LA COMTESSE DE CAGLIOSTRO (aventure d’Arsène Lupin)

– Et si on s’en aperçoit ?

– Pas possible. On n’entre dans sa chambre qu’au matin. Alors, seulement… on verra.

Ils n’osaient pas se regarder. Dominique tendit la main. De son corsage, elle sortit dix billets de banque qu’elle lui remit.

– Merci, dit-il. Mais ce serait à recommencer que je refuserais. Que dois-je faire ?

– T’en aller. En courant, tu rattraperas les autres avant qu’ils aient rejoint la barque.

– Ils sont avec Raoul d’Andrésy ?

– Oui.

– Tant mieux, il m’en a donné du mal, celui-là, depuis quinze jours Il se méfiait. Ah ! … un mot encore… les pierres précieuses ?

– On les a.

– Plus de danger ?

– Elles sont dans le coffre d’une banque, à Londres.

– Il y en a beaucoup ?

– Une valise pleine.

– Bigre ! Plus de cent mille francs pour moi, hein ?

– Davantage. Mais dépêche-toi… À moins que tu n’aimes mieux m’attendre…

– Non, non, dit-il vivement. J’ai hâte d’être loin… le plus loin possible… Mais vous ?…

– Je cherche s’il n’y a pas ici des papiers dangereux pour nous et je vous rejoins.

Il s’en alla. Aussitôt elle fouilla dans les tiroirs de la table et d’un petit secrétaire et, ne trouvant rien, explora les poches des vêtements pliés au chevet du lit.

Le portefeuille surtout attira son attention. Il contenait de l’argent, des cartes de visite, et une photographie.

C’était celle de Clarisse d’Étigues.

Joséphine Balsamo la contempla longuement, avec une expression où il n’y avait pas de haine, mais qui était dure et qui ne pardonnait pas.

Ensuite, elle demeura immobile, en une de ces attitudes absorbées, où ses yeux se fixaient sur on ne sait quel spectacle douloureux, tandis que les lèvres conservaient leur doux sourire.

Il y avait une glace en face d’elle où son image se reflétait. Elle s’y regarda en posant ses deux coudes sur le marbre de la cheminée. Son sourire s’accentua, comme si elle eût eu conscience de sa beauté et s’en fût réjouie. Elle portait un capuchon de bure marron qu’elle rabattit sur ses épaules et elle avança sur son front le voile impalpable qui ne quittait jamais ses cheveux, et qu’elle arrangeait comme la Vierge de Bernardino Luini.

Elle se regarda ainsi, durant quelques minutes. Puis elle retomba dans sa rêverie. Et le quart après onze heures sonna. Elle ne remuait plus. On eût dit qu’elle dormait, qu’elle dormait avec des yeux grands ouverts et immobiles.

À la longue, cependant, ils prirent, ces yeux, une expression moins vague, qui se fixait peu à peu. Il en est de même dans certains songes où toutes les idées, tumultueuses et incohérentes, se transforment en une idée de plus en plus précise, en une image de plus en plus exacte. Quelle était cette image déconcertante qu’il lui semblait apercevoir, et à laquelle vainement elle essayait de s’habituer ? Cela provenait de l’alcôve où s’enfermait le lit, et que les rideaux d’étoffe garnissaient tout autour. Or, derrière ces rideaux, il devait y avoir un espace libre, un couloir de dégagement, car on eût vraiment dit qu’une main les agitait.

Et cette main prenait des contours de plus en plus réels. Un bras la suivit, et, au-dessus de ce bras, bientôt surgit une tête.

Joséphine Balsamo, accoutumée aux séances spirites où l’ombre dessine des fantômes, donna un nom à celui que son imagination terrifiée faisait sortir des ténèbres. Celui-là était vêtu de blanc, et elle ne savait si la contraction de sa bouche était un sourire affectueux ou un rictus de colère.

Elle balbutia :

– Raoul… Raoul… Que me veux-tu ?

Le fantôme écarta l’un des rideaux et longea le lit.

Josine baissa les paupières en gémissant, puis les releva aussitôt. L’hallucination continuait, et l’être s’approchait avec des mouvements qui dérangeaient les choses et qui troublaient le silence. Elle voulut fuir. Mais tout de suite elle sentit sur son épaule l’étreinte d’une main qui n’était certes pas celle d’un fantôme. Et une voix joyeuse s’exclama :

– Dis donc, ma bonne Joséphine, si j’ai un conseil à te donner, c’est de demander au prince Lavorneff de t’offrir une petite croisière de repos. Tu en as besoin, ma bonne Joséphine. Comment ! Tu me prends pour un fantôme, moi, Raoul d’Andrésy ! J’ai beau être en chemise de nuit et en caleçon, je ne suis cependant pas un inconnu pour toi.

Tandis qu’il enfilait son costume et qu’il renouait sa cravate, elle répétait :

– Toi ! Toi ! …

– Mon Dieu, oui, moi !

Et, s’asseyant à ses côtés, vivement il lui dit :

– Surtout, chère amie, ne gronde pas le prince Lavorneff, et ne crois pas qu’il m’ait laissé échapper une fois encore. Mais non, mais non, ce qu’ils ont emporté, ses amis et lui, c’est tout simplement un matelas et un mannequin de son, le tout roulé dans des couvertures. Quant à moi, je n’ai pas quitté cette ruelle où je m’étais réfugié, dès que tu avais abandonné ton poste derrière les volets.

Joséphine Balsamo demeurait inerte et aussi incapable de faire un geste que si on l’avait rouée de coups.

– Fichtre ! dit-il, tu n’es pas dans ton assiette. Veux-tu un petit verre de liqueur pour te remonter ? Je t’avoue d’ailleurs, Joséphine, que je comprends ton effondrement et je ne voudrais pas être à ta place. Tous les petits camarades partis… pas de secours possible avant une heure… et en face de toi, dans une chambre close, le dénommé Raoul. Il y a de quoi voir les choses en noir ! Infortunée Joséphine… Quelle culbute !

Il se baissa et ramassa la photographie de Clarisse.

– Comme elle est jolie, ma fiancée, n’est-ce pas ? J’ai remarqué avec plaisir que tu l’admirais tout à l’heure. Tu sais qu’on se marie dans quelques jours ?

La Cagliostro murmura :

– Elle est morte.

– En effet, dit-il, j’ai entendu parler de cela. Le petit jeune homme de tout à l’heure l’a frappée dans son lit, n’est-ce pas ?

– Oui.

– Un coup de poignard ?

– Trois coups de poignard, en plein cœur, dit-elle.

– Oh ! un seul suffisait, observa Raoul.

Elle répéta lentement, comme en elle-même.

– Elle est morte, elle est morte.

Il ricana.

– Que veux-tu ? Cela arrive tous les jours. Et ce n’est pas pour si peu que je vais changer mes projets. Morte ou vivante, je l’épouse. On s’arrangera comme on pourra… Tu t’es bien arrangée, toi.

– Que veux-tu dire ? demanda Joséphine Balsamo, qui commençait à s’inquiéter de ce persiflage.

– Oui, n’est-ce pas ? le baron t’a noyée une première fois. Une seconde fois tu as sauté avec ton bateau, Le Ver-Luisant. Eh bien ! cela ne t’empêche pas d’être ici. De même ce n’est pas une raison parce que Clarisse a reçu trois coups de poignard dans le cœur pour que je ne l’épouse pas. D’abord es-tu bien sûre de ce que tu avances ?

– C’est un de mes hommes qui a frappé.

– Ou du moins qui t’a dit avoir frappé.

Elle l’observa.

– Pourquoi aurait-il menti ?

– Dame ! pour toucher les dix billets de mille que tu lui as remis.

– Dominique est incapable de me trahir. Pour cent mille francs, il ne me trahirait pas. En outre il sait bien que je vais le retrouver. Il m’attend avec les autres.

– Es-tu bien sûre qu’il t’attende, Josine ?

Elle tressaillit. Elle avait l’impression de se débattre dans un cercle de plus en plus étroit.

Raoul hocha la tête.

– C’est curieux comme nous avons fait, toi et moi, des boulettes vis-à-vis l’un de l’autre. Ainsi toi, ma bonne Joséphine, faut-il que tu sois naïve pour croire que j’aie pu couper une minute dans l’explosion du Ver-Luisant, dans le naufrage Pellegrini-Cagliostro, et dans les bourdes racontées par le prince Lavorneff ! Comment n’as-tu pas deviné qu’un garçon qui n’est pas un imbécile, que tu as formé à ton école – et quelle école, Vierge Marie ! – lirait dans ton jeu comme dans une Bible ouverte.

« Trop commode, en vérité, le naufrage ! On est chargé de crimes, on a les mains rouges de sang, la police court après vous. Alors on fait couler un vieux bateau, et tout le passé de crimes, le trésor volé, les richesses, tout cela fait naufrage. On passe pour mort. On fait peau neuve. Et on recommence un peu plus loin sous un autre nom, à tuer, à torturer et à se tremper les mains dans le sang. À d’autres, ma vieille ! Pour moi, quand j’ai lu ton naufrage, je me suis dit : « Ouvrons l’œil, et le bon ! » Et je suis venu ici !

Après un silence, Raoul reprit :

– Voyons, Joséphine, mais ta visite était inévitable ! Et fatalement tu devais la préparer à l’aide de quelque complice. Fatalement le yacht du prince Lavorneff devait voguer un soir par ici ! Fatalement tu devais escalader l’échelle de perroquet par où l’on t’avait descendue sur un brancard ! Alors, quoi ! j’ai pris mes précautions, et mon premier soin fut de regarder, autour de moi, s’il n’y avait pas quelque figure de connaissance. Un compère, c’est l’enfance de l’art.

« Et, du premier coup, j’ai reconnu le sieur Dominique pour l’avoir vu, ce que tu ignorais, sur le siège de ta berline, à la porte de Brigitte Rousselin. Dominique est un loyal serviteur, mais que la peur des gendarmes et une volée de coups de bâton administrée par moi, ont assoupli au point que toute sa loyauté est désormais à mon service, et qu’il l’a prouvé en t’envoyant de faux rapports et des fausses clefs et en ouvrant sous tes pas, de concert avec moi, le traquenard où tu as trébuché. Bénéfice pour lui : les dix billets sortis de ta poche et que tu ne reverras jamais, car ton loyal serviteur est retourné au château, sous ma protection.

« Voilà où nous en sommes, ma bonne Joséphine. J’aurais, certes, pu t’épargner cette petite comédie et t’accueillir ici, directement, pour le simple plaisir de te serrer la main. Mais j’ai voulu voir comment tu dirigeais l’opération et, tout en restant dans la coulisse, j’ai voulu voir aussi comment tu apprendrais le soi-disant assassinat de Clarisse d’Étigues.

Josine recula. Raoul ne plaisantait plus. Penché sur elle, il lui disait d’une voix contenue :

– Un peu d’émotion… à peine… c’est tout ce que tu as éprouvé. Tu as cru que cette enfant était morte, morte par ton ordre, et cela ne t’a rien fait ! La mort des autres ne compte pas pour toi. On a vingt ans, toute la vie devant soi… de la fraîcheur, de la beauté… Tu supprimes tout cela, comme si tu écrasais une noisette ! Aucun débat de conscience. Tu n’en ris certes pas… mais tu ne pleures pas non plus. En réalité tu n’y penses pas. Je me souviens que Beaumagnan t’appelait l’infernale créature ; désignation qui me révoltait. Pourtant le mot est juste. Il y a de l’enfer en toi. Tu es une sorte de monstre auquel je ne puis plus penser sans épouvante. Mais toi-même, Joséphine Balsamo, n’es-tu pas épouvantée par moments ?

Elle gardait la tête baissée, ses deux poings collés aux tempes, ainsi qu’elle faisait souvent. Les paroles impitoyables de Raoul ne provoquaient pas ce sursaut de rage et d’indignation qu’il attendait. Raoul sentit qu’elle était à l’un de ces moments de l’existence où l’on aperçoit le fond de son âme, où l’on ne peut pas se détourner de sa vision redoutable, et où les mots d’aveu s’échappent à votre insu.

Il n’en fut pas surpris outre mesure. Sans être fréquentes ces minutes-là ne devaient pas être très rares chez cet être déséquilibré, dont la nature, impassible à la surface, s’abîmait dans de telles crises nerveuses. Les événements se présentaient à elle d’une façon si contraire à ses prévisions, et l’apparition de Raoul était si déconcertante, qu’elle ne pouvait pas se redresser en face de l’ennemi qui l’outrageait si cruellement.

Il en profita, serré contre elle, et la voix insinuante :

– N’est-ce pas, Josine, tu es effrayée toi aussi, par moments ? N’est-ce pas, il arrive que tu te fais horreur ?

La détresse de Josine était si profonde qu’elle murmura :

– Oui… oui … quelquefois… mais il ne faut pas m’en parler… je ne veux pas savoir … Tais-toi… tais-toi…

– Mais au contraire, dit Raoul, il faut que tu saches… Si tu as l’horreur de tels actes, pourquoi les commettre ?

– Je ne peux pas faire autrement, dit-elle avec une lassitude extrême.

– Tu essaies donc ?

– Oui, j’essaie, je lutte, mais c’est toujours la défaite. On m’a appris le mal… je fais le mal comme d’autres font le bien… Je fais le mal comme on respire… On a voulu cela…

– Qui ?

Il entendit confusément ces deux mots :

« Ma mère » et reprit aussitôt :

– Ta mère ? l’espionne ? celle qui a combiné toute cette histoire Cagliostro ?…

– Oui… Mais ne l’accuse pas… Elle m’aimait bien… Seulement elle n’avait pas réussi… elle était devenue pauvre, misérable, et elle voulait que je réussisse… et que je sois riche…

– Mais tu étais belle, cependant. La beauté, pour une femme, c’est la plus grande richesse. La beauté suffit.

– Ma mère était belle aussi, Raoul, et pourtant sa beauté ne lui avait servi à rien.

– Tu lui ressemblais ?

– À s’y méprendre. Et c’est cela qui fut ma perte. Elle a voulu que je continue ce qui avait été sa grande idée… l’héritage Cagliostro…

– Elle avait des documents ?

– Un bout de papier… le papier des quatre énigmes qu’une de ses amies avait trouvé dans un vieux livre… et qui semblait réellement de l’écriture de Cagliostro… Ça l’avait grisée… ainsi que son succès auprès de l’impératrice Eugénie. Alors j’ai dû continuer. Tout enfant, elle m’a entré ça dans la tête. On m’a formé un cerveau avec cette idée-là seulement. Ça devait être mon gagne-pain… ma destinée… J’étais la fille de Cagliostro… Je reprenais sa vie à elle, et sa vie à lui… une vie brillante comme celle qu’il avait eue dans les romans… la vie d’une aventurière adorée de tous, et dominant le monde. Pas de scrupules… Pas de conscience… Je devais la venger de tout ce qu’elle avait souffert elle-même. Quand elle est morte, c’est le mot qu’elle m’a dit : « Venge-moi. »

Raoul réfléchissait. Il prononça :

– Soit. Mais les crimes ?… ce besoin de tuer ?…

Il ne put saisir sa réponse, et pas davantage ce qu’elle répliqua lorsqu’il lui dit :

– Ta mère n’était pas seule à t’élever, Josine, à te dresser au mal. Qui était ton père ?

Il crut entendre le nom de Léonard. Mais voulait-elle dire que Léonard était son père, que Léonard était l’homme qui avait été expulsé de France en même temps que l’espionne ? (et cela semblait assez plausible) ou bien que Léonard l’avait dressée au crime ?

Raoul n’en sut pas davantage, et ne put pénétrer dans ces régions obscures où s’élaborent les mauvais instincts et où fermentent tout ce qui est déséquilibre, tout ce qui détraque et désagrège, tous les vices, toutes les vanités, tous les appétits sanguinaires, toutes les passions inexorables et cruelles qui échappent à notre contrôle.

Il ne l’interrogea plus.

Elle pleurait silencieusement, et il sentait des larmes et des baisers sur ses mains qu’elle tenait éperdument et qu’il avait la faiblesse de lui abandonner. Une pitié sournoise s’infiltrait en lui. La mauvaise créature devenait une créature humaine, une femme livrée à l’instinct malade, qui subissait la loi des forces irrésistibles, et qu’il fallait peut-être juger avec un peu d’indulgence.

– Ne me repousse pas, disait-elle. Tu es le seul être au monde qui aurait pu me sauver du mal. Je l’ai senti tout de suite. Il y a en toi quelque chose de sain, de bien portant… Ah ! l’amour… l’amour… il n’y a que lui qui m’ait apaisée… et je n’ai jamais aimé que toi… Alors, si tu me rejettes…

Les lèvres douces pénétraient Raoul d’une langueur infinie. Toute la volupté et tout le désir embellissaient cette compassion dangereuse qui amollit la volonté des hommes.

Et peut-être, si la Cagliostro se fût contentée de cette humble caresse, eût-il succombé de lui-même à la tentation de se pencher et de goûter une fois encore la saveur de cette bouche qui s’offrait à lui. Mais elle releva la tête, elle glissa ses bras le long des épaules, elle lui entoura le cou, elle le regarda, et ce regard suffit pour que Raoul ne vît plus en elle la femme qui implore, mais celle qui veut séduire et qui se sert de la tendresse de ses yeux et de la grâce de ses lèvres.

Le regard lie les amants. Mais Raoul savait tellement ce qu’il y avait derrière cette expression charmante, ingénue et douloureuse ! La pureté du miroir ne rachetait pas toutes les laideurs et toutes les ignominies qu’il voyait avec tant de lucidité.

Il se reprit peu à peu. Il se dégagea de la tentation, et, repoussant la sirène qui l’enlaçait, il lui dit :

– Tu te rappelles… un jour… sur la péniche… nous avons eu peur l’un de l’autre comme si nous cherchions à nous étrangler. Il en est de même aujourd’hui. Si je retombe dans tes bras, je suis perdu. Demain, après-demain, c’est la mort…

Elle se redressa, tout de suite hostile et méchante. L’orgueil l’envahissait de nouveau, et la tempête s’éleva brusquement entre eux, les faisant passer sans transition de l’espèce de torpeur où les attardait le souvenir de l’amour à un âpre besoin de haine et de provocation.

– Mais oui, reprit Raoul, au fond, dès le premier jour, nous avons été des ennemis féroces. L’un et l’autre, nous ne pensions qu’à la défaite de l’autre. Toi surtout ! J’étais le rival, l’intrus… Dans ton cerveau, mon image se mêlait à l’idée de la mort. Volontairement ou non, tu m’avais condamné.

Elle secoua la tête, et d’un ton agressif :

– Jusqu’ici, non.

– Mais maintenant, oui, n’est-ce pas ? Seulement, s’écria-t-il, un fait nouveau se présente. C’est que, maintenant, je me moque de toi, Joséphine. L’élève est devenu le maître, et c’est cela que j’ai voulu te prouver en te laissant venir ici et en acceptant la bataille. Je me suis offert, seul, à tes coups et aux coups de ta bande. Et voilà que nous sommes l’un en face de l’autre et que tu ne peux rien contre moi. Déroute sur toute la ligne, hein ? Clarisse vivante. Moi, libre. Allons, ma belle, décampe de ma vie, tu es battue à plate couture, et je te méprise.

Il lui jetait en pleine face les mots injurieux qui la cinglaient comme des coups de cravache. Elle était blême. Son visage se décomposait et, pour la première fois, son inaltérable beauté accusait certains signes de déchéance et de flétrissure.

Elle grinça :

– Je me vengerai.

– Impossible, ricana Raoul, je t’ai coupé les ongles. Tu as peur de moi. Voilà ce qui est merveilleux, et qui est mon œuvre d’aujourd’hui : tu as peur de moi.

– Toute ma vie sera consacrée à cela, murmura-t-elle.

– Rien à faire. Tous tes trucs sont connus. Tu as échoué. C’est fini.

Elle hocha la tête.

– J’ai d’autres moyens.

– Lesquels ?

– Cette fortune incalculable… ces richesses que j’ai conquises.

– Grâce à qui ? demanda Raoul allégrement. S’il y a un coup d’aile dans l’étrange aventure, n’est-ce pas moi qui l’ai donné ?

– Peut-être. Mais c’est moi qui ai su agir et prendre. Et tout est là. Comme paroles, tu n’es jamais en reste. Mais il fallait un acte, en cette occasion, et cet acte je l’ai accompli. Parce que Clarisse est vivante, que tu es libre, tu cries victoire. Mais la vie de Clarisse et ta liberté, Raoul, ce sont de petites choses auprès de la grande chose qui était l’enjeu de notre duel, c’est-à-dire les milliers et les milliers de pierres précieuses. La vraie bataille était là, Raoul, et je l’ai gagnée, puisque le trésor m’appartient.

– Sait-on jamais ! dit-il d’un ton gouailleur.

– Mais si, il m’appartient. Moi-même j’ai enfoui les pierres innombrables dans une valise qui a été ficelée et cachetée devant moi, que j’ai portée jusqu’au Havre, que j’ai mise à fond de cale dans Le Ver-Luisant, et que j’ai retirée avant que l’on fasse sauter ce bateau. Elle est à Londres maintenant, dans le coffre d’une banque, ficelée et cachetée comme à la première heure…

– Oui, oui, approuva Raoul d’un petit air entendu, la corde est toute neuve, encore raide et propre … les cachets sont au nombre de cinq, en cire violette, aux initiales J. B … Joséphine Balsamo. Quant à la valise, c’est de l’osier tressé, elle est munie de courroies et de poignées en cuir… quelque chose de simple, qui n’attire pas l’attention…

La Cagliostro leva sur lui des yeux effarés.

– Tu sais donc ?… Comment sais-tu ?…

– Nous sommes restés ensemble, elle et moi, durant quelques heures, dit-il en riant.

Elle articula :

– Mensonges ! Tu parles au hasard… La valise ne m’a quittée d’une seconde, depuis la prairie du Mesnil-sous-Jumièges jusqu’au coffre-fort.

– Si, puisque tu l’as descendue dans la cale du Ver-Luisant.

– Je me suis assise sur le battant de fer qui recouvre cette cale, et un homme à moi veillait au-dessus du hublot par où tu aurais pu entrer, et cela pendant tout le temps que nous étions en rade du Havre.

– Je le sais.

– Comment le saurais-tu ?

– J’étais dans la cale.

Phrase effrayante ! Il la répéta, puis à la stupeur de Joséphine Balsamo, s’amusant lui-même de son récit, il raconta :

– Mon raisonnement, au Mesnil-sous-Jumièges, devant la borne détruite, fut celui-ci : Si je cherche cette bonne Joséphine, je ne la retrouverai pas. Ce qu’il faut, c’est deviner l’endroit où elle sera à la fin de cette journée, m’y rendre avant elle, être là quand elle y arrivera, et profiter de la première occasion pour barboter les pierres précieuses. Or, traquée par la police, poursuivie par moi, avide de mettre le trésor à l’abri, inévitablement tu devais fuir, c’est-à-dire passer à l’étranger. Comment ? Grâce à ton bateau, Le Ver-Luisant.

« À midi, j’étais au Havre. À une heure, les trois hommes de ton équipage s’en allaient prendre leur café au bar, je franchissais le pont et plongeais à fond de cale, derrière un amoncellement de caisses, de tonneaux et de sacs de provisions. À six heures, tu arrivais et tu descendais ta valise au moyen d’une corde, la mettant ainsi sous ma protection…

– Tu mens… tu mens…, balbutia la Cagliostro, d’une voix rageuse.

Il continua :

– À dix heures, Léonard te rejoint. Il a lu les journaux du soir et connaît le suicide de Beaumagnan. À onze heures, on lève l’ancre. À minuit, en pleine mer, on est abordé par un autre bateau. Léonard, qui devient prince Lavorneff, préside au déménagement. Tous les matelots, tous les colis ayant de la valeur, tout cela passe d’un pont à l’autre et, en particulier, bien entendu, la valise que tu remontes du fond de la cale. Et puis, au diable, Le Ver-Luisant !

« Je t’avoue qu’il y a eu là, pour moi, quelques vilaines minutes. J’étais seul. Plus d’équipage. Pas de direction. Le Ver-Luisant semblait dirigé par un homme ivre, qui se cramponne à son gouvernail. On eût dit un jouet d’enfant, que l’on a remonté, et qui tourne, qui tourne… Et puis, je devinais ton plan, la bombe placée quelque part, le mécanisme se déclenchant, l’explosion…

« J’étais couvert de sueur. Me jeter à l’eau ? J’allais m’y décider, lorsque, au moment d’enlever mes chaussures, je me rendis compte, avec une joie qui me fit défaillir, qu’il y avait, dans le sillage du Ver-Luisant, attaché par une amarre, un canot qui bondissait sur l’écume. C’était le salut. Dix minutes plus tard, assis tranquillement, je voyais une flamme jaillir dans l’ombre, à quelques centaines de mètres, et j’entendais une détonation rouler à la surface de l’eau comme les échos du tonnerre. Le Ver-Luisant sautait…

« La nuit suivante, après avoir été quelque peu ballotté, j’étais poussé en vue des côtes, non loin du cap d’Antifer. Je me mettais à l’eau, j’atterrissais… et le jour même je me présentais ici… pour me préparer à ta bonne visite, ma chère Joséphine.

La Cagliostro avait écouté, sans interrompre, et l’air assez rassuré. Autant de paroles inutiles, avait-elle l’air de dire. L’essentiel, c’était la valise. Que Raoul se fût caché dans le bateau, et qu’ensuite il eût évité le naufrage, cela n’avait point d’importance.

Elle hésitait cependant à poser la question définitive, sachant bien, tout de même, que Raoul n’était pas homme à tant risquer pour ne point obtenir d’autre résultat que de se sauver lui-même. Elle était toute pâle.

– Eh bien ! fit Raoul, tu ne me demandes rien ?

– Qu’ai-je à te demander ? Tu l’as dit toi-même. J’ai repris la valise. Depuis, je l’ai mise en lieu sûr.

– Et tu n’as pas vérifié ?

– Ma foi, non. L’ouvrir, à quoi bon ? Les cordes et les cachets sont intacts.

– Tu n’as pas remarqué les traces d’un trou, sur le côté, une fissure pratiquée entre les mailles de l’osier ?

– Une fissure ?

– Dame ! crois-tu que je sois resté deux heures en face de l’objet sans agir ? Voyons, Joséphine, je ne suis pourtant pas si bête.

– Alors ? fit-elle, d’une voix faible.

– Alors, ma pauvre amie, peu à peu, patiemment, j’ai extrait tout le contenu de la valise, de sorte que…

– De sorte que ?…

– De sorte que, quand tu l’ouvriras, tu n’y trouveras guère qu’un poids équivalent de denrées pas très précieuses… ce que j’avais sous la main… ce que j’ai pu prendre dans les sacs de provisions… quelques livres de haricots et de lentilles… enfin des marchandises qui ne valent peut-être pas la peine que tu paies la location d’un coffre-fort dans une banque de Londres.

Elle essaya de protester et murmura :

– Ce n’est pas vrai… il est impossible que tu aies pu…

Du haut d’un placard, il descendit une petite sébile d’où il versa dans le creux de sa main deux ou trois douzaines de diamants, de rubis et de saphirs et, d’un air négligent, il les fit danser, miroiter et s’entrechoquer.

– Et il y en a d’autres, dit-il. Certes, l’explosion imminente m’a empêché de prendre tout, et les richesses des moines se sont éparpillées au sein des eaux. Mais, tout de même, n’est-ce pas, pour un jeune homme, il y a de quoi s’amuser et patienter… Qu’en dis-tu, Josine ? Tu ne réponds pas ?… Mais sapristi ! qu’y a-t-il donc ? Hein ! j’espère que tu ne vas pas t’évanouir. Ah ! ces sacrées femmes, ça ne peut pas perdre un milliard sans tourner de l’œil. Quelles mazettes !

Joséphine Balsamo ne tournait pas de l’œil, selon l’expression de Raoul. Elle s’était dressée, livide et le bras tendu. Elle voulait insulter l’ennemi. Elle voulait le frapper. Mais elle suffoquait. Ses mains battirent l’air, comme des mains de naufragé qui s’agitent à la surface, et elle s’abattit contre le lit avec des gémissements rauques.

Raoul, sans s’émouvoir, attendit la fin de la crise. Mais il avait encore quelques paroles à placer et il ricana :

– Eh bien ! t’ai-je battue à plate couture ? Les épaules de madame ont-elles touché ? Es-tu knock-out ? Débâcle sur toute la ligne, hein ? C’est ce que j’ai voulu te faire sentir, Joséphine. Tu partiras d’ici convaincue que tu ne peux rien contre moi, et que le mieux est de renoncer à toutes tes petites machinations. Je serai heureux malgré toi, et Clarisse aussi, et nous aurons beaucoup d’enfants. Autant de vérités auxquelles il te faut consentir.

Il se mit à marcher et il continuait de plus en plus gaiement :

– Aussi, que veux-tu, il y a de la malchance dans ton cas. Tu t’es mise en guerre contre un gaillard qui est mille fois plus fort et plus malin que toi, ma pauvre fille. Je suis ahuri moi-même de ma force et de ma malice. Tudieu ! Quel phénomène d’habileté, de ruse, d’intuition, d’énergie, de clairvoyance ! Un vrai génie ! Rien ne m’échappe. Je lis à livre ouvert dans le cerveau de mes ennemis. Leurs moindres pensées me sont connues. Ainsi, en ce moment, tu me tournes le dos, n’est-ce pas ? tu es aplatie sur le lit, et je ne vois pas ton charmant visage ? Eh bien ! je me rends parfaitement compte que tu es en train de glisser ta main dans ton corsage, et d’en tirer un revolver, et que tu vas…

La phrase ne fut pas achevée. Brusquement la Cagliostro avait fait volte face, un revolver à la main.

Le coup partit. Mais Raoul, qui s’y préparait, avait eu le temps de saisir le bras, de le tordre, et de le replier dans la direction même de Joséphine Balsamo. Elle tomba, atteinte à la poitrine.

La scène avait été si brutale et le dénouement si imprévu qu’il demeura interdit devant ce corps inerte soudain, et qui gisait, la face toute blanche.

Pourtant aucune inquiétude ne le tourmentait. Il ne pensait point qu’elle fût morte et, de fait, s’étant penché, il constata que le cœur battait régulièrement. Avec des ciseaux, il échancra le corsage. La balle, jaillie de biais, avait glissé, labourant la chair un peu au-dessus du signe noir qui marquait le sein droit.

– Blessure sans gravité, dit-il, tout en pensant que la mort d’une pareille créature eût été chose juste et souhaitable.

Il gardait ses ciseaux à la main, la pointe en avant, et il se demandait si son devoir n’était pas d’abîmer cette beauté trop parfaite, de taillader en pleine chair, et de mettre ainsi la sirène dans l’impossibilité de nuire. Une balafre en croix profonde, au travers du visage, et dont la cicatrice indélébile soulèverait la peau boursouflée, quel équitable châtiment et quelle utile précaution ! Que de malheurs évités et de crimes prévenus !

Il n’en eut pas le courage et ne voulut pas s’en arroger le droit. Et puis il l’avait trop aimée…

Il resta longtemps à la considérer, sans faire un mouvement, et avec une tristesse infinie. La lutte l’avait épuisé. Il se sentait plein d’amertume et de dégoût. Elle était son premier grand amour, et ce sentiment, où le cœur ingénu apporte tant de fraîcheur et dont il garde un souvenir si doux, ne lui laisserait, à lui, que rancune et que haine. Toute sa vie, il aurait aux lèvres un pli de désenchantement et dans l’âme une impression de flétrissure.

Elle respira plus fort et souleva ses paupières.

Alors il éprouva le besoin irrésistible de ne plus la voir et de ne plus même penser à elle.

Ouvrant la fenêtre, il écouta. Des pas, lui sembla-t-il, arrivaient de la falaise. Léonard avait dû constater, en atteignant le rivage, que l’expédition se réduisait à la capture d’un mannequin, et, sans doute, inquiet de Joséphine Balsamo, venait-il à son secours.

« Qu’il la trouve ici, qu’il l’emporte ! se dit-il. Qu’elle meure ou qu’elle vive ! Qu’elle soit heureuse ou malheureuse ! Je m’en moque !… Je ne veux plus rien savoir d’elle. Assez ! Assez de cet enfer ! »

Et, sans une parole, sans un regard à la femme qui lui tendait les bras et le suppliait, il partit…

Le lendemain matin, Raoul se faisait annoncer chez Clarisse d’Étigues.

Pour ne pas toucher trop tôt à des blessures qu’il devinait si sensibles, il n’avait pas revu la jeune fille. Mais elle savait qu’il était là, et, tout de suite, il comprit que le temps accomplissait déjà son œuvre. Les joues étaient plus roses. Les yeux brillaient d’espoir.

– Clarisse, lui dit-il, dès le premier jour vous avez promis de tout me pardonner…

– Je n’ai rien à vous pardonner, Raoul, affirma la jeune fille, qui pensait à son père.

– Si, Clarisse, je vous ai fait beaucoup de mal. Je m’en suis fait beaucoup à moi aussi, et ce n’est pas seulement votre amour que je demande, ce sont vos soins et votre protection. J’ai besoin de vous, Clarisse, pour oublier d’affreux souvenirs, pour reprendre confiance dans la vie, et pour combattre d’assez vilaines choses qui sont en moi et qui m’entraînent… où je ne voudrais pas aller. Si vous m’aidez, je suis sûr d’être un honnête homme, je m’y engage sincèrement, et je vous promets que vous serez heureuse. Voulez-vous être ma femme, Clarisse ?

Elle lui tendit la main.

Épilogue

Comme le supposait bien Raoul, tout le vaste système d’intrigues tendu pour la capture du trésor fabuleux, resta dans l’ombre. Le suicide de Beaumagnan, les aventures de la Pellegrini, la personnalité mystérieuse de la comtesse de Cagliostro, sa fuite, le naufrage du Ver-Luisant, autant de faits divers que la justice ne put pas ou ne voulut pas relier les uns aux autres. Le mémoire du cardinal-archevêque fut détruit ou disparut. Les associés de Beaumagnan se désunirent et ne parlèrent pas. On ne sut rien.

À plus forte raison, le rôle de Raoul, dans toute cette affaire, ne pouvait être soupçonné et son mariage passa inaperçu. Par quel prodige réussit-il à se marier sous le nom de vicomte d’Andrésy ? Sans doute doit-on attribuer ce tour de force aux moyens d’action formidables que lui donnaient les deux poignées de pierres précieuses prélevées sur le trésor. Avec cela… on achète bien des complicités.

Et c’est de même ainsi évidemment que le nom de Lupin se trouva un jour escamoté. Sur aucun registre d’état civil, sur aucune pièce authentique, il ne fut plus question d’Arsène Lupin, ni de son père Théophraste Lupin. Légalement, il n’y eut plus que le vicomte Raoul d’Andrésy, lequel vicomte partit en voyage à travers l’Europe avec la vicomtesse, née Clarisse d’Étigues.

Deux événements marquèrent cette époque. Clarisse mit au monde une fille qui ne vécut point. Et, quelques semaines plus tard, elle apprenait la mort de son père.

Godefroy d’Étigues, en effet, et son cousin Bennetot périrent au cours d’une promenade en barque. Accident ? Suicide ? Les deux cousins, dans les derniers temps de leur vie, passaient pour fous, et l’on admit généralement qu’ils s’étaient tués. Il y eut aussi la version du crime, et l’on s’entretint d’un yacht de plaisance qui aurait coulé la barque et se serait enfui. Mais point de preuve.

En tout état de cause, Clarisse ne voulut pas toucher à la fortune de son père. Elle en fit don à des institutions de charité.

Des années encore s’écoulèrent, années charmantes et insouciantes.

Raoul tenait l’une des promesses qu’il avait faites à Clarisse : elle fut profondément heureuse.

L’autre promesse, il ne la tint pas : il ne fut pas honnête.

Cela, il ne le pouvait pas. Il avait dans le sang le besoin de prendre, de combiner, de mystifier, de duper, de s’amuser aux dépens d’autrui. Il était, d’instinct, contrebandier, flibustier, maraudeur, pirate, conspirateur, et surtout chef de bande. En outre, à l’école de la Cagliostro, il s’était rendu compte, avec un certain orgueil, des qualités vraiment exceptionnelles qui le mettaient hors de pair. Il croyait à son génie. Il s’attribuait des droits à une destinée fantastique, en opposition avec la destinée de tous les hommes qui vivaient en même temps que lui. Il serait au-dessus de tous. Il serait le maître.

À l’insu donc de Clarisse et, sans que jamais la jeune femme eût le moindre soupçon, il monta des entreprises et réussit des affaires où, de plus en plus, s’affirma son autorité et se développèrent ses dons réellement surhumains.

Mais avant tout, se disait-il, le repos et la félicité de Clarisse ! Il respectait sa femme. Qu’elle fût et qu’elle se sût l’épouse d’un voleur, cela il ne l’admit pas.

Leur bonheur dura cinq ans. Au début de la sixième année, Clarisse mourut des suites d’une couche. Elle laissait un fils appelé Jean.

Or, le surlendemain, ce fils disparut, sans que le moindre indice permît à Raoul de découvrir qui avait pu pénétrer dans la petite maison d’Auteuil qu’il habitait ni comment on avait pu y pénétrer.

Quant à savoir d’où le coup provenait, là-dessus aucune hésitation. Raoul, qui ne doutait pas que le naufrage des deux cousins n’eût été provoqué par la Cagliostro, Raoul qui, depuis, avait appris en outre que Dominique était mort empoisonné, Raoul considéra comme établi que la Cagliostro avait organisé l’enlèvement.

Son chagrin le transforma. N’ayant plus ni femme ni fils pour le retenir, il se jeta résolument dans la voie où l’entraînaient tant de forces. Du jour au lendemain, il fut Arsène Lupin. Plus de réserve. Plus de ménagements. Au contraire. Du scandale, des provocations, de l’arrogance, un étalage de vanité et de gouaillerie, son nom sur les murs, sa carte de visite dans les coffres-forts : Arsène Lupin, quoi !

Mais, que ce fût sous ce nom, ou sous les noms divers qu’il s’amusait à prendre, qu’il se fît appeler comte Bernard d’Andrésy (il avait dérobé les papiers d’un cousin de sa famille, mort à l’étranger) ou Horace Velmont, ou colonel Sparmiento, ou duc de Charmerace, ou prince Sernine, ou don Luis Perenna, toujours et partout, au milieu de tous ses avatars et sous tous les masques, il cherchait la Cagliostro, et il cherchait son fils Jean.

Il ne retrouva pas son fils. Il ne revit jamais Joséphine Balsamo.

Vivait-elle encore ? Osait-elle se risquer en France ? Continuait-elle à persécuter et à tuer ? Devait-il admettre, en ce qui le concernait, que la menace éternellement dirigée contre lui, depuis la minute même de la rupture, aboutirait à quelque vengeance plus cruelle que l’enlèvement de son enfant ?

Toute la vie d’Arsène Lupin, folles entreprises, épreuves surhumaines, triomphes inouïs, passions démesurées, ambitions extravagantes, tout cela devait se dérouler avant que les événements lui permissent de répondre à ces questions redoutables.

Et ainsi se fait-il que sa première aventure se renoua, plus d’un quart de siècle après, à ce qu’il lui plait de considérer aujourd’hui comme sa dernière aventure.

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