Hymnes homériques

Hymnes homériques

d’ Homère

Préambule

Les Hymnes homériques sont une collection de courts poèmes épiques, qui dans l’Antiquité étaient souvent attribués à Homère, d’où leur nom. Aujourd’hui, on estime que le plus vieux des hymnes, celui à Déméter remonte à l’époque d’Hésiode. Chacun des hymnes est dédié à un dieu, et est destiné à être chanté par l’aède en guise de prélude ou proème (du grecancien προοίμιον prooimion), avant de passer à une œuvre plus longue.

 

1. – À Apollon.

Je n’oublierai point Apollon qui lance au loin ses flèches, Apollon qu’honorent les dieux quand il s’avance dans le palais de Jupiter. Dès qu’il s’approche, dès qu’il tend son arc redoutable, toutes les divinités abandonnent leurs sièges. Latone seule reste aux côtés du roi de la foudre. Elle relâche la corde ; elle ferme le carquois, de ses mains elle enlève l’arc des fortes épaules d’Apollon et le suspend, par une cheville d’or,à la colonne de son père. Puis elle le conduit sur un trône superbe.

Jupiter accueille son fils et lui présente le nectar dans une coupe d’or : tous les immortels reprennent ensuite leurs places, et l’auguste Latone est fière d’avoir enfantéce fils illustre qui porte un arc redoutable.

Salut, mère fortunée, ô Latone ! vousavez donné le jour à des enfants glorieux, le grand Apollon etDiane qui se plaît à lancer des flèches ; elle naquit dansOrtygie, lui, dans l’âpre Délos, lorsque vous reposiez sur leshauteurs du mont Cynthus, auprès d’un arbre et non loin des sourcesde l’Ynope. Comment vous honorer dignement, ô Phébus, digne desplus grandes louanges ? C’est à vous qu’on attribue de toutesparts les lois de l’harmonie, soit sur le fertile continent, soitdans les îles. Vous aimez les rochers, les âpres sommets des hautesmontagnes, les fleuves qui se précipitent dans la mer, lespromontoires penchés sur les flots, et les vastes ports de l’océan.Latone vous enfanta le premier, ô vous qui charmez les mortels.Elle était alors couchée sur le mont Cynthus dans une île sauvage,dans la maritime Délos, où le flot bleuâtre, poussé par la doucehaleine des vents, vient se briser sur le rivage. C’est de là quevous êtes parti pour régner sur tous les hommes, sur tous ceux querenferment la Crète, la ville d’Athènes, l’île Égine, l’Eubée,célèbre par ses vaisseaux, Aigée et Irésie et Péparéthe, voisine dela mer, l’Athos de Thrace, les sommets élevés du Pélion, laSamothrace, les monts de l’Ida couverts d’ombrages, Scyros, Phocée,la montagne élevée d’Autocane, Imbros aux riches palais, Lemnosd’un abord si rude, la divine Lesbos, séjour de Macare, descendantd’Éole, Chio, la plus féconde de toutes les îles qui sortent dusein des mers, la pierreuse Mimas, les hauteurs du Coryce, labrillante Claros, la vaste montagne d’Esagée, l’humide Samos, lessommets élevés de Mycale, Milet, Cos, ville des Méropes, la hauteCnide, Carpathe, battue des vents, Naxos, Paros et Rhénée, hérisséede rochers. Latone, près d’accoucher d’Apollon, fut obligée deparcourir toutes ces contrées pour en trouver une qui voulût offrirun asile à son fils : mais toutes furent saisies de crainte etde terreur et nulle n’osa, quoique fertile, recevoir Apollon.Enfin, la vénérable Latone arriva à Délos et s’adressant à cetteîle elle prononça ces paroles :

– Délos, donne un asile à mon fils, place-ledans un temple somptueux. Nul, jusqu’à ce jour, n’approcha de tesbords et ne t’adressa ses voeux : ni troupeaux de boeufs, nitroupeaux de brebis ne t’enrichissent : tu ne produis pas devignes, tu ne produis aucune espèce de plante. Mais bâtis un templeau puissant Apollon et aussitôt tous les hommes rassemblés en foulet’immoleront des hécatombes ; ce roi te fécondera toujours,les dieux te protègeront, et quoique ton sol ne soit pas fertile,les étrangers t’apporteront des sacrifices dont la fumée s’élèveravers les cieux.

Elle dit. Délos, remplie de joie, lui réponditen ces mots :

– Latone, fille illustre du grand Céus, c’estavec plaisir que je recevrai à sa naissance le dieu qui doit unjour lancer au loin ses flèches ; car il est vrai que je suisméprisée des mortels, et alors, au contraire, je serai combléed’honneurs. Mais je redoute une parole, ô Latone ! et je nevous la cacherai point : on dit qu’Apollon deviendraterrible ; que sa domination s’étendra sur les immortels etles faibles humains habitants de la terre féconde. Je crains doncau fond de mon âme que lorsque ce dieu verra les rayons du soleilil ne me méprise, moi qui suis stérile, et que, me frappant dupied, il me précipite dans les abîmes de la mer. Alors un flot entourbillonnant m’engloutirait tout entière et pour toujours. Lui,cependant, irait chercher une contrée plus agréable pour y posséderun temple et des bols sacrés, et alors les polypes construiraientleurs demeures sur mon sol, les noirs phoques y bâtiraient leurshabitations pendant l’absence des peuples. Je me rends cependant àvos désirs, ô déesse, si vous consentez à jurer avec serment qu’ences lieux Apollon bâtira son temple magnifique pour être l’oracledes hommes, puisque dans la suite ce dieu doit être honoré sousplusieurs noms par tous les mortels.

Ainsi parla Délos : alors Latone prenantla parole prononça ainsi le serment terrible des dieux :

– Je le jure maintenant par la terre, par lescieux élevés et par l’onde souterraine du Styx, serment le plusredouté des dieux immortels : ici seront pour toujours l’autelodorant et le chant consacré à Phébus, et lui t’honorera plus quetoutes les contrées.

Dès qu’elle a prononcé ce serment, Délos seréjouit de la naissance du dieu qui lance au loin ses traits. Alorspendant neuf jours et pendant neuf nuits, Latone fût déchirée parles cruelles douleurs de l’enfantement. Toutes les déesses les plusillustres sont rassemblées autour d’elle. Dionée, Rhéa, Thémis quipoursuit les coupables, la gémissante Amphitrite, toutes, àl’exception de Junon aux bras d’albâtre : celle-ci resta dansle palais du formidable Jupiter. Cependant la seule Ilythie, déessedes accouchements, ignorait cette nouvelle ; elle était assiseau sommet de l’Olympe dans un nuage d’or et fut retenue par lesconseils de Junon qui ressentait une fureur jalouse parce queLatone à la belle chevelure devait enfanter un fils puissant etirréprochable.

Alors pour amener Ilythie, les autres déessesenvoyèrent de Délos la légère Iris en lui promettant un colliermêlé de fils d’or et long de neuf coudées. Elles lui recommandentsurtout de l’avertir à l’insu de Junon, de peur qu’elle ne l’arrêtepar ses paroles. Iris, aussi prompte que les vents, ayant reçu cetordre, s’élance et franchit l’espace en un instant. Arrivée à lademeure des dieux sur le sommet de l’Olympe, elle appela Ilythie duseuil du palais et lui redit fidèlement toutes les paroles comme lelui avaient recommandé les habitantes des célestes demeures. Ellepersuada l’âme d’Ilythie et toutes deux s’envolent semblables à detimides colombes. Lorsque la déesse qui préside aux enfantementsarriva â Délos, Latone était en proie aux plus vives douleurs. Surle point d’accoucher elle entourait de ses bras un palmier et sesgenoux pressaient la molle prairie. Bientôt la terre sourit dejoie ; le dieu paraît à la lumière ; toutes les déessespoussent un cri religieux. Aussitôt, divin Phébus, elles vouslavent chastement et vous purifient dans une onde limpide et vousenveloppent dans un voile blanc, tissu délicat nouvellementtravaillé qu’elles nouent avec une ceinture d’or. Latone n’allaitapoint Apollon au glaive étincelant. Thémis, de ses mainsimmortelles, lui offrit le nectar et la divine ambroisie. Latonefut alors comblée de joie d’avoir enfanté ce fils vaillant quiporte un arc redoutable.

Mais vous, ô Phébus ! à peine eûtes-vousgoûté la céleste nourriture, que les ceintures d’or ne purentretenir votre impétuosité : les liens ne vous arrêtent plus,vous déchirez vos langes. Soudain le brillant Apollon dit auxdéesses :

– Qu’on me donne une lyre harmonieuse et desarcs recourbés et désormais je révélerai aux hommes les oraclescertains de Jupiter.

En parlant ainsi, Phébus à la forte chevelureet qui lance au loin ses traits s’avançait fièrement sur la terreféconde. Les déesses étaient frappées d’étonnement. Délos paraitcouverte d’or à la vue du fils de Jupiter et de Latone. Elle seréjouit que ce dieu puissant l’ait choisie entre toutes les îlespour y fixer sa demeure et que son coeur l’ait préférée. Ellebrille d’un vif éclat comme le sommet de la montagne couronnée desfleurs de la forêt.

Ô divin Apollon, vous qui portez un arcd’argent et lances au loin vos flèches, tantôt vous gravisses lesrochers da Cynthius, tantôt vous visitez les hommes et les îlesqu’ils habitent. Des temples nombreux et des bois ombragéss’élèvent en votre honneur. Vous aimez les rochers, les âpressommets des montagnes et les fleuves qui se précipitent dans lamer. Mais, ô Phébus, Délos est le lieu le plus cher à votrecoeur ; c’est là que se réunissent les Ioniens à la robetraînante avec leurs enfants et leurs épouses vénérables :c’est là qu’ils essaient de vous charmer en se livrant aux combatsdu pugilat, de la danse et du chant. Si quelqu’un voyait lesIoniens rassemblés, il les dirait immortels et exempts devieillesse. Le coeur se réjouit en voyant ces héros gracieux, leursfemmes ornées de ceintures, leurs vaisseaux rapides et leurstrésors abondants. Mais il est encore un grand prodige dont lagloire est impérissable, ce sont les filles de Délos elles-mêmes,prêtresses du dieu qui lance au loin ses traits. Elles célèbrentd’abord la gloire d’Apollon, puis elles rappellent Latone et Dianejalouse de ses flèches ; elles chantent aussi les hérosanciens et leurs épouses et charment la foule des humains. Ellessavent imiter les danses et les chants de tous les peuples. Ondirait que chacun d’eux parle lui-même, tant ces belles voiximitent facilement leurs accords.

Soyez-nous favorables, Apollon et Diane. Salutà vous, ô leurs prêtresses. Ressouvenez-vous de moi dans l’avenir,et si jamais parmi les hommes quelque voyageur malheureux vousinterroge et vous dit :

– Jeunes filles, quel est le plus illustre deschanteurs qui fréquentent cette île ? Lequel vous charmadavantage ?

Pleines de bienveillance pour moi,puissiez-vous répondre :

– C’est le chanteur aveugle. Il habite dans lamontagneuse Chio : ses chants conserveront une éternellerenommée dans les siècles futurs.

Quant à moi, je redirai votre gloire par toutela terre jusqu’au sein des villes populeuses : les hommesseront convaincus, car c’est la vérité.

Non, je n’oublierai point Apollon qui lance auloin ses traits. Je chanterai le dieu qui porte un arc d’argent, ledieu qu’enfanta Latone à la blonde chevelure.

Ô Apollon, qui possédez la Lycie, l’agréableMéonie et l’aimable ville de Milet, située au bord de la mer, vousétendez aussi votre puissance sur Délos, qu’entourent les ondes. Lefils de la blonde Latone, faisant résonner une lyre harmonieuse,s’avance vers l’âpre contrée de Pytho, revêtu d’habits immortels ettout parfumé d’essences ; son archet d’or fait rendre àl’instrument les sons les plus mélodieux. Puis abandonnant laterre, il s’élève jusqu’à l’Olympe, et, rapide comme la pensée,pénètre dans les demeures de Jupiter pour se rendre à l’assembléedes dieux ; aussitôt les immortels consacrent tous leursinstants au chant et à la lyre. Toutes les muses font entendreleurs voix mélodieuses : elles chantent l’éternelle félicitédes dieux et les souffrances des hommes qui vivent dans l’erreur etla faiblesse, sous la domination des immortels, et ne peuventtrouver aucun asile contre la mort, aucun remède contre lavieillesse. Les Grâces à la chevelure superbe, les Heuresbienveillantes, Hébé, l’Harmonie, et Vénus la fille de Jupiterforment les choeurs des danses en se tenant par la main ; unedivinité grande et admirable à voir et qui certes n’est pas unefaible déesse, Diane, heureuse de ses flèches et la soeurd’Apollon, les accompagne d’une voix mélodieuse. Mars et lemeurtrier vigilant d’Argus se joignent à ces jeux. Enfin lebrillant Apollon lui-même joue de la lyre en marchant dans lasplendeur de sa grâce et de sa fierté. Il brille d’une vivelumière, l’éclat de ses pieds et de sa longue tunique rayonne auloin. Latone à la blonde chevelure et le puissant Jupiterressentent une vive joie dans leur âme en voyant leur fils se mêlerainsi aux jeux de la troupe immortelle.

Comment vous comblerai-je d’assez d’honneurs,ô vous digne des plus grandes louanges ? Chanterai-je vosplaisirs et vos amours lorsque, pour vous unir à la jeune Azantide,vous luttâtes avec le noble Ischys, vaillant cavalier issud’Élation ? ou bien avec Phorbas, fils de Triopée, avecÉrechtée, avec Leucippe et son épouse, vous à pied, lui monté surun char ?… Ou bien dirai-je, ô Apollon, toutes les contréesque vous avez parcourues cherchant un lieu propice pour rendre vosoracles aux mortels ?

D’abord en quittant l’Olympe, vous êtes venudans la Piérie, dans Lectos, dans Émathie, dans le pays des Énienset parmi les Perrhèbes ; vous avez visité Iolchos et Cénée,promontoire de l’Eubée, célèbre par ses navires. Vous êtes restéquelque temps dans les champs de Lélanté, mais votre coeur netrouva pas ce pays assez beau pour y bâtir un temple au milieu d’unbois ombragé. De là, vous avez franchi l’Euripe, divinApollon ; vous avez traversé une montagne verdoyante ;vous êtes parvenu en peu d’instants à Mycalèse et jusque dansTeumèse aux gras pâturages. Enfin vous êtes arrivé à Thèbes dont lesol était couvert de bois. Les hommes n’habitaient point encore laville sacrée de Thèbes ; ni chemins, ni sentiers netraversaient alors cette vaste plaine fertile ; on n’y voyaitqu’une forêt immense.

Divinité puissante, vous n’avez pas tardé àquitter ces lieux ; vous êtes venue dans Oncheste où s’élèvele bois sacré de Neptune. C’est là que le jeune coursiernouvellement dompté respire fortement de ses naseaux après avoirtraîné le char magnifique. Le conducteur habile s’élance à terre etabandonne le char qui poursuit sa course. Désormais sans guide, leschevaux s’emportent avec rapidité. S’ils arrivent jusqu’au boisombragé, des serviteurs détellent les coursiers dont ils prennentsoin et rangent le char en l’inclinant. Ainsi fut établie cettefête dans l’origine. Ensuite les peuples implorent Neptune pour quele destin conserve le char de ce dieu.

Bientôt vous avez abandonné ces lieux, divinApollon ; vous êtes arrivé sur les bords riants du Céphise quiroule ses ondes limpides loin de Litée. Vous avez franchi la villed’Ocalie aux nombreuses tours, et vous êtes parvenu dans lesprairies d’Aliartes près de la fontaine Telphuse. Ce lieu étaitpropice pour construire un temple et planter un bois ombragé. Vousvous êtes alors approché de la fontaine et vous lui avez adresséces paroles :

– Telphuse, j’ai résolu de bâtir en ces lieuxun temple superbe pour y rendre mes oracles aux mortels. Ilsm’immoleront de magnifiques hécatombes et viendront me consulter detous les lieux de la terre, du fertile Péloponèse, de l’Europe oudes îles. Je leur ferai connaître à tous un avenir certain et jerendrai des oracles dans ce temple somptueux.

En parlant ainsi, Apollon posait lesfondements d’un temple vaste et solide. Delphuse l’ayant vus’irrita jusqu’au fond de l’âme et fit entendre cesparoles :

– Écoutez-moi, puissant Phébus qui lancez auloin vos traits, je veux déposer une parole en votre sein :vous avez résolu de construire en ces lieux un temple superbe pourrendre vos oracles aux mortels qui viendront vous immolerd’illustres hécatombes. Mais sachez-le et retenez bien ce discoursdans votre pensée : vous serez sans cesse troublé par le bruitdes coursiers rapides et des mules qui viendront se désaltérer àmes sources sacrées. Ici les hommes préfèrent le spectacle deschars solides et le bruit des coursiers qui fendent l’air àl’aspect d’un temple spacieux et renfermant d’abondantes richesses.Laissez-vous donc persuader, illustre divinité, bien plus grande,bien plus puissante que moi, et dont la force est immense ; etconstruisez un temple à Crissa dans une vallée du Parnasse. Làjamais on ne voit de chars magnifiques ; le bruit des rapidescoursiers ne retentira jamais autour de votre autel magnifique. Lesmortels viendront offrir leurs sacrifices au divin Jopean ;vous, le coeur plein de joie, vous recevrez leurs pompeusesoffrandes.

Par cet habile discours Telphuse persuada ledieu qui lance au loin ses traits. Elle voulait conserver et ne passe laisser ravir par Apollon la gloire de régner sur cettecontrée.

Vous avez donc quitté ces lieux, ô puissantApollon, et vous êtes venu dans la ville des Phlégiens, hommespleins d’audace, méprisant Jupiter, qui habitent une riche valléeprés du lac Céphise. Vous avez monté en courant jusqu’au sommet dela montagne, vous êtes arrivé à Crissa sur le neigeux Parnasse, àl’endroit où cette montagne est battue du souffle du zéphyr. Là, devastes rochers qui pendent sur l’abîme forment une vallée âpre etprofonde ; le brillant Phébus conçut le dessein d’y construireun temple magnifique et prononça ces paroles :

– J’ai résolu de bâtir en ces lieux un templesuperbe pour y rendre mes oracles aux mortels. Ils m’immoleront demagnifiques hécatombes et viendront me consulter de tous les lieuxde la terre, du fertile Péloponnèse, de l’Europe ou des îles. Jeleur ferai connaître à tous un avenir certain et je rendrai desoracles dans ce temple somptueux.

En parlant ainsi le divin Apollon jeta lesfondements de son temple vaste et solide. Sur ces fondementsAgamède et Trophonius, tous deux fils d’Ergine et chers aux dieuximmortels, posèrent le seuil. Les nombreuses tribus des hommesbâtirent avec des pierres polies un temple qui devait être à jamaiscélèbre. Près de ce temple était une fontaine limpide où Apollontua de son arc redoutable une hydre énorme, affreuse, monstresauvage et altéré de sang qui accablait de maux nombreux les hommeset les troupeaux de brebis. Autrefois cette hydre, protégée parJunon au trône d’or, avait nourri l’infâme Typhon, la terreur desmortels, ce fils de Junon, qu’elle avait enfanté dans sonindignation contre Jupiter lorsqu’il conçut dans son cerveaul’illustre Minerve. Pleine de courroux l’auguste Junon adressa cediscours aux immortels assemblés :

– Écoutez-moi, dieux et déesses, le formidableJupiter est le premier qui me méprise après m’avoir choisie entretoutes pour être son épouse vertueuse. Loin de moi maintenant, il aconçu la superbe Pallas, célèbre entre toutes les déessesfortunées, tandis que mon fils Vulcain aux pieds mutilés est né leplus faible de toutes les divinités ; moi-même quand je luidonnai le jour, je le saisis et je le précipitai dans la vastemer ; mais la fille de Nérée, Thétis aux pieds d’argent, lereçut et le nourrit avec ses sœurs. Ah ! Jupiter devaithonorer plus dignement les dieux. Insensé ! perfide !quel autre dessein médites-tu donc maintenant ? Comment seulas-tu pu concevoir la pensée d’enfanter la belle Minerve ?N’aurais-je pu l’enfanter aussi, moi, nommée ton épouse par tousles immortels qui règnent dans les cieux ? Hé bien ! moiaussi je veux employer toute mon habileté pour qu’il me naisse unfils qui soit célèbre entre tous les dieux ; je n’outrageraini ta couche ni la mienne, je ne partagerai point ton lit, etquoique éloignée de toi je vivrai parmi les dieux immortels.

Elle dit, et s’éloigne des dieux le coeurdévoré de chagrin. Aussitôt l’auguste Junon forme des voeux, et desa main frappant la terre elle prononce ces paroles :

– Écoutez-moi, Terre, Cieux élevés, et vous,dieux Titans, qui dans des abîmes horribles habitez au fond duTartare, vous qui avez donné naissance aux dieux et aux hommes,écoutez-moi tous maintenant, et procurez-moi sans l’aide deJupiter, un fils dont la force ne lui soit pas inférieure, mais quisoit aussi supérieur à Jupiter que Jupiter est supérieur àSaturne.

Junon parle ainsi et frappe le sol d’une mainvigoureuse ; la terre féconde en est ébranlée, et Junon seréjouit dans son âme car elle pense que ses voeux sont exaucés.Durant une année entière elle ne partagea pas la couche de Jupiter,et comme autrefois ne prit point place sur le trône magnifique d’oùsouvent elle dicta de sages conseils ; mais elle resta dansles temples remplis de ses nombreux adorateurs ; elle se plutà recevoir leurs sacrifices. Les jours et les mois s’étant écouléset les heures dans leur cours ayant amené le terme de l’année,cette divinité enfanta un fils différent des dieux et des hommes,l’horrible et funeste Typhon, la terreur des mortels. Junon prenantce monstre dans ses bras le porte à l’hydre épouvantable ;celle-ci le reçut. Cette hydre causait des maux innombrables auxhumains ; quiconque s’offrait â sa vue trouvait la mort,jusqu’au moment où le puissant Apollon la frappa d’une flècheterrible. Alors l’hydre en proie aux plus vives douleurs, respirantà peine, se roule sur le sable, pousse d’affreux sifflements, setord en tous sens, se précipite au milieu de la forêt ; etdans son souffle empesté exhale sa sanglante vie. Cependant Apollons’écriait dans la joie de son triomphe :

– Que ton corps desséché pourrisse sur ce solfertile ; tu ne seras plus le fléau des mortels qui senourrissent des fruits de la terre féconde et ils viendrontm’immoler ici de magnifiques hécatombes ; ni Typhée, nil’odieuse Chimère ne pourront t’arracher à la mort, mais la terreet le soleil dans sa carrière céleste feront pourrir ici toncadavre.

Ainsi dit Apollon fier de sa victoire. Uneombre épaisse couvre les yeux du serpent ; échauffé par lesrayons du soleil il tombe en pourriture. Voilà comment cettecontrée prit le nom de Pytho : les habitants donnèrent au dieule nom de Pythien, parce qu’en ces lieux le soleil de ses rayonsdévorants a pourri ce monstre terrible. Apollon s’apercevant alorsque la brillante fontaine l’a trompé, plein de courroux, se rendprés de Telphuse et lui adresse ces paroles :

– Telphuse, tu ne devais point me tromper pourrégner seule sur cette charmante contrée où s’écoulent tes ondeslimpides ; je veux que ma gloire brille en ces lieux et non latienne seulement.

Le puissant Apollon précipite aussitôt sur lafontaine le promontoire et ses roches élevées ; il cache sasource et construit un autel au milieu d’un bois sacré non loin deseaux murmurantes. Les peuples le surnommèrent Telphusien parcequ’il enleva tous les honneurs à la fontaine sacrée deTelphuse.

Cependant le divin Apollon réfléchissait aufond de son âme quels hommes seraient ses ministres pour le servirdans l’âpre Pytho.

Tandis qu’il agite ces pensées dans son sein,il aperçoit sur la vaste mer un vaisseau rapide ; dans cevaisseau se trouvaient beaucoup d’hommes pleins de courage, desCrétois arrivant de Gnosse, ville de Minos, destinés à offrir unjour des sacrifices à la divinité, à publier les oracles dubrillant Apollon au glaive d’or, lorsqu’il annoncera ses prophétiesimmortelles dans les vallons du Parnasse. Ces Crétois, dansl’intention de faire le négoce et d’amasser des richesses,voguaient sur leur léger navire vers la sablonneuse Pylos et leshommes qui l’habitent. Apollon les ayant découverts se précipitedans les ondes et, sous la forme d’un dauphin, se place sur lenavire comme un monstre immense et terrible. Aucun des nautoniersne le remarqua, aucun ne l’aperçut, mais chaque fois que le dauphins’agitait, il remuait toutes les poutres du vaisseau ; lesmatelots tremblants restaient assis et gardaient le silence ;ils ne tendaient point les cordages, ils ne déployaient pas lesvoiles, mais ils naviguaient toujours dans la même direction oùd’abord ils avaient été lancés à force de rames. Nôtus, de sonsouffle impétueux, poussait avec force le rapide navire. D’abordils doublèrent le cap Maléa, côtoyèrent la Laconie, Hélos situéesur les bords de la mer et le pays du soleil fécondant, Ténare, oùpaissent toujours les troupeaux du puissant Soleil, qui règne seuldans cette charmante contrée.

C’est la que les Crétois voulaient arrêterleur vaisseau, et voir, en descendant, si le monstre resterait surle pont du navire, ou s’il se plongerait dans l’ondepoissonneuse : mais le vaisseau aux larges flancs refused’obéir au gouvernail ; il continue sa route en côtoyant lefertile Péloponèse. Le puissant Apollon de son souffle le dirigesans effort ; le navire poursuit sa course rapide, il passedevant Arène, l’agréable Thryos où l’Alphée offre un gué facile,devant la sablonneuse Pylos et les hommes qui l’habitent. Ilfranchit Crune, la Chalcide, Dyme, et la divine Élide où règnentles Épéens. Après avoir franchi les rivages de Phère, on vit sedessiner au sein des nuages la haute montagne d’Ithaque, Samé,Dulichium, et la verte Zacynthe. Puis le navire ayant côtoyé toutle Péloponnèse, on découvrit le vaste golfe de Crissa, qui lui sertde limite. En cet instant un vent violent et serein, le zéphyr,obéissant à la volonté de Jupiter, se précipite des cieux, afin quele vaisseau fende plus rapidement de sa proue les flots salés de lamer. En ce moment les Crétois se dirigent vers l’aurore et lesoleil. Un dieu les guide, c’est Apollon, fils de Jupiter :ils arrivent bientôt dans l’heureuse Crissa, fertile envignes ; ils entrent au port, le large vaisseau s’enfonce dansle sable.

Apollon s’élance aussitôt du navire, pareil àun météore qui paraîtrait en plein jour : mille rayons luiforment une auréole, et sa splendeur monte jusqu’aux cieux. Le dieupénètre en son sanctuaire au milieu des trépieds sacrés.

Lui-même brille d’une vive flamme, signe de saprésence, et son éclat se répand sur toute la ville deCrissa : les épouses des Crisséens et leurs filles aux bellesceintures jettent vers le ciel un cri religieux à l’apparitiond’Apollon. Chacun est saisi de crainte. Aussitôt Phébus, rapidecomme la pensée, s’élance sur le navire sous les traits d’un hérosvigoureux et vaillant, resplendissant de la fleur de l’âge, et sachevelure flottant sur ses larges épaules ; alors il s’adresseaux Crétois et leur dit ces paroles :

– Qui donc êtes-vous, ô étrangers ? Dequels pays venez-vous à travers les plaines liquides ? Est-cepour vous livrer au commerce ou bien errez-vous au hasard comme despirates, jouant leur vie et fendant la mer, pour surprendre etravager les nations lointaines ? Pourquoi rester ainsiimmobiles et tremblants, ne pas descendre à terre et ne pas enleverles agrès du navire ? C’est cependant ainsi que font lesnautoniers lorsque, après les fatigues d’une longue traversée, ilstouchent enfin aux rivages : car alors ils éprouvent un vifdésir de prendre une douce nourriture.

Par ces paroles le dieu renouvelle leurcourage, et le chef des Crétois lui répond en ces mots :

– Étranger, qui par votre figure et votretaille ne ressemblez point aux hommes, mais aux dieux immortels,salut ! Soyez comblé de félicité et que les habitants del’Olympe vous accordent tous les biens. Parlez-moi avec sincéritéet faites-moi connaître ce peuple et ce pays. Quels hommes sont nésen ces lieux ? Nous désirons aller à Pylos. Nous sommes partisde la Crète où nous nous glorifions d’être nés, et nous avonsfranchi les vastes mers. Maintenant, impatients du retour, c’estmalgré nous que notre vaisseau nous a conduits en ces lieux par uneautre route et par d’autres chemins. Une divinité nous a amenés icicontre notre volonté.

– Étrangers, répondit le grand Apollon, ô vousqui jusqu’à ce jour avez habité Cnosse couronnée de forêts, vous nereverrez plus cette ville aimable, vous ne reverrez plus vos richesdemeures ni vos épouses chéries, mais vous resterez ici pour gardermon temple, et vous serez honorés par de nombreux mortels. Je suisle fils de Jupiter, je me glorifie d’être Apollon : c’est moiqui vous ai guidés en ces lieux, à travers les mers immenses sansmauvais dessein, mais afin que vous soyez les gardiens de montemple et que vous receviez les hommages de tous les peuples. Vousconnaîtrez les desseins des dieux, et par leurs volontés vous serezà jamais comblés d’honneurs. Mais obéissez de suite à mes ordres,pliez les voiles, tirez le navire sur le rivage, enlevezpromptement les richesses et les agrès qu’il contient, etconstruisez un autel sur le bord de la mer. Puis vous allumerez lefeu, vous y jetterez la blanche fleur de farine et vous prierez envous tenant debout autour de l’autel : vous implorerez ApollonDelphien, parce que c’est moi qui, sous la forme d’un dauphin, aidirigé votre vaisseau à travers les flots azurés : l’autel,qui recevra de même le nom de Delphien, subsistera toujours.Préparez le repas près du navire et faites des libations enl’honneur des dieux immortels de l’Olympe. Quand vous aurez prisabondamment la douce nourriture, vous m’accompagnerez en chantantio ! péan ! jusqu’à ce que vous arriviez aux lieux oùs’élèvera mon riche temple.

Il dit. Les Crétois obéissent à l’ordre qu’ilsont entendu : ils plient les voiles et détachent lescâbles ; ils abaissent le mât en le soutenant avec descordages, puis ils se répandent sur le rivage de la mer. Ils tirentle navire dans le sable, l’étaient avec de larges poutres etconstruisent un autel sur la grève. Ils allument le feu, ils yjettent la blanche fleur de farine et prient debout autour del’autel, ainsi que le dieu l’avait ordonné. Tous ensuite préparentle repas non loin du navire et font des libations en l’honneur deshabitants fortunés de l’Olympe. La faim et la soif étant apaisées,ils quittent ces bords. Le fils de Jupiter, Apollon, les précéda,tenant une lyre dans ses mains et la faisant résonner en accentsmélodieux : il s’avance avec une démarche haute et fière. LesCrétois l’accompagnent jusque dans Pythos en chantant io !péan ! ; car tels sont les péans des Crétois, hymnessacrés, chants sublimes qu’une muse leur a inspirés. Sans nullefatigue ils franchissent à pied la colline et parviennent bientôtsur la riante colline du Parnasse, où le dieu devait habiter etrecevoir les hommages de tous les peuples de la terre. Apollon, quiles conduit, leur montre les riches parvis du temple. Leur âme estémue dans leur poitrine, et le chef des Crétois, interrogeant ledieu, lui adresse ces paroles :

– Roi puissant, vous nous avez conduits loinde notre patrie et de nos amis, c’est là votre volonté ; maisdésormais comment subsisterons-nous ? Nous vous supplions denous l’apprendre. Ces lieux ne produisent ni vignobles agréables,ni fertiles pâturages, ni rien de ce qui peut rendre heureux dansla société des hommes.

Apollon lui répond aussitôt avec un douxsourire :

– Hommes faibles et infortunés, pourquoi doncabandonner ainsi votre âme aux soins, aux travaux pénibles, auxnoirs chagrins ? Je vais vous donner un conseil facile àsuivre ; conservez-le dans votre souvenir. Chacun de vous,tenant un glaive dans sa main droite, immolera tous les jours unebrebis, car vous aurez en abondance les victimes que viendrontm’offrir les différents peuples du monde. Soyez donc les gardiensde ce temple ; accueillez les hommes qui se réuniront ici parmon inspiration, lors même que leurs actions et leurs parolesseraient choses vaines ou même seraient une injure, comme il arrivesouvent aux faibles mortels. Ensuite viendront d’autres hommes quivous serviront de guides : vous leur serez soumis parnécessité. Crétois, je t’ai dit toutes ces choses : que tonâme les conserve dans son souvenir.

Salut ! ô fils de Jupiter et deLatone ! Je ne vous oublierai jamais, et je passe à un autrechant.

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