La Joie de vivre

Chapitre 11

 

Après un mois de mai abominable, les premiers jours de juinfurent très chauds. Le vent d’ouest soufflait depuis troissemaines, des tempêtes avaient ravagé les côtes, éventré desfalaises, englouti des barques, tué du monde ; et ce grandciel bleu, cette mer de satin, ces journées tièdes et claires quiluisaient maintenant, prenaient une douceur infinie.

Par cette après-midi superbe, Pauline s’était décidée à roulersur la terrasse le fauteuil de Chanteau, et à coucher près de lui,au milieu d’une couverture de laine rouge, le petit Paul, âgé déjàde dix-huit mois. Elle était sa marraine, elle gâtait l’enfantautant que le vieillard.

– Le soleil ne va pas te gêner, mon oncle ?

– Non, par exemple ! Il y a si longtemps que je nel’ai vu !… Et Paul, tu le laisses s’endormir là ?

– Oui, oui, l’air lui fera du bien.

Elle s’était agenouillée sur un coin de la couverture, elle leregardait, vêtu d’une robe blanche, avec ses jambes et ses bras nusqui passaient. Les yeux fermés, il tournait vers le ciel sa petiteface rose et immobile.

– C’est vrai, qu’il s’est endormi tout de suite,murmura-t-elle. Il était las de se rouler… Veille à ce que lesbêtes ne le tourmentent pas.

Et elle menaça du doigt la Minouche, assise sur la fenêtre de lasalle à manger, où elle faisait une grande toilette. Dans le sable,à l’écart, Loulou, étendu tout de son long, ouvrait de temps àautre un œil méfiant, sans cesse prêt à grogner et à mordre.

Comme Pauline se relevait, Chanteau poussa une plaintesourde.

– Ça te reprend ?

– Oh ! ça me reprend ! c’est-à-dire que ça ne mequitte plus… Je me suis plaint, n’est-ce pas ? Est-ce drôle.J’en arrive à ne pas même m’en apercevoir !

Il était devenu un objet d’effroyable pitié. Peu à peu, lagoutte chronique avait accumulé la craie à toutes ses jointures,des tophus énormes s’étaient formés, perçant la peau de végétationsblanchâtres. Les pieds, qu’on ne voyait pas, enfouis dans deschaussons, se rétractaient sur eux-mêmes, pareils à des pattesd’oiseau infirme. Mais les mains étalaient l’horreur de leurdifformité, gonflées à chaque phalange de nœuds rouges et luisants,les doigts déjetés par les grosseurs qui les écartaient, toutes lesdeux comme retournées de bas en haut, la gauche surtout qu’uneconcrétion de la force d’un petit œuf rendait hideuse. Au coude, dumême côté, un dépôt plus volumineux avait déterminé un ulcère. Etc’était à présent l’ankylose complète, ni les pieds ni les mains nepouvaient servir, les quelques jointures qui jouaient encore àdemi, craquaient comme si on avait secoué un sac de billes. À lalongue, son corps lui-même semblait s’être pétrifié dans laposition qu’il avait adoptée pour mieux endurer le mal, penché enavant, avec une forte déviation à droite ; si bien qu’il avaitpris la forme du fauteuil, et qu’il restait ainsi plié et tordu,lorsqu’on le couchait. La douleur ne le quittait plus,l’inflammation reparaissait à la moindre variation du temps, pourun doigt de vin ou pour une bouchée de viande, pris en dehors deson régime sévère.

– Si tu voulais une tasse de lait, lui demanda Pauline,cela te rafraîchirait peut-être ?

– Ah ! oui, du lait ! répondit-il entre deuxgémissements. Encore une jolie invention que leur cure delait ! Je crois qu’ils m’ont achevé avec ça… Non, non, rien,c’est ce qui me réussit le mieux.

Il lui demanda pourtant de changer sa jambe gauche de place, caril ne pouvait la remuer à lui seul.

– La gredine brûle aujourd’hui. Mets-la plus loin,pousse-la donc ! Bien, merci… Quelle belle journée !ah ! mon Dieu ! ah ! mon Dieu !

Les yeux sur le vaste horizon, il continua de gémir sans enavoir conscience. Son cri de misère était à présent comme sonhaleine même. Vêtu d’un gros molleton bleu, dont l’ampleur noyaitses membres pareils à des racines, il abandonnait sur ses genouxses mains contrefaites, lamentables au grand soleil. Et la merl’intéressait, cet infini bleu où passaient des voiles blanches,cette route sans borne, ouverte devant lui qui n’était plus capablede mettre un pied devant l’autre.

Pauline, que les jambes nues du petit Paul inquiétaient, s’étaitagenouillée de nouveau, pour rabattre un coin de la couverture.Pendant trois mois, elle avait dû, chaque semaine, partir le lundisuivant. Mais les mains faibles de l’enfant la retenaient avec unepuissance invincible. Le premier mois, on avait redouté tous lesmatins de ne pas le voir vivre jusqu’au soir. Elle seulerecommençait le miracle de le sauver à chaque seconde, car la mèreétait encore au lit, et la nourrice qu’il avait fallu prendre,donnait son lait simplement, avec la stupidité docile d’unegénisse. C’étaient des soins continus, la température surveilléesans cesse, l’existence ménagée heure par heure, une véritableobstination de poule couveuse, pour remplacer le mois de gestationqui lui manquait. Après ce premier mois, il avait heureusement prisla force d’un enfant né à terme, et il s’était peu à peu développé.Mais il restait toujours bien chétif, elle ne le quittait pas uneminute, depuis son sevrage surtout, dont il avait souffert.

– Comme ça, dit-elle, il n’aura pas froid… Vois donc, mononcle, est-il joli, dans ce rouge ! Ça le rend tout rose.

Chanteau, péniblement, tourna la tête, la seule partie de soncorps qu’il pût remuer. Il murmurait :

– Si tu l’embrasses, tu vas le réveiller. Laisse-le donc,ce chérubin… As-tu vu ce vapeur, là-bas ? ça vient du Havre.Hein ? file-t-il !

Pauline dut regarder le vapeur, pour lui faire plaisir. C’étaitun point noir sur l’immensité des eaux. Un mince trait de fuméetachait l’horizon. Elle demeura un moment immobile, en face decette mer si calme, sous le grand ciel si limpide, heureuse de cebeau jour.

– Avec tout ça, mon ragoût brûle, dit-elle en se dirigeantvers la cuisine.

Mais, comme elle allait rentrer dans la maison, une voix cria,du premier étage :

– Pauline !

C’était Louise qui s’accoudait à la fenêtre de l’anciennechambre de madame Chanteau, occupée maintenant par le ménage. Àmoitié peignée, vêtue d’une camisole, elle continua d’une voixaigre :

– Si c’est Lazare qui est là, dis-lui de monter.

– Non, il n’est pas de retour.

Alors, elle s’emporta tout à fait.

– Je savais bien qu’on le verrait seulement ce soir, encores’il daigne revenir ! Il a déjà découché cette nuit, malgré sapromesse formelle… Ah ! il est gentil ! Lorsqu’il va àCaen, on ne peut plus l’en arracher.

– Il a si peu de distractions ! répondit doucementPauline. Et puis, cette affaire des engrais lui aura pris du temps…Sans doute, il profitera du cabriolet du docteur pour rentrer.

Depuis qu’ils habitaient Bonneville, Lazare et Louise vivaientdans de continuelles tracasseries. Ce n’étaient point des querellesfranches, mais des mauvaises humeurs sans cesse renaissantes, lavie misérablement gâtée de deux êtres qui ne s’entendaient pas.Elle, après des suites de couches longues et pénibles, traînait uneexistence vide, ayant l’horreur des soins du ménage, tuant lesjours à lire, à faire durer sa toilette jusqu’au dîner. Lui, reprisd’un ennui immense, n’ouvrait même pas un livre, passait les heureshébété en face de la mer, ne tentait que de loin en loin une fuiteà Caen, d’où il revenait plus las encore. Et Pauline, qui avait dûgarder la conduite de la maison, leur était devenue indispensable,car elle les réconciliait trois fois par jour.

– Tu devrais finir de t’habiller, reprit-elle. Le curé netardera pas sans doute, tu resterais avec lui et mon oncle. Moi, jesuis si occupée !

Mais Louise ne lâchait point sa rancune.

– S’il est possible ! s’absenter si longtemps !Mon père me l’écrivait hier, le reste de notre argent ypassera.

En effet, Lazare s’était déjà laissé voler dans deux affairesmalheureuses, au point que Pauline, inquiète pour l’enfant, luiavait, comme marraine, fait le cadeau des deux tiers de ce qu’ellepossédait encore, en prenant sur sa tête une assurance qui devaitlui donner cent mille francs, le jour de sa majorité. Elle n’avaitplus que cinq cents francs de rente, son seul chagrin était derestreindre ses aumônes accoutumées.

– Une jolie spéculation que ces engrais ! poursuivaitLouise. Mon père l’en aura dissuadé, et s’il ne rentre pas, c’estqu’il s’amuse… Oh ! ça, je m’en moque, il peut biencourir !

– Alors, pourquoi te fâches-tu ? répliqua Pauline. Va,le pauvre garçon ne songe guère au mal… Descends, n’est-cepas ? A-t-on idée de cette Véronique qui disparaît un samediet qui me laisse toute sa cuisine sur les bras !

C’était une aventure inexplicable, qui occupait la maison depuisdeux heures. La bonne avait épluché ses légumes pour le ragoût,plumé et troussé un canard, préparé jusqu’à sa viande dans uneassiette ; puis, brusquement, elle était comme rentrée sousterre, on ne l’avait plus revue. Pauline s’était enfin décidée àmettre elle-même le ragoût au feu, stupéfiée de cettedisparition.

– Elle n’a donc pas reparu ? demanda Louise, distraitede sa colère.

– Mais non ! répondit la jeune fille. Tu ne sais pasce que je suppose, maintenant ? Elle a payé son canardquarante sous à une femme qui passait, et je me souviens de luiavoir dit que j’en avais vu de plus beaux pour trente sous, àVerchemont. Tout de suite sa figure s’est retournée, elle m’a jetéun de ses mauvais regards… Eh bien ! je parie qu’elle estallée à Verchemont voir si je n’avais pas menti.

Elle riait, et il y avait de la tristesse dans son rire, carelle souffrait des violences dont Véronique était reprise contreelle, sans cause raisonnable. Le travail en retour qui se faisaitchez cette fille depuis la mort de madame Chanteau, l’avait peu àpeu ramenée à sa haine d’autrefois.

– Voilà plus d’une semaine qu’on ne peut en tirer un mot,dit Louise. Toutes les bêtises sont possibles, avec un pareilcaractère.

Pauline eut un geste de tolérance.

– Bah ! laissons-la satisfaire ses lubies. Ellereviendra toujours, et nous ne mourrons pas encore de faim cettefois.

Mais l’enfant, sur la couverture, remuait. Elle courut sepencher.

– Quoi donc ? mon chéri.

La mère, toujours à la fenêtre, regarda un instant, puisdisparut dans la chambre. Chanteau, absorbé, tourna seulement latête, lorsque Loulou se mit à grogner ; et ce fut lui quiprévint sa nièce.

– Pauline, voici ton monde.

Deux galopins déguenillés arrivaient, les premiers de la bandedont elle recevait la visite chaque samedi. Comme le petit Pauls’était rendormi aussitôt, elle se releva en disant :

– Ah ! ils tombent bien ! Je n’ai pas une minute…Restez tout de même, asseyez-vous sur le banc. Et toi, mon oncle,s’il en arrive d’autres, tu les feras asseoir à côté de ceux-ci… Ilfaut absolument que je donne un coup d’œil à mon ragoût.

Lorsqu’elle revint, au bout d’un quart d’heure, il y avait déjàsur le banc deux garçons et deux filles, ses anciens petitspauvres, mais grandis, gardant leurs habitudes de mendicité.

D’ailleurs, jamais tant de misère ne s’était abattu surBonneville. Pendant les tempêtes de mai, les trois dernièresmaisons venaient d’être écrasées contre la falaise. C’était fini,les grandes marées avaient achevé de balayer le village, après dessiècles d’assaut, dans l’envahissement continu de la mer, quichaque année mangeait un coin du pays. Il n’y avait plus, sur lesgalets, que les vagues conquérantes, effaçant jusqu’aux traces desdécombres. Les pêcheurs, chassés du trou où des générationss’étaient obstinées sous l’éternelle menace, avaient bien étéforcés de monter plus haut, dans le ravin, et ils campaient en tas,les plus riches bâtissaient, les autres s’abritaient sous desroches, tous fondaient un autre Bonneville, en attendant que leflot les délogeât encore, après de nouveaux siècles de bataille.Pour achever son œuvre de destruction, la mer avait dû emporterd’abord les épis et les palissades. Ce jour-là, le vent soufflaitdu nord, des paquets d’eau monstrueux s’écroulaient avec un telfracas, que les secousses remuaient l’église. Lazare, averti,n’avait pas voulu descendre. Il était resté sur la terrasse,regardant arriver le flux ; tandis que les pêcheurs couraientvoir, excités par cette furieuse attaque. Un orgueil terrifiédébordait en eux : hurlait-elle assez fort, allait-elle luinettoyer ça, la gueuse ! En moins de vingt minutes, en effet,tout avait disparu, les palissades éventrées, les épis brisés,réduits en miettes. Et ils hurlaient avec elle, ils gesticulaientet dansaient comme des sauvages, soulevés par l’ivresse du vent etde l’eau, cédant à l’horreur de ce massacre. Puis, pendant queLazare leur montrait le poing, ils s’étaient sauvés, ayant à leurstalons le galop enragé des vagues, que rien n’arrêtait plus.Maintenant, ils crevaient la faim, ils geignaient dans le nouveauBonneville, en accusant la gueuse de leur ruine et en serecommandant à la charité de la bonne demoiselle.

– Que fais-tu là ? cria Pauline, lorsqu’elle aperçutle fils Houtelard. Je t’avais défendu de rentrer ici.

C’était à cette heure un grand gaillard, qui approchait de sesvingt ans. Son allure triste et peureuse d’enfant battu avaittourné à de la sournoiserie. Il répondit en baissant lesyeux :

– Faut avoir pitié de nous, mademoiselle. Nous sommes simalheureux, depuis que le père est mort !

Houtelard, parti en mer un soir de gros temps, n’était jamaisrevenu ; on n’avait même rien retrouvé, ni son corps, ni celuide son matelot, ni une planche de la barque. Mais Pauline, forcéede surveiller ses aumônes, avait juré de ne rien donner au fils nià la veuve, tant qu’ils vivraient ouvertement en ménage. Dès lamort du père, la belle-mère, cette ancienne bonne qui rouait lepetit de coups, par avarice et méchanceté, s’en était fait un mari,à présent qu’il n’avait plus l’âge d’être battu. Tout Bonnevilleriait du nouvel arrangement.

– Tu sais pourquoi je ne veux pas que tu remettes les piedschez moi, reprit Pauline. Quand tu auras changé de conduite, nousverrons.

Alors, d’une voix traînante, il plaida sa cause.

– C’est elle qui a voulu. Elle m’aurait battu encore. Etpuis, ce n’est pas ma mère, ça ne fait rien que ce soit avec moi ouavec un autre… Donnez-moi quelque chose, mademoiselle. Nous avonstout perdu. Moi, je m’en sortirais ; mais c’est pour elle quiest malade, oh ! bien vrai, je le jure !

La jeune fille, apitoyée, finit par le renvoyer avec un pain etun pot-au-feu. Elle promit même d’aller voir la malade et de luiporter des remèdes.

– Ah ! oui, des remèdes ! murmura Chanteau. Tâchede lui en faire avaler un ! Ça ne veut que de la viande.

Déjà Pauline s’occupait de la petite Prouane, qui avait touteune joue emportée.

– Comment as-tu pu te faire ça ?

– Je suis tombée contre un arbre, mademoiselle.

– Contre un arbre ?… On dirait plutôt un coup surl’angle d’un meuble.

Grande fille à présent, les pommettes saillantes, ayant toujoursles gros yeux hagards d’une hallucinée, elle faisait de vainsefforts pour se tenir poliment debout. Ses jambes s’affaissaient,sa langue épaisse n’arrivait pas à articuler les mots.

– Mais tu as bu, malheureuse ! s’écria Pauline, qui laregardait fixement.

– Oh ! mademoiselle, si l’on peut dire !

– Tu es ivre et tu es tombée chez toi, n’est-ce pas ?Je ne sais ce que vous avez tous dans le corps… Assieds-toi, jevais chercher de l’arnica et du linge.

Elle la pansa, tout en cherchant à lui faire honte. C’étaitbeau, pour une fille de son âge, de se griser ainsi avec son pèreet sa mère, des ivrognes qu’on trouverait morts un matin, assomméspar le calvados ! La petite l’écoutait, semblait s’endormir,les yeux troubles. Quand elle fut pansée, elle bégaya :

– Papa se plaint de douleurs, je le frotterais, si vous medonniez un peu d’eau-de-vie camphrée.

Pauline et Chanteau ne purent s’empêcher de rire.

– Non, je sais où elle passerait, mon eau-de-vie ! Jeveux bien te donner un pain, et encore je suis sûre que vous allezle vendre pour en boire l’argent… Reste assise. Cuche tereconduira.

À son tour, le fils Cuche s’était levé. Il avait les pieds nus,il portait pour tout vêtement une vieille culotte et un morceau dechemise déloqueté, qui laissaient voir sa peau, noire de hâle,labourée par les ronces. Maintenant que les hommes ne voulaientplus de sa mère, tombée à une décrépitude affreuse, lui-mêmebattait le pays pour lui amener encore du monde. On le rencontraitcourant les routes, sautant les haies avec une agilité de loup,vivant en bête que la faim jette sur toutes les proies. C’était ledernier degré de la misère et de l’abjection, une telle déchéancehumaine, que Pauline le regardait avec remords, comme si elle sefût sentie coupable de laisser une créature dans un pareil cloaque.Mais, à chacune de ses tentatives pour l’en tirer, il étaittoujours prêt à fuir, par haine du travail et de la servitude.

– Puisque te voilà revenu, dit-elle avec douceur, c’est quetu as réfléchi sur mes paroles de samedi dernier. Je veux voir unreste de bons sentiments, dans les visites que tu me rends encore…Tu ne peux mener davantage une si vilaine existence, et moi je nesuis plus assez riche, il m’est impossible de te nourrir à ne rienfaire… Es-tu décidé à accepter ce que je t’ai proposé ?

Depuis sa ruine, elle tâchait de suppléer à son manque d’argent,en intéressant à ses pauvres d’autres personnes charitables. Ledocteur Cazenove avait enfin obtenu l’entrée de la mère de Cucheaux Incurables de Bayeux, et elle-même tenait cent francs enréserve pour habiller le fils, auquel elle avait trouvé une placed’homme d’équipe, sur la ligne de Cherbourg. Pendant qu’elleparlait, il baissait la tête, il l’écoutait d’un air défiant.

– C’est entendu, n’est-ce pas ? continua-t-elle. Tuaccompagneras ta mère, puis tu te rendras à ton poste.

Mais, comme elle s’avançait vers lui, il fit un bond en arrière.Ses yeux baissés ne la quittaient point, il avait cru qu’ellecherchait à le saisir aux poignets.

– Quoi donc ? demanda-t-elle, surprise.

Alors, il murmura, de son air inquiet d’animalfarouche :

– Vous allez me prendre pour m’enfermer. Je ne veuxpas.

Et, dès lors, tout fut inutile. Il la laissait parler, semblaitconvaincu par ses bonnes raisons ; seulement, dès qu’ellebougeait, il se jetait vers la porte ; et, d’un branle obstinéde la tête, il refusait pour sa mère, il refusait pour lui, ilpréférait ne pas manger et vivre libre.

– Hors d’ici, fainéant ! finit par crier Chanteauindigné. Tu es bien bonne de t’occuper d’un pareilvaurien !

Les mains de Pauline tremblaient de sa charité inutile, de sonamour des autres qui se brisait contre cette misère volontaire.Elle eut un geste de tolérance désespérée.

– Va, mon oncle, ils souffrent, il faut qu’ils mangent toutde même.

Et elle rappela Cuche pour lui donner, comme les autres samedis,un pain et quarante sous. Mais il recula encore, il ditenfin :

– Mettez ça par terre et allez-vous-en… Je leramasserai.

Elle dut lui obéir. Il s’avança avec précaution, en lasurveillant toujours du regard. Puis, quand il eut ramassé lesquarante sous et le pain, il se sauva, au galop de ses piedsnus.

– Sauvage ! cria Chanteau. Il viendra, une de cesnuits, nous étrangler tous… C’est comme cette fille de galérien quiest là, je mettrais ma main au feu que c’est elle qui m’a volé monfoulard, l’autre jour.

Il parlait de la petite Tourmal, dont le grand-père était allérejoindre le père en prison. Elle seule restait sur le banc, avecla petite Prouane, hébétée d’ivresse. Elle s’était levée, sansparaître entendre cette accusation de vol, et elle avait commencé àgeindre.

– Ayez pitié, ma bonne demoiselle… Il n’y a plus que mamanet moi à la maison, les gendarmes entrent tous les soirs pour nousbattre, mon corps est une plaie, maman est en train de mourir…Oh ! ma bonne demoiselle, faudrait de l’argent, et du bouillongras, et du bon vin…

Chanteau, exaspéré par ces mensonges, se remuait dans sonfauteuil. Mais Pauline aurait donné sa chemise.

– Tais-toi, murmura-t-elle. Tu obtiendrais davantage, si tuparlais moins… Reste là, je vais te faire un panier.

Comme elle revenait avec une vieille bourriche à poisson, oùelle avait mis un pain, deux litres de vin, de la viande, elletrouva sur la terrasse une autre de ses clientes, la petite Gonin,qui amenait sa fille, une gamine de vingt mois déjà. La mère, âgéede seize ans, était si frêle, si peu formée, qu’elle semblait unesœur aînée promenant sa sœur cadette. Elle avait peine à la porter,mais elle la traînait ainsi, sachant que mademoiselle adorait lesenfants et qu’elle ne leur refusait rien.

– Mon Dieu ! qu’elle est grosse ! s’écria Paulineen prenant la fillette dans ses bras. Et dire qu’elle n’a pas sixmois de plus que notre Paul !

Malgré elle, son regard se reportait avec tristesse sur lepetit, qui dormait toujours, au milieu de la couverture. Cettefille-mère, accouchée si jeune, était bien heureuse d’avoir uneenfant de cette grosseur. Pourtant, elle se plaignait.

– Si vous saviez ce qu’elle mange, mademoiselle ! Etje n’ai pas de linge, je ne sais comment l’habiller… Avec ça,depuis que papa est mort, maman et son homme tombent sur moi. Ilsme traitent comme la dernière des dernières, ils me disent que,quand on fait la vie, ça doit rapporter au lieu de coûter.

On avait, en effet, trouvé un matin le vieil infirme mort dansson coffre à charbon ; et il était si noir de coups, qu’uninstant la police avait failli s’en mêler. Maintenant, la femme etson amant parlaient d’étrangler cette morveuse inutile, qui prenaitsa part de la soupe.

– Pauvre mignonne ! murmura Pauline. J’ai mis desaffaires de côté, et je suis en train de lui tricoter des bas… Tudevrais me l’amener plus souvent, il y a toujours du lait ici, ellemangerait des petites soupes de gruau… Je passerai voir ta mère, jelui ferai peur, puisqu’elle te menace encore.

La petite Gonin avait repris sa fille, tandis que mademoisellepréparait aussi pour elle un paquet. Elle s’était assise, elle latenait sur les genoux, avec une maladresse de gamine jouant à lapoupée. Ses yeux clairs gardaient une continuelle surprise del’avoir faite, et bien qu’elle l’eût nourrie, elle manquait souventde la laisser tomber, quand elle la berçait sur sa poitrine plate.Mademoiselle l’avait sévèrement grondée, un jour que, pour sebattre à coups de pierres avec la petite Prouane, elle venait deposer son enfant au bord de la route, dans un tas de cailloux.

Mais l’abbé Horteur parut sur la terrasse.

– Voilà monsieur Lazare et le docteur, annonça-t-il.

On entendit au même instant le bruit du cabriolet ; et,pendant que Martin, l’ancien matelot à la jambe de bois, mettait lecheval à l’écurie, Cazenove descendit de la cour, encriant :

– Je vous ramène un gaillard qui a découché, paraît-il.Vous n’allez pas lui couper la tête ?

Lazare arrivait à son tour, avec un pâle sourire. Ilvieillissait vite, les épaules courbées, le visage terreux, commedévoré par l’angoisse intérieure qui le détruisait. Sans doute ilallait dire la cause de son retard, lorsque la fenêtre du premierétage, restée entrouverte, fut refermée rageusement.

– Louise n’est pas prête, expliqua Pauline. Elle descendradans une minute.

Tous se regardèrent, il y eut une gêne, ce bruit irritéannonçait une querelle. Après avoir fait un pas vers l’escalier,Lazare préféra attendre. Il embrassa son père et le petitPaul ; puis, pour dissimuler son inquiétude, il s’en prit à sacousine, il murmura d’une voix maussade :

– Débarrasse-nous vite de cette vermine. Tu sais que jen’aime pas la rencontrer sous mes pieds.

Il parlait des trois filles restées sur le banc. Pauline se hâtade nouer le paquet de la petite Gonin.

– Partez maintenant, dit-elle. Vous deux, vous allezreconduire votre camarade, pour qu’elle ne tombe pas encore… Etsois bien sage, toi, avec ton bébé. Tâche de ne pas l’oublier enroute.

Comme elles partaient enfin, Lazare voulut visiter le panier dela petite Tourmal. Elle y avait déjà caché une vieille cafetière,jetée dans un coin et volée par elle. On les poussa toutes troisdehors, celle qui était soûle culbutait entre les deux autres.

– Quel peuple ! s’écria le curé, en s’asseyant à côtéde Chanteau. Dieu les abandonne, décidément. Dès leur premièrecommunion, ces coquines-là font des enfants, boivent et volentcomme père et mère… Ah ! je leur ai bien prédit les malheursqui les accablent.

– Dites donc, mon cher, demanda ironiquement le médecin àLazare, est-ce que vous allez reconstruire les fameuxépis ?

Mais celui-ci eut un geste violent, les allusions à sa batailleperdue contre la mer l’exaspéraient. Il cria :

– Moi !… Je laisserais la marée entrer chez nous, sansmettre seulement un balai en travers du chemin, pour l’arrêter…Ah ! non, par exemple ! j’ai été trop bête, on nerecommence pas ces bêtises-là deux fois ! Quand on pense quej’ai vu ces misérables danser, le jour du désastre !… Etsavez-vous ce que je soupçonne ? c’est qu’ils ont dû scier mespoutres, la veille des grandes eaux, car il est impossible qu’ellesaient craqué toutes seules.

Il sauvait ainsi son amour-propre de constructeur. Puis, le brastendu vers Bonneville, il ajouta :

– Qu’ils crèvent ! je danserai à mon tour !

– Ne te fais donc pas si mauvais, dit Pauline de son airtranquille. Il n’y a que les pauvres qui aient le droit d’êtreméchants… Tu les reconstruirais tout de même, ces épis.

Déjà il s’était calmé, comme épuisé par ce dernier éclat depassion.

– Oh ! non, murmura-t-il, ça m’ennuierait trop… Maistu as raison, rien ne vaut la peine de se mettre en colère. Qu’ilssoient noyés, qu’ils ne le soient pas, est-ce que ça meregarde ?

Un silence régna de nouveau. Chanteau était retombé dans sonimmobilité douloureuse, après avoir levé la tête pour recevoir lebaiser de son fils. Le curé tournait ses pouces, le docteurmarchait, les mains derrière le dos. Tous, à présent, regardaientle petit Paul endormi, que Pauline défendait même contre lescaresses de son père, ne voulant pas qu’on le réveillât. Depuisleur arrivée, elle les priait de baisser la voix, de ne paspiétiner si fort autour de la couverture ; et elle finissaitpar menacer de la cravache Loulou, qui grognait encore d’avoirentendu mener le cheval à l’écurie.

– Si tu crois qu’il se taira ! reprit Lazare. Il en apour une heure à nous casser les oreilles… Jamais je n’ai vu unchien si désagréable. On le dérange dès qu’on bouge, on ne sait pasmême si l’on a une bête à soi, tant il vit pour lui. Ce salepersonnage n’est bon qu’à nous faire regretter notre pauvreMathieu.

– Quel âge a donc la Minouche ? demanda Cazenove. Jel’ai toujours vue ici.

– Mais elle a seize ans passés, répondit Pauline, et ellene s’en porte pas plus mal.

La Minouche, qui continuait sa toilette sur la fenêtre de lasalle à manger, venait de lever la tête, lorsque le docteur avaitprononcé son nom. Elle resta un instant une patte en l’air, leventre comme déboutonné au soleil ; puis, elle se remit à selécher le poil avec délicatesse.

– Oh ! elle n’est pas sourde ! reprit la jeunefille. Je crois qu’elle perd un peu la vue, ce qui ne l’empêche pasde se conduire comme une coquine… Imaginez-vous qu’on lui a jetésept petits, il y a une semaine à peine. Elle en fait, elle en faittellement, qu’on en reste consterné. Si, depuis seize ans, on lesavait tous laissés vivre, ils auraient mangé le pays… Ehbien ! elle a encore disparu mardi, et vous la voyez qui senettoie, elle n’est rentrée que ce matin, après trois nuits ettrois jours d’abominations.

Gaiement, sans embarras ni rougeur, elle parlait des amours dela chatte. Une bête si propre, délicate au point de ne pas sortirpar un temps humide, et qui se vautrait quatre fois l’an dans laboue de tous les ruisseaux ! La veille, elle l’avait aperçuesur un mur avec un grand matou, balayant tous deux l’air de leursqueues hérissées ; et, après un échange de gifles, ils étaienttombés au milieu d’une flaque, en poussant des miaulements atroces.Aussi la chatte, cette fois, était-elle rentrée de sa bordée avecune oreille fendue et le poil du dos noir de fange. Du reste, iln’y avait toujours pas de plus mauvaise mère. À chaque portée qu’onlui jetait, elle se léchait comme dans sa jeunesse, sans paraîtrese douter de sa fécondité inépuisable, et retournait aussitôt enprendre une ventrée nouvelle.

– Au moins, elle a pour elle la propreté, conclut l’abbéHorteur, qui regardait la Minouche s’user la langue à se nettoyer.Tant de coquines ne se débarbouillent même pas !

Chanteau, les yeux tournés également vers la chatte, soupiraitplus haut, dans cette plainte continue et involontaire, dontlui-même perdait conscience.

– Vous souffrez davantage ? lui demanda ledocteur.

– Hein ? pourquoi ? dit-il en s’éveillant commeen sursaut. Ah ! c’est parce que je respire fort… Oui, jesouffre beaucoup, ce soir. Je croyais que le soleil me ferait dubien, mais j’étouffe quand même, je n’ai pas une jointure qui nebrûle.

Cazenove lui examina les mains. Tous, au spectacle de cespauvres moignons déformés, avaient un frémissement. Le prêtre lâchaencore une réflexion sensée.

– Des doigts pareils, ce n’est pas commode pour jouer auxdames… Voilà une distraction qui vous manque, maintenant.

– Soyez sage sur la nourriture, recommanda le médecin. Lecoude est bien enflammé, l’ulcération gagne de plus en plus.

– Que faut-il donc faire pour être sage ? gémitdésespérément Chanteau. On mesure mon vin, on pèse ma viande,dois-je cesser toute nourriture ? En vérité, c’est ne plusvivre… Si je mangeais seul ! mais comment voulez-vous, avecdes machines pareilles au bout des bras ? Pauline, qui me faitmanger, est bien sûre pourtant que je ne prends rien de trop.

La jeune fille eut un sourire.

– Si, si, tu as trop mangé hier… C’est ma faute, je ne saispas refuser, quand je vois ta gourmandise te rendre simalheureux.

Alors, tous affectèrent de s’égayer, de le taquiner sur lesnoces qu’il faisait encore. Mais leurs voix tremblaient de pitié,devant ce reste d’homme, cette masse inerte, qui vivait seulementassez pour souffrir. Il était retombé dans sa position, le corpsdéjeté à droite, les mains sur les genoux.

– Par exemple, ce soir, continua Pauline, nous avons uncanard à la broche…

Mais elle s’interrompit, elle demanda :

– À propos, est-ce que vous n’auriez pas rencontréVéronique, en traversant Verchemont ?

Et elle conta la disparition de la bonne. Ni Lazare ni lemédecin ne l’avaient aperçue. On s’étonna des lubies de cettefille, on finit par en plaisanter : le drôle, lorsqu’ellerentrerait, serait d’être déjà à table, pour voir sa figure.

– Je vous quitte, car je suis de cuisine, reprit Paulinegaiement. Si je laissais brûler le ragoût, ou si je servais lecanard pas assez cuit, c’est mon oncle qui me donnerait mes huitjours !

L’abbé Horteur eut un large rire, et le docteur Cazenovelui-même s’amusait de la réflexion, lorsque la fenêtre du premierétage se rouvrit brusquement, avec un bruit furieux del’espagnolette. Louise ne parut pas, elle se contenta de crierd’une voix sèche, dans l’entrebâillement des vitres :

– Monte, Lazare !

Celui-ci eut un mouvement de révolte, refusant de se rendre à unappel jeté d’un pareil ton. Mais Pauline lui adressa une muetteprière, désireuse d’éviter la scène devant le monde ; et ilmonta, tandis qu’elle restait un instant encore sur la terrasse,pour combattre l’impression mauvaise. Un silence s’était fait, onregardait la mer avec embarras. Le soleil oblique l’éclairaitmaintenant d’une nappe d’or, qui allumait les petits flots bleus decourtes flammes. Au loin, l’horizon tournait au lilas tendre. Cebeau jour finissait dans une paix souveraine, déroulant l’infini duciel et de l’eau, sans un nuage ni une voile.

– Dame ! se risqua à dire Pauline souriante, puisqu’ila découché, il faut bien qu’on le gronde un peu.

Le docteur la regardait, et il eut à son tour un sourire, oùelle retrouva sa clairvoyance d’autrefois, quand il lui avaitprédit qu’elle ne leur faisait pas un beau cadeau, en les donnantl’un à l’autre. Aussi se dirigea-t-elle vers la cuisine.

– Eh bien ! je vous laisse, tâchez de vous occuper… Ettoi, mon oncle, appelle-moi, si Paul se réveillait.

Dans la cuisine, lorsqu’elle eut tourné le ragoût et préparé labroche, elle bouscula les casseroles d’impatience. Les voix deLouise et de Lazare lui arrivaient à travers le plafond, de plus enplus hautes, et elle se désespérait, en pensant qu’on devait lesentendre de la terrasse. Vraiment, ils étaient peu raisonnables decrier comme des sourds, de faire à tout le monde la confidence deleur désunion. Pourtant, elle ne voulait pas monter ; d’abord,elle avait le dîner à faire ; ensuite, elle éprouvait unmalaise, à l’idée d’aller se mettre ainsi entre eux, jusque dansleur chambre. D’habitude, elle les réconciliait en bas, aux heuresde vie commune. Un instant, elle passa dans la salle à manger, oùelle s’occupa du couvert avec bruit. Mais les voix continuaient,elle ne put supporter davantage la pensée qu’ils se rendaientmalheureux ; et elle monta, poussée par cette charité activequi faisait du bonheur des autres son existence à elle.

– Mes chers enfants, dit-elle en pénétrant brusquement dansla chambre, vous allez dire que ça ne me regarde pas, seulementvous criez trop fort… Il n’y a pas de bon sens à vous révolutionnerde la sorte et à consterner la maison.

Elle avait traversé la pièce, elle se hâtait avant tout defermer la fenêtre, laissée entrouverte par Louise. Heureusement, nile docteur ni le curé n’étaient restés sur la terrasse. Dans uncoup d’œil vivement jeté, elle venait de n’y retrouver que Chanteausongeur, à côté du petit Paul endormi.

– On vous entendait d’en bas, comme si vous aviez été dansla salle, reprit-elle. Voyons, qu’y a-t-il encore ?

Mais ils étaient lancés, ils continuèrent la querelle, sansparaître même s’être aperçus de son entrée. Elle, maintenant, setenait immobile, reprise de son malaise, dans cette chambre où lesépoux couchaient. La cretonne jaune ramagée de vert, la carpetterouge, les vieux meubles d’acajou avaient fait place à des tenturesde laine épaisse et à un ameublement de femme délicate ; plusrien ne restait de la mère morte, un parfum d’héliotrope s’exhalaitde la toilette, sur laquelle traînaient des serviettesmouillées ; et cette odeur l’étouffait un peu, elle faisaitd’un regard involontaire le tour de la pièce, dont chaque objetdisait les abandons du ménage. Si elle avait enfin accepté de vivreprès d’eux, dans l’usure quotidienne de ses révoltes, si désormaiselle pouvait dormir la nuit, tout en les sachant là, peut-être auxbras l’un de l’autre, elle n’était pas encore entrée chez eux, aumilieu de leur intimité conjugale, dans ce désordre des vêtementsjetés partout et du lit déjà prêt pour le soir. Un frissonremontait en elle, le frisson de sa jalousie d’autrefois.

– Est-il possible de vous déchirer ainsi !murmura-t-elle, après un silence. Vous ne voulez donc pas êtreraisonnables ?

– Eh ! non, cria Louise, c’est que j’en ai assez, à lafin ! Penses-tu qu’il va reconnaître ses torts ?Ah ! oui ! Je me suis contentée de lui dire combien ilnous a inquiétés, en ne rentrant pas hier, et le voilà qui tombesur moi comme un sauvage, qui m’accuse d’avoir gâté sa vie, aupoint qu’il menace de s’exiler en Amérique !

Lazare l’interrompit d’une voix terrible.

– Tu mens !… Si tu m’avais reproché mon retard aveccette douceur, je t’aurais embrassée, et tout serait déjà fini.Mais c’est toi qui m’as accusé de te faire une existence de larmes.Oui, tu m’as menacé d’aller te noyer dans la mer, si je continuaisà te rendre l’existence impossible.

Et ils repartirent tous les deux, ils soulagèrent sansménagement leur rancune, amassée pendant les heurts continuels deleurs caractères. C’était, sur les moindres faits, une taquineriepremière qui, peu à peu, les jetait à un état aigu d’antipathie,dont la journée restait ensuite désolée. Elle, avec son visagedoux, finissait par devenir méchante, depuis qu’il touchait à sesplaisirs, d’une méchanceté de chatte câline, se caressant auxautres et allongeant les griffes. Lui, malgré son indifférence,trouvait dans les querelles une secousse à l’engourdissement de sonennui, s’y entêtait souvent par cette distraction de se donner lafièvre.

Pauline, cependant, les écoutait. Elle souffrait plus qu’eux,cette façon de s’aimer ne pouvait lui entrer dans l’entendement.Pourquoi donc n’avoir pas la pitié mutuelle de s’épargner ?pourquoi ne pas s’accommoder l’un de l’autre, lorsqu’on doit vivreensemble ? Il lui semblait si facile de mettre le bonheur dansl’habitude et dans la compassion. Et elle était navrée, elleregardait toujours leur mariage comme son œuvre, une œuvre qu’elleaurait voulue bonne, solide, la récompensant au moins de sonsacrifice par la certitude d’avoir agi avec sagesse.

– Je ne te reproche pas le gaspillage de ma fortune,poursuivait Louise.

– Il ne manquerait plus que ça ! criait Lazare. Cen’est pas ma faute, si l’on m’a volé.

– Oh ! l’on vole seulement les maladroits qui selaissent vider les poches… Nous n’en sommes pas moins réduits àquatre ou cinq pauvres mille francs de rente, de quoi vivre bienjuste dans ce trou. Sans Pauline, notre enfant irait tout nu unjour, car je m’attends bien à ce que tu manges le reste, avec tesidées extraordinaires, tes entreprises qui avortent les unes aprèsles autres.

– Va, continue, ton père m’a déjà fait ces joliscompliments, hier. J’ai deviné que tu lui avais écrit. Aussi ai-jelâché cette affaire des engrais, une opération certaine où il yavait cent pour cent à gagner. Mais je suis comme toi, j’en aiassez, du diable si je me remue davantage !… Nous vivronsici.

– Une belle existence, n’est-ce pas ? pour une femmede mon âge. Une vraie prison ; pas une occasion seulement desortir et de voir du monde ; toujours cette mer bête, là,devant vous, qui semble encore élargir votre ennui… Ah ! sij’avais su, si j’avais su !

– Et moi, crois-tu donc que je m’amuse ?… Je ne seraispas marié, que je pourrais filer ailleurs, très loin, tenter lesaventures. Vingt fois, j’en ai eu l’envie. Mais c’est finimaintenant, me voilà cloué dans ce trou perdu, où je n’ai plus qu’àdormir… Tu m’as achevé, je le sens bien.

– Je t’ai achevé, moi !… Est-ce que je t’ai forcé àm’épouser ? est-ce que tu n’aurais pas dû voir que nousn’étions pas nés l’un pour l’autre ?… C’est ta faute, si notrevie est manquée.

– Oh ! oui, notre vie est manquée, et tu fais toutpour la rendre plus insupportable chaque jour.

À ce moment, bien qu’elle se fût promis de se tenir à l’écart,Pauline, frémissante, les interrompit.

– Taisez-vous, malheureux !… C’est vrai que vous lagâchez à plaisir, cette vie qui pourrait être si bonne. Pourquoivous exciter ainsi à dire des choses irréparables, dont voussouffrirez ensuite ?… Non, non, taisez-vous, je ne veux pasque ça continue !

Louise était tombée en larmes sur une chaise, pendant queLazare, violemment secoué, marchait à grands pas.

– Les pleurs ne servent à rien, ma chère, reprit la jeunefille. Tu n’es guère tolérante vraiment, tu as beaucoup de torts…Et toi, mon pauvre ami, est-il possible que tu la bouscules de lasorte ? C’est odieux, je te croyais bon cœur, au moins… Oui,vous êtes tous les deux de grands enfants, également coupables, etqui ne savez quoi faire pour vous torturer. Mais je ne veux pas,entendez-vous ! je ne veux pas des gens tristes autour de moi…Vous allez vous embrasser tout de suite.

Elle tâchait de rire, elle n’avait plus ce commencement defrisson qui l’inquiétait. Il lui restait un seul et ardent désir decharité, celui de les mettre devant elle aux bras l’un de l’autre,pour être sûre que la querelle était finie.

– Que je l’embrasse, ah ! non, par exemple ! ditLouise. Il m’a dit trop de sottises.

– Jamais ! cria Lazare.

Alors, elle éclata franchement de rire.

– Allons, ne boudez pas. Vous savez que je suis une grosseentêtée… Mon dîner brûle, notre monde nous attend… Je vais tepousser, Lazare, si tu refuses d’obéir. Mets-toi à genoux devantelle, prends-la gentiment sur ton cœur… Allons, allons, mieux queça !

Et elle les jeta dans une étreinte d’amoureux, elle les regardase baiser au visage, d’un air de joyeux triomphe, sans qu’untrouble passât au fond de ses yeux clairs. C’était, en elle, unechaleur de joie, comme une flamme subtile, qui la soulevaitau-dessus d’eux. Cependant, son cousin serrait sa femme avec unremords éperdu ; pendant que celle-ci, encore en camisole, lesbras et le cou nus, lui rendait ses caresses en pleurant plusfort.

– Vous voyez bien, ça vaut mieux que de se battre, ditPauline. Je me sauve, vous n’avez plus besoin de moi pour faire lapaix.

Déjà, elle était à la porte, et elle la referma vivement surcette chambre d’amour, au lit ouvert, aux vêtements épars, dontl’odeur d’héliotrope à cette heure l’attendrissait, comme une odeurcomplice qui allait achever sa tâche de réconciliation.

En bas, dans la cuisine, Pauline se mit à chanter, en tournantencore une fois son ragoût. Elle alluma un fagot, monta letournebroche pour le canard, surveilla le rôti d’un œilexpérimenté. Cette besogne de servante l’amusait, elle avait passéun grand tablier blanc, elle était enchantée de les servir tous, dedescendre ainsi aux soins les plus humbles, pour se dire qu’ils luidevraient, ce jour-là, leur gaieté et leur santé. Maintenant qu’ilsriaient grâce à elle, son rêve était de leur servir un repas defête, des choses très bonnes, dont ils mangeraient beaucoup, ens’épanouissant autour de la table.

L’idée de son oncle et du petit lui revint, elle se hâta decourir sur la terrasse, et elle fut très étonnée de voir son cousinassis près de l’enfant.

– Comment ! cria-t-elle, tu es déjàdescendu ?

Il répondit d’un simple signe de tête, repris par sonindifférence lasse, les épaules courbées, les mains oisives. Aussidemanda-t-elle, inquiète :

– J’espère que vous n’avez pas recommencé derrièremoi ?

– Non, non, se décida-t-il enfin à dire. Elle va descendre,quand elle aura mis sa robe… Nous nous sommes pardonnés. Mais pource que ça durera ! demain, ce sera une autre histoire, et tousles jours, et toutes les heures ! Est-ce qu’on change, est-cequ’on peut empêcher quelque chose !

Pauline était devenue grave, ses yeux attristés se baissèrent.Il avait raison, elle voyait nettement se dérouler des jourssemblables, sans cesse la même querelle entre eux, qu’elle devraitcalmer. Et elle-même n’était plus certaine d’être guérie, de ne pascéder encore à des violences jalouses. Ah ! quel éternelrecommencement, dans ces misères quotidiennes ! Mais ses yeuxse relevaient déjà : elle s’était vaincue si souvent ! etpuis, on verrait bien s’ils ne se lasseraient pas plus tôt de sedisputer, qu’elle de les réconcilier. Cette idée l’égaya, elle ladit en riant à Lazare. Que lui resterait-il donc à faire, si lamaison était trop heureuse ? elle s’ennuierait, il fallait luilaisser quelques bobos à guérir.

– Où sont passés l’abbé et le docteur ?demanda-t-elle, surprise de ne plus les voir.

– Ils doivent être dans le potager, répondit Chanteau.L’abbé a voulu montrer nos poires au docteur.

Pauline allait jeter un regard, du coin de la terrasse,lorsqu’elle s’arrêta net devant le petit Paul.

– Eh ! le voilà réveillé ! cria-t-elle. Vois-tucomme ça court déjà la prétentaine !

Au milieu de la couverture rouge, Paul en effet venait de sedresser sur ses petits genoux ; et il s’était traîné, il sesauvait à quatre pattes, furtivement. Mais, avant d’arriver ausable, il dut buter contre un pli de la couverture, car il chancelaet s’étala sur le dos, la robe retroussée, les bras et les jambesen l’air. Il gigotait, il remuait sa nudité rose, dans ce rouge depivoine épanouie.

– Bon ! il nous montre tout ce qu’il possède,reprit-elle joyeusement. Attendez, vous allez voir comme il marchedepuis hier.

Elle s’était agenouillée près de lui, elle tâchait de le mettredebout. Il avait poussé si à regret, qu’il était très en retardpour son âge ; même, un instant, on avait craint qu’il nerestât faible des jambes. Aussi était-ce un ravissement pour lafamille, de lui voir faire ses premiers pas, les mains tâtonnantesdans le vide, retombant sur son derrière, au moindre gravierrencontré.

– Veux-tu bien ne pas jouer ! répétait Pauline. Non,c’est sérieux, montre que tu es un homme… Là, tiens-toi ferme, vaembrasser papa, puis tu iras embrasser grand-père.

Chanteau, le visage tiré par des élancements douloureux,tournait la tête, pour regarder la scène. Malgré son accablement,Lazare voulut bien se prêter au jeu.

– Viens, dit-il à l’enfant.

– Oh ! il faut que tu lui tendes les bras, expliqua lajeune fille. Il ne se hasarde pas comme ça, il veut savoir oùtomber… Allons, mon trésor, un peu de courage.

Il y avait trois pas à faire. Ce furent des exclamationsattendries, un enthousiasme débordant, lorsque Paul se décida àfranchir le court espace, avec des balancements d’équilibristeincertain de ses pieds. Il était venu choir entre les mains de sonpère, qui le baisa sur les cheveux, rares encore ; et il riaitde ce rire vague et ravi des tout petits enfants, en ouvrant trèsgrande une bouche humide et claire comme une rose. Sa marrainevoulut même alors le faire parler ; mais sa langue était plusen retard que ses jambes, il poussait des cris gutturaux, où lesparents seuls retrouvaient les mots de papa et de maman.

– Ce n’est pas tout, dit Pauline, il a promis d’allerembrasser grand-père… Hein ? cette fois, en voilà unvoyage !

Huit pas au moins séparaient la chaise de Lazare du fauteuil deChanteau. Jamais Paul ne s’était risqué si loin dans le monde.Aussi fut-ce une affaire considérable. Pauline s’était mise sur laroute pour veiller aux catastrophes, et il fallut deux grandesminutes pour exciter l’enfant. Enfin, il partit, éperdu, lesmembres battant l’air. Elle crut bien, un moment, qu’elle lerecevrait dans les bras. Mais il s’élança en homme de courage, cefut sur les genoux de Chanteau qu’il vint tomber. Des bravoséclatèrent.

– Avez-vous vu comme il s’est jeté ?… Ah ! il n’apas froid aux yeux, ce sera pour sûr un gaillard.

Et, dès lors, on lui fit recommencer dix fois le trajet. Iln’avait plus peur, il partait au premier appel, allait de songrand-père à son père, et revenait à son grand-père, riant fort,très amusé du jeu, toujours sur le point de culbuter, comme si laterre avait tremblé sous lui.

– Encore une fois à papa ! criait Pauline.

Lazare commençait à se fatiguer. Les enfants, même le sien,l’ennuyaient vite. En le regardant, si gai, sauvé à cette heure,l’idée que ce petit être le continuerait, lui fermerait les yeuxsans doute, venait de le traverser de ce frisson qui l’étranglaitd’angoisse. Depuis qu’il avait résolu de végéter à Bonneville, uneseule préoccupation lui restait, celle qu’il mourrait dans lachambre où sa mère était morte ; et il ne montait pas une foisl’escalier, sans se dire qu’un jour, fatalement, son cercueilpasserait là. L’entrée du couloir s’étranglait, il y avait untournant difficile dont il s’inquiétait continuellement, tourmentéde savoir de quelle façon les hommes s’y prendraient pour lesortir, sans le bousculer. À mesurer que l’âge emportait chaquejour un peu de sa vie, cette pensée de la mort hâtait ladécomposition de son être, le détruisait au point d’anéantir sesvirilités dernières. Il était fini, ainsi qu’il le disait lui-même,désormais inutile, se demandant à quoi bon bouger, se vidant deplus en plus dans la bêtise de son ennui.

– Encore une fois à grand-père ! criait Pauline.

Chanteau ne pouvait même tendre les mains, pour recevoir etretenir le petit Paul. Il avait beau écarter les genoux, ces doigtssi frêles, qui se cramponnaient à son pantalon, lui arrachaient dessoupirs prolongés. L’enfant était accoutumé déjà au gémissementsans fin du vieillard, vivant près de lui, s’imaginant sans doute,dans son intelligence à peine éveillée, que tous les grands-pèressouffraient ainsi. Pourtant, ce jour-là, au grand soleil, quand ilvenait tomber contre lui, il levait sa petite face, s’arrêtait derire, le regardait de ses yeux vacillants. Les deux mains difformessemblaient des blocs monstrueux de chair et de craie ; levisage, creusé de pris rouges, massacré de souffrance, était commeretourné violemment sur l’épaule droite ; tandis que le corpsentier avait les bosses et les cassures d’un débris de vieux saintde pierre mal recollé. Et Paul paraissait surpris de le voir ausoleil, si malade et si ancien.

– Encore une fois ! encore une fois ! criaitPauline.

Elle, vibrante de gaieté et de santé, le lançait toujours del’un à l’autre, du grand-père obstiné dans la douleur, au père déjàmangé par l’épouvante du lendemain.

– Celui-là sera peut-être d’une génération moins bête,dit-elle tout à coup. Il n’accusera pas la chimie de lui gâter lavie, et il croira qu’on peut vivre, même avec la certitude demourir un jour.

Lazare se mit à rire, embarrassé.

– Bah ! murmura-t-il, il aura la goutte comme papa etses nerfs seront plus détraqués que les miens… Regarde donc commeil est faible ! C’est la loi des dégénérescences.

– Veux-tu te taire ! s’écria Pauline. Je l’élèverai,et tu verras si j’en fais un homme !

Il y eut un silence, pendant qu’elle reprenait le petit dans uneétreinte maternelle.

– Pourquoi ne te maries-tu pas, si tu aimes tant lesenfants ? demanda Lazare.

Elle demeura stupéfaite.

– Mais j’ai un enfant ! est-ce que tu ne me l’as pasdonné ?… Me marier ! jamais de la vie, parexemple !

Elle berçait le petit Paul, elle riait plus haut, en racontantplaisamment que son cousin l’avait convertie au grand saintSchopenhauer, qu’elle voulait rester fille afin de travailler à ladélivrance universelle ; et c’était elle, en effet, lerenoncement, l’amour des autres, la bonté épandue sur l’humanitémauvaise. Le soleil se couchait dans la mer immense, du ciel pâlidescendait une sérénité, l’infini de l’eau et l’infini de l’airprenaient cette douceur attendrie d’un beau jour à son déclin.Seule, une petite voile blanche, très loin, mettait encore uneétincelle, qui s’éteignit, lorsque l’astre fut descendu sous lagrande ligne droite et simple de l’horizon. Alors, il n’y eut plusque la tombée lente du crépuscule sur les flots immobiles. Et elleberçait toujours l’enfant, avec son rire de vaillance, debout aumilieu de la terrasse bleuie par l’ombre, entre son cousin accabléet son oncle qui geignait. Elle s’était dépouillée de tout, sonrire éclatant sonnait le bonheur.

– On ne dîne donc pas, ce soir ? demanda Louise, quiparut dans une coquette robe de soie grise.

– Moi, je suis prête, répondit Pauline. Je ne sais cequ’ils peuvent faire au jardin.

À ce moment, l’abbé Horteur revint, l’air bouleversé. Comme onl’interrogeait avec inquiétude, il finit par dire brutalement,après avoir cherché une phrase pour amortir le coup :

– Cette pauvre Véronique, nous venons de la trouver pendueà un de vos poiriers.

Tous eurent un cri de surprise et d’horreur, le visage pâle sousle petit vent de mort qui passait.

– Mais pourquoi ? s’écria Pauline. Elle n’avait aucunmotif, son dîner était même commencé… Mon Dieu ! ce n’est pasau moins parce que je lui ai dit qu’on lui avait fait payer soncanard dix sous trop cher !

Le docteur Cazenove arrivait à son tour. Depuis un quartd’heure, il essayait inutilement de la rappeler à la vie, dans laremise, où Martin les avait aidés à la porter. Est-ce qu’on pouvaitsavoir, avec ces têtes de vieilles bonnes maniaques ! Jamaiselle ne s’était consolée de la mort de sa maîtresse.

– Ça n’a pas dû traîner, dit-il. Elle s’est accrochéesimplement avec le cordon d’un de ses tabliers de cuisine.

Lazare et Louise, glacés de peur, se taisaient. Alors, Chanteau,après avoir écouté en silence, se révolta tout d’un coup, à lapensée du dîner compromis. Et ce misérable sans pieds ni mains,qu’il fallait coucher et faire manger comme un enfant, celamentable reste d’homme dont le peu de vie n’était plus qu’unhurlement de douleur, cria dans une indignation furieuse :

– Faut-il être bête pour se tuer !

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