La Voilette bleue

VI

Pendant que Fabreguette tombait dans un piègehabilement tendu, Rose Verdière employait mieux son temps. On peutfaire à Paris beaucoup de choses en un jour ; il lui avaitsuffi d’une après-midi pour opérer son déménagement et pourinstaller un atelier de fleuriste dans la salle que Mériadec avaitmise à sa disposition. Maintenant elle était chez elle, et il nelui restait qu’à reprendre sa vie d’ouvrière laborieuse.

Elle avait encore trouvé le temps de conduireSacha devant la porte du Cercle des Champs-Élysées, et d’ystationner avec lui dans un fiacre, de cinq heures à sept heures.Mais Paul Constantinowitch ne s’était pas montré, et, en rentrantde cette expédition manquée, Sacha avait déclaré qu’il nerecommencerait plus.

Sacha était un auxiliaire fort indocile, etMériadec comprit, dès ce jour-là, qu’il ne fallait pas compter surlui pour donner la chasse à l’énigmatique assassin de la tour dusud. Sacha semblait avoir oublié sa mère, et s’accommodait fortbien de sa nouvelle existence. Il parlait en maître dans cettemaison où l’excellent baron l’avait recueilli par pure bonté d’âme,et il annonçait, sans se gêner, qu’il entendait y jouir d’uneliberté complète, jouer tant qu’il lui plairait dans l’atelier deRose, et sortir quand il voudrait. Il s’étonnait que Mériadec n’eûtni voitures ni chevaux, et il demandait, comme une chose toutenaturelle, qu’on lui achetât un poney qu’il monterait toutes lesfois que la fantaisie lui en prendrait. C’était son habitude,là-bas, à Vérine, et il prétendait n’y pas renoncer.

Mériadec admirait les effets d’une éducationseigneuriale. Cet enfant gâté n’avait aucune notion de la valeur del’argent ; il n’était pas très-certain qu’il sût lire, etMériadec, sans regretter de l’avoir pris sous sa protection,commençait à se demander ce qu’il allait en faire. Le mieux eûtété, assurément, de l’envoyer en classe ; mais encorefallait-il que Sacha y consentît.

Or, Sacha n’écoutait que Rose Verdière etn’obéissait qu’à elle. Mériadec l’avait consultée, et elle s’étaitofferte pour apprendre tout ce qu’elle savait à ce jeunerécalcitrant. Elle proposait même de l’emmener avec elle toutes lesfois qu’elle serait obligée de sortir. Sacha lui servirait desauvegarde contre les insolents qui accostent volontiers dans larue une jeune fille seule, et Sacha ne demandait qu’à se promenerdans ce Paris qu’il mourait d’envie de connaître et où il se seraitperdu sans guide.

Si bien que, dès le lendemain de la premièreréunion des trois amis, Rose l’avait conduit à l’Hôtel-Dieu, oùelle était allée voir son père, qu’elle avait trouvé entrès-mauvais état. Le vieil alcoolisé était revenu du coup de sangqui l’avait foudroyé ; mais il restait paralysé du côté droit,et il n’avait pas complétement recouvré l’usage de la parole. Salangue fonctionnait difficilement, et il ne prononçait guère quedes paroles inintelligibles. Daubrac affirmait, néanmoins, qu’ilvivrait encore assez longtemps, et ne désespérait pas de leremettre sur pied tout à fait.

Sacha s’était très-bien tenu pendant cettevisite, et Daubrac, surpris de le voir là, lui avait fait fête. Surquoi, Sacha, qui ne doutait de rien, l’avait invité à venirdéjeuner avec lui chez Mériadec, et l’interne ne s’était pas faitprier pour accepter de reconduire Rose Verdière jusqu’à la rueCassette, où le baron les reçut à bras ouverts.

La cordialité ne fit pas défaut à ce repasmatinal, ni même la gaieté.

La jeune fille, un peu calmée par le pronosticrassurant de Daubrac, pensait moins à son père qu’aux amis quil’entouraient. Daubrac, qui la trouvait charmante, lui racontaitdes histoires gaies pour la distraire. Sacha avait rapporté de sapromenade un appétit formidable, et faisait largement honneur auxmets que lui servait sa petite mère ; Mériadec était sicontent qu’il oubliait les dangers qui les menaçaient tous.

Pour la première fois depuis bien des années,il n’était plus seul ; il avait les joies de la famille, cesjoies qu’il rêvait et qu’il ne connaissait pas. Il se berçait del’espoir qu’elles dureraient toujours ; il se demandait s’ilne ferait pas bien de renoncer à guerroyer contre un scélératinsaisissable, et de se contenter du bonheur paisible que Dieu luienvoyait. Un ami fidèle, une jeune fille à adorer, un enfant àprotéger ; que lui fallait-il de plus pour être parfaitementheureux ? Et que lui importait que la morte du parvisNotre-Dame fût vengée ?

Rien n’eût manqué à cette fête intime, si lejoyeux artiste au béret rouge y eût apporté son contingent degaieté. Mais Fabreguette n’y parut point, quoiqu’il eût promis laveille de venir chaque jour, à midi, conférer avec ses alliés. Onl’attendit inutilement jusqu’à une heure, et Daubrac se répandit endoléances contre la négligence de ce rapin qui ne tenait pas sesengagements. Daubrac aurait dû se rappeler qu’il l’avait quitté aumoment où il prenait le chemin de la rue Marbeuf, et se dire qu’illui était peut-être arrivé malheur au cours de cette expéditionpérilleuse.

Il n’y songea pas un seul instant, et ilannonça qu’il irait, avant la fin de la journée, le relancer dansson grenier de la rue de la Huchette, où il dormait sans doute, aulieu de se présenter chez le baron, comme c’était convenu.

Rose prit la défense de l’absent ;Mériadec chercha aussi à l’excuser, et Sacha se permit de donnerson avis, qui était que Fabreguette ne lui inspirait aucuneconfiance, et qu’on devrait se passer de son concours. Il letrouvait trop mal habillé pour sortir avec lui, et cetteappréciation fit sourire la jeune fille et ses deux amis.

On parla aussi du capitaine, qui n’avait paspromis de revenir, et qu’il fallait tenir au courant des incidentsde la campagne ouverte depuis vingt-quatre heures. On n’avaitencore rien de nouveau à lui apprendre, et, d’ailleurs, il neparaissait pas désirer que ces messieurs vinssent chez lui. Onconvint donc de lui écrire quand il y aurait lieu, et ce n’étaitpas encore le cas, puisque les choses étaient exactement au mêmepoint que la veille.

Mériadec n’avait pas reçu, comme il s’yattendait, une autre citation à comparaître devant le magistrat quil’avait déjà fait appeler ; Daubrac non plus, ni RoseVerdière, et ils en conclurent, un peu à la légère, quel’instruction était abandonnée.

On leva la séance, parce que la jeune filledit qu’elle devait sortir à trois heures pour aller reporter à unmagasin de la rue de Rivoli un ouvrage qu’il lui restait à peine letemps d’achever.

– Me ferez-vous la grâce de me montrercomment se fabriquent les fleurs artificielles ? lui demandaDaubrac. Je n’en ai pas la moindre idée.

– Très-volontiers, dit Rose, si vousvoulez me suivre jusqu’à la salle que M. de Mériadec m’apermis de transformer en atelier.

– J’en suis, s’écria Sacha. Et quand çam’ennuiera de te voir travailler, je regarderai les images desgrands livres qui sont sur des pupitres dans la bibliothèque. Lebaron me les expliquera.

Cet arrangement convenait à Mériadec, queSacha amusait beaucoup, et qui trouvait l’occasion d’apprendrequelque chose à ce petit sauvage ; il convenait encore plus àDaubrac et à Rose Verdière, qui avaient beaucoup de choses à sedire.

La bibliothèque, qui servait au baron defumoir et de salle d’armes, communiquait avec l’atelier par uneporte toujours ouverte, et il fallait la traverser d’abord. Sachas’y arrêta dès qu’il aperçut les livres, d’énormes in-folio, reliésen maroquin rouge : Don QuichotteetRabelais, illustrés par Gustave Doré.

Mériadec enleva l’enfant, le campa sur un hauttabouret, ouvrit le premier volume et se mit à lui montrer lesbelles gravures où étaient représentées les aventures du dernierdes chevaliers errants, son héros de prédilection.

Daubrac avait mieux à faire, et il suivit lajeune fille dans l’atelier.

Rose alla s’asseoir sur une chaise de pailledevant une grande table en bois blanc, chargée d’objetshétérogènes : il y avait des écheveaux de laine, des coupuresd’étoffes de soie, des morceaux de peau, du papier teinté, desvases de diverses dimensions, des soucoupes au fond desquelless’étalaient des couleurs, des pinceaux, une botte pleine de farine,un pot à colle, un fourneau allumé, une lampe à esprit-de-vin.

– Ah ! mon Dieu, s’écriaDaubrac ; que d’ustensiles il faut pour imiter des fleurs quipoussent toutes seules !

– Dame ! je n’ai pas le soleil pourm’aider, dit en riant la jeune fille, mais c’est moins compliquéque vous ne pensez. Vous allez voir. Je dois reporter aujourd’huiune commande de roses mousseuses, et il m’en faut encore unedouzaine pour compléter la livraison qu’on attend au magasin. Jevais vous montrer comment je m’y prends pour les confectionner.Regardez !

Tout en parlant, elle avait pris un brin defil de laiton, et elle y attachait des brins de fil de soie écruequ’elle égalisait avec des ciseaux.

– Voici les étamines, dit-elle. Je lestrempe, comme vous voyez, dans de la colle à gants pour les rendreroides. Je les fais sécher au feu de cette lampe. Là !maintenant qu’elles sont sèches, j’humecte la pointe avec cettepâte… c’est de la gomme arabique mêlée à de la farine de froment…puis je les plonge dans ce vase rempli de semoule teinte en jaune.Tenez ! chaque fil a retenu un grain de semoule… le cœur de marose est fait.

– C’est merveilleux ! s’écrial’interne, qui prenait un plaisir extrême à suivre des yeux lesmouvements des jolis doigts roses de l’Ange du bourdon.

– À présent, reprit la jeune fille, ils’agit d’y mettre des pétales, et de les bien choisir, et de lesbien ajuster, car je veux qu’elle soit belle, ma rose, et que vousne me preniez pas pour une maladroite. J’en ai justement là de toutdécoupés. Ils sont en batiste très-fine. Je les prends un à un aveccette petite pince. Je les mouille ; j’y passe un peu decarmin avec ce pinceau à pointe fine… remarquez que j’ai soin delaisser les bords un peu plus pâles. Je les colle autour desétamines… je les gauffre avec ce fer, qui est encore chaud, parceque j’ai travaillé ce matin avant de sortir. Ma rose commence déjàà prendre une certaine tournure.

– C’est-à-dire qu’un papillon s’yposerait.

– Oh ! pas encore. Ils s’yconnaissent, les papillons.

» Voici maintenant les feuilles ducalice. Je les ai découpées à l’avance dans un morceau de taffetasvert, et ensuite je les ai passées à l’amidon. Je n’ai plus qu’àles appliquer. Voilà qui est fait.

– Parole d’honneur, je ne sais paspourquoi l’on s’amuse encore à planter des rosiers.

– Je serais bien fâchée qu’on n’enplantât plus. Je fais des fausses fleurs, mais je n’aime que lesvraies.

– Alors, vous me permettrez de vous enoffrir. Je demeure à deux pas du marché où on les vend.

– Nous verrons cela. Laissez-moi finir maleçon, puisqu’elle ne vous ennuie pas. Voulez-vous que ma rose aitdes boutons ? Non, ce serait trop long ; il me faudraitcoudre la peau, après l’avoir bourrée de coton gommé, et vousn’auriez pas la patience d’attendre que ce fût terminé. Je vaisseulement y ajouter des feuilles. Si j’avais à les gauffrer, jen’en finirais pas, car c’est bien plus compliqué que pour lespétales… il faut produire le brillant de l’endroit, le velouté del’envers, imiter les nervures… mais vous voyez qu’il m’en reste detoutes faites… Je n’ai plus qu’à les attacher… Bon ! elles ysont. Maintenant j’enroule ma tige avec du coton filé, et,par-dessus, je l’enveloppe de papier serpente teint en vert.

» C’est tout, monsieur. Ma rose estfinie, et vous avez le droit de l’admirer.

– Je l’admire et je voudraisl’emporter.

– Une fleur artificielle ! qu’enferiez-vous ? bon Dieu !

– Je la garderais en souvenir devous.

– Je comprendrais cela, si nous nedevions plus nous revoir… mais vous m’avez promis de venir ici tousles jours.

– Et je n’y manquerai pas, je vous priede le croire. Et puis, je vous verrai aussi à l’Hôtel-Dieu. Maistout change en ce monde, et vous ne resterez pas éternellement cheznotre ami Mériadec. Quand votre père sera guéri, vous irez habiteravec lui.

– Mon père ne m’empêcherait pas de vousrecevoir, mais je doute que vous preniez la peine de grimperjusqu’au pauvre logement que nous habiterons. Ce sera au cinquième,si ce n’est pas sous les toits.

– Pour vous voir, je monterais jusqu’à laplate-forme des tours de Notre-Dame.

– Vous vous moquez de moi. C’esttrès-mal. Si j’étais comme tant d’autres, je pourrais me laisseraller à croire que vous m’aimez, et je serais malheureuse toute mavie.

– Pourquoi ? C’est bon d’être aimée.Si une femme m’aimait, moi, je serais au comble du bonheur…j’entends si elle m’aimait sérieusement et de tout son cœur.

– Je ne comprends pas qu’on aimeautrement. Mais je ne suis qu’une pauvre fille, et vous serez ungrand médecin. Qu’adviendrait-il de moi si je m’attachais àvous ?… J’en mourrais.

– Pas du tout. C’est mon état d’empêcherles malades de mourir, et je vous guérirais, comme je guériraivotre père, mais vous n’êtes pas malade.

– Je tâcherai de ne pas le devenir. Etj’espère que je resterai votre amie.

– Rien que mon amie ? demandal’interne, en se rapprochant de la jeune fille qui donnait ledernier tour de main à sa rose mousseuse.

– Prenez garde ! vous allez voussalir, dit-elle vivement. La colle… Le carmin.

– Vous oubliez votre fer qui est chaud…je me brûlerais… et je brûle déjà bien assez.

À ce moment ils entendirent la voix claire deSacha, alternant avec la basse profonde de Mériadec. Une grossediscussion venait de s’élever dans la bibliothèque.

– Votre don Quichotte est un fou, criaitSacha.

– Un fou sublime, répondit le baron,toujours prêt à défendre son héros.

– Prendre des moulins à vent pour desgéants, ce n’est pas sublime, c’est bête.

– Alors, si vous vous trouviez en pareilcas, vous feriez comme Sancho Pança, qui se tient à distance et quilève les bras au ciel, au lieu de courir au secours de sonmaître ?

Et, comme l’enfant ne lui répondait pas,Mériadec reprit avec feu :

– Un fou généreux vaut mieux qu’un sagepoltron. Et je m’étonne que vous pensiez le contraire, vous quiêtes de bonne race… vous que j’ai recueilli et que je protège, aurisque d’attirer sur moi et sur mes amis la vengeance du scélératqui a tué votre mère.

Il y eut un silence, puis un bruit de chaisesdéplacées et des piétinements.

– L’élève a compris la leçon, ditDaubrac, après avoir regardé ce qui se passait dans la piècevoisine. Il vient de sauter au cou de Mériadec, et il l’embrasse enpleurant. Décidément il y a de la ressource chez ce gamin. Vouscompléterez son éducation, mademoiselle, et je vais vous laisseravec lui.

– Vous êtes fâché contre moi ?demanda vivement l’Ange du bourdon.

– Non, puisque j’emporte votre rosemousseuse, répliqua Daubrac en s’emparant de la fleur ; maisil est temps que je parte. Je sens que si je restais davantage, jevous ferais une déclaration, et vous vous fâcheriez tout à fait.Et, afin de ne pas déranger notre ami pendant qu’il est en train dedire de si belles choses, je vais filer par le grand escalier quiaboutit directement dans la cour.

Rose Verdière n’essaya point de le retenir, etil s’en alla sans que le baron s’aperçût de son départ.

Quand Mériadec mettait le nez dans le superbein-folio où étaient racontées et représentées les aventures de donQuichotte, il oubliait tout, et il fallait de graves événementspour l’arracher à la lecture de son livre favori.

Ce jour-là, il y prenait encore plus deplaisir, parce qu’il en expliquait les beautés à Sacha. L’enfantcommençait à les goûter ; à chaque gravure, il accablait dequestions son professeur, qui se lançait dans des commentairesenthousiastes, suggérés par son esprit chevaleresque, tout commeses premières observations, à propos du combat contre les moulins àvent.

Sacha s’enflammait à ces discoursardents ; le tempérament russe reprenait le dessus, et il enétait arrivé très-vite à mépriser le prosaïque bon sens de Sancho,qu’il avait d’abord naïvement admiré. Il brûlait du désird’appliquer les idées généreuses du baron ; il rougissaitd’avoir loué la prudence d’un paysan, lui qui était né gentilhomme,et il parlait d’aller livrer bataille tout seul à ce PaulConstantinowitch qu’il reniait pour son père.

Ni lui, ni Mériadec ne pensaient plus à lajeune fille qui travaillait tout près d’eux ; mais depuis ledépart de Daubrac, elle ne perdait pas un mot de leur conversation,et, dès qu’elle eut achevé son ouvrage, elle déguerpit sur lapointe du pied, en emportant la botte de roses mousseuses qu’elledevait livrer avant trois heures au fabricant qui les lui avaitcommandées.

Il lui restait tout juste le temps de fairecette course, et elle ne tenait pas à emmener Sacha, qui l’auraitretardée, elle le savait par expérience. Sacha s’arrêtait auxdevantures des bijoutiers, et à celles des magasins où l’on venddes vêtements tout faits ; il s’arrêtait aussi chaque foisqu’il voyait passer un beau cheval.

Le matin, Rose était sortie avec lui, et levoyage de la rue Cassette à l’Hôtel-Dieu avait pris une heure, sanscompter que cet enfant terrible accablait sa conductrice dequestions embarrassantes. Aussi préférait-elle qu’il nel’accompagnât point au magasin où elle avait affaire. Il y auraittenu des propos compromettants, et sa présence l’aurait gênéevis-à-vis du patron et des commis, qui auraient pu lui demander ceque c’était que ce gamin habillé à la russe. Mieux valait,assurément, le laisser à la maison, pour cette fois. Il y serait ensûreté sous la garde du baron.

Rose passa donc dans sa chambre, qui avaitaussi un escalier séparé. Elle s’y habilla lestement, et ellesortit de la cour sans que personne remarquât son départ.

Mieux avisée que Fabreguette, elle donna uncoup d’œil à droite et un coup d’œil à gauche, avant de s’acheminervers la rue de Rennes, et elle vit que la rue Cassette étaitdéserte.

Les passants y sont toujours rares, mais, cejour-là, il n’y en en avait pas un seul, et personne aux fenêtresdes vieilles maisons qui faisaient face à l’habitation du baron deMériadec.

Certes, Rose ne se doutait pas que, la veille,il était arrivé malheur à l’artiste, faute d’avoir pris laprécaution de s’assurer qu’on ne l’espionnait pas ; mais lavie d’ouvrière lui avait enseigné la prudence… Accoutumée à êtresuivie par des batteurs de pavé, en quête de bonnes fortunes, ellene s’aventurait jamais sans regarder si quelque sot ne la guettaitpas pour prendre le même chemin qu’elle.

Elle allait rue de Rivoli, en face de la tourSaint-Jacques, et le trajet était assez long. Mais elle avait unefaçon de trotter menu qui lui faisait faire beaucoup de chemin enpeu de temps, et qui déjouait les manœuvres des galants derencontre. Elle les distançait.

Et d’ailleurs ces gens-là ne cherchent que lesconquêtes faciles, et ils comprenaient à son allure que si, enforçant la leur, ils parvenaient à la rejoindre, ils en seraientpour leurs peines.

À dire vrai, on ne suit à Paris que les femmesqui ne sont pas fâchées d’être suivies, et Rose le savait bien.

Elle prit au plus court par la placeSaint-Sulpice, le boulevard et le pont Saint-Michel.

De la place et du quai, on voyait en pleinl’Hôtel-Dieu où l’on avait porté son père, et les tours deNotre-Dame où elle avait passé d’heureuses années. Ce souvenir luifit venir les larmes aux yeux, mais elle ne s’arrêta point à rêverdu bonheur envolé, et elle enfila le boulevard du Palais, sanssonger au juge d’instruction qui siégeait peut-être en ce momentdans son cabinet, et qui pouvait d’un instant à l’autre la citer àcomparaître.

Elle ne pensait qu’à Daubrac, et elle sereprochait de lui avoir peut-être laissé deviner le secret qu’elleaurait voulu se cacher à elle-même ; elle se disait qu’elleaurait dû le traiter plus froidement, le décourager même, en luidéclarant qu’il perdrait son temps s’il s’avisait de lui faire lacour. Elle tremblait de s’être trahie par un regard, par uneinflexion de voix ; elle se repentait presque de s’êtreengagée à le voir tous les jours, et elle se jurait de mieuxs’observer à l’avenir.

Ces réflexions, qui ressemblaient à desremords, l’occupèrent jusqu’à la porte du magasin où elle avaitaffaire.

Là, tout le personnel la connaissait, et onlui fit fête. Les employés la complimentèrent sur sa beauté, lesdemoiselles lui demandèrent si elle ne se marierait pas bientôt, etle patron daigna lui sourire, après avoir examiné une à une lesfleurs qu’elle rapportait.

Par malheur, il savait qu’elle était la filledu gardien des tours, et il se mit à lui parler de l’événement quetous les journaux avaient raconté. Il n’en fallut pas davantagepour gâter la joie que Rose éprouvait d’être si bien accueillie.Elle répondit évasivement à toutes les questions qu’on luiadressa.

Elle n’osa même pas raconter que son pèreavait perdu sa place. Elle aurait été obligée de dire où elledemeurait depuis cette catastrophe, car le fabricant tenait à avoirl’adresse de toutes les ouvrières qui travaillaient pour lui, etelle se serait trouvée dans la cruelle alternative de mentir oud’avouer qu’elle logeait chez un baron célibataire.

Dès que son compte fut réglé, elle s’en allatout attristée. Elle apercevait maintenant de mauvais côtés de sasituation qu’elle n’avait pas envisagés tout d’abord. Quepenserait-on d’elle, quand on saurait comment elle vivaitmaintenant ? Et on le saurait tôt ou tard. Il suffirait que,pour une commande pressée, le patron l’envoyât chercher dans sonancien logement de la tour du nord. C’était arrivé souvent, et celadevait arriver encore, car il ne confiait qu’à elle seule certainsouvrages difficiles.

Son imagination s’exaltait facilement, et elleen vint bientôt à se demander si elle ne ferait pas biend’abandonner la maison hospitalière de la rue Cassette, etd’habiter, comme tant d’autres de ses pareilles, une mansardequ’elle meublerait tant bien que mal. Elle avait le loisir de lachercher, maintenant, et de faire comprendre à ce généreux Mériadecpourquoi elle le quittait.

Elle se disait tout cela en longeant la grillequi entoure le square de la tour Saint-Jacques. Elle y entramachinalement, et, pour réfléchir plus à l’aise, elle s’assit surune chaise, à l’ombre de la tour.

C’était une place qu’elle affectionnait, et,dans la belle saison, elle ne manquait guère de s’y reposer ensortant du magasin de la rue de Rivoli. Quelquefois, elle s’yinstallait pour toute l’après-midi, elle y travaillait en plein airà quelque broderie, et personne ne s’était jamais avisé de ladéranger de cette honnête occupation.

Mais les jours se suivent et ne se ressemblentpas.

Le square avait son aspect ordinaire, un peuplus animé que de coutume, parce qu’il faisait un tempssuperbe.

La vieille tour de l’église disparue deSaint-Jacques la Boucherie se dressait massive et sombre, au milieud’une corbeille de fleurs ; et les oisifs du quartier étaientvenus en foule saluer la verdure nouvelle.

Les bonnes, les nourrices et quelquesmilitaires non gradés se pressaient sur les bancs dont l’usage estgratuit. Des cénacles de bourgeoises se tenaient sur des chaises,groupées en rond. Des bandes d’enfants couraient joyeusement parles allées, effarouchant les moineaux qui logent dans la tour etqui dînent du pain qu’on leur jette à profusion.

De la place qu’elle avait choisie, Rose avaitsous les yeux ce gai tableau, et elle y était à l’abri du vent etdes indiscrets.

Le soubassement de la tour a quatre faces,séparées l’une de l’autre par des éperons en pierre dont la saillieforme quatre compartiments distincts.

La jeune fille avait adossé sa chaise à un deces contreforts, et se laissait aller de nouveau à des réflexionstristes. Elle enviait le bonheur de ces mères et l’insouciance deces fillettes qui dansaient en rond.

Elle aussi, autrefois, allait jouer dans unsquare, – celui qu’on a créé derrière le chevet de l’égliseNotre-Dame, – et elle se disait que cet heureux temps nereviendrait jamais. Plus d’enfance et pas d’avenir. Elle étaitcondamnée à ne jamais connaître les joies de la maternité,puisqu’elle ne voulait pas se marier. Daubrac ne pouvait pasprendre pour femme une simple ouvrière ; Daubrac était le seulhomme qu’elle aurait pu rêver d’épouser, si elle eût été moinsraisonnable, et elle comprenait que ce rêve ne se réaliseraitjamais.

Elle soupirait en regardant les grisettes quitraversaient le square au bras de leurs amoureux. Certes, elle nesouhaitait pas d’être comme elles, et le sort dont elless’accommodaient ne la tentait pas, mais elle en était presque àregretter que Dieu l’eût faite autrement que ces filles folles.Elles n’étaient pas fières, celles-là ; leur cœur banalbattait pour le premier joli garçon venu, et elles profitaient deleur jeunesse, sans se préoccuper des mauvais jours qui viendraientavec l’âge.

Il n’aurait tenu qu’à l’Ange du bourdon de lesimiter, de replier ses ailes qui l’emportaient vers un idéalqu’elle n’atteindrait jamais, de borner ses vœux et de se contenterd’un amant au lieu de chercher un mari introuvable.

Elle était si jolie que pas un homme nepassait près d’elle sans la regarder.

Les vieillards, ces retraités de l’amour,souriaient d’aise en la voyant, comme les anciens militairesadmirent un tableau de bataille. Les tout jeunes s’arrêtaientéblouis et rougissaient de plaisir. Les gourmets entre deux âgesl’examinaient du coin de l’œil et cherchaient un moyen del’aborder.

Il y en avait déjà deux ou trois quitournaient autour du clocher au pied duquel était assise cettemerveille de beauté, et elle se tenait prête à déjouer leursmanœuvres en quittant la place aussitôt qu’ils se rapprocheraienttrop.

Un homme pourtant vint à passer sans faireattention à elle, un homme qu’elle remarqua involontairement parcequ’il ne ressemblait pas du tout à ceux qui la regardaient.Celui-là était vraiment un monsieur, et non pas, comme les autres,un petit marchand du quartier.

Il était grand, bien tourné et vêtu avec uneélégance de bon goût. Ses pareils ne fréquentent guère le square dela tour Saint-Jacques, et sans doute il y était venu pour attendrequelqu’un qui n’était pas encore arrivé, car il regardait avecpersistance du côté de la place du Châtelet, et, après une courtestation au milieu d’une allée, il prit position sur une chaise dansun des recoins du soubassement, tout à côté de la jeune fille.

Ils ne pouvaient pas se voir, séparés qu’ilsétaient par une cloison de pierre ; mais elle savait qu’ilétait là, accoté à l’éperon, car elle avait entendu le dossier desa chaise heurter le mur, et le sable crier sous ses pieds.

Du compartiment qu’il avait choisi, ildécouvrait en plein la place, et même l’entrée du pont au Change,qui relie la rive droite à la Cité.

Il alluma un cigare dont la fumée auraitrévélé sa présence à sa voisine, s’il avait eu le dessein de secacher ; mais il ne paraissait pas se préoccuper d’elle,probablement parce qu’il n’avait pas remarqué qu’elle était là.

Pourquoi Rose s’inquiéta-t-elle de cepersonnage ? Elle-même eût été fort embarrassée de le dire.Elle ne le connaissait pas, et ses allures n’avaient riend’extraordinaire. Mais il est des impressions inexpliquées etinexplicables qui sont de véritables pressentiments. Les femmesnerveuses y sont sujettes, et, dans certaines circonstances, le donde seconde vue leur vient tout à coup. Elles devinent ce qui sepasse à distance, et elles prévoient ce qui arrivera.

Rose eut l’intuition que cet homme avait étémêlé à l’affaire des tours, et qu’il avait donné rendez-vous dansle square à quelqu’un qui avait joué aussi un rôle dans ce sombredrame.

Elle se rappelait que la veille on avait épiéM. de Saint-Briac, et elle pensait que tous lesdéfenseurs de Sacha devaient être entourés d’ennemis mystérieux quiles surveillaient dans l’ombre.

Elle se rassurait un peu en se disant que cesennemis ne pouvaient pas la connaître, puisqu’elle n’était pas làquand l’assassin était passé avec sa victime et avec Sacha devantle logement du père Verdière ; mais ils pouvaient savoir oùétait l’enfant ; ils pouvaient chercher à l’enlever, et iltardait à la jeune fille de le revoir.

Elle allait se lever et regagner la rueCassette, lorsqu’elle aperçut à l’entrée du square un homme qui, deloin, faisait des signes au monsieur qu’elle avait pour voisindepuis quelques minutes ; cet homme arrivait à paspressés ; il ne prenait pas garde à elle, et la crainted’attirer son attention la retint sur sa chaise.

Celui-là, non plus, elle ne l’avait jamais vu,et, sans avoir aussi bonne tournure que le premier arrivé, il étaitdu moins aussi correctement vêtu.

Ces deux gentlemen s’abouchèrent et s’assirentcôte à côte, derrière la séparation, et tout contre, de sorte queRose Verdière pouvait entendre leur conversation, pour peu qu’ilsélevassent la voix.

Elle tenait à savoir si ses soupçons étaientfondés, ou si elle avait pris d’honnêtes messieurs pour descomplices de Paul Constantinowitch, et elle resta.

– Tout va bien, mon cher, dit le nouveauvenu. La lettre est arrivée à son adresse.

– Tu es sûr de cela ? demandal’autre.

– Parfaitement sûr. Je l’ai remisemoi-même à l’huissier qui garde la porte du cabinet, en lui disantqu’il s’agissait d’une affaire très-importante, et en le gratifiantd’une pièce de cent sous qu’il a empochée avec une vivesatisfaction. Notre doux juge était occupé à interroger destémoins, et il avait défendu qu’on entrât. Mais la séance tirait àsa fin, et la commission doit être faite à l’heure qu’il est.

– Alors le dénoûment ne tardera guère, etce cher capitaine va passer un mauvais moment.

– Pourvu que l’imbécile de mari n’arrivepas trop tard ! La femme a dû venir chez son amant à troisheures, et il est trois heures passées.

Rose, qui ne perdait pas un mot de cedialogue, commençait à comprendre.

Dieu avait bien inspiré l’Ange du bourdon enlui envoyant l’idée de s’asseoir là, et il était écrit que lesvieux monuments joueraient un grand rôle dans l’affaire du meurtrede la comtesse Xénia.

L’assassin l’avait précipitée du haut d’unedes tours de Notre-Dame, et un hasard providentiel amenait deux deses complices au pied de la tour Saint-Jacques, tout exprès pourque la protectrice de l’enfant de la morte entendît leursconfidences.

C’était la contre-partie de la scène dubouillon Duval, où Fabreguette et Daubrac avaient bavardé devant unfaux sourd.

Rose Verdière avait cru d’abord entendre unecauserie insignifiante. Ces hommes parlaient d’une lettre remise àun huissier, à la porte d’un cabinet, et ce propos ne lui apprenaitrien. Les mots : « interroger des témoins » avaientéveillé son attention, mais son esprit ne s’était ouvert tout àfait qu’au moment où le premier arrivé avait dit en ricanant« Ce cher capitaine va passer un mauvais quartd’heure. »

Il s’agissait évidemment deM. de Saint-Briac, et ces misérables venaient de dénoncerà son mari une femme qui était chez le capitaine en ce moment.

Les demi-confidences qu’il avait faites laveille à ses nouveaux amis de la rue Cassette ne laissaient sur cepoint aucun doute à Rose Verdière, qui les avait écoutées avecbeaucoup d’attention. Elle avait même retenu son adresse.Saint-Briac s’était gardé de nommer le mari de sa maîtresse, maisqu’importait la personnalité de ce mari, s’il était d’une trempe àtuer sa femme et l’amant de sa femme ? Et il n’y avait pas detemps à perdre pour prévenir ce double meurtre.

Rose allait se lever pour courir à l’avenued’Antin. Le capitaine lui était sympathique, et elle ne songeaitplus qu’à le sauver.

Une phrase qu’elle entendit la retint.

– Entre nous, mon cher, reprit le derniervenu, je trouve que tu t’es trop pressé. Nous ne sommes pas sûr quele mari va brûler la cervelle au capitaine. Les gens de robe n’ontpas coutume de porter des revolvers dans leurs poches.

» Si l’affaire ne se dénoue pas devant untribunal, elle finira probablement par un duel où toutes leschances seront pour ce Saint-Briac. Et s’il y survit, il n’aura pasde peine à deviner d’où est partie la dénonciation. Nous aurons enlui un ennemi implacable, et il ne nous ménagera plus. Or, il s’estmis en relation avec ce grand niais qui héberge Sacha, et il saitoù est ce méchant gamin qui a faillit te pincer l’autre jour à laMorgue, et qui te reconnaîtra un jour ou l’autre… Saint-Briacn’aura qu’à l’envoyer t’attendre à la porte de ton Cercle, entrequatre et cinq.

– Je n’y vais plus, et tu sais que j’aiquitté l’hôtel Continental. D’ici à huit jours nous aurons passé lafrontière, mais je ne veux pas quitter la France avant que cethomme ait reçu une bonne leçon.

– Je comprends ça, mais je trouve que tuaurais dû commencer par supprimer Sacha. Le capitaine n’est pasdangereux. C’est rue Cassette qu’est le danger. Tu as mis, comme ondit, la charrue avant les bœufs.

» Heureusement, je suis là pour réparertes fautes. J’ai arrangé une petite expédition qui réussira… etquand tu tiendras le rejeton du colonel, je t’engage à exterminerce serpenteau. Il n’y a que les morts qui ne parlent pas. Tords-luile cou.

– C’est bien mon intention. Quandespères-tu me le livrer ?

– Ce soir. J’en ai déjà coffré un, et lesautres auront leur tour. Mais c’est Sacha qu’il me faut, et j’aiinventé un truc pour l’attirer dehors.

– Pas si haut donc ! On pourraitt’entendre.

– Qui ? Nous sommes seuls dans notreniche, et derrière ce mur il n’y a qu’une petite bonne et desenfants qui font un vacarme infernal.

C’était vrai. Une bande de polissons étaitvenue se jeter dans l’encoignure où siégeait Rose Verdière, et lajeune fille que ce coquin prenait pour une bonne bénissait cetteinvasion de gamins qui ne l’empêchait pas d’entendre laconversation de ses voisins, car elle avait l’oreille fine.

– N’importe, reprit l’autre. C’estmalsain de causer en plein air, et nous allons décamper d’ici sansplus tarder. Je sais où nous en sommes, ça me suffit. Et je n’aiplus qu’à attendre l’effet de la bombe qui va éclater avenued’Antin.

» Quant à l’autre affaire, tu peux mel’expliquer en me reconduisant jusqu’à ma voiture qui m’attend surla place de l’Hôtel-de-Ville.

– Comme tu voudras. Mais je te quitterailà, car je me suis mis en tête d’en finir avant la nuit avec ledoux orphelin de la rue Cassette.

Rose, blottie contre la muraille quil’abritait, entendit que les deux scélérats se levaient et baissala tête, pour le cas où ils s’aviseraient de la dévisager enpassant. Mais ils ne firent aucune attention à elle. Elle les vitsortir du square et s’éloigner par l’avenue Victoria.

Il ne lui restait plus qu’à porter secours àceux qu’ils menaçaient d’une vengeance prochaine, et elle y étaitrésolue, dût-elle pour les sauver s’exposer aux plus grandsdangers. Mais auquel courir d’abord ?

Sacha l’intéressait bien plus queM. de Saint-Briac, et surtout qu’une femme qui trompaitson mari.

Rose, comme toutes les honnêtes filles,manquait d’indulgence pour celles qui trahissent la foi conjugale,et elle ne tenait pas beaucoup à tirer celle-là du mauvais cas oùelle s’était mise. Elle ne la connaissait pas, après tout, et ellene lui devait aucune assistance.

Son premier mouvement fut donc de l’abandonnerau sort mérité qui l’attendait.

Mais il y avait le capitaine, et le capitaineétait un allié. Il prenait chaudement parti contrel’assassin ; il servait la bonne cause. Assurément, il avaiteu le plus grand tort de détourner de ses devoirs une femme mariée,et pourtant Rose l’excusait presque. Il lui répugnait de le laissersurprendre par un furieux, alors qu’il dépendait d’elle del’avertir et d’empêcher une catastrophe.

Les deux coquins qu’elle venait d’entendren’avaient pas nommé le mari ; ils avaient dit qu’il étaitmagistrat, mais Rose ne se doutait pas que ce magistrat étaitprécisément le juge d’instruction qui devait l’appeler un de cesjours en témoignage.

Rien ne la retenait donc, si ce n’est le périlque courait Sacha.

Ces misérables parlaient de l’enlever pour letuer, et l’un d’eux se faisait fort d’y réussir, le soir même.

Cela signifiait sans doute qu’il attendrait lanuit pour faire ce mauvais coup, car, si hardi qu’il fût, iln’oserait pas en plein jour pénétrer de vive force dans la maisonde la rue Cassette. Mériadec était là pour défendre son domicile,et Mériadec faisait si bonne garde autour de l’enfant que la rusene réussirait pas mieux que la violence. Rien ne pressait de cecôté, tandis qu’il n’y avait pas une minute à perdre pour prévenirle capitaine.

La démarche ne pouvait être efficace que sielle était faite immédiatement, car il fallait devancer ce terriblemari qui était peut-être déjà en route pour tomber comme la foudresur les coupables.

– En voiture, se dit Rose Verdière, jeserai à l’avenue d’Antin dans vingt minutes ; j’aurai tôt faitd’expliquer la situation à M. de Saint-Briac, et je nem’attarderai pas chez lui, car je ne tiens pas à voir samaîtresse.

» Ce même fiacre me ramènera rueCassette, et je raconterai mon expédition àM. de Mériadec, qui se mettra en mesure de préserverSacha.

» Allons ! conclut la jeune fille,je n’aurai pas perdu ma journée, et M. Daubrac sera content demoi.

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