’on l’approchait. On ne pouvait ouvrirles portières dont le choc avait tordu les ferrures, il fallaitdescendre dans les compartiments par les glaces brisées. Déjàquatre cadavres étaient rangés côte à côte, au bord de la voie. Unedizaine de blessés, étendus par terre, près des morts, attendaient,sans un médecin pour les panser, sans un secours. Et le déblaiementcommençait à peine, on ramassait une nouvelle victime sous chaquedécombre, le tas ne semblait pas diminuer, tout ruisselant etpalpitant de cette boucherie humaine.

« Quand je vous dis que Jacques est là-dessous !répétait Flore, se soulageant à ce cri obstiné qu’elle jetait sansraison, comme la plainte même de son désespoir. Il appelle, tenez,tenez ! écoutez ! »

Le tender se trouvait engagé sous les wagons, qui, montés lesuns par-dessus les autres, s’étaient ensuite écroulés surlui ; et, en effet, depuis que la machine râlait moins haut,on entendait une grosse voix d’homme rugir au fond de l’éboulement.À mesure qu’on avançait, la clameur de cette voix d’agonie devenaitplus haute, d’une douleur si énorme, que les travailleurs nepouvaient plus la supporter, pleurant et criant eux-mêmes. Puis,enfin, comme ils tenaient l’homme, dont ils venaient de dégager lesjambes et qu’ils tiraient à eux, le rugissement de souffrancecessa. L’homme était mort.

« Non, dit Flore, ce n’est pas lui. C’est plus au fond, ilest là-dessous. »

Et, de ses bras de guerrière, elle soulevait des roues, lesrejetait au loin, elle tordait le zinc des toitures, brisait desportières, arrachait des bouts de chaîne. Et, dès qu’elle tombaitsur un mort ou sur un blessé, elle appelait, pour qu’on l’endébarrassât, ne voulant pas lâcher une seconde ses fouillesenragées.

Derrière elle, Cabuche, Pecqueux, Misard travaillaient, tandisque Séverine, défaillante à rester ainsi debout, sans rien pouvoirfaire, venait de s’asseoir sur la banquette défoncée d’un wagon.Mais Misard, repris de son flegme, doux et indifférent, s’évitaitles grosses fatigues, aidait surtout à transporter les corps. Etlui, ainsi que Flore, regardaient les cadavres, comme s’ilsespéraient les reconnaître, au milieu de la cohue des milliers etdes milliers de visages, qui, en dix années, avaient défilé devanteux, à toute vapeur, en ne leur laissant que le souvenir confusd’une foule, apportée, emportée dans un éclair. Non ! cen’était toujours que le flot inconnu du monde en marche ; lamort brutale, accidentelle, restait anonyme, comme la vie pressée,dont le galop passait là, allant à l’avenir ; et ils nepouvaient mettre aucun nom, aucun renseignement précis, sur lestêtes labourées par l’horreur de ces misérables, tombés en route,piétinés, écrasés, pareils à ces soldats dont les corps comblentles trous, devant la charge d’une armée montant à l’assaut.Pourtant, Flore crut en retrouver un à qui elle avait parlé, lejour du train perdu dans la neige : cet Américain, dont ellefinissait par connaître familièrement le profil, sans savoir ni sonnom, ni rien de lui et des siens. Misard le porta avec les autresmorts, venus on ne savait d’où, arrêtés là en se rendant on nesavait à quel endroit.

Puis, il y eut encore un spectacle déchirant. Dans la caisserenversée d’un compartiment de première classe, on venait dedécouvrir un jeune ménage, des nouveaux mariés sans doute, jetésl’un contre l’autre, si malheureusement, que la femme, sous elle,écrasait l’homme, sans qu’elle pût faire un mouvement, pour lesoulager. Lui, étouffait, râlait déjà ; tandis qu’elle, labouche libre, suppliait éperdument qu’on se hâtât, épouvantée, lecœur arraché, à sentir qu’elle le tuait. Et, lorsqu’on les eutdélivrés l’un et l’autre, ce fut elle qui, tout d’un coup, renditl’âme, le flanc troué par un tampon. Et l’homme, revenu à lui,clamait de douleur, agenouillé près d’elle, dont les yeux restaientpleins de larmes.

Maintenant, il y avait douze morts, plus de trente blessés. Maison arrivait à dégager le tender ; et Flore, de temps à autre,s’arrêtait, plongeait sa tête parmi les bois éclatés, les ferstordus, fouillant ardemment des yeux, pour voir si ellen’apercevait pas le mécanicien. Brusquement, elle jeta un grandcri.

« Je le vois, il est là-dessous… Tenez ! c’est sonbras, avec sa veste de laine bleue… Et il ne bouge pas, il nesouffle pas… »

Elle s’était redressée, elle jura comme un homme.

« Mais, nom de Dieu ! dépêchez-vous donc, tirez-ledonc de là-dessous ! »

Des deux mains, elle tâchait d’arracher un plancher de voiture,que d’autres débris l’empêchaient de tirer à elle. Alors, ellecourut, elle revint avec la hache qui servait, chez les Misard, àfendre le bois ; et, la brandissant, ainsi qu’un bûcheronbrandit sa cognée au milieu d’une forêt de chênes, elle attaqua leplancher d’une volée furieuse. On s’était écarté, on la laissaitfaire, en lui criant de prendre garde. Mais il n’y avait plusd’autre blessé que le mécanicien, à l’abri lui-même sous unenchevêtrement d’essieux et de roues. D’ailleurs, elle n’écoutaitpas, soulevée dans un élan, sûr de lui, irrésistible. Elle abattaitle bois, chacun de ses coups tranchait un obstacle. Avec sescheveux blonds envolés, son corsage arraché qui montrait ses brasnus, elle était comme une terrible faucheuse s’ouvrant une trouéeparmi cette destruction qu’elle avait faite. Un dernier coup, quiporta sur un essieu, cassa en deux le fer de la hache. Et, aidéedes autres, elle écarta les roues qui avaient protégé le jeunehomme d’un écrasement certain, elle fut la première à le saisir, àl’emporter entre ses bras.

« Jacques, Jacques !… Il respire, il vit. Ah !mon Dieu, il vit… Je savais bien que je l’avais vu tomber et qu’ilétait là ! »

Séverine, éperdue, la suivait. À elles deux, elles le déposèrentau pied de la haie, près d’Henri, qui, stupéfié, regardaittoujours, sans avoir l’air de comprendre où il était et ce qu’onfaisait autour de lui. Pecqueux, qui s’était approché, restaitdebout devant son mécanicien, bouleversé de le voir dans un sifichu état ; tandis que les deux femmes, agenouilléesmaintenant, l’une à droite, l’autre à gauche, soutenaient la têtedu malheureux, en épiant avec angoisse les moindres frissons de sonvisage.

Enfin, Jacques ouvrit les paupières. Ses regards troubles seportèrent sur elles, tour à tour, sans qu’il parût les reconnaître.Elles ne lui importaient pas. Mais ses yeux ayant rencontré, àquelques mètres, la machine qui expirait, s’effarèrent d’abord,puis se fixèrent, vacillants d’une émotion croissante. Elle, laLison, il la reconnaissait bien, et elle lui rappelait tout, lesdeux pierres en travers de la voie, l’abominable secousse, cebroiement qu’il avait senti à la fois en elle et en lui, dont luiressuscitait, tandis qu’elle, sûrement, allait en mourir. Ellen’était point coupable de s’être montrée rétive ; car, depuissa maladie contractée dans la neige, il n’y avait pas de sa faute,si elle était moins alerte ; sans compter que l’âge arrive,qui alourdit les membres et durcit les jointures. Aussi luipardonnait-il volontiers, débordé d’un gros chagrin, à la voirblessée à mort, en agonie. La pauvre Lison n’en avait plus que pourquelques minutes. Elle se refroidissait, les braises de son foyertombaient en cendre, le souffle qui s’était échappé si violemmentde ses flancs ouverts, s’achevait en une petite plainte d’enfantqui pleure. Souillée de terre et de bave, elle toujours siluisante, vautrée sur le dos, dans une mare noire de charbon, elleavait la fin tragique d’une bête de luxe qu’un accident foudroie enpleine rue. Un instant, on avait pu voir, par ses entraillescrevées, fonctionner ses organes, les pistons battre comme deuxcœurs jumeaux, la vapeur circuler dans les tiroirs comme le sang deses veines ; mais, pareilles à des bras convulsifs, lesbielles n’avaient plus que des tressaillements, les révoltesdernières de la vie ; et son âme s’en allait avec la force quila faisait vivante, cette haleine immense dont elle ne parvenaitpas à se vider toute. La géante éventrée s’apaisa encore,s’endormit peu à peu d’un sommeil très doux, finit par se taire.Elle était morte. Et le tas de fer, d’acier et de cuivre, qu’ellelaissait là, ce colosse broyé, avec son tronc fendu, ses membresépars, ses organes meurtris, mis au plein jour, prenait l’affreusetristesse d’un cadavre humain, énorme, de tout un monde qui avaitvécu et d’où la vie venait d’être arrachée, dans la douleur.

Alors, Jacques, ayant compris que la Lison n’était plus, refermales yeux avec le désir de mourir lui aussi, si faible d’ailleurs,qu’il croyait être emporté dans le dernier petit souffle de lamachine ; et, de ses paupières closes, des larmes lentescoulaient maintenant, inondant ses joues. C’en fut trop pourPecqueux, qui était resté là, immobile, la gorge serrée. Leur bonneamie mourait, et voilà que son mécanicien voulait la suivre.C’était donc fini, leur ménage à trois ? Finis, les voyages,où, montés sur son dos, ils faisaient des cent lieues, sanséchanger une parole, s’entendant quand même si bien tous les trois,qu’ils n’avaient pas besoin de faire un signe pour secomprendre ! Ah ! la pauvre Lison, si douce dans saforce, si belle quand elle luisait au soleil ! Et Pecqueux,qui pourtant n’avait pas bu, éclata en sanglots violents, dont leshoquets secouaient son grand corps, sans qu’il pût les retenir.

Séverine et Flore, elles aussi, se désespéraient, inquiètes dece nouvel évanouissement de Jacques. La dernière courut chez elle,revint avec de l’eau-de-vie camphrée, se mit à le frictionner, pourfaire quelque chose. Mais les deux femmes, dans leur angoisse,étaient exaspérées encore par l’agonie interminable du cheval qui,seul des cinq, survivait, les deux pieds de devant emportés. Ilgisait près d’elles, il avait un hennissement continu, un cripresque humain, si retentissant et d’une si effroyable douleur, quedeux des blessés, gagnés par la contagion, s’étaient mis à hurlereux aussi, ainsi que des bêtes. Jamais cri de mort n’avait déchirél’air avec cette plainte profonde, inoubliable, qui glaçait lesang. La torture devenait atroce, des voix tremblantes de pitié etde colère s’emportaient, suppliaient qu’on l’achevât, ce misérablecheval qui souffrait tant, et dont le râle sans fin, maintenant quela machine était morte, restait comme la lamentation dernière de lacatastrophe. Alors, Pecqueux, toujours sanglotant, ramassa la hacheau fer brisé, puis, d’un seul coup en plein crâne, l’abattit. Et,sur le champ de massacre, le silence tomba.

Les secours, enfin, arrivaient, après deux heures d’attente.Dans le choc de la rencontre, les voitures avaient toutes étélancées sur la gauche, de sorte que le déblaiement de la voiedescendante allait pouvoir se faire en quelques heures. Un train detrois wagons, conduit par une machine-pilote, venait d’amener deRouen le chef de cabinet du préfet, le procureur impérial, desingénieurs et des médecins de la Compagnie, tout un flot depersonnages effarés et empressés ; tandis que le chef de garede Barentin, M. Bessière, était déjà là, avec une équipe,attaquant les débris. Une agitation, un énervement extraordinairerégnait dans ce coin de pays perdu, si désert et si muetd’habitude. Les voyageurs sains et saufs gardaient, de la frénésiede leur panique, un besoin fébrile de mouvement : les unscherchaient des voitures, terrifiés à l’idée de remonter enwagon ; les autres, voyant qu’on ne trouverait pas même unebrouette, s’inquiétaient déjà de savoir où ils mangeraient, où ilscoucheraient ; et tous réclamaient un bureau de télégraphe,plusieurs partaient à pied pour Barentin, emportant des dépêches.Pendant que les autorités, aidées de l’administration, commençaientune enquête, les médecins procédaient en hâte au pansement desblessés. Beaucoup s’étaient évanouis, au milieu de mares de sang.D’autres, sous les pinces et les aiguilles, se plaignaient d’unevoix faible. Il y avait, en somme, quinze morts et trente-deuxvoyageurs atteints grièvement. En attendant que leur identité pûtêtre établie, les morts étaient restés par terre, rangés le long dela haie, le visage au ciel. Seul, un petit substitut, un jeunehomme blond et rose, qui faisait du zèle, s’occupait d’eux,fouillait leurs poches, pour voir si des papiers, des cartes, deslettres, ne lui permettraient pas de les étiqueter chacun d’un nomet d’une adresse. Cependant, autour de lui, un cercle béant seformait ; car, bien qu’il n’y eût pas de maison, à près d’unelieue à la ronde, des curieux étaient arrivés, on ne savait d’où,une trentaine d’hommes, de femmes, d’enfants, qui gênaient, sansaider à rien. Et, la poussière noire, le voile de fumée et devapeur qui enveloppait tout, s’étant dissipé, la radieuse matinéed’avril triomphait au-dessus du champ de massacre, baignant de lapluie douce et gaie de son clair soleil les mourants et les morts,la Lison éventrée, le désastre des décombres entassés, quedéblayait l’équipe des travailleurs, pareils à des insectesréparant les ravages d’un coup de pied donné par un passantdistrait, dans leur fourmilière.

Jacques était toujours évanoui, et Séverine avait arrêté unmédecin au passage, suppliante. Celui-ci venait d’examiner le jeunehomme, sans lui trouver aucune blessure apparente ; mais ilcraignait des lésions intérieures, car de minces filets de sangapparaissaient aux lèvres. Ne pouvant se prononcer encore, ilconseillait d’emporter le blessé au plus tôt et de l’installer dansun lit, en évitant les secousses.

Sous les mains qui le palpaient, Jacques de nouveau avait ouvertles yeux, avec un léger cri de souffrance ; et, cette fois, ilreconnut Séverine, il bégaya, dans son égarement :

« Emmène-moi, emmène-moi ! »

Flore s’était penchée. Mais, ayant tourné la tête, il lareconnut, elle aussi. Ses regards exprimèrent une épouvanted’enfant, il se rejeta vers Séverine, dans un recul de haine etd’horreur.

« Emmène-moi, tout de suite, tout desuite ! »

Alors, elle lui demanda, en le tutoyant de même, seule avec lui,car cette fille ne comptait plus :

« À la Croix-de-Maufras, veux-tu ?… Si ça ne tecontrarie pas, c’est là en face, nous serons chez nous. »

Et il accepta, tremblant toujours, les yeux sur l’autre.

« Où tu voudras, tout de suite ! »

Immobile, Flore avait blêmi, sous ce regard d’exécrationterrifiée. Ainsi, dans ce carnage d’inconnus et d’innocents, ellen’était arrivée à les tuer ni l’un ni l’autre : la femme ensortait sans une égratignure ; lui, maintenant, enréchapperait peut-être ; et elle n’avait de la sorte réussiqu’à les rapprocher, à les jeter ensemble, seul à seule, au fond decette maison solitaire. Elle les y vit installés, l’amant guéri,convalescent, la maîtresse aux petits soins, payée de ses veillespar de continuelles caresses, tous les deux prolongeant loin dumonde, dans une liberté absolue, cette lune de miel de lacatastrophe. Un grand froid la glaçait, elle regardait les morts,elle avait tué pour rien.

À ce moment, dans ce coup d’œil jeté à la tuerie, Flore aperçutMisard et Cabuche, que des messieurs interrogeaient, la justicepour sûr. En effet, le procureur impérial et le chef du cabinet dupréfet tâchaient de comprendre comment cette voiture de carriers’était trouvée ainsi en travers de la voie. Misard soutenait qu’iln’avait pas quitté son poste, tout en ne pouvant donner aucunrenseignement précis : il ne savait réellement rien, ilprétendait qu’il tournait le dos, occupé à ses appareils. Quant àCabuche, bouleversé encore, il racontait une longue histoireconfuse, pourquoi il avait eu le tort de lâcher ses chevaux,désireux de voir la morte, et de quelle façon les chevaux étaientpartis tout seuls, et comment la jeune fille n’avait pu lesarrêter. Il s’embrouillait, recommençait, sans parvenir à se fairecomprendre.

Un sauvage besoin de liberté fit battre de nouveau le sang glacéde Flore. Elle voulait être libre d’elle-même, libre de réfléchiret de prendre un parti, n’ayant jamais eu besoin de personne pourêtre dans le vrai chemin. À quoi bon attendre qu’on l’ennuyât avecdes questions, qu’on l’arrêtât peut-être ? Car, en dehors ducrime, il y avait eu une faute de service, on la rendraitresponsable. Cependant, elle restait, retenue là, tant que Jacquesy serait lui-même.

Séverine venait de tant prier Pecqueux, que celui-ci s’étaitenfin procuré un brancard ; et il reparut avec un camarade,pour emporter le blessé. Le médecin avait également décidé la jeunefemme à accepter chez elle le conducteur-chef, Henri, qui nesemblait souffrir que d’une commotion au cerveau, hébété. On letransporterait après l’autre.

Et, comme Séverine se penchait pour déboutonner le col deJacques, qui le gênait, elle le baisa sur les yeux, ouvertement,voulant lui donner le courage de supporter le transport.

« N’aie pas peur, nous serons heureux. »

Souriant, il la baisa à son tour. Et ce fut, pour Flore, ledéchirement suprême, ce qui l’arrachait de lui, à jamais. Il luisemblait que son sang, à elle aussi, coulait à flots, maintenant,d’une inguérissable blessure. Lorsqu’on l’emporta, elle prit lafuite. Mais, en passant devant la maison basse, elle aperçut, parles vitres de la fenêtre, la chambre de mort, avec la tache pâle dela chandelle qui brûlait dans le plein jour, près du corps de samère. Pendant l’accident, la morte était restée seule, la tête àdemi tournée, les yeux grands ouverts, la lèvre tordue, comme sielle eût regardé se broyer et mourir tout ce monde qu’elle neconnaissait pas.

Flore galopa, tourna tout de suite au coude que faisait la routede Doinville, puis se lança à gauche, parmi les broussailles. Elleconnaissait chaque recoin du pays, elle défiait bien dès lors lesgendarmes de la prendre, si on les lançait à sa poursuite. Aussicessa-t-elle brusquement de courir, continuant à petits pas, s’enallant à une cachette où elle aimait se terrer dans ses jourstristes, une excavation au-dessus du tunnel. Elle leva les yeux,vit au soleil qu’il était midi. Quand elle fut dans son trou, elles’allongea sur la roche dure, elle resta immobile, les mains nouéesderrière la nuque, à réfléchir. Alors, seulement, un vide affreuxse produisit en elle, la sensation d’être morte déjà luiengourdissait peu à peu les membres. Ce n’était pas le remordsd’avoir tué inutilement tout ce monde, car elle devait faire uneffort pour en retrouver le regret et l’horreur. Mais, elle enétait certaine maintenant, Jacques l’avait vue retenir leschevaux ; et elle venait de le comprendre, à son recul, ilavait pour elle la répulsion terrifiée qu’on a pour les monstres.Jamais il n’oublierait. D’ailleurs, lorsqu’on manque les gens, ilfaut ne pas se manquer soi-même. Tout à l’heure, elle se tuerait.Elle n’avait aucun autre espoir, elle en sentait davantage lanécessité absolue, depuis qu’elle était là, à se calmer et àraisonner. La fatigue, un anéantissement de tout son être,l’empêchait seul de se relever pour chercher une arme et mourir.Et, cependant, du fond de l’invincible somnolence qui la prenait,montait encore l’amour de la vie, le besoin du bonheur, un rêvedernier d’être heureuse elle aussi, puisqu’elle laissait les deuxautres à la félicité de vivre ensemble, libres. Pourquoin’attendait-elle pas la nuit et ne courait-elle pas rejoindre Ozil,qui l’adorait, qui saurait bien la défendre ? Ses idéesdevenaient douces et confuses, elle s’endormit, d’un sommeil noir,sans rêves.

Lorsque Flore se réveilla, la nuit s’était faite, profonde.Étourdie, elle tâta autour d’elle, se souvint tout d’un coup, ensentant le roc nu, où elle était couchée. Et ce fut, comme au chocde la foudre, la nécessité implacable : il fallait mourir. Ilsemblait que la douceur lâche, cette défaillance devant la viepossible encore, s’en était allée avec la fatigue. Non, non !la mort seule était bonne. Elle ne pouvait vivre dans tout ce sang,le cœur arraché, exécrée du seul homme qu’elle avait voulu et quiétait à une autre. Maintenant qu’elle en avait la force, il fallaitmourir.

Flore se leva, sortit du trou de roches. Elle n’hésita pas, carelle venait de trouver d’instinct où elle devait aller. D’unnouveau regard au ciel, vers les étoiles, elle sut qu’il était prèsde neuf heures. Comme elle arrivait à la ligne du chemin de fer, untrain passa, à grande vitesse, sur la voie descendante, ce quiparut lui faire plaisir : tout irait bien, on avait évidemmentdéblayé cette voie, tandis que l’autre était sans doute encoreobstruée, car la circulation n’y semblait pas rétablie. Dès lors,elle suivit la haie vive, au milieu du grand silence de ce payssauvage. Rien ne pressait, il n’y aurait plus de train avantl’express de Paris, qui ne serait là qu’à neuf heuresvingt-cinq ; et elle longeait toujours la haie à petits pas,dans l’ombre épaisse, très calme, comme si elle eût fait une de sespromenades habituelles, par les sentiers déserts. Pourtant, avantd’arriver au tunnel, elle franchit la haie, elle continua d’avancersur la voie même, de son pas de flânerie, marchant à la rencontrede l’express. Il lui fallut ruser, pour n’être pas vue du gardien,ainsi qu’elle s’y prenait d’ordinaire, chaque fois qu’elle rendaitvisite à Ozil, là-bas, à l’autre bout. Et, dans le tunnel, ellemarcha encore, toujours, toujours en avant. Mais ce n’était pluscomme l’autre semaine, elle n’avait plus peur, si elle seretournait, de perdre la notion exacte du sens où elle allait. Lafolie du tunnel ne battait point sous son crâne, ce coup de folieoù sombrent les choses, le temps et l’espace, au milieu du tonnerredes bruits et de l’écrasement de la voûte. Que lui importait !elle ne raisonnait pas, ne pensait même pas, n’avait qu’unerésolution fixe : marcher, marcher devant elle, tant qu’ellene rencontrerait pas le train, et marcher encore, droit au fanal,dès qu’elle le verrait flamber dans la nuit.

Flore s’étonna cependant, car elle croyait aller ainsi depuisdes heures. Comme c’était loin, cette mort qu’elle voulait !L’idée qu’elle ne la trouverait pas, qu’elle cheminerait des lieueset des lieues, sans se heurter contre elle, la désespéra un moment.Ses pieds se lassaient, serait-elle donc obligée de s’asseoir, del’attendre, couchée en travers des rails ? Mais cela luiparaissait indigne, elle avait besoin de marcher jusqu’au bout, demourir toute droite, par un instinct de vierge et de guerrière. Etce fut, en elle, un réveil d’énergie, une nouvelle poussée enavant, lorsqu’elle aperçut, très lointain, le fanal de l’express,pareil à une petite étoile, scintillante et unique au fond d’unciel d’encre. Le train n’était pas encore sous la voûte, aucunbruit ne l’annonçait, il n’y avait que ce feu si vif, si gai,grandissant peu à peu. Redressée dans sa haute taille souple destatue, balancée sur ses fortes jambes, elle avançait maintenantd’un pas allongé, sans courir pourtant, comme à l’approche d’uneamie, à qui elle voulait épargner un bout du chemin. Mais le trainvenait d’entrer dans le tunnel, l’effroyable grondement approchait,ébranlant la terre d’un souffle de tempête, tandis que l’étoileétait devenue un œil énorme, toujours grandissant, jaillissantcomme de l’orbite des ténèbres. Alors, sous l’empire d’un sentimentinexpliqué, peut-être pour n’être que seule à mourir, elle vida sespoches, sans cesser sa marche d’obstination héroïque, posa tout unpaquet au bord de la voie, un mouchoir, des clefs, de la ficelle,deux couteaux ; même elle enleva le fichu noué sur son cou,laissa son corsage dégrafé, à moitié arraché. L’œil se changeait enun brasier, en une gueule de four vomissant l’incendie, le souffledu monstre arrivait, humide et chaud déjà, dans ce roulement detonnerre, de plus en plus assourdissant. Et elle marchait toujours,elle se dirigeait droit à cette fournaise, pour ne pas manquer lamachine, fascinée ainsi qu’un insecte de nuit, qu’une flammeattire. Et, dans l’épouvantable choc, dans l’embrassade, elle seredressa encore, comme si, soulevée par une dernière révolte delutteuse, elle eût voulu étreindre le colosse, et le terrasser. Satête avait porté en plein dans le fanal, qui s’éteignit.

Ce ne fut que plus d’une heure après qu’on vint ramasser lecadavre de Flore. Le mécanicien avait bien vu cette grande figurepâle marcher contre la machine, d’une étrangeté effrayanted’apparition, sous le jet de clarté vive qui l’inondait ; et,lorsque, brusquement, la lanterne éteinte, le train s’était trouvédans une obscurité profonde, roulant avec son bruit de foudre, ilavait frémi, en sentant passer la mort. Au sortir du tunnel, ils’était efforcé de crier l’accident au gardien. Mais, à Barentinseulement, il avait pu raconter que quelqu’un venait de se fairecouper, là-bas : c’était certainement une femme ; descheveux, mêlés à des débris de crâne, restaient collés encore à lavitre brisée du fanal. Et, quand les hommes envoyés à la recherchedu corps le découvrirent, ils furent saisis de le voir si blanc,d’une blancheur de marbre. Il gisait sur la voie montante, projetélà par la violence du choc, la tête en bouillie, les membres sansune égratignure, à moitié dévêtu, d’une beauté admirable, dans lapureté et la force. Silencieusement, les hommes l’enveloppèrent.Ils l’avaient reconnue. Elle s’était sûrement fait tuer, folle,pour échapper à la responsabilité terrible qui pesait sur elle.

Dès minuit, le cadavre de Flore, dans la petite maison basse,reposa à côté du cadavre de sa mère. On avait mis par terre unmatelas, et rallumé une chandelle, entre elles deux. Phasie, latête penchée toujours, avec le rire affreux de sa bouche tordue,semblait maintenant regarder sa fille, de ses grands yeuxfixes ; tandis que, dans la solitude, au milieu du profondsilence, on entendait de tous côtés la sourde besogne, l’efforthaletant de Misard, qui s’était remis à ses fouilles. Et, auxintervalles réglementaires, les trains passaient, se croisaient surles deux voies, la circulation venant d’être complètement rétablie.Ils passaient inexorables, avec leur toute-puissance mécanique,indifférents, ignorants de ces drames et de ces crimes.Qu’importaient les inconnus de la foule tombés en route, écraséssous les roues ! On avait emporté les morts, lavé le sang, etl’on repartait pour là-bas, à l’avenir.

Auteurs::

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer