La Voilette bleue

IV

Dix heures ont sonné à l’horloge del’Hôtel-Dieu. Albert Daubrac a fini sa visite du matin ; ilvient d’ôter son tablier d’interne, et, au lieu d’aller déjeuner àla salle de garde avec ses camarades, il se prépare à sortir.

Il a reçu la veille au soir un mot de Mériadecqui le prie de passer chez lui le plus tôt possible, et, comme ils’est cassé le nez à la porte du juge d’instruction, il lui tardede savoir où en est l’affaire des tours Notre-Dame.

Ce n’est pas qu’elle le passionne outremesure ; il en a vu bien d’autres, et il ignore encore tout ceque sait son ami de la rue Cassette. Mais il ne peut pas s’endésintéresser tout à fait, puisqu’il a été cité comme témoin, et iltient à revoir, avant de déposer, l’excellent Mériadec.

Il s’est arrêté sous le péristyle de l’hôpitalpour allumer un cigare, il tire quelques bouffées, et, avant de semettre en route, il donne un coup d’œil à la vieille cathédralequi, depuis des siècles, se dresse, immuable et sombre, au fond duparvis.

Toute trace du drame de l’avant-veille adisparu. La pluie a lavé le sang qui tachait les pavés ; laplace est presque déserte. C’est à peine s’il y passe quelquesvieilles femmes qui se glissent dans l’église pour y entendre unemesse. Ce jour-là, le public n’est point admis à visiter lesmalades, et la foule n’assiége plus l’entrée de l’Hôtel-Dieu.

– Le décor est toujours le même, mais lascène a changé, pensait Daubrac. Personne ne songe plus à la pauvrediablesse qui a fait hier le saut périlleux, et je commence àcroire qu’elle l’a fait volontairement. Si le juge n’avait pasreconnu qu’elle s’est tout bonnement suicidé, il aurait, dès hier,entendu mon témoignage. L’instruction est close ; lecommissaire de police est un imbécile, et le rapin qui nous aembarqués dans cette affaire aura vu double.

» C’est le gardien des tours qui payerales pots cassés. Ils vont le destituer, et Dieu sait ce que vadevenir l’Ange du bourdon. Pauvre fille !… Si je pouvais luiêtre utile, je serais bien content… mais je n’ai point de relationsparmi les fabricants de fleurs artificielles, et je ne suppose pasqu’elle ait envie de se faire recevoir élève sage-femme.

Les réflexions de l’interne furentinterrompues par un bruit qu’il connaissait bien, pour l’avoirentendu souvent près du lit des mourants. On sanglotait derrièrelui. Il se retourna, et il vit une jeune fille qui sortait del’hôpital et qui cachait son visage dans son mouchoir.

Il la reconnut à ses cheveux blond cendré, etil lui dit vivement :

– Vous ici, mademoiselle ! que vousest-il donc, arrivé ?

– Mon père ! mon pauvre père !murmura Rose Verdière, tout en larmes.

– Eh bien ?… est-ce qu’il est tombéde là-haut, lui aussi ? demanda Daubrac, qui avait la mauvaisehabitude de plaisanter hors propos.

– Il a eu une attaque cette nuit, dit lajeune fille en lui lançant un regard de reproche.

– Une attaque de paralysie !Diable ! c’est grave. Et l’on vient de le porter à l’hôpital,n’est-ce pas ? Dans quelle salle est-il ?

– Salle Saint-André.

– Bon ! l’interne est un de mesamis. Je lui recommanderai votre père, et, s’il peut être sauvé, onle sauvera.

– On vient de me dire qu’il est perdu,sanglota Rose.

– Il ne faut jamais désespérer, ditaffectueusement Daubrac, ému par le spectacle de cette douleursincère. Nous tenterons l’impossible pour le guérir… Mais vous,mademoiselle… qu’allez-vous faire, vous qui n’aviez que lui ?Allez-vous rester seule dans ce logement de la tour ?

– On m’en a chassée ce matin.

– Chassée ?

– Hélas ! oui. Mon père a étérévoqué hier… après la malheureuse affaire que vous connaissez… Jene puis pas le remplacer, et le poste ne peut pas rester inoccupé…Le nouveau gardien est entré en fonction ce matin… Je n’ai plusqu’à chercher un asile, et je ne sais où le trouver.

– J’en ai un à vous offrir… Oh ! nevous méprenez pas sur mes intentions ; elles sont excellentes,et je vous connais trop bien pour vous proposer d’habiter avecmoi ; d’abord, je suis logé dans l’hôpital, et, alors même queje posséderais un hôtel superbe, votre place ne serait pas chezmoi. Mais vous ne pouvez demeurer dans une chambre garnie. À votreâge, et jolie comme vous l’êtes, ce serait vous exposer à deterribles dangers.

– Je le sais, mais où aller ?

– Avez-vous confiance en moi ? Vousme connaissez peu, mais j’espère que vous me croyez incapable devous tromper.

– Oui, dit nettement la jeune fille.

– Eh bien, j’ai une idée, et, si vousl’agréez, je me fais fort de sauver la situation. Vous vousrappelez le monsieur qui est monté avec moi dans l’escalier de latour… pas le grand garçon qui était coiffé d’un béret rouge…l’autre, celui qui avait un chapeau à larges bords.

– Oui… une heure après votre départ, ilest revenu seul… il m’a parlé…

– Tiens ! tiens ! dit entre sesdents Daubrac. Je ne me doutais pas qu’il eût recommencél’ascension pour vous revoir… mais je n’en suis pas surpris.

– Il n’est pas remonté pour me voir… ilest allé jusque sur la galerie… et il a trouvé un enfant qu’il aemmené avec lui.

– Un enfant !… parbleu ! voilàdu nouveau !… c’est sans doute pour me raconter cettetrouvaille, qu’il est si pressé de s’aboucher avec moi… Maisrevenons à vous, mademoiselle… que pensez-vous de monami ?

– Je n’en pense que du bien… il a unefigure loyale et franche… Pendant le court entretien que nous avonseu, il m’a témoigné beaucoup d’intérêt.

– Alors, il ne vous déplaîtpas ?

– Non, certes.

– Vous a-t-il dit son nom ?

– Je ne le lui ai pas demandé.

– Il s’appelle le baron de Mériadec. Il aune certaine fortune, et il n’a d’autre occupation que de faire dubien à tous ceux qui l’entourent ou qui se trouvent sur son chemin.Il a été créé et mis au monde pour défendre les faibles et pourprotéger l’innocence. Ajoutez à cela qu’il a atteint l’âge où l’onpeut se constituer le tuteur d’une jeune fille, sans lacompromettre.

– Je ne dis pas le contraire, mais… oùvoulez-vous en venir ?

– À vous demander s’il vous répugneraitde vous placer sous sa protection. Il n’est pas marié, c’est vrai,mais il est absolument incapable d’abuser de votre confiance… Jevous réponds de lui, mieux que je ne répondrais de moi… ce n’estpeut-être pas beaucoup dire, mais enfin je vous jure sur l’honneurque vous n’aurez jamais à vous repentir d’avoir acceptél’hospitalité qu’il s’estimera très-heureux de vous offrir.

– Moi habiter chez lui… vous n’y pensezpas !

– J’y pense si bien que je suis prêt àvous y conduire. Il demeure rue Cassette, dans une petite maison,qui semble avoir été bâtie tout exprès pour abriter deux ménagesséparés, car elle se compose d’un corps de logis et d’un pavillondétaché. Il vit là tout seul, servi par une brave femme, qui sejetterait au feu pour lui.

» Pourquoi n’occuperiez-vous pas lepavillon ? Il est meublé, très-simplement, et il y aurait dela place pour y installer un atelier de fleuriste. Vous y vivriezde votre travail, tout aussi honnêtement que dans votre casemate dela tour du nord, et ce brave Mériadec n’y entrerait jamais sansvotre permission.

– Mais, monsieur, objecta la jeune fille,votre ami me connaît à peine… pourquoi s’intéresserait-il àmoi ?

– Je vous répète, mademoiselle, qu’ils’intéresse à tous ceux qui souffrent, répliqua Daubrac. Il vousconnaît, du reste, beaucoup mieux que vous ne pensez, car je lui ailonguement parlé de vous… et vous devez bien vous douter que je nelui en ai pas dit de mal.

– Je le crois… mais ce n’est pas uneraison pour disposer de lui et de sa maison sans le consulter.

– Qu’à cela ne tienne !consultons-le. La rue Cassette n’est pas aux antipodes. En voiture,nous y serons dans un quart d’heure. Allons-y.

– Je n’oserai jamais, murmura RoseVerdière.

– C’est pourtant plus simple et moinspénible que d’aller demander une chambre à un logeur qui vousprendra pour ce que vous n’êtes pas. C’est à quoi vous serezforcée, si vous n’acceptez pas ce que je vous propose, car vous nepouvez pas rester sur le pavé.

Rose baissait les yeux et ne disait mot, maison lisait sur son visage qu’elle sentait toute la force del’argument mis en avant par Daubrac.

– Et ne vous inquiétez pas de laréception que vous fera mon ami, reprit-il. Vous serez accueillie àbras ouverts, et il vous traitera comme si vous étiez sa fille. Cene sera d’ailleurs qu’une installation provisoire. Votre père seremettra, je l’espère, et quand il sortira de l’hôpital, vous irezdemeurer avec lui. Mais, en attendant, vous n’avez rien de mieux àfaire que d’occuper le pavillon que Mériadec va s’empresser demettre à votre disposition.

La jeune fille releva la tête, regardal’interne en face et lui dit d’un ton ferme :

– Jurez-moi sur l’honneur qu’en medonnant ce conseil, vous n’avez pas d’arrière-pensée.

– Ah ! vous êtes défiante,vous ! s’écria gaiement Daubrac. Eh bien, oui, j’en ai une…celle de vous voir plus souvent que je ne vous verrais si vouscontinuiez à nicher dans votre tour, comme les corneilles. Je voustrouve charmante, et je serais ravi de vous plaire, en tout bien,tout honneur, mais je vous estime trop pour vous faire la cour…comme on la fait au quartier latin. Au surplus, si j’avais jamaisde ces velléités-là, Mériadec se chargerait d’y mettre ordre. Ilsait ce que vous valez, et il n’entend pas raillerie sur lechapitre des mœurs. Vous serez mieux gardée dans sa maison que dansun couvent. C’est moi qui vous l’affirme, et si vous me connaissiezmieux, vous sauriez que je n’ai jamais menti de ma vie… jamais,mademoiselle !… pas même aux jeunes filles.

– C’est bien, je vous crois, et je suisprête à vous suivre, répondit simplement Rose Verdière.

– À la bonne heure ! Vous ne meprenez plus pour un godelureau qui cherche à vous séduire. Ilfaudrait que je fusse le dernier des drôles pour vous tendre unpiège. Vous n’êtes pas, pour moi, la première venue. Depuis sixmois que je perche sous les toits de l’hôtel-Dieu, je vous voispasser tous les jours, et vous pensez bien que je me suis renseignésur vous. Je sais tout ce que vous faites et j’ai la certitudequ’il n’est pas d’existence plus pure que la vôtre. Une occasion seprésente de vous rendre service ; ne vous étonnez pas que jela saisisse, et laissez-moi faire. Quand vous aurez vu Mériadec,vous me remercierez de vous avoir amenée chez lui.

» Mais je bavarde, alors que je n’ai plusbesoin de protester de mes bonnes intentions, et si nous nousattardions ici, nous finirions par manquer notre ami de la rueCassette. Venez, nous trouverons une voiture sur le quaiSaint-Michel.

Rose, complétement décidée, descendit avecDaubrac sur la place du parvis, et cinq minutes après, ilsroulaient en fiacre vers le domicile du baron, qui ne s’attendaitguère à la visite de l’Ange du bourdon.

La jeune fille avait proposé d’aller à pied,mais elle s’était rangée à l’avis de l’interne, qui ne voulait pasque les étudiants, en le voyant passer, crussent qu’il promenait samaîtresse.

Rose était grave et recueillie, comme ilconvenait à la circonstance, mais Albert égaya le voyage par sespropos.

Il s’informa de la vie qu’elle menait avec sonpère, des magasins qui la faisaient travailler, de l’argent qu’ellepouvait gagner en confectionnant des fleurs ; il lui demandasi le mobilier qui garnissait le logement de la tour appartenait àson père, et il eut le chagrin d’apprendre que ce mobilier était lapropriété de la fabrique, d’où il résultait que la pauvre enfantn’aurait à déménager que des hardes et du linge.

Il sut aussi qu’elle avait perdu sa mèredepuis dix ans, et qu’elle resterait seule au monde, si le bonhommeVerdière ne se remettait pas de son attaque. Et quand il connut cepassé, limpide comme du cristal, et cet avenir menaçant, ils’enthousiasma encore davantage pour l’idée qu’il avait eue demettre Rose sous la protection de Mériadec.

– Parlez-moi donc un peu de cet enfantque mon ami a découvert sur les toits de Notre-Dame, dit-il tout àcoup. Que diable faisait-il là, ce gamin ?

– M. Mériadec n’a pas eu le temps dem’en informer. Il paraissait très-pressé de l’emmener, répondit lajeune fille. Du reste, je n’ai pas osé l’interroger. Seulementl’idée m’est venue que ce petit garçon était peut-être monté avecla malheureuse femme qui est tombée du haut de la tour. Je n’étaispas là lorsqu’elle est arrivée, et je ne l’ai pas vue.

– Je suis convaincu que vous avez deviné,et je parierais que nous allons trouver rue Cassette le jeuneabandonné. Le rêve de Mériadec est de faire de son domicile unorphelinat. Et ça tombe à merveille… vous êtes si bonne que vousdevez aimer les enfants.

– Je les adore.

– Eh bien ! celui-là vous tiendracompagnie. Et si, comme je le soupçonne, il a été mêlé au drame destours…

Daubrac n’acheva point sa phrase. Le fiacrevenait de s’arrêter devant une petite porte percée dans un longmur.

– Nous sommes arrivés, mademoiselle,reprit l’interne. La demeure du dernier des barons de Mériadec nepaye pas de mine à l’extérieur, mais vous auriez tort de la jugersur l’apparence. Entrons, s’il vous plaît.

La porte n’était pas fermée à clef ; iln’eut qu’à tourner le bouton pour faire passer mademoiselleVerdière et la suivre dans une cour carrée qu’entouraient troiscorps de bâtiment à un seul étage.

Ce logis n’était pas neuf, et il avait dû êtrelongtemps inhabité, car les murs étaient couverts de végétationsparasites, et l’herbe poussait dru entre les pavés de la cour.

– Voici le pavillon que vous occuperez,mademoiselle, dit Daubrac, en désignant du doigt l’aile gauche dece très-modeste hôtel. Mériadec habite en face, et vous serezséparés par le bâtiment du fond, où personne ne demeure. Mériadecne l’a pas encore fait meubler.

– En vérité, murmura la jeune fille, vousdisposez de sa maison comme si elle était à vous.

– C’est comme si elle m’appartenait. Vousallez voir.

Et il appela, d’une voix qui sonnait comme unclairon :

– Mériadec !

Presque aussitôt, une fenêtre s’ouvrit à sadroite, et le baron se montra, vêtu d’une sorte de froc en lainegrossière, qui n’était autre chose qu’un burnous rapporté par luid’un voyage en Algérie, et, comme il avait relevé le capuchon decette singulière robe de chambre, Rose Verdière ne le reconnut pastout d’abord ; mais il la reconnut, lui, du premier coupd’œil, car le doux visage de l’Ange du bourdon apparaissait enpleine lumière.

Mériadec laissa échapper une exclamation desurprise et de joie, quitta brusquement la fenêtre et se précipitadans l’escalier.

– Que lui dire, mon Dieu ! murmurala jeune fille.

– Rien du tout, répondit en riantl’interne. Je vais parler pour vous.

Et il parla fort bien, sans phrases et sansprécautions oratoires. Il expliqua brièvement et clairement lasituation à Mériadec, qui s’était empressé de descendre dans lacour et qui l’écouta avec ravissement.

Rose, rassurée par l’accueil du baron, dit sonmot aussi, en commençant par s’excuser de venir demanderl’hospitalité à un vieux garçon, comme les pèlerins la demandaientjadis à la porte des monastères.

Mériadec ne lui laissa pas le temps d’acheverson exorde. Il l’interrompit pour la remercier du plaisir qu’ellelui faisait, en consentant à loger sous son toit, et il seconfondit en protestations de dévouement qui semblaient superflues,car l’expression de sa figure en disait assez. Elle rayonnait, etil était si ému qu’il avait toutes les peines du monde às’exprimer.

L’interne, qui ne perdait jamais la tête, leurvint en aide à tous les deux. Il proposa de faire visiter à RoseVerdière la maison qu’elle allait habiter, et, à ce propos, ilinterpella son ami pour savoir si le pavillon de gauche était prêtà recevoir la jeune fille.

– Tout prêt, répondit l’excellent baron.J’y ai logé un enfant ; mais tu sais qu’il y a trois pièces,dont deux chambres à coucher.

– Un enfant ! s’écria l’interne. Jem’en doutais. Est-ce que tu l’as pris en sevrage ?

– Je t’expliquerai comment et pourquoi jel’ai recueilli… Tu m’approuveras, j’en suis sûr… Mademoiselle aussim’approuvera.

– Ne m’explique rien… je sais d’où vientle petit…

– J’ai raconté à M. Daubrac que vousl’avez trouvé sur la galerie qui réunit les deux tours deNotre-Dame, dit Rose.

– Et moi, reprit Daubrac, j’ai deviné quec’est sa mère qui s’est brisé le crâne sur le pavé du parvis. Tu asbien fait de donner la pâtée et la niche à cet oisillon abandonné,mais tu ne pourras pas le garder indéfiniment.

– Je le garderai du moins jusqu’à ce quej’aie découvert l’assassin de cette malheureuse.

– Décidément, cet assassin n’est donc pasle monsieur que nous avons fait arrêter ? Le bruit courait,hier soir, qu’on venait de le relâcher.

– Ce n’est pas lui, j’en suis sûr. Et jeconnais le vrai coupable… Je l’ai vu… à la Morgue, où il a eul’audace d’entrer pour contempler le cadavre de sa femme.

– Comment ! de sa femme ?

– Oui, ce misérable est le mari de lamorte et le père de l’enfant que j’ai amené chez moi.

– Qu’en sais-tu ?

– L’enfant l’a reconnu à la Morgue et m’araconté toute l’histoire. Lui et ses parents sont Russes. Il étaitarrivé à Paris, le matin même, avec sa mère. Le père les yattendait, fermement résolu à se débarrasser d’eux.

– Et il y a réussi. Mais la justicen’aura pas de peine à le retrouver. Tu l’as avertie, jesuppose ?

– Non. Je n’aurais pu lui fournir aucunrenseignement précis. L’enfant ignore son nom de famille. Il saitque son père s’appelle Paul Constantinowitch ; sa mère, XéniaIwanowna, et lui-même Sacha, autrement dit Alexandre ; il n’ensait pas davantage.

– C’est très curieux… et ce seraitamusant de nous mettre à la recherche du gredin qui a fait lecoup.

– Ç’a été ma première pensée, et, si tun’étais pas venu ce matin, je serais allé te proposer de m’aiderdans cette entreprise. J’ai déjà recruté un auxiliaire… JeanFabreguette.

– Pas sérieux, celui-là.

– Plus que tu ne penses. Il ne tient qu’àtoi d’en juger. Il est ici en ce moment, et, quand tu m’as appelé,nous étions occupés à tenir conseil.

» Mais nous oublions que mademoiselleVerdière est exposée au soleil dans cette cour, et qu’il est tempsde lui montrer le logement qu’elle consent à habiter…

– Si j’hésitais encore à accepterl’hospitalité que vous voulez bien m’accorder, la présence de cetenfant m’y déciderait, dit vivement la jeune fille. Je le soigneraicomme s’il était à moi.

– Je vous en serai d’autant plusreconnaissant qu’il ne veut pas souffrir que ma servantel’approche. Il est fier et sauvage, à ce point que moi-même je n’aisur lui aucune autorité.

– Vous me permettrez bien d’essayer del’apprivoiser.

– Si je vous le permets,mademoiselle ! mais je vous en prie. Vous me rendrez unimmense service, car il ne veut obéir à personne et il s’ennuiemortellement chez moi. L’espace lui manque dans mon étroit logis,et il passe son temps à courir d’un pavillon à l’autre. Ainsi, toutà l’heure, nous cherchions à le faire causer, Fabreguette et moi.C’est à peine s’il nous répondait. Il nous a quittés brusquement,et je crois qu’il est allé s’enfermer dans sa chambre.

– Je suis d’avis de l’y laisser,interrompit Daubrac. Et, comme tu viens de nous dire que sa chambreest voisine de celle que tu destines à mademoiselle Rose, jet’invite à nous faire les honneurs de tes appartements, à toi. Nousallons y trouver ton rapin, mais j’espère qu’il se tiendraconvenablement devant mademoiselle.

– S’il se permettait de lui manquer derespect, dit vivement Mériadec, il ne resterait pas chez moi uneminute de plus, mais je réponds de lui.

– Alors, montons, mademoiselle ;vous allez voir que notre ami Mériadec n’est pas trop mal installé.Il a du goût, et il a rapporté de ses voyages un tas de curiositésqui vous amuseront.

Rose ne se fit pas prier pour s’engager avecces messieurs dans un escalier tournant qui prenait pieddirectement dans la cour.

Elle n’y entra qu’après avoir levé les yeuxvers les fenêtres de l’autre pavillon, et il lui sembla apercevoirderrière les vitres entre deux rideaux entre-bâillés une têted’enfant qui la regardait.

Fabreguette, de son côté, avait mis le nez àla croisée, et ces messieurs le trouvèrent debout, secouant lacendre de sa pipe sur le marbre de la cheminée. Quand la jeunefille entra, il se décida à ôter son fameux béret rouge qu’il nequittait jamais que dans les grandes occasions, et il salua Rose enexécutant une glissade du pied gauche, à la façon des jocrisses defoire.

– Vous, mon cher, lui dit Daubrac, vousallez nous faire le plaisir de supprimer les blagues et lescharges. Nous ne sommes pas ici dans votre atelier.

– Soyez tranquille, seigneur, répondit lerapin. Je respecte les dames, et j’ai déjà eu l’honneur de voirmademoiselle dans sa tour du nord.

Mériadec avança un fauteuil ; Rose y pritplace, et Daubrac se campa à califourchon sur un siége en bois quele baron avait dû apporter du fond de sa Bretagne.

– Où en étiez-vous ? demandal’interne. Il paraît que vous délibériez sur la marche à suivrepour remettre la main sur l’homme que vous avez vu à la Morgue.

» J’en suis, moi, de l’expédition.

– Je comptais sur vous, dit Fabreguette,en s’accoudant sur la table près de laquelle il venait des’asseoir. Est-ce que mademoiselle en sera aussi ?

L’interne allait se fâcher, mais la jeunefille répondit :

– Je veillerai sur l’enfant, pendant quevous chercherez l’assassin.

– Parfait ! s’écria le peintre. Nousvoilà maintenant au grand complet… Une femme charmante et troishardis cavaliers, contre un lâche gredin… Il ne nous manque plusque de nous entendre avec le beau monsieur qu’on a arrêté à laplace de ce chenapan…

» Tiens ! quelqu’un montel’escalier… Si c’était lui ?

On entendait en effet le bruit d’un pashésitant, et bientôt on frappa timidement à la porte deux coupsdiscrets qui annonçaient un visiteur incertain d’être reçu.

Mériadec se leva vivement, courut ouvrir et setrouva face à face avec un homme qu’il reconnut aussitôt.

Fabreguette avait deviné. Cet homme était leprévenu que le juge d’instruction avait fait mettre en liberté laveille et que le baron avait rencontré sur le boulevard duPalais.

– Excusez-moi, monsieur, dit-ilpoliment ; je venais vous prier de m’accorder quelquesinstants… Mais je m’aperçois que vous n’êtes pas seul.

– Entrez, monsieur, répondit avecempressement Mériadec. Il n’y a ici que des personnes que vousconnaissez… et qui seront d’autant plus aises de vous voir que nousparlions de vous.

– Mais vous ne m’attendiez pas, jesuppose… J’ignorais votre nom et votre adresse que vient de medonner mon ami, M. de Malverne… le magistrat qui vousavait appelé en témoignage et qui n’a pu vous entendre. Je sais queje parle à un galant homme, et je n’hésite pas à me présentermoi-même. Je suis officier de cavalerie démissionnaire, et jem’appelle Jacques de Saint-Briac. Ai-je besoin d’ajouter que jeviens vous entretenir de la malheureuse affaire à laquelle vousavez été mêlé, par hasard ?

– Et qui a été le résultat d’unedéplorable méprise. Nous savons tous à quoi nous en tenir sur cepoint, moi, mon ami Daubrac, interne à l’Hôtel-Dieu,M. Fabreguette, artiste peintre, mademoiselle RoseVerdière…

Mériadec s’était effacé et les désignait dugeste, en les nommant. Le capitaine les salua et dit :

– Je me félicite de les trouver ici, etje puis vous expliquer devant eux le but de ma visite.

Le baron avança un siége que Saint-Briacaccepta, et, dès que tout le monde fut assis, Daubrac prit laparole.

– Monsieur, dit-il d’un air dégagé, jen’ai pas grand mérite à deviner que vous venez demander à ce cherMériadec s’il ne pourrait pas vous renseigner sur le gredin qui acommis le crime. Vous tombez bien. Mériadec l’a vu.

– Moi aussi, je l’ai vu, ditFabreguette.

– Et nous nous sommes réunis dans cettemaison pour nous entendre. Nous avons juré de retrouver l’assassin.Il s’agit de savoir comment nous allons nous y prendre. Nousdélibérions, et vous n’êtes pas de trop. Vous avez contre cescélérat des griefs plus sérieux que les nôtres. Ces deux messieurset moi, nous lui en voulons de nous avoir fait jouer un rôleridicule et odieux. Il est cause que nous vous avons fait arrêter.Mademoiselle Verdière lui doit la destitution de son père qui vientde perdre sa place de gardien des tours. Mais vous, monsieur, vousavez failli aller en cour d’assises, et vous devez tenir encoreplus que nous à livrer cet homme au juge qui a reconnu votreinnocence.

– J’aimerais mieux me venger autrement,dit Saint-Briac.

– Oui, je comprends, vous voudriez éviterl’éclat d’un procès criminel, où vous figurerez peut-être et quipourrait compromettre une femme… mais vous n’avez pas le projet delui brûler la cervelle si l’on vous le montrait, et vous lui feriezbeaucoup trop d’honneur en lui proposant un duel. Il faudra doncvous résigner à laisser la justice suivre son cours. Et d’ailleursnous n’en sommes pas encore là, puisque nous ne le tenons pas.Mériadec et Fabreguette l’ont vu, mais il leur a échappé. Il estbon que vous sachiez dans quelles circonstances. Et Mériadec vavous raconter cette histoire.

Ainsi fit le baron, en commençant par saseconde visite aux tours de Notre-Dame. Il dit comment il avaittrouvé Sacha, ce qu’il en avait fait et ce qui s’était passé à laMorgue.

Rose et Fabreguette confirmèrent ce récit queSaint-Briac écouta avec un intérêt bien naturel, mais sansmanifester la satisfaction qu’il aurait dû éprouver.

C’est qu’il avait passé de tristes heures, lepauvre capitaine, depuis qu’il avait lu la lettre deM. de Pancorbo. Il ne s’était pas couché, et la nuit nelui avait point porté conseil. Le jour l’avait trouvé hésitant plusque jamais entre l’ardent désir de punir un lâche scélérat et lacrainte que lui inspiraient les menaces de cet énigmatique Espagnolqui possédait son secret.

Ce n’était pas pour lui-même qu’il avait peurmais il tremblait pour madame de Malverne. Et il se prenait àmaudire cet amour, né des souvenirs de leur jeunesse. Ils s’étaientaimés autrefois, sans se le dire, et quand ils s’étaient revus,après le mariage d’Odette, leur passion mal éteinte s’étaitrallumée. Ils avaient lutté longtemps contre l’irrésistiblepenchant qui les entraînait l’un vers l’autre ; puis une heureétait venue, une heure d’ivresse, où ils avaient oublié que Huguesde Malverne, le meilleur et le plus confiant des maris, était l’amiintime de Jacques, heure funeste qui avait fait de leur vie unenfer, car ils sentaient tous les deux la gravité de leur faute, etle courage de rompre leur manquait.

Saint-Briac en était venu à se mépriserlui-même, et, depuis sa mésaventure de Notre-Dame, il songeait àmourir ou à s’expatrier. Mais, maintenant qu’il savait queM. de Pancorbo pouvait perdre de réputation madame deMalverne, il n’avait plus le droit de disparaître, car c’eût étéabandonner Odette aux vengeances d’un aventurier que n’arrêteraitaucun scrupule, dès que lui, Saint-Briac, ne serait plus là pour ladéfendre. Il fallait donc à tout prix supprimer ce soi-disantmarquis. Mais comment ? Cet homme consentirait-il à sebattre ? Et sous quel prétexte le provoquer ? Ledénoncer, c’était précipiter la catastrophe. Et d’ailleurs lecapitaine n’avait pas encore la preuve que Pancorbo fût l’assassinde la tour du sud.

Après de longues et cruelles angoisses, ils’était décidé à se renseigner d’abord. Parmi les gens quil’avaient fait arrêter, il avait particulièrement remarquéMériadec, et il résolut de le voir avant de prendre un parti. Ilétait donc allé, sous prétexte de s’informer de la santé de madamede Malverne, demander au juge d’instruction l’adresse de ce témoin,et, sans plus délibérer, il s’était transporté rue Cassette, où ilne comptait pas trouver si nombreuse compagnie.

Et il regrettait presque d’y être venu, car ilne savait comment décliner l’offre de Daubrac qui lui proposait des’associer à la campagne que les trois mousquetaires, comme disaitFabreguette, allaient ouvrir contre le meurtrier.

– Nous n’avons malheureusement pas pul’arrêter, dit Mériadec, pour achever son récit, et je n’ai faitque l’entrevoir. Je crois cependant que je le reconnaîtrais.

– Comment est-il ? demanda lecapitaine.

– Il est grand, assez large des épaules,mais élégamment tourné. Il a des traits réguliers, le teinttrès-brun, les yeux et les cheveux très-noirs, et il ne porte quela moustache.

Ce signalement se rapportait à celui deM. de Pancorbo, et Saint-Briac, très-frappé de cettecoïncidence, demanda quel âge cet individu paraissait avoir.

– Le vôtre, répondit Fabreguette, et jetrouve qu’il vous ressemble un peu. De loin, on pourrait s’ytromper. Du reste, si vous tenez à en juger, je vais vous montrerun croquis que j’ai fait un quart d’heure après la rencontre. Cen’est pas très-fini, car j’ai saisi l’homme au vol, mais ça suffitpour donner une idée du personnage, tel que je l’ai vu.

L’artiste tira de sa poche un album portatifqui ne le quittait jamais, car il travaillait plus souvent dans larue que dans sa mansarde, l’ouvrit, chercha la page et la mit sousles yeux de Saint-Briac, qui s’écria :

– C’est lui !

– Comment, c’est lui ? demandaFabreguette ; vous l’avez donc vu ?

– Non, balbutia Saint-Briac ; jeveux dire que ce portrait ressemble à…

– À quelqu’un que vous soupçonnez d’êtrel’assassin ? acheva Daubrac.

– C’est à peu près cela… Mais dessoupçons ne suffisent pas… et je n’ai aucune certitude.

– N’importe ! s’écria Mériadec.Veuillez nous apprendre sur quoi se basent vos soupçons. Ce seratoujours un point de départ, et les renseignements que vous nousdonnerez nous mettront peut-être sur la piste de ce misérable. Jedis : nous, car je compte bien que vous serez des nôtres dansl’expédition que nous allons entreprendre.

Saint-Briac, mis ainsi au pied du mur, futbien obligé de s’expliquer. Il pensa qu’après tout, il avaitaffaire à de braves gens, et que mieux valait leur exposerfranchement sa situation, sans leur confier cependant le grandsecret, c’est-à-dire sans nommer madame de Malverne.

– Messieurs, commença-t-il, vous savezqu’au moment où le crime a été commis, j’étais sur la galerie deNotre Dame avec une femme que j’ai refusé de nommer… vous devinezpourquoi…

– Parfaitement… et chacun de nous enaurait fait autant s’il s’était trouvé à votre place, ditl’interne.

– J’ai refusé de la nommer, même au juged’instruction, qui fort heureusement est un de mes meilleurs amiset qui a bien voulu se contenter de ma déclaration… incomplète.J’ai été mis en liberté immédiatement, et je me suis promis, commevous, de découvrir le misérable pour lequel on m’a pris. Ce n’étaitpas facile, puisque je n’avais aucune indication qui pût me mettresur sa trace. Le hasard le plus inattendu m’en a fourni une.

» Hier soir, dans un cercle dont je faispartie, j’ai été abordé par un étranger que je connaissais fortpeu, et qui m’a appris, sans préambule, qu’il m’avait vu, laveille, traverser le parvis entre deux sergents de ville. Cettedéclaration m’a paru singulière, quoiqu’elle fût accompagnée deprotestations de discrétion. Je me suis demandé comment ce monsieurs’était trouvé là, juste à point pour me voir passer, et l’idéem’est venue qu’il descendait peut-être de cette tour du sud…

– C’est un Russe, votre étranger ?demanda Fabreguette.

– Non. Il est Espagnol, et il en a bienl’air. Mais il ressemble beaucoup au croquis que vous venez de memontrer.

– Alors ça va marcher tout seul !s’écria Daubrac. Nous n’avons qu’à mettre en présence de cepersonnage l’enfant que Mériadec a recueilli. Il reconnaîtral’homme qu’il a déjà reconnu à la Morgue. Il ne s’agit plus que desavoir où il faut le conduire… et ce sera vous, monsieur, qui vousen chargerez, puisque vous êtes du même cercle que ce brigand. Oùdemeure-t-il ?

– À l’Hôtel Continental ; mais…

– Ce n’est pas là que Sacha est descenduen arrivant à Paris, dit Mériadec. Il m’a parlé d’une grandemaison, où il n’y avait personne.

– Peut-être cet homme a-t-il un autredomicile. Mais permettez-moi de vous expliquer pourquoi je désirene pas paraître. En sortant du Cercle, j’ai vu le marquis dePancorbo… c’est le nom qu’il porte… je l’ai vu monter dans unevoiture de place avec un homme mal vêtu. J’ai pris un autre fiacre,et j’ai suivi leur voiture qui s’est arrêtée au coin de la rue deMarbeuf. L’Espagnol n’y était plus. Il m’avait vu l’épier sur laplace de la Concorde, et il n’avait fait que traverser le fiacre,où son compagnon était resté…

– Eh bien ! interrompit Fabreguette,nous irons le chercher rue de Marbeuf.

– Veuillez me laisser achever, reprit lecapitaine. En rentrant chez moi, j’ai trouvé une lettre de cethomme… une lettre qu’il a dû écrire au cercle, après avoir faitsemblant de monter en voiture. Et cette lettre est unultimatum… Il me déclare nettement qu’il a vu aussi lafemme qui m’accompagnait, qu’il la connaît… et que, si je continueà le surveiller, il la dénoncera à son mari.

– Voilà, sur ma parole, un venimeuxcoquin ! s’écria l’interne ; il faut que nous en fassionsjustice.

– Remarquez, monsieur, qu’il n’avoue pasle crime de Notre-Dame.

– Il faudra bien qu’il l’avoue, sil’enfant le reconnaît.

– Peut-être ; mais il fera ce dontil me menace… et une femme que j’aime sera perdue.

– Pourquoi s’en prendrait-il à elle, sivous ne vous montrez pas ? Il ne sait pas que vous vous êtesmis en relation avec Mériadec…

– Et c’est moi qui conduirai Sacha, ditle baron. Vous pouvez compter qu’il ne sera pas question de vous,quoi qu’il arrive.

Saint-Briac secoua la tête en signe de doute,et dit avec une émotion qu’il ne cherchait pas à cacher :

– Messieurs, je vous fais juges de lasituation… et j’en appelle aussi à mademoiselle, puisqu’elle a bienvoulu m’écouter, quoiqu’il lui en ait coûté, j’en suis sûr, dem’entendre parler d’une femme qui a oublié ses devoirs… Dois-je,pour punir un assassin, la livrer à la vengeance de cemisérable ?

– Non, dit Rose d’un ton ferme.

– C’est l’esprit de corps qui voussouffle cette réponse, répliqua vivement l’interne. Les femmes nevoient jamais que le côté sentimental des choses, et vous oubliezque le devoir des honnêtes gens est d’aider la justice. Quoi !voilà un scélérat qui a tué sa femme, abandonné son enfant… nous lesavons, il ne tient qu’à nous de le prouver, et nous noustairions !… Ce serait indigne… j’ose même dire que ce seraitune lâcheté…

Et comme Saint-Briac pâlissait, Daubracreprit :

– Mais, vous-même, monsieur, vous sentezbien que j’ai raison. Certes, je comprends que vous hésitiez, maisje crois que vous vous exagérez le danger auquel vous exposerez lapersonne qui vous intéresse par-dessus tout. J’admets, si vousvoulez, que cet homme la dénoncera à son mari. Mais de deux chosesl’une : ou il écrira une lettre anonyme, et le mari n’entiendra aucun compte ; ou, au contraire, il signera, et lemari comprendra que cette dénonciation n’est qu’une manœuvreimaginée par ce coquin pour dérouter la justice, qui mettra la mainsur lui aussitôt que nous l’aurons confronté avec Sacha.

» D’ailleurs, Mériadec vient de vous ledire, et je vous le répète, vous ne prendrez aucune part à lachasse que nous allons donner à ce soi-disant Espagnol. Il saitfort bien que ce n’est pas vous qui avez recueilli l’enfant qu’il aabandonné, puisque vous avez été arrêté immédiatement après lecrime, et c’est l’enfant qui fera tout… conduit par l’un de nous.Vous ne paraîtrez pas.

Saint-Briac, à bout d’arguments, baissait latête, et, après un silence, il ne trouva rien de mieux que decontester l’efficacité de la confrontation.

– Êtes-vous bien sûrs, messieurs,demanda-t-il timidement, êtes-vous bien sûrs que cet enfant vousaidera à faire condamner son père ?

– Il suffira qu’il reconnaisse l’hommequi l’a reçu à son arrivée à Paris et qui est monté avec lui dansla tour. Nous ferons le reste.

– Sait-il seulement que sa mère a étéassassinée ?

– Non, répondit Mériadec ; je n’aipas eu le courage de le lui dire, et il n’a pas vu le cadavre à laMorgue.

– Tant mieux ! s’écria Daubrac. Ilne refusera pas de reconnaître l’assassin quand nous le luimontrerons.

À ce moment s’ouvrit une porte placée au fondde la pièce où se tenait le conseil, et Sacha entrabrusquement.

Il n’y avait là que Mériadec qui connût bienl’enfant de la morte ; Fabreguette ne l’avait paspratiqué ; Rose Verdière n’avait fait que l’entrevoir dansl’escalier de la tour ; Daubrac et le capitaine ne l’avaientjamais vu.

Il était très-pâle, et l’expression de sonvisage disait assez qu’il avait tout entendu.

Il alla droit à Mériadec, et il luidit :

– C’est donc vrai ?… il l’atuée ?…

– J’aurais voulu vous le cacher, murmurale baron, très-ému ; mais puisque vous le savez…

– Je sais que vous l’accusez ;maintenant, prouvez-moi que c’est lui.

Mériadec ne répondit pas. Il ne se sentait pasle courage d’expliquer à ce pauvre petit pourquoi le meurtrier nepouvait être que l’homme qu’ils avaient surpris la veille à laMorgue.

L’interne, beaucoup moins timoré que son ami,se chargea de renseigner Sacha.

– Mon garçon, lui dit-il nettement, jesais que vous êtes fort intelligent et que vous avez autant decourage qu’un homme fait ; je puis donc vous parler comme jevous parlerais si vous aviez vingt ans. Votre mère a été précipitéedu haut de la tour où elle était montée seule avec votre père,lequel a disparu aussitôt après la catastrophe qui vous a faitorphelin. Il a fui, sans s’inquiéter de vous, qu’il avait laissé aubas de cette tour. Ne pensez-vous pas comme nous que lui seul a pucommettre ce crime abominable ? Il voulait se débarrasser toutà la fois de sa femme et de son fils…

– Je ne sais pas si je suis son fils,interrompit l’enfant.

– Que me dites-vous là ? demandavivement Daubrac.

– Paul Constantinowitch demeurait avecnous à Vérine, et je l’appelais : mon père, parce quema mère le voulait ainsi, mais je ne l’aimais pas… c’est elle quil’aimait… et nos paysans le détestaient, parce qu’il les traitaitdurement. Quand nous sommes partis pour le rejoindre à Paris, nosdomestiques pleuraient tous.

– Et ils ne vous ont pas dit qu’avant cethomme ils avaient eu un autre maître ?

– Ils n’osaient pas, mais je l’ai deviné…D’ailleurs, je me souviens vaguement d’avoir vu dans ma premièreenfance un seigneur qui portait un bel uniforme, avec de grossesépaulettes, et qui me prenait souvent dans ses bras. Bien souvent,depuis, j’ai parlé de lui à ma mère. Elle me répondait toujours quej’avais rêvé cela, et que je m’appelais Alexandre Paulowitch.

– C’est-à-dire : fils de Paul,n’est-ce pas ?

– Oui… en russe.

– Et l’homme qui vivait avec votre mères’appelle Paul ?

– Paul, fils de Constantin.

– Mauvais système qu’on a chez vous de nedésigner les gens que par leur petit nom. C’est le diable pour lesretrouver quand on les cherche. Allez donc prendre des informationssur un Paul Constantinowitch dans un pays où il y en a desmilliers !

– J’ai écrit hier au maréchal de lanoblesse du gouvernement de Tambow, dit Mériadec. La mère de Sachaétait comtesse… sa résidence s’appelait Vérine… On saura là-basquelle est la dame qui a récemment quitté le pays…

– Et si ce personnage ne te répond pas,il nous restera la ressource de nous renseigner à l’ambassade,répliqua l’interne ; mais en attendant, nous pouvons agir, etSacha ne refusera pas de nous aider, car je suis sûr qu’il veutvenger sa mère.

– Comment la venger ? demandal’enfant, avec un sang-froid qui étonna tous les assistants.

– En livrant son meurtrier à la justicefrançaise ; il sera condamné à mort, et on lui coupera lecou.

– Que faut-il faire pour cela ?

– Accompagner celui de nous qui va semettre à sa recherche, et, quand vous serez en face de lui,l’appeler par son nom de Paul et lui demander ce qu’il a fait de lacomtesse Xénia, répondit Mériadec. Nous verrons ce qu’ilrépondra.

– Il s’enfuira, comme il s’est enfui hierquand je l’ai aperçu dans cette salle où l’on expose les morts.

– On le rattrapera, petit, répliquaFabreguette. Il n’aura pas toujours à sa portée une voiture et unbon cheval.

– C’est bien. Je suis prêt. Où letrouverons-nous ?

– Si je le savais, je vous y mèneraistout de suite, dit Mériadec. Nous supposons qu’il habite, sous unautre nom que le sien, un des grands hôtels de Paris… et nousallons commencer par nous assurer que nous ne nous tromponspas.

– Je serais d’avis d’aller aussiinspecter les maisons de la rue de Marbeuf, ajouta Daubrac, quiavait écouté très-attentivement le récit de l’expédition ducapitaine.

» Sacha reconnaîtrait peut-être celle oùon l’a conduit lorsqu’il est arrivé à Paris.

– Oui, si j’y entrais. Je reconnaîtraisla chambre où j’ai couché… et le valet qui m’a servi, s’il y estencore. Mais je ne me rappelle pas bien comment cette maison estfaite à l’extérieur. Je me souviens seulement que nous y sommesentrés avec la voiture, par une grande porte, et que, pour yarriver, il faut descendre une rue mal pavée. Je m’étais endormi enroute, et les cahots m’ont réveillé.

– Alors, il y a gros à parier que j’aideviné. Vous avez dû passer la nuit rue de Marbeuf… et vous y avezdéjeuné, je suppose ?

– Oui, avec maman… Paul Constantinowitchétait sorti dès le matin… Nous n’avons pris que du thé et desœufs.

– Servis par un domestique ?

– Oui, par un homme en livrée qui étaittrès-laid et ne savait pas son métier. Il a cassé deux assiettespendant le déjeuner, et maman l’a grondé.

– En russe ?

– Non, c’est un Français.

Saint-Briac eut l’idée que ce valet si malstylé pouvait bien être le drôle qui était venu la veille chercherM. de Pancorbo au cercle, et que son maître auraitaffublé d’une livrée pour la circonstance. Cet homme devait êtreson complice, son âme damnée, et il importait de leretrouver ; mais Saint-Briac ne l’avait pas examiné avec assezd’attention pour être certain de le reconnaître, surtout sous unautre costume.

– Dites-moi, mon cher Sacha, repritDaubrac, lorsque vous êtes sorti, après le déjeuner, pour aller àNotre-Dame, vous avez dû suivre une grande avenue plantée d’arbresdes deux côtés ?

– Oui, et, après, nous avons traversé uneplace où il y a une fontaine et des statues… Ensuite, nous avonspris par un quai, et nous avions la rivière à notre droite.

– Bon ! nous sommes fixés, ditFabreguette. Le môme venait de la rue de Marbeuf, et je mecharge de découvrir la boîte où on l’a logé à la nuit.

Sacha regarda de travers ce peintre, dont lesfamiliarités lui déplaisaient, et se mit tout à coup à interpellerMériadec, qui n’avait pas encore pris grande part à ladélibération.

– Vous ne m’avez nommé ni cette dame, nice monsieur, dit-il, en montrant Rose Verdière et Saint-Briac.

– Cette dame est une demoiselle, réponditMériadec, tout surpris d’entendre son tout jeune protégé parlercomme l’aurait fait un homme du monde qu’on a mis en présence depersonnes inconnues, sans les lui présenter. Vous l’avez déjà vuedans l’escalier de la tour.

– C’est vrai… je me rappellemaintenant…

– Et maintenant vous la verrez tous lesjours. Elle va demeurer ici… elle occupera une chambre qui est toutprès de la vôtre…

– Oh ! tant mieux ! s’écrial’enfant. Je n’aurai plus affaire à cette vieille servante qui a lafigure pleine de rides. Voulez-vous me permettre de vous embrasser,mademoiselle ?

Rose, émue et charmée, le prit dans ses braset le baisa au front en lui disant doucement :

– Je ferai de mon mieux pour remplacervotre mère.

– Ma mère ? Vous ne lui ressemblezpas du tout. Elle avait le regard dur, et vos yeux sont d’unedouceur infinie. Je suis sûr que vous ne me gronderez pas, commeelle le faisait sans cesse… et vous m’aimerez, vous.

– Oh ! oui, je vous aimerai de toutmon cœur, dit chaleureusement la jeune fille. Comment ne vousaimerais-je pas ? Moi aussi, je suis seule au monde. Je n’aiplus de mère, et mon pauvre père se meurt.

– Il vous reste des amis, murmuraMériadec.

– Nous allons vous constituer unefamille, dit en riant Fabreguette. Quatre frères et un fils, rienque ça !

– Et puis votre père en reviendra, ajoutal’interne. Mais parlons de notre affaire. M. Sacha consent ànous aider. C’est un grand point. Il s’agit de savoir comment nousallons procéder.

– Avant tout, répondit Fabreguette, quitenait à son idée, il faut retrouver la maison de la rue deMarbeuf. Je puis dès aujourd’hui aller flâner par là avec lepetit.

– Je n’irai pas avec vous, dit résolumentSacha.

– Pourquoi ça, jeune homme ?

– Cet enfant n’a pas tort de refuser devous accompagner, car il courrait les plus grands dangers, répliquaDaubrac. L’homme que nous cherchons vous connaît de vue, puisquevous avez couru après lui, en sortant de la Morgue.

– Moi aussi, il me connaît, ditMériadec.

– C’est pour cela que ni toi, niFabreguette, vous ne devez vous montrer dans cette rue de Marbeuf.S’il vous y rencontrait, il devinerait aisément ce que vous y venezfaire, et il prendrait ses mesures pour vous dérouter.

» M. de Saint-Briac ad’excellentes raisons pour s’abstenir.

» Je ne vois donc que moi qui puisse,sans inconvénient, me charger de cette première expédition.

– Ou moi, dit timidement RoseVerdière.

– Vous, mademoiselle ! s’écriaMériadec. Vous oubliez qu’il y a des dangers à courir. Cet hommeest capable de tout. Et s’il s’apercevait que vous le cherchez…

– Il ne se défiera pas d’une femme…tandis que M. Daubrac risquerait peut-être sa vie.

– Ma vie est à votre service,mademoiselle, dit gaiement l’interne ; mais rassurez-vous, jesuis de taille à me défendre, et il ne m’arrivera rien de fâcheux.Notre jeune ami ne veut pas de Fabreguette, mais je suppose qu’ilconsentira à m’accompagner.

– Oui, si petite mère vient avec nous,répondit Sacha, en se serrant contre sa chère Rose.

– Pardon, messieurs, interrompitSaint-Briac, il me semble qu’en ce moment vous n’envisagez pas lasituation telle qu’elle est, et je vous demande la permission devous rappeler qu’avant tout nous devons nous assurer que l’Espagnoldont je vous ai parlé et l’homme que nous cherchons ne font qu’uneseule et même personne. Il faut donc que cet enfant voie cetEspagnol, et ce n’est pas rue de Marbeuf qu’il pourra le voir.

– C’est très-juste, approuva Mériadec. Ilne doit pas demeurer là, et la maison où Sacha a couché avait sansdoute été louée pour une nuit.

– M. de Pancorbo loge à l’HôtelContinental, rue de Castiglione. Il me l’a dit, et je n’ai aucuneraison pour en douter. De plus, il va tous les jours au cercle quise trouve à l’entrée de l’avenue Gabriel, à l’angle de la place dela Concorde. Il y va vers cinq heures et il y revient dans lasoirée, avant minuit. Rien n’est donc plus facile que de l’attendreà la porte et de le dévisager quand il passera. Sacha peut fairecela, mais il ne faut pas que cet homme le voie.

– Il suffira de mettre le petit dans unfiacre qui stationnera devant l’entrée de votre cercle, mais del’autre côté de la rue, dit Fabreguette. Mademoiselle Rose ymontera, puisqu’il ne veut marcher qu’avec elle. Elle aura soin delever les glaces. Ce serait bien le diable si l’Espagnol remarquaitla figure d’un enfant collée à la vitre.

– Bon ! et après ? demandal’interne.

– Après, si Sacha le reconnaît, nousirons tous ensemble trouver le juge d’instruction, nous lui feronsnotre déclaration collective, et Paul Constantinowitch sera coffréimmédiatement. Ce n’est pas plus difficile que ça.

» Et comme le gredin n’aura affaire qu’ànous, il ne s’avisera pas de se venger en dénonçant la bonne amiede M. de Saint-Briac.

Le capitaine hocha la tête. Il n’était pas sirassuré que Fabreguette, mais, après s’être avancé comme il venaitde le faire, il ne pouvait guère reculer.

D’ailleurs, il se disait queM. de Pancorbo ne saurait jamais qui l’avait signalé àMériadec et aux amis de Mériadec. Il devait ignorer leur existence,et il ne devinerait pas que lui, Saint-Briac, s’était mis enrelation avec eux.

– Je ne vous demande qu’une chose,messieurs, leur dit-il ; c’est de ne pas le dénoncer avant dem’avoir revu. Si vous le livrez à la justice, j’aurai certainesprécautions à prendre pour prévenir l’effet des propos qu’ilpourrait tenir, lorsqu’il n’aura plus de ménagements à garder.

– Compris ! répondit Fabreguette.Nous lui accorderons un sursis de vingt-quatre heures. Raison deplus pour ne pas perdre de temps. J’espère que mademoiselle estprête à marcher, et Sacha aussi. Il faut que, dès aujourd’hui, ilssoient à leur poste devant la porte du cercle, à quatre heures etdemie. Nous autres, nous irons les attendre dans lesChamps-Élysées. Dès qu’ils seront fixés, ils viendront nous yrejoindre, et l’un de nous ira vous faire son rapport. Oùdemeurez-vous ?

– Avenue d’Antin, 9.

– Ça tombe bien. C’est à deux pas durond-point. Que dit de mon projet mademoiselle Verdière ?

– Je ferai ce que me conseilleront cesmessieurs, murmura la jeune fille.

– Et vous, seigneur Sacha ?

– J’irai partout où petite mère voudra memener, répondit nettement le garçonnet. Seulement, si je vois PaulConstantinowitch, je ne promets pas de ne pas courir à lui, pourlui cracher au visage.

– Diable ! il n’est pas pour lesmoyens doux, le cher enfant, ricana Fabreguette. Si ça doit sepasser comme ça, ce n’est pas la peine de déranger mademoiselle,car tout notre plan s’en irait à vau-l’eau. Notre homme, averti, nemanquerait pas de décamper de Paris.

– Je suis sûre que si je l’en priaisbien, Sacha ne ferait pas cela, dit Rose en regardant son jeune amiavec ses grands yeux doux.

Il hésita un instant, mais il finit par luisauter au cou.

– Non, je ne le ferai pas, puisque tu mele défends, dit-il. Mais je veux te tutoyer, et je veux que tu metutoies.

– Qu’à cela ne tienne ! murmura lajeune fille, qui ne put s’empêcher de sourire.

– Alors, s’écria Fabreguette, rien nenous empêche de tenter l’expérience ce soir.

– Je ne m’y oppose pas, dit Saint-Briac,mais je pense que mademoiselle fera bien de ramener immédiatementSacha chez M. de Mériadec, et je vous prie de ne pasvenir chez moi aujourd’hui ; vous ne m’y trouveriez pas. J’yserai demain, dans l’après-midi, mais la visite de l’un de vouspourrait être remarquée… je ne serais pas surpris queM. de Pancorbo eût des espions, et il m’importe qu’il nedécouvre pas que nous agissons d’un commun accord. Mieux vaut donc,je crois, que M. de Mériadec m’écrive pour m’apprendre cequi se sera passé.

» Et maintenant, messieurs, il ne mereste qu’à prendre congé de vous, conclut le capitaine, en selevant. Je sais que je puis compter sur votre loyauté, et je vousprie de compter sur ma reconnaissance.

Trois mains d’hommes se tendirent pour serrerla sienne, et l’étreinte fut cordiale de part et d’autre ;mais Saint-Briac ne pouvait pas oublier que Rose Verdière était là,qui lui tendait naïvement sa joue. Il y mit un baiser paternel, etil allait se retirer.

– Et moi, capitaine ? demandaSacha.

Saint-Briac l’embrassa de bon cœur et sortitaccompagné par Mériadec, qui le reconduisit jusque dans lacour.

Il s’en allait content d’avoir trouvé debraves cœurs qui battaient à l’unisson du sien, et des alliés dontle dévouement n’était pas douteux ; mais il ne laissait pasque d’être inquiet sur les suites des confidences qu’il avait dûleur faire.

Et cette préoccupation l’absorbait tellementqu’en mettant le pied dans la rue, il ne remarqua point, assis surune borne, un homme qui avait tout l’air de surveiller l’entrée dela maison du baron.

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