La Voilette bleue

II

Un juge d’instruction est toujours un grospersonnage, car c’est lui qui joue le premier rôle dans lesaffaires criminelles. Il tient entre ses mains le sort des accusés,et il jouit d’une indépendance absolue.

Mais quand ce juge est un homme considérablepar sa situation personnelle, il prend encore plus d’importance, etses supérieurs hiérarchiques reconnaissent pleinement sonautorité.

C’était le cas de M. Hugues de Malverne,issu d’une vieille famille de robe, possesseur de quatre-vingtmille francs de rente, et mari d’une femme charmante dont le saloncomptait parmi les mieux fréquentés de Paris. Bien posé dans lemeilleur monde, ce magistrat modèle avait toutes les qualitésnécessaires pour remplir les délicates fonctions qui lui étaientconfiées : une impartialité absolue, un sang-froid à touteépreuve et une sagacité remarquable.

Aussi le désignait-on de préférence pourinstruire les affaires difficiles et délicates, comme celle destours de Notre-Dame.

Il en avait été saisi immédiatement, et lelendemain du crime, à midi, il était déjà au Palais, dans soncabinet, prêt à interroger l’homme arrêté et à entendre les témoinscités le matin même.

En attendant qu’ils comparussent, ils’entretenait avec le commissaire de police qui venait de luirendre compte des faits, et il ne paraissait pas très-satisfait dece compte rendu.

– Il me semble, dit-il froidement, quevous n’auriez pas dû procéder ainsi. Il se peut que vous teniez lecoupable, mais il se peut aussi que vous ayez commis une erreur enarrêtant cet homme. Rien ne prouve que ce soit lui, rien ne prouvemême qu’il y a eu crime ; et nous sommes peut-être en présenced’un suicide. Il aurait fallu commencer par visiter les tours etles combles de Notre-Dame : vous vous seriez assuré quepersonne ne s’y était caché, car enfin d’autres que l’inculpé ontpu y monter.

– La visite a été faite, monsieur le juged’instruction, répondit le commissaire ; je l’ai dirigéemoi-même, après avoir écroué l’homme, qui refusait de dire sonnom.

– C’était trop tard. Un autre a eu toutle temps de s’échapper.

– Pardon, monsieur, j’avais laissé desagents au bas de l’escalier, et je puis affirmer que personne n’estsorti avant mon arrivée. La fille du gardien en déposera. J’aiinspecté minutieusement toute la partie supérieure de l’église… lestours, les galeries, les toitures, et je n’ai rien trouvé.

– Et sur la plate-forme d’où cette femmeest tombée, il n’y avait pas de traces d’une lutte ?

– Aucune. Du reste, le coup a dû êtrefait par surprise. D’après le témoignage de ce peintre qui a vu deloin la scène, la femme accoudée sur la balustrade a été empoignéepar les jambes, enlevée et basculée dans le vide, avant d’avoir puse défendre.

» Tout ce que j’ai découvert de suspect,c’est une porte ouverte… une petite porte située sur une galerieétroite qui circule autour du toit de la nef. Il paraît que cetteporte est toujours fermée, mais on ne s’explique pas comment unhomme venant des tours aurait pu arriver jusque-là. Il aurait eudes abîmes à franchir.

– Bon ! mais, en admettant qu’ill’ait fait, où ce chemin l’aurait-il conduit ?

– À un escalier intérieur qui passe sousla charpente de la cathédrale et qui aboutit au pavé, derrière lechœur.

– Donc, quelqu’un a pu fuir par là.

– C’est tout à fait improbable.

– Il suffit que ce soit possible pour queje doute de la culpabilité de votre prisonnier. Et, en somme,jusqu’à présent, il n’y a contre lui que des indices.

– Des indices très-graves, monsieur lejuge d’instruction. Quand ce ne serait que le refus de dire sonnom…

– De le dire à vous. Il me le dirapeut-être à moi. Et il peut avoir des raisons pour ne vouloirparler que devant le juge d’instruction.

– Il a bien laissé entendre qu’il étaitavec sa maîtresse, qui est une femme mariée… On comprendrait encorequ’il refusât de la désigner, mais il aurait pu se nommer, lui,sans la compromettre.

– Il est peut-être tellement lié avec lemari qu’en se nommant il attirerait les soupçons sur elle.Assurément, il n’est pas assez naïf pour croire que la justice neviendra pas à découvrir qui il est… et il me l’apprendra, parcequ’il espère que, si son innocence est reconnue, je garderai lesecret sur cette aventure. À la description que vous m’avez faitede sa personne, ce doit être un homme du monde.

– Je le crois. Mais il a pris unesingulière précaution, avant de sortir de chez lui, hier. On l’afouillé lorsqu’il est entré au dépôt… c’est réglementaire… et l’onn’a trouvé sur lui ni portefeuille, ni cartes de visite, ni papiersd’aucune sorte… rien qu’une vingtaine de louis dans la poche de songilet… on dirait qu’il avait prévu qu’on l’arrêterait ce jour-là,et qu’il s’était mis en mesure de garder l’incognito.

– En effet, c’est assez bizarre… mais cen’est pas concluant. Et la femme ne portait rien nonplus ?…

– Des bijoux d’une assez grande valeur,mais pas un sou et pas le moindre bout d’écrit. Elle est bienhabillée, elle a du linge très-fin, et sur le boîtier de sa montreil y a une initiale, surmontée d’une couronne de comtesse. Lesmains sont blanches et les pieds très-petits. Le visage estméconnaissable.

– N’importe, vous la ferez exposer à laMorgue.

– Elle l’est depuis ce matin. Et l’on ditqu’il y a déjà foule, mais je doute qu’on la reconnaisse. Elle esttrop défigurée. Je ne crois pas qu’il soit nécessaire de procéder àl’autopsie.

– C’est tout à fait inutile. Il ne s’agitpas ici de déterminer la cause de la mort.

» Quel âge paraît avoir cettefemme ?

– Trente ans… peut-être un peu plus.

– Et l’homme arrêté ?

– Trente-quatre ou trente-cinq ans.

– Il y a des chances pour que ce ne soitpas le mari.

– C’est l’amant, tout l’indique.

– Mais il y a un mari, et ce maris’apercevra de la disparition de sa femme… Il n’est pas impossiblequ’il vienne à la Morgue, car il doit lire les journaux, et il yverra le récit de l’événement.

– Oui, s’il est à Paris. Mais je neserais pas surpris que la femme fût étrangère. Sa toilette estriche, mais elle n’a pas le chic parisien, et l’initiale gravée sursa montre est un X.

– En effet, je ne vois guère en françaisque Xavier qui commence par un X, et Xavier est un nom d’homme.

» Avez-vous pris des renseignements surles témoins que j’ai fait citer ?

– Oui, monsieur le juge d’instruction.L’un est un interne à l’Hôtel-Dieu, très-laborieux, très-instruit,très-estimé de ses chefs et très-aimé de ses camarades ;l’autre est une espèce d’original, un noble breton, qui s’est fixéà Paris depuis quelques années. Il mène une vie très-régulière, etil jouit dans son quartier d’une excellente réputation.

– Ceux-là n’ont vu que le coupletraversant le parvis. Mais le troisième, celui qui prétend avoir vucommettre le crime ?

– C’est un peintre sans ouvrage, unpauvre diable qui habite un taudis, au cinquième étage d’unevieille maison de la rue de la Huchette. Mais il ne paraît pasqu’il se conduise mal… et je me suis assuré qu’il n’y a rien à soncasier judiciaire.

– Ce n’est pas assez pour que je croiesur parole à sa déposition, et, en résumé, toute l’accusationrepose sur son témoignage ; car, s’il n’avait pas raconté unehistoire qu’il a peut-être tirée de son imagination, tout le mondeaurait cru au suicide.

– C’est vrai, monsieur, mais il paraît debonne foi… et d’ailleurs quel intérêt a-t-il à inventer ?

– Le désir de faire parler de lui ;et puis, il a pu se tromper… à la distance où il était placé.Enfin, je l’interrogerai, et je verrai bien si l’on peut avoirconfiance dans ses affirmations.

» Mais je vais d’abord entendrel’inculpé, et je pense qu’après l’avoir entendu, je saurai ce qu’ily a au fond de cette affaire.

» Vous n’avez plus rien à medire ?

– Rien, monsieur, si ce n’est que legardien des tours fait fort mal son métier. S’il n’eût pas étéivre, il n’aurait pas oublié de fermer la grille de l’escalier, etnous saurions qui est entré, qui est sorti ; si l’instructionn’aboutit pas, ce sera la faute de ce Verdière.

– Vous ferez fort bien de signaler sanégligence et de demander sa révocation.

» J’entendrai aussi sa fille, après lesautres témoins. Maintenant, monsieur, je ne vous retiens plus.

» J’ai fait demander l’inculpé au dépôt.Veuillez, en passant, dire au garde de Paris qui est de planton àla porte de mon cabinet de faire entrer cet homme dès qu’onl’amènera… et de le faire entrer seul… Le soldat chargé de lesurveiller restera dans le couloir.

Le commissaire s’inclina et sortit, laissantle juge en tête-à-tête avec son greffier, qui bâillait dans uncoin, en taillant ses plumes.

Ce greffier était un vieux bonhomme, blanchisous le harnais, qui remplissait machinalement ses modestesfonctions, et qui se préoccupait fort peu des demandes et desréponses qu’il enregistrait. Cependant M. de Malvernecrut devoir lui dire :

– Vous n’écrirez qu’au moment où je vousferai signe. Il n’est pas impossible que l’inculpé se justifieimmédiatement, et dans ce cas-là il n’y aurait pas d’instruction.Tout se bornerait à un entretien dont il serait inutile de dresserun procès-verbal.

– Très-bien, monsieur, répondit legreffier, avec une parfaite indifférence.

Si M. de Malverne donnait cet ordre,c’est qu’il était tout disposé à reconnaître l’innocence de l’hommearrêté. Il prévoyait que cet homme allait enfin se nommer,s’expliquer, et l’accusation, mal échafaudée, tomberaitd’elle-même. Dans ce cas, à quoi bon consigner par écrit desréponses qui compromettraient une femme mariée ? Il suffiraitde s’assurer que cette femme était encore vivante, et que parconséquent, son amant n’avait sur la conscience d’autre crime quecelui de tromper un mari. Il n’y aurait même pas besoin de rendreune ordonnance de non-lieu pour remettre en liberté un galant hommevictime d’une méprise.

Si, au contraire, l’inculpé persistait àrefuser toute explication, ce serait le moment de procéder à uninterrogatoire en règle. La lutte s’engagerait, et le juge comptaitbien avoir le dessus.

À tout événement, il prit son air demagistrat, un certain air qu’il s’empressait de quitter en sortantdu Palais, et qu’on ne lui voyait jamais dans son salon.

Il était sous les armes lorsque la portes’ouvrit. Un monsieur entra seul et s’avança lentement jusqu’à latable derrière laquelle siégeait M. de Malverne, quis’écria :

– Comment, c’est toi, mon vieuxJacques ! quelle mouche te pique de venir me relancer auPalais, à l’heure où je vais interroger un accusé ? Bon !j’y suis !… tu viens t’excuser de n’avoir pas dîné avec noushier… Nous t’avons attendu jusqu’à huit heures… ma femme étaitfurieuse contre toi, et je crois bien qu’elle t’en veut encore.

Le monsieur que le juge d’instruction venaitd’appeler familièrement par son petit nom recula de surprise enreconnaissant M. de Malverne, et ne put quebalbutier :

– Comment ! c’est toi qui…

– Eh ! parbleu, oui, c’est moi…est-ce que tu t’attendais à trouver ma femme dans moncabinet ? demanda le magistrat, en riant au nez de sonami.

Et comme l’autre restait plongé dans unestupéfaction qui lui ôtait l’usage de la parole :

– Voyons ! explique-toi. Tu n’es pasvenu ici sans motif, et je devine, à ton air, qu’il s’agit d’unechose grave. Je suis prêt à t’entendre, quoique je sois fort occupéen ce moment… je m’étonne même qu’on t’ait laissé entrer ;mais tu as bien fait de forcer la consigne ; l’amitié passeavant les affaires criminelles. Parle donc, mon cher ! À quoipuis-je t’être bon ?

Et comme l’ami persistait à setaire :

– Je devine… tu comptais me trouver seul…qu’à cela ne tienne !… Laissez-nous, Pilois, ditM. de Malverne en s’adressant à son greffier. Je vousferai appeler quand j’aurai besoin de vous… Ne vous éloignezpas.

Le bonhomme s’empressa de sortir, et le jugereprit :

– Maintenant, nous sommes seuls. Tu peuxme faire, sans inconvénient, les confidences les plus délicates.Et, d’abord, apprends-moi d’où te vient cet air consterné. Quet’est-il arrivé ?

– Il est impossible que tu l’ignores,répondit Jacques avec effort.

– Et comment, diable ! lesaurais-je ? J’ai beaucoup pesté contre toi, hier soir, en nete voyant pas. Odette a prétendu que tu devais t’être à tout lemoins cassé la jambe, car tu es habituellement d’une exactitudeexemplaire. Nous attendions un mot d’excuses ce matin, et rienn’est venu ; mais j’ai eu le temps d’oublier cette histoire,et il m’est tombé sur les bras une instruction inattendue. J’ai dûdéjeuner au galop et accourir au Palais. Il s’agit d’une affairetrès-curieuse qui peut devenir très-grave. J’attends un monsieurinculpé d’assassinat. Je viens de l’envoyer chercher au Dépôt. Laporte s’ouvre, je croyais qu’il allait paraître… et, pas du tout…c’est toi qui entres ! Tu conviendras que j’ai le droit dem’étonner… et de te demander le mot de cette énigme.

– L’homme que tu attends… l’homme qu’on aarrêté hier… c’est moi.

M. de Malverne changea de visage et diten regardant fixement son ami :

– Est-ce que tu te moques de moi, ou bienest-ce que tu deviens fou ?

– Ni l’un ni l’autre. Si tu ne me croispas, fais appeler le garde de Paris qui est venu me prendre auDépôt et qui m’a amené ici, les menottes aux mains.

– Alors tu as passé la nuit enprison ? Comment n’as-tu pas eu l’idée de te réclamer demoi ?

– Elle m’est venue, mais je l’ai rejetée.Je ne doutais pas d’être relâché aujourd’hui, aprèsl’interrogatoire du juge d’instruction, et je préférais te cachercette sotte aventure. Je ne supposais pas que le juged’instruction, ce serait toi.

– Fort heureusement, car tu pourras toutme confier, à moi, ton ancien camarade et ton meilleur ami, tandisqu’il t’en aurait coûté de dire toute la vérité à un de mescollègues. Je t’approuve, du reste, de ne pas l’avoir dite aucommissaire. Dans des cas comme le tien, on ne saurait être tropréservé, puisque l’honneur d’une femme est en jeu…

– Tu connais donc déjà lesfaits ?

– Par le menu ; le commissaire vientde me faire son rapport ; je sais que tu as refusé de luirépondre et même de lui dire ton nom. Je n’ai eu aucune peine àdeviner pourquoi, même avant de savoir qu’il s’agissait de toi.Maintenant, je suis fixé. La personne qui était avec toi estmariée, et tu as songé avant tout à sauver sa réputation. J’auraisagi comme tu l’as fait, si je m’étais trouvé en pareil cas. Mais tagénérosité aurait pu te coûter cher. Se laisser accuserd’assassinat plutôt que de compromettre une femme, c’esthéroïque.

» Ah çà ! tu as donc une liaisonsérieuse ?

– Trop sérieuse, tu le vois.

– Eh bien ! je ne m’en doutais pas.Je croyais que tu te contentais d’amourettes de passage, comme autemps où nous étions jeunes… Je faisais mon droit, et tu venais desortir de l’École militaire pour tenir garnison à Paris. Nous avonschangé tous les deux. Je me suis marié, et toi, tu trompes lesmaris. Chacun son goût. J’aime ma femme, et ça ne m’irait pas dutout d’être obligé de me cacher pour voir une maîtresse. L’adultèreest puni par le Code pénal, mon cher ; on risque quelquefoisdeux ans de prison, et tu viens de risquer bien pis… la mort ou lestravaux forcés. Il est vrai que tu as joué de malheur… Grimper surles tours de Notre-Dame pour y chanter un duo d’amour, et y arriverjuste au moment où l’on en précipite une malheureuse… c’est lecomble de la guigne.

– Alors, tu ne m’accuses pas de l’avoirassassinée ?

– Non, certes. Je te connais trop bienpour admettre que tu as commis un crime quelconque. Il n’est plusquestion maintenant d’interrogatoire, et je me félicite d’avoirrenvoyé mon greffier. Nous allons causer comme deux vieux amis.Assieds-toi donc. Je ne t’offre pas de cigare parce que ce n’estpas l’usage de fumer ici. Je ne vois pas trop ce qu’y perdrait ladignité de la magistrature, mais enfin, c’est comme ça.

Le ton de M. de Malverne était bienfait pour rassurer l’ami Jacques, et cependant Jacques restaitsoucieux et préoccupé. Évidemment, il comprenait que le juge, sifavorablement disposé qu’il fût, n’allait pas s’en tenir à cesdiscours affectueux, et il prévoyait des questionsembarrassantes.

– Voyons, repritM. de Malverne, il faut que tu me renseignes sur cettestupide affaire, avant que je te renvoie chez toi. Tu ne seras pasfâché d’y rentrer, après une nuit passée dans une cellule duDépôt.

– Dis donc vingt heures qui m’ont sembléfort longues.

– Enfin, du moins, ton nom ne figure passur le registre d’écrou, et personne ne saura jamais que Jacques deSaint-Briac, capitaine de cavalerie démissionnaire, a couché auDépôt de la Préfecture, comme un simple joueur de bonneteau.

– Alors tu ne le diras pas à cecommissaire de police qui m’a arrêté ?

– Certainement non. Il est sous mesordres, et je n’ai pas de comptes à lui rendre. D’ailleurs, je suisseul responsable des décisions que je prends. J’ai le droit dejeter au feu le procès-verbal et de te dire : Allez en paix.J’ai même le droit de t’inviter à dîner pour ce soir.

– Je n’irai pas, dit vivement Jacques deSaint-Briac.

– Pourquoi donc ? Odette sera ravied’entendre de ta bouche le récit de tes malheurs, et, à moins quetu ne sois engagé ailleurs. Maintenant, explique-moi comment lesgens qui t’ont signalé aux agents ont pu te prendre pour un autre,car il y a un coupable, ce n’est pas douteux.

– Sur mon honneur, je n’y comprends rien.J’ai été arrêté dans l’escalier de la tour ; on m’a conduit àl’Hôtel-Dieu, et l’on m’a mis en présence du cadavre défiguré d’unefemme que je ne connais pas. On m’a dit alors qu’on m’accusait del’avoir précipitée de là-haut. Que voulais-tu que jerépondisse ? Je n’avais pas vu la chute, et je ne voulais pasdire avec qui j’étais monté…

– Naturellement. Mais avoue que tu as eulà une idée bizarre de mener ta compagne sur les tours deNotre-Dame.

– C’est elle qui l’a voulu. Nous nousétions donné rendez-vous à l’entrée du parvis.

– Oui, vous choisissez de préférence desquartiers où vous ne risquez pas d’être rencontrés par des gens devotre monde… car c’est une femme du monde, n’est-ce pas ?

– Du meilleur… et elle a tant deménagements à garder qu’elle tremble sans cesse d’être reconnuequand nous sortons ensemble.

– Est-ce que vous n’en êtes encore qu’auxpromenades sentimentales ?

– À peu près. Elle n’est jamais venuechez moi, et elle est rarement libre. Hier, nous devions aller duparvis au Jardin des Plantes, par les quais déserts. Puis elle apensé que nous serions encore plus isolés sur les tours… À cemoment-là, on n’y voyait personne…

– Peste ! c’est une fantaisiste, tamaîtresse. Et quand tu la reverras, je te conseille d’insister surle terrible danger que tu as couru par sa faute. Si tu étais tombésur un autre juge que moi, je ne sais pas trop comment tu te seraistiré de là. Continue ton récit de voyage. Vous êtes montés, et vousn’avez pas rencontré le gardien dans l’escalier ?

– Nous n’avons vu qu’une jeune fille quine nous a rien dit. Il y avait bien une grille, mais elle étaitouverte. Nous sommes arrivés sans autre incident sur la galerie quidomine la rosace du portail.

– Et vous vous êtes arrêtés là. Elleétait fatiguée.

– Ce n’est pas cela. En levant les yeux,j’ai aperçu deux têtes qui dépassaient la balustrade sur le faîtede la tour.

– Un homme et une femme ?

– Je crois que oui, mais je n’en pourraispas jurer. Les deux têtes n’ont fait que paraître etdisparaître.

– Ils vous avaient aperçus, et l’hommeavait ses raisons pour se cacher.

– C’est probable… J’ai pensé depuis quel’assassin, c’était lui, mais je n’ai songé alors qu’àl’impossibilité de monter plus haut sans nous trouver face à faceavec ces gens-là.

– Il faut que vous soyez tous les deux defiers étourneaux pour ne pas avoir prévu ce contre-temps. Vingtpersonnes par jour montent sur Notre-Dame… surtout quand il faitbeau… et hier le temps était superbe.

» Alors, vous êtes restés sur lagalerie ? Ou plutôt, tu es resté, car la dame est partieseule… Pourquoi n’êtes-vous pas descendus en même temps ?

– Mon cher Hugues, tout est fatalité danscette malheureuse histoire. Mon amie avait acheté, en sortant dechez elle, une de ces voilettes bleues que portent volontiers lesAnglaises et qui sont épaisses comme des masques. À travers cettevoilette rabattue sur son visage, son mari ne l’aurait pas reconnuedans la rue. C’était donc sa principale sauvegarde. Sur la galerie,elle l’a relevée… les cordons étaient mal attachés, et le vent, quisoufflait très-fort, l’a emportée.

– Les malheurs d’un amant heureux dit ensouriant M. de Malverne.

– Celui-là était irréparable. Commentcontinuer notre promenade, à visage découvert ? Il nousrestait bien la ressource de prendre une voiture, mais encorefallait-il en trouver une, et elles sont rares dans la Cité. D’uncommun accord, nous avons décidé de nous séparer immédiatement.Elle est descendue en toute hâte, et, un quart d’heure après, j’enai fait autant.

» Mal m’en a pris d’avoir tant tardé, caron m’a mis la main au collet dans l’escalier. Tu sais le reste.

– Parfaitement, et maintenant je devinece qui s’est passé. Pendant qu’on te conduisait au Dépôt, lebrigand qui a fait le coup s’était caché dans quelque coin. Lesimbéciles qui t’ont empoigné n’ont pas songé à visiter les comblesde l’église, et il a filé par un escalier qui aboutit derrière lechœur. La personne qui t’accompagnait se porte à merveille, et jepuis très-bien prendre sur moi de te remettre en liberté, d’autantque rien ne t’empêche maintenant de me dire qui elle est.

– Te dire qui elle est ? Mais… tusais bien que je ne puis pas. Je me suis laissé mettre en prisonplutôt que de la nommer…

– Au commissaire de police, et tu as eucent fois raison. Il aurait couché le nom sur son procès-verbal.Mais à moi, c’est tout différent. L’instruction est close, ou, pourmieux dire, elle n’a pas été ouverte. Et ce n’est pas un magistratqui t’interroge, c’est un ami.

– Tu as donc encore des doutes ?

– Non. Je te crois incapable de mentir.Mais enfin, en donnant l’ordre de te relâcher, je vais prendre uneassez grosse responsabilité, et si je te demande ce nom, c’est pourl’acquit de ma conscience.

» Comprends donc que toute la questionest de constater que la femme qu’on t’accuse d’avoir tuée estencore en vie.

– Et comment le constater, je teprie ?… en la faisant appeler et en l’interrogeanttoi-même ? Cela suffirait pour la perdre… et j’aimerais mieuxme laisser condamner à mort que de l’exposer à comparaître dans cecabinet.

– Je ne serais pas obligé de procéderainsi. Si tu consentais à me dire : Il s’agit de madame unetelle… qui demeure dans telle rue… à tel numéro… je me contenteraisde m’informer discrètement… et je saurais bien vite à quoi m’entenir sur son existence.

– Tu n’en serais pas beaucoup plusavancé, mon cher Hugues, car enfin, si j’étais coupable et si, pourme disculper, je te nommais, une femme qui n’a jamais été mamaîtresse, tu t’en tiendrais là.

– Ce serait une infamie dont je te croistout à fait incapable. Et, en vérité, je ne vois pas ce tu peuxcraindre en me disant la vérité. C’est donc que tu doutes de madiscrétion, ou tu te défies de mes intentions ?

– Pas le moins du monde. Mais tu asreconnu toi-même que, dans le cas où je me trouve, le silence leplus absolu s’impose à un galant homme.

– Oui, si je connaissais cette femme, caralors je pourrais la rencontrer dans le monde, et, si elle savaitque je suis dans la confidence de vos amours, elle seraittrès-gênée lorsqu’elle me verrait ; mais…

– Eh bien ! répondit le capitaineaprès avoir hésité, suppose qu’il en est ainsi ; suppose même,si tu veux, que tu es en relations suivies avec le mari…

– Le fait est que je me trouverais dansune situation embarrassante, dit en riant le juge d’instruction.Mais ce n’est qu’une simple hypothèse… à laquelle je ne croispas.

» Nous fréquentons, toi et moi, les mêmessalons, et parmi les femmes que nous voyons habituellement, je n’enpuis soupçonner aucune. Avoue donc que tu as fait cette conquête endehors du cercle de nos relations ordinaires. Tu vas dans une foulede maisons où je ne suis pas reçu, parce que je suis restémagistrat sous la République… et au faubourg Saint-Germain, commeailleurs, il y a des maris trompés.

Saint-Briac se taisait, et son visagecontracté trahissait une violente émotion.

– Sais-tu bien, reprit de Malverne, que,si je voulais, il ne tiendrait qu’à moi de découvrir tonsecret ? En ma qualité de magistrat, j’ai la police à mesordres ; et comme vraisemblablement tu n’en resteras pas làavec ta maîtresse, je n’aurais qu’à commander à des agents de tefiler, comme ils disent dans leur langage depoliciers.

– Tu ne feras pas cela, jel’espère ! dit vivement Saint-Briac, qui pâlissait à vued’œil.

– Non, mon cher. Je voulais simplement temontrer que j’ai quelque mérite à te croire sur parole. Et jet’avoue que tu m’as presque blessé en refusant de me dire ce nom,que je voulais connaître. Mais à Dieu ne plaise que je te soupçonned’avoir commis un crime abominable, toi que je vois tous les jourset que j’aime comme un frère. Je vais faire lever ton écrou… c’estl’affaire d’un quart d’heure. Rentre chez toi et viens dîner cesoir. Ma femme te grondera ferme, et tu ne l’auras pas volé.

– Quoi ! tu veux raconter cettelamentable aventure à madame de Malverne ?

– Je ne lui cache rien, et elle ne mecache rien. C’est le meilleur moyen de s’entendre, et nous nousentendons à merveille.

– Tu devrais au moins ménager monamour-propre. J’ai joué un rôle si ridicule !

– Je ne trouve pas. Tu t’es conduit, aucontraire, comme un vrai chevalier… tu as poussé le dévouementjusqu’à l’héroïsme, et je te garantis que, au lieu de se moquer detoi, Odette t’admirera ; elle a un faible pour lesexaltés.

» Mais il doit te tarder de revoir tonentre-sol de l’avenue d’Antin. Je vais te remettre tonexeat, dit le juge en s’asseyant à son bureau pour remplirune formule imprimée.

Jacques de Saint-Briac commençait à respirerplus librement, mais il n’était pas encore complétement remis desterribles émotions par lesquelles il venait de passer.

– Voilà qui est fait, repritM. de Malverne ; tu présenteras ce papier audirecteur du Dépôt, et il te relâchera immédiatement. J’auraisvoulu t’épargner ce voyage ennuyeux, mais c’est la règle… et cettefois, on ne te mettra pas les menottes pour traverser la cour de laSainte-Chapelle. Je vais te recommander au garde de Paris quit’attend pour te ramener.

Ayant dit, il sonna ; un huissier entra,il lui donna des ordres à transmettre au soldat d’escorte, et ils’informa si les témoins assignés étaient arrivés. Aucun n’avaitencore paru, par l’excellente raison qu’ils n’étaient cités quepour trois heures.

– C’est ma faute, dit le juged’instruction. Je croyais que l’interrogatoire de l’inculpé seraitfort long, et j’ai expédié ton affaire en vingt minutes. J’ai doncle temps de t’accompagner au Dépôt. Il vaut mieux que je m’expliquemoi-même avec le directeur. Je reviendrai ensuite entendre les gensque j’ai fait appeler.

– À quoi bon les entendre, puisque tu merends la liberté ? demanda Saint-Briac.

– Comment, à quoi bon ! Mais jen’abandonne pas l’affaire. Tu es innocent, c’est clair comme lejour, mais il y a un coupable, et je prétends le trouver ; cecoupable, c’est l’homme qui est monté avec la malheureuse qu’on t’amontrée à l’Hôtel-Dieu. Et il faut bien que je recueille letémoignage de ceux qui t’accusaient d’abord. Mais il sera peuquestion de toi.

» Maintenant, suis-moi, cher ami… ouplutôt non… tu me donneras le bras, pour que tout le monde voie quetu n’es plus accusé.

Ainsi fut fait. Les deux amis traversèrentbras dessus bras dessous les longs corridors et la cour, au grandébahissement du garde de Paris, qui n’avait jamais vu un magistrattraiter de la sorte un prisonnier du Dépôt.

L’étonnement des geôliers ne fut pas moindre,mais l’explication fut courte entre le juge et le directeur, quiles reconduisit jusqu’à la porte, après la levée de l’écrou.

– Enfin, me voilà redevenu un homme,grâce à toi, dit Saint-Briac quand ils furent dehors. Jen’oublierai jamais ce que tu viens de faire pour moi.

– J’ai fait ce que je devais, et ton nomne figurera pas sur les registres du Dépôt. Tu n’y laisseras queton signalement.

– Je commence à craindre que tu ne tesois compromis pour sauver l’honneur de mon nom.

– Sois tranquille. Je verrai aujourd’huimême le premier président et le procureur général. À ceux-là, parexemple, je ne pourrai pas cacher que tu es Jacques de Saint-Briac,ex-capitaine au 9ème cuirassiers et mon meilleur ami.Mais je suis certain qu’ils m’approuveront d’avoir agi comme jel’ai fait.

– C’est déjà trop qu’ils sachent qui jesuis, murmura Saint-Briac.

– Ma foi, mon cher, tu es vraiment tropdifficile à contenter. Tu devrais être enchanté d’en être quittepour un léger désagrément, car il aurait pu t’en coûter beaucoupplus cher… et à ta maîtresse aussi.

– Je le sais, mon ami, et je ne me plainspas, je te le jure, répondit tristement Saint-Briac. Pardonne-moice que je viens de dire, et crois que je m’en rapporte à tasagesse… D’ailleurs, j’ai tort de m’alarmer. Les deux magistratsque tu vas mettre dans la confidence sont des hommes d’honneur…

– Et ils ont autre chose à faire que dechercher à découvrir le nom de la belle dame pour les beaux yeux delaquelle tu t’es fourré dans ce guêpier. Il ne sera plus questionde toi dans l’instruction. Va donc en paix et viens dîner, ce soir,à sept heures.

– Ne me demande pas cela, je t’en prie.Je suis encore sous le coup de tant d’émotions. J’ai besoin dequelques jours pour me remettre.

– Allons donc ! je te connais tropbien pour croire que tu es nerveux comme une femme… et je commenceà me demander quelle raison tu as de ne pas vouloir dîner avec lamienne… On dirait, ma parole d’honneur, que tu as peur qu’elle nete fasse une scène…

– Oh quelle idée ! balbutiaSaint-Briac. Je crains seulement d’être un triste convive… Mais jeviendrai, puisque tu l’exiges.

– À la bonne heure. Maintenant que j’aita promesse, je te quitte… et je remonte à mon cabinet pourentendre les témoins qui vont arriver… car je n’abandonne pasl’affaire… et nous allons chercher le joli monsieur qui était surle haut de la tour avec une femme pendant que tu flirtaissur la galerie avec ta belle. Sa disparition prouve qu’il y a eucrime ; si cette malheureuse s’était suicidée, le gredin ne seserait pas sauvé par les toits.

– On aura de la peine à le trouver.Personne ne l’a vu d’assez près pour le reconnaître.

– C’est vrai, mais il y a le doigt deDieu. La femme est exposée à la Morgue. Il viendra peut-être s’yfaire pincer. Il ne faut qu’une exclamation, un jeu de physionomieremarqué par un des agents que j’ai fait placer dans la salle. Etpuis, on va s’informer. Une femme ne disparaît pas sans quequelqu’un s’en aperçoive… surtout une femme riche, et celle-làétait couverte de bijoux. Si elle est étrangère, elle a dûdescendre dans un hôtel ; on saura lequel… Du reste, je tetiendrai au courant.

» À ce soir, cher ami, conclutM. de Malverne en donnant à son ami une vigoureusepoignée de main.

Jacques de Saint-Briac le suivit des yeux uninstant, et s’achemina lentement vers la grande porte qui s’ouvresur le boulevard du Palais, cette porte par laquelle il seraitsorti en voiture cellulaire pour aller à Mazas, s’il eût étéinterrogé par un autre juge d’instruction.

Il aurait dû être radieux, et il ne paraissaitpas apprécier suffisamment son bonheur. Sa figure ne s’était pasdétendue, et sur son front, resté soucieux, on lisait plusd’inquiétude que de joie.

On eût dit qu’il redoutait les suites de cetteaffaire si heureusement terminée.

Il passa, la tête basse, sous la voûte oùstationnaient des gardes de Paris qui ne firent aucune attention àlui, et, une fois hors de l’enceinte du Palais, il s’arrêta pourattendre qu’il passât un fiacre vide.

Il avait hâte de rentrer chez lui, et l’avenued’Antin était loin. Le trajet à pied lui aurait pris trop detemps.

Pendant qu’il était occupé à guetter unevoiture, il ne remarquait pas un homme qui était venu se planter àdeux pas de lui, sur le trottoir, et qui l’examinait avecattention.

Cet homme tenait par la main un enfant malvêtu. Saint-Briac se retourna et le reconnut aussitôt.

– Ah c’est vous, monsieur, lui dit-il.Qu’avez-vous donc à me regarder ainsi ? Vous vous étonnez devoir que je suis libre ? Je conçois cela, car si l’on m’arelâché, ce n’est pas votre faute. C’est vous qui m’avez faitarrêter.

– Vous vous trompez, monsieur, répliquaMériadec. J’ai contribué, sans le vouloir, à vous faire arrêter,mais je n’ai jamais cru que vous étiez coupable. J’ai été cité parle juge d’instruction, et je venais témoigner en votre faveur.

– C’est parfaitement inutile, ditSaint-Briac. Il sait que je suis innocent, et il vient de me fairemettre en liberté.

– Je vous en félicite de tout mon cœur,et je vois maintenant que vous avez été victime d’une méprise.

Et s’adressant à l’enfant qui se tenait à côtéde lui :

– Dites-moi, Sacha, vous ne connaissezpas monsieur ?

– Non, dit Sacha. C’est la première foisque je le vois.

– J’en étais sûr, murmura Mériadec.

– M’apprendrez-vous, monsieur, ce quesignifie cette espèce de confrontation ? demanda Saint-Briacd’un ton sec.

– Elle me prouve qu’on s’est trompé envous arrêtant. J’en étais déjà convaincu, mais, s’il m’était restéle moindre doute, la réponse de cet enfant l’aurait dissipé. Iln’aurait pas manqué de vous reconnaître.

– Je lui suis, en vérité, fort obligé,dit ironiquement le capitaine.

– Monsieur, répliqua Mériadec, vous aveztort de prendre en mauvaise part ce que je vous dis. Que vous ayezgardé de moi un souvenir désagréable, je le comprends. Vous avez pucroire que je vous accusais. Mais je vous répète que je viens icipour vous défendre.

– Je n’ai plus besoin d’être défendu,puisque je suis hors de cause, et vous me dispenserez de prolongercette conversation.

Ayant dit, l’ex-capitaine de cuirassiersadressa au baron de Mériadec un salut fort court et s’éloigna.

Il resta fort perplexe, ce brave Mériadec, etvraiment il y avait bien de quoi.

Ce n’était pas sans peine qu’il s’était décidéà amener Sacha chez le juge d’instruction, qui ignorait l’existencede cet enfant. Il aurait préféré garder pour lui seul la découvertequ’il avait faite dans la tour du sud, et c’était sa premièreintention, mais il avait eu le temps de réfléchir, et la nuit porteconseil.

Il s’était dit qu’il s’agissait de la vie d’unhomme, et qu’il n’avait pas le droit de tenir la lumière sous leboisseau, alors qu’il suffisait de mettre cet enfant en présence del’accusé pour prouver que cet accusé n’était pas l’assassin de lafemme précipitée. Finalement, après de longues hésitations, ilavait résolu de se présenter au juge avec Sacha, bien avant l’heureindiquée par l’assignation reçue dans la matinée.

Et voilà qu’en arrivant au Palais, ilrencontrait l’homme arrêté la veille et relâché le lendemain. Ilabordait cet homme, qui le prenait de très-haut avec lui, refusaitsa coopération et dédaignait même de l’écouter.

Cet incident modifiait la situation du tout autout. Puisqu’il n’était plus question de sauver un innocent,Mériadec reprenait sa liberté d’action, et rien ne l’obligeait dedire à la justice ce qu’elle ne lui demandait pas.

Il en revenait donc peu à peu à sa premièreidée, qui était d’agir seul, aidé de Sacha, et de retrouver lemeurtrier, sans que la police s’en mêlât.

Il s’était déjà fortement attaché à cetenfant, et il lui en aurait trop coûté de se séparer de lui.

Il ne lui avait rien dit. Sacha ignoraitencore la mort tragique de sa mère, et, en quittant la maison de larue Cassette, où il avait passé la nuit, il ne savait pas que sonprotecteur le menait au Palais de justice. Il croyait aller à larecherche de l’hôtel où ses parents étaient descendus en arrivant àParis.

Mériadec n’avait donc pas à lui expliquerqu’il changeait d’avis, et rien ne l’empêchait de substituer à lavisite au juge une longue promenade à travers la ville, dans lesquartiers où logent de préférence les étrangers riches.

D’un autre côté, Mériadec ne pouvait pasoublier que ce juge l’attendait, et que se dispenser decomparaître, c’était s’exposer à des désagréments dont le plus grosserait d’attirer chez lui la police, si ce magistrat s’avisaitd’envoyer chercher par un agent le témoin récalcitrant.

Mais il n’était cité que pour trois heures, etdeux heures sonnaient à l’horloge du Palais. Il était en avance, etil avait le temps de reconduire Sacha rue Cassette.

La question était de savoir si Sachaaccepterait ce changement de programme, et Mériadec en doutait, caril connaissait déjà le caractère du jeune Moscovite, qui était bienl’enfant le plus volontaire et le plus têtu qu’on pût imaginer.

En se réveillant, après avoir dormi pendantquinze heures sans débrider, il avait commencé par crier des nomsrusses, sans doute les noms des valets qui le servaient chez samère ; puis, en voyant paraître la femme de ménage deMériadec, il était entré dans une violente colère, et il l’avaitinjuriée en très-bon français.

C’est tout au plus s’il s’était calmé àl’arrivée de Mériadec, qui avait réussi à l’apaiser par de bonnesparoles, et, quand il s’était agi de remettre les vêtementsdélabrés qu’il portait la veille, il s’était mis à fondre enlarmes. Pour le décider à s’habiller, il avait fallu que Mériadeclui jurât de lui en acheter d’autres, le jour même.

À déjeuner, il avait mangé comme un ogre, touten déclarant que la cuisine était mauvaise et le logement vilain,au grand amusement de Mériadec, qui constatait les effets d’uneéducation seigneuriale en Russie.

Ce gamin devait avoir été élevé à battre sespaysans et à satisfaire tous ses caprices ; on pouvait enconclure que ses parents étaient de puissants boyards.

Il ne semblait pas d’ailleurs les regretterbeaucoup, et Mériadec, pendant le repas, n’en avait pu tirer aucunrenseignement, à sa très-vive contrariété et à sa grande surprise,car ce n’était pas l’intelligence qui manquait à cet enfant.

En sortant de table, Sacha avait demandé àsortir pour changer de costume. Mériadec se proposait de leconduire à la Belle Jardinière, après la visite au juged’instruction, et, au moment où il délibérait sur le boulevard duPalais, l’enfant prit soin de lui rappeler sa promesse.

– Eh bien ? demanda-t-il,arriverons-nous bientôt à ce magasin où l’on vend deshabits ?

– Dans un instant, répondit Mériadec, quivenait de se décider à l’y mener avant de rentrer.

La Belle Jardinière est à deux pas duPalais, et il avait une grande heure devant lui.

D’ailleurs, la figure de Sacha s’étaitilluminée après la réponse de son protecteur, et il semblait plusdisposé à causer. Mériadec essaya de profiter de cette bonnedisposition pour en tirer les éclaircissements qu’il n’avait pasencore pu obtenir.

– Comme vous parlez facilement lefrançais ! dit-il en s’acheminant avec lui vers le quai del’Horloge. Vous devez avoir eu un bon professeur.

– Moi ! s’écria Sacha. Je n’aijamais pu souffrir les professeurs. On en avait fait venir un deParis. Je l’ai tant tourmenté qu’il n’a pas voulu rester. C’estpapa qui m’a appris le français. Maman le sait aussi, lefrançais ; entre eux, ils ne parlent jamais russe.

– Oui, je sais que, dans votre pays,c’est l’habitude des gens bien élevés. Quelle ville habitiez-vousen Russie ?

– Nous demeurions à la campagne… Mais jesuis allé deux fois à Moscou.

– Dans quel gouvernement était votrerésidence ?

– Dans le gouvernement de Tambow.

C’était le premier renseignement précis quefournissait Sacha, et l’indication pouvait être utile. Mériadecessaya d’en obtenir d’autres.

– Comment s’appelait-il, votrechâteau ? demanda-t-il.

– Je ne sais pas ce que c’est qu’unchâteau. L’endroit où nous demeurions s’appelle Vérine. Notremaison est à deux verstes du village, qui appartient à maman.

– Avec cela, pensa Mériadec, je n’auraiqu’à écrire en Russie pour savoir le nom de la pauvre femme dont lecorps est à la Morgue.

Et il reprit :

– Votre mère, m’avez-vous dit, s’appellela comtesse Xénia ?

– Oui, répondit fièrement l’enfant, etelle est aussi noble que l’Empereur.

– Comme votre père.

– Plus que mon père. Elle descend deRurik… lui, pas.

– Alors, vous receviez beaucoup de mondeà Vérine. Toute la noblesse du voisinage devait venir chezvous.

– Non, nous ne recevions personne. Papane voulait pas.

Mériadec commençait à entrevoir la situationde ce ménage bizarre : une grande dame russe, mariée à unhomme d’une condition inférieure à la sienne et mise en quarantainepar ses voisins de campagne, à cause de cette mésalliance.

Cela s’accordait assez bien avec le dénoûmenttragique de cette union mal assortie.

– Et vous passiez là toute l’année ?demanda-t-il.

– Maman, oui. Mais papa voyageaittrès-souvent. Il y avait six mois qu’il était parti quand nousavons quitté Vérine pour venir à Paris.

– Quoi ! Il n’est pas arrivé avecvous !

– Non. Il nous attendait à la gare.

– Et il vous a menés dans unhôtel ?

– Je ne sais pas si c’était un hôtel…Nous avons couché dans une grande maison où il n’y avait que nous…Nous y sommes allés en voiture… dans la voiture de papa.

Cette nouvelle information contraria vivementMériadec. Inutile maintenant de visiter les auberges situées auxenvirons des gares du Nord ou de l’Est. Cette maison pouvait êtredans n’importe quel quartier de Paris. Et l’on devinait quel’infâme mari avait pris à l’avance ses précautions pour qu’il fûtimpossible de retrouver la trace du passage de la femme qu’ilvoulait tuer et de l’enfant qu’il voulait perdre.

– Y serons-nous bientôt, à cemagasin ? demanda Sacha.

– Vous le voyez d’ici, réponditMériadec.

Ils étaient arrivés sur le pont Neuf ;deux minutes après, ils entrèrent à la Belle Jardinière,et l’enfant ouvrit de grands yeux en parcourant les interminablesgaleries de cet immense magasin d’habits confectionnés.

Ce ne fut pas une petite affaire de l’habillerà son goût. Il aurait voulu un costume russe : le cafetan desoie, la culotte de velours, la toque fourrée, les petites bottesmontant jusqu’au genou, et il n’y avait rien de tout cela. Il luifallut se contenter d’un complet fort élégant et de la promessequ’il exigea de lui confectionner le plus tôt possible une tenuemoscovite à sa mesure.

Cette métamorphose prit du temps, et, ensortant du magasin, Mériadec vit à sa montre qu’il était troisheures moins un quart. Il ne voulait pas faire attendre le juged’instruction, et il reprit le chemin du Palais de justice, sanstrop savoir ce qu’il ferait de Sacha, pendant que ce jugel’interrogerait, lui.

Il était à peu près décidé à confier l’enfantà l’huissier qui gardait la porte du cabinet, lorsqu’en arrivant àl’endroit où il avait rencontré M. de Saint-Briac, il setrouva nez à nez avec l’homme au béret rouge.

– Tiens ! c’est vous ! s’écriacet artiste incompris. Vous venez déposer ?… Eh bien !vous pouvez vous dispenser de monter trois étages. Notre juge vientd’être appelé chez le premier président, et les audiences sontrenvoyées à demain.

– Tant mieux ! fit Mériadec,enchanté de reprendre la liberté de ses mouvements.

– Allons faire un tour à la Morgue,voulez-vous ?

Et comme Mériadec lui faisait signe que non,en lui montrant Sacha :

– Qu’est-ce que ça fait ? repritFabreguette. Amenez le moucheron. Ça l’amusera, cepetit ! Vous avez donc un fils ? C’est drôle, je ne mefigurais pas que vous étiez marié.

– Je ne le suis pas, répliqua Mériadecavec humeur, et cet enfant n’est pas à moi.

– Ah ! bon !… Aussi, je medisais qu’il ne vous ressemble pas du tout. Voyons ! ça vousva-t-il, la visite à la Morgue ?… La femme y est exposéedepuis ce matin, et il doit y avoir joliment du monde devant lavitrine. Moi, je tiens à la revoir, car c’est à peine si j’ai eu letemps de la regarder, hier. Et puis je suis curieux de savoir si onla reconnaîtra. Je me propose de passer la journée dans le squarequi fait vis-à-vis à l’établissement.

La proposition de ce bohème insouciant nesouriait guère à Mériadec. Il lui répugnait de montrer à Sacha lecadavre de sa mère. Et cependant il se disait que cette épreuveserait décisive. Il n’avait pas encore la certitude absolue queSacha était le fils de la femme ramassée sur le parvis Notre-Dame,et cette certitude, il ne l’aurait que si Sacha reconnaissait lecorps. Mais quelle épreuve à infliger à ce malheureuxenfant !… comment la supporterait-il ? et que dirait-ilen voyant le visage mutilé de la morte ? Crierait-il touthaut : C’est ma mère ! Les agents qui devaient se trouverdans la salle ne manqueraient pas d’intervenir, et les projets deMériadec s’en iraient en fumée, car la justice ne lui laisseraitpas Sacha.

– Venez donc, insista Fabreguette. Jeparierais que votre ami l’interne y est déjà allé, à la Halleaux refroidis. Il est témoin dans l’affaire, nous sommestémoins… pour nous, la visite à la Morgue est obligatoire.

– Qu’est-ce que c’est que laMorgue ? demanda gravement Sacha, qui écoutait avec attentionle bavardage du rapin.

– Comment ! tu n’en sais rien ?D’où sort-il donc, ce môme-là ? Tu arrives donc de laprovince ?

– Que vous importe ? répliqual’enfant. Et pourquoi me parlez-vous de la sorte ? Je ne veuxpas qu’on me tutoie.

– Pardonnez-moi, monseigneur, dit engouaillant Fabreguette. J’ignorais que je m’adressais au rejetond’une noble race.

Sacha reçut sans broncher ces excusesironiques et dit :

– Vous n’avez pas répondu à la questionque je vous ai fait l’honneur de vous adresser.

– Voilà, voilà, mon prince. La Morgue estune auberge où logent momentanément les morts…, en attendant qu’onles porte au cimetière.

– Et je suppose, mon cher enfant, quevous n’avez pas envie d’aller les voir ? ajouta Mériadec.

– Mais si. Je n’en ai jamais vu qu’un.C’était un de nos paysans qui avait trop bu d’eau-de-vie et quiétait tombé sous les roues de sa kibitka. Je n’ai pas eupeur du tout. Ici je n’aurai pas peur non plus. Allons à cetteMorgue.

– Kibitka ! répéta l’artiste. VotreAltesse est russe ? Je m’en doutais.

Ces plaisanteries impatientaient Mériadec,autant que l’orgueilleux sang-froid de Sacha le surprenait, et ilse demanda s’il ne ferait pas bien de mettre fin aux blagues deFabreguette, en cédant au désir nettement exprimé par l’enfant, quilui paraissait de force à supporter les plus violentesémotions.

Après tout, il faudrait bien en venir à luiapprendre tôt ou tard comment sa mère était morte, et mieux valaitbrusquer la chose.

– Si c’est vraiment sa mère, pensait lebaron, il aura, j’en suis sûr, le courage de ne pas faire une scènede désespoir devant le public de la Morgue, et, après la visite, jelui dirai la vérité. Quand il la saura, il m’aidera à retrouverl’assassin.

– Eh bien ? demanda Sacha, enfrappant du pied ; qu’attendez-vous pour me conduire àl’exposition des morts ? Est-ce loin d’ici ?

– Tout près, au contraire.

– Alors, nous aurons le temps de nouspromener ensuite. Maintenant que je suis vêtu à peu prèsconvenablement, je marcherai par la ville tant que vousvoudrez.

Mériadec, qui avait pris son parti, s’acheminavers la Morgue par la route la plus courte, entre l’enfant à droiteet Fabreguette à gauche.

Ils traversèrent le parvis, et, lorsqu’ilsentrèrent dans la rue du Cloître-Notre-Dame, Sacha s’arrêta endisant :

– Voici la petite porte par laquelle noussommes entrés hier dans la tour. Et voici la rue par laquelle noussommes arrivés, ajouta-t-il en montrant la rue d’Arcole. Nousétions descendus de voiture sur le quai, et papa avait dit aucocher de s’en aller.

– Tiens ! tiens ! dit àdemi-voix Fabreguette, je commence à comprendre.

Mériadec aurait préféré ne pas le mettre dansla confidence, car il se défiait de sa discrétion ; mais ils’apercevait un peu tard qu’il serait bien difficile de cacher lavérité à ce rapin sagace. Et, pour l’empêcher de se lancer dans unesérie de questions auxquelles il ne voulait pas répondre devantSacha, il lui dit à l’oreille :

– Pas un mot de plus, je vous prie. Quandnous serons seuls, je vous raconterai ce qui m’est arrivé.

– Suffit ! souffla le peintre de larue de la Huchette.

L’enfant se taisait maintenant, et il neparaissait pas que le souvenir évoqué par la vue de l’entrée destours l’eût ému. Évidemment, il ne soupçonnait pas encore que samère avait été précipitée du haut de cette tour où il était montéavec elle. Et Mériadec se demandait de plus belle comment le pauvrepetit allait supporter l’affreuse surprise qui l’attendait à laMorgue.

On l’apercevait déjà, cette sinistre bâtissequi attriste à la pointe orientale de la Cité. C’est presque unmonument. On y monte par un large escalier en pierres de taille,et, pour y pénétrer, il faut se glisser par une des deux entréesqu’on a ménagées aux deux bouts d’un mur, élevé là tout exprès afind’épargner aux passants trop impressionnables la vue du lugubrevitrage derrière lequel les cadavres sont étendus sur des dalles demarbre.

Et il y avait foule à la porte. On savait danstout ce quartier populeux que le corps de la femme tombée du hautdes tours était exposé depuis le matin, et chacun voulait levoir.

On faisait queue, et des sergents de villesurveillaient le défilé. Les visiteurs entraient par le couloir àdroite et, après avoir passé en colonne serrée devant la cloison deverre, sortaient par le couloir à gauche.

Et ces visiteurs n’étaient pas tous desouvriers en rupture d’atelier ou des grisettes en quête d’émotionsfortes, car deux ou trois fiacres et même un coupé de maîtrestationnaient tout près de là, sur le quai.

– Prenons la file, dit Fabreguette àMériadec qui hésitait.

Et Mériadec suivit son compagnon. Il n’étaitpas venu jusque-là pour reculer au dernier moment, et Sacha ne seserait pas laissé emmener sans résistance.

Ils se placèrent tous les trois derrière ungroupe de femmes en bonnet, qui causaient de l’événement du parvis.Ils se trouvèrent bientôt enclavés entre ces commères et un autregroupe composé de travailleurs en blouse qui entraient là, enpassant, pour faire comme les autres.

On avançait assez vite, car les gardiens de lapaix ne laissaient pas les curieux s’arrêter devant la vitrine, desorte que Mériadec, poussé par le flot dans la salle d’exposition,ne tarda guère à apercevoir, au bout de la première rangée destables de marbre noir, le corps de l’inconnue.

Par une intelligente dérogation au règlement,on lui avait laissé ses vêtements et même ses bijoux, mais sa têtebroyée par la terrible chute n’était plus qu’un amas de chairssanglantes.

La queue dont ils faisaient partie marchait enrasant le mur de droite, et les gens qui avaient déjà passé devantla cloison de verre sortaient en longeant le mur opposé, de sorteque les deux tronçons de cette queue se faisaient vis-à-vis.

Tout à coup, Sacha dégagea brusquement samain, poussa un cri, et il se serrait lancé à travers la salle, siMériadec ne l’eût arrêté en lui saisissant le bras.

L’enfant chercha à se dégager et se mit àinterpeller en russe quelqu’un que Mériadec ne distingua pas toutd’abord dans la foule qui défilait de l’autre côté pour gagner lasortie.

– Lâchez-moi ! s’écria Sacha. C’estlui !… C’est mon père !

Personne ne répondit ; mais Mériadec crutque cet appel s’adressait à un monsieur de haute taille dont iln’apercevait que le dos, et il allait se laisser entraîner parl’enfant, lorsqu’un des sergents de ville leur barra le passage endisant :

– Qu’est-ce qu’il a, ce petit ?

– Vous voyez bien qu’il a peur, réponditFabreguette, qui avait deviné immédiatement la situation.

– Alors, emmenez-le, répliqua rudement lesurveillant. Ça n’a pas de bon sens de conduire des enfants ici. Etvous allez me faire le plaisir de sortir avec lui, vous et votrecamarade qui le tient par le bras.

Mériadec avait compris aussi. Il ne se fit pasprier pour sortir des rangs sans lâcher Sacha qui se débattaitcomme un affolé. Fabreguette fit comme eux, et le sergent de villeles poussa tous les trois dehors.

Quand ils y furent, Sacha regarda de tous lescôtés et aperçut à vingt pas de lui le monsieur qu’ilcherchait.

Ce monsieur courait à toutes jambes vers lesvoitures arrêtées sur le quai. Le baron, le peintre et l’enfantcoururent après lui ; mais, avant qu’ils l’eussent rejoint,ils le virent monter dans un coupé, dont le cocher était venu à sarencontre.

La portière se referma, et le cheval filacomme un trait par le pont qui relie la cité à l’îleSaint-Louis.

Sacha, pâle de colère, montra le poing à lavoiture qui s’éloignait et cria au maître qui ne pouvait pasl’entendre :

– Paul Constantinowitch !… je temaudis.

– Il est superbe dans ce rôle-là, murmuraFabreguette. On n’en fabrique pas à Paris, des enfants commeça.

Mériadec, abasourdi, ne savait plus quefaire.

– Ramenez-moi chez vous, lui ditbrusquement Sacha.

– Bien parlé, mon jeune seigneur, dit lepeintre. Je vais avec vous chez notre ami le baron de Mériadec.

L’enfant ne répondit pas et se mit à marchertout droit devant lui, sans s’inquiéter de savoir s’il prenait lechemin de la rue Cassette. Ses yeux étincelaient, et sa physionomieavait subitement changé d’expression. Il avait vieilli de douze ansen cinq minutes, et il avait pris l’air viril d’un garçon de vingtans.

Le hasard l’avait mis sur la bonne voie, caril se dirigeait vers la rive gauche. Mériadec et Fabreguette lesuivirent d’assez près.

– C’est sa mère qui est à la Morgue, ditle peintre en baissant la voix ; et l’homme qui vient de sesauver est l’assassin, pas vrai ?

– Vous avez deviné, murmura Mériadec.

– Eh bien, nous ne ressusciterons pas lafemme. Voulez-vous que nous nous coalisions pour tâcher de fairearrêter l’homme ?

– Oui, à condition que mon ami Daubrac ensera.

– Les trois mousquetaires,alors ?

– Par le fait, ils étaient quatre. Ilnous manquera d’Artagnan… à moins que…

– En connaîtriez-vous un ?

– Il y a le monsieur qui avait été arrêtépar erreur et que le juge d’instruction vient de faire relâcher.S’il veut se joindre à nous, tout ira bien.

– C’est la grâce que je vous souhaite.Allons tenir conseil chez vous, conclut Fabreguette. J’ai déjà unplan. Je vous l’exposerai.

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