Les Amours de Village

Les Amours de Village

d’ Emile Richebourg

Partie 1

Deux Amis

Chapitre 1

 

Ils se nommaient Étienne et Jacques.

Ils étaient nés la même année, à Essex, petit village d’un de nos départements de l’Est.

Jacques était le fils d’un riche fermier. Le père d’Étienne, un pauvre journalier, usait toute la force de ses bras, toute la sueur de son corps pour donner du pain à sa femme et à ses cinq enfants.Il est à remarquer que ce sont généralement les plus pauvres qui ont une plus nombreuse famille.

En été, aux jours de la fenaison, Radoux, le père d’Étienne,fauchait à lui seul la moitié des prairies du fermier Pérard. Il était aussi le premier parmi les travailleurs, quand venait l’heure de couper les blés et les avoines. En hiver, – en ce temps-là les machines à battre étaient encore très rares – Radoux devenait batteur en grange ; de mémoire de paysan, jamais à Essex,avant Radoux un fléau n’avait frappé autant de gerbes et d’épis dans une journée. Aussi le manœuvre ne manquait jamais d’ouvrage.Il le fallait, d’ailleurs, car cinq enfants à nourrir était une rude tâche.

Mais Radoux voyait grandir Étienne, son aîné, et il se disaitavec un sourire heureux :

– Dans quelques années mon gros gars sera déjà assez fortpour manier la faucille et égrener une gerbe.

Étienne promettait, en effet, de devenir aussi fort, aussirobuste que son père. Le jeune sauvageon n’attendait que la greffepour donner de bons fruits. À défaut de l’instruction, qu’il nepouvait recevoir, les conseils de ses parents et une extrêmesensibilité devaient développer les bons germes qui étaient enlui.

Un jour de fête de Pâques, les enfants, réunis sur la petiteplace du village, faisaient rouler des œufs teints de diversescouleurs. Tout à coup, une querelle s’éleva entre Jacques, le filsde M. Pérard, et Étienne Radoux. Ils avaient alors dixans.

Jacques était un enfant faible et délicat, mais hargneux etagaçant comme certains petits roquets qui aboient dans les jambesdes passants et se lancent sur les molosses pour essayer de leurmordre les jarrets. Il savait son père riche, il était mieux vêtuque ses camarades : cela le rendait fier, dédaigneux,insolent, et lui faisait prendre vis-à-vis de ceux-ci un grand aird’importance. Déplaisant et insupportable, il froissait ses jeunescompagnons et s’attirait des inimitiés nombreuses.

Ce jour-là, il portait pour la première fois un joli vêtement develours bleu, sur lequel scintillaient de magnifiques boutons decuivre doré.

La dispute, comme toutes les querelles d’enfants, allait seterminer par la reprise du jeu, lorsque Jacques, comparant sonsuperbe costume aux pauvres vêtements d’Étienne, lui dit méchammentet avec mépris, en le regardant des pieds à la tête :

– Tu devrais aller te cacher, avec ton pantalon rapiécé etta veste crasseuse ! Va-t’en donc, mendiant !

Les yeux d’Étienne s’enflammèrent de colère. Encouragé par sescamarades, qui l’approuvaient de la voix et du geste, il marcha surJacques le poing levé. Ce dernier recula prudemment. D’un bond,Étienne aurait pu l’atteindre et le renverser ; mais il avaitune autre intention ; l’idée d’une vengeance cruelle venait depasser dans sa tête. Il le poussa jusqu’au bord d’une mare oùcroupissait une eau fangeuse. Alors un sourire singulier crispa seslèvres ; il s’élança sur Jacques et, d’un coup d’épaule, lejeta dans la mare.

Tous les gamins applaudirent.

Aux cris poussés par la victime, qui se débattait dans la fange,un homme accourut. Il se pencha sur l’eau, saisit Jacques aucollet, l’enleva comme une plume et le remit à terre sur ses deuxpieds. Cet homme était le père d’Étienne.

Sans adresser une parole à son fils, il le prit par la main etl’entraîna rapidement vers sa demeure, pendant que Jacques, honteuxet désolé, regardait piteusement ses beaux habits souillés deboue.

– Assieds-toi là, dit Radoux à son fils dès qu’ils furentrentrés au logis, en lui indiquant un escabeau.

L’enfant obéit. Il tremblait de tous ses membres. Le calme deson père l’effrayait ; il pressentait quelque chose deterrible. Voulant essayer de se justifier :

– Mon père, balbutia-t-il, laissez-moi vous raconter…

– C’est inutile. Tout ce que tu pourrais me dire, je lesais. Maintenant, écoute-moi.

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