L’Ami Fritz

Chapitre 15

 

 

On peut se figurer si Kobus était content. Desidées de magnificence et de grandeur se débattaient alors dans satête ; il voulait voir Sûzel, et se montrer à elle dans unesplendeur inaccoutumée ; il voulait en quelque sortel’éblouir ; il ne trouvait rien d’assez beau pour la frapperd’admiration.

Dans un temps ordinaire, il aurait loué lavoiture et la vieille rosse d’un Baptiste Krômer pour faire levoyage ; mais alors, cela lui parut indigne de Kobus.Immédiatement après le dîner, il prit sa canne derrière la porte etse rendit à la poste aux chevaux, sur la route de Kaiserslautern,chez maître Johann Fânen, lequel avait dix chaises de poste sousses hangars, et quatre-vingts chevaux dans ses écuries.

Fânen était un homme de soixante ans,propriétaire des grandes prairies qui longent le Losser, un hommeriche et pourtant simple dans ses mœurs ; gros, court, revêtud’une souquenille de toile, coiffé d’un large chapeau de crin,ayant la barbe longue de huit jours toute grisonnante, et ses jouesrondes et jaunes sillonnées de grosses rides circulaires.

C’est ainsi que le trouva Fritz, en train defaire étriller des chevaux dans la cour de la poste.

Fânen, le reconnaissant de loin, vint à sarencontre jusqu’à la porte cochère, et, levant son chapeau, lesalua disant :

« Hé ! bonjour, monsieurKobus ; qu’est-ce qui me procure le plaisir et l’honneur devotre visite ?

– Monsieur Fânen, répondit Fritz ensouriant, j’ai résolu de faire une partie de plaisir à la fête deBischem, avec mes amis Hâan et Schoultz. Toutes les voitures de laville sont en route, à cause de la rentrée des foins ; il n’ya pas moyen de trouver un char à bancs. Ma foi, me suis-je dit,allons voir M. Fânen, et prenons une voiture de poste ;vingt ou trente florins ne sont pas la mort d’un homme, et quand onveut s’amuser, il faut faire les choses grandement. Voilà moncaractère. »

Le maître de poste trouva ce raisonnement trèsjuste. « Monsieur Kobus, dit-il, vous faites bien, et je vousapprouve ; quand j’étais jeune, j’aimais à rouler rondement età mon aise ; maintenant je suis vieux, mais j’ai toujours lesmêmes idées : ces idées sont bonnes, quand on a le moyen deles avoir comme vous et moi. » Il conduisit Fritz sous sonhangar. Là se trouvaient des calèches à la nouvelle mode de Paris,légères comme des plumes, ornées d’écussons, et si belles, sigracieuses, qu’on aurait pu les mettre dans un salon, comme desmeubles remarquables par leur élégance. Kobus les trouva fortjolies ; et malgré cela, un goût naturel pour la somptuositécossue lui fit choisir une grande berline rembourrée de soieintérieurement, un peu lourde, il est vrai, mais que Fânen lui ditêtre la voiture des personnages de distinction. Il la choisit donc,et alors le maître de poste l’introduisit dans ses vastes écuries.Sous un plafond blanchi à la chaux, long de cent vingt pas, largede soixante, et soutenu par douze piliers en cœur de chêne, étaientrangés sur deux lignes, et séparés l’un de l’autre par desbarrières, soixante chevaux, gris, noirs, bruns, pommelés, lacroupe ronde et luisante, la queue nouée en flot, le jarret solide,la tête haute ; les uns hennissant et piétinant, les autrestirant le fourrage du râtelier, d’autres se tournant à demi pourvoir. La lumière, arrivant du fond par deux hautes fenêtres,éclairait cette écurie de longues traînées d’or. Les grandes ombresdes piliers s’allongeaient sur le pavé, propre comme un parquet,sonore comme un roc. Cet ensemble avait quelque chose de vraimentbeau, et même de grand.

Les garçons d’écurie étrillaient etbouchonnaient : un postillon, en petite veste bleue brodéed’argent, son chapeau de toile cirée sur la nuque, conduisait uncheval vers la porte ; il allait sans doute partir enestafette.

Le père Fânen et Fritz passèrent lentementderrière les chevaux.

« Il vous en faut deux, dit le maître deposte, choisissez. »

Kobus, après avoir passé son inspection,choisit deux vigoureux roussins gris pommelés, qui devaient allercomme le vent. Puis il entra dans le bureau avec M. Fânen, ettirant de sa poche une longue bourse de soie verte à glands d’or,il solda de suite le compte, disant qu’il voulait avoir la voitureà sa porte le lendemain vers neuf heures, et demandant pourpostillon le vieux Zimmer, qui avait conduit autrefois l’empereurNapoléon Ier.

Cela fait, entendu, arrêté, le père Fânen lereconduisit jusque hors la cour ; ils se serrèrent la main, etFritz, satisfait, se remit en route vers la ville.

Tout en marchant, il se figurait la surprisede Sûzel, du vieux Christel et de tout Bischem, lorsqu’on lesverrait arriver, claquant du fouet et sonnant du cor. Cela luiprocurait une sorte d’attendrissement étrange, surtout en songeantà l’admiration de la petite Sûzel.

Le temps ne lui durait pas. Comme il serapprochait ainsi de Hunebourg, tout rêveur, le vieux rebbe David,revêtu de sa belle capote marron, et Sourlé, coiffée de sonmagnifique bonnet de tulle à larges rubans jaunes, attirèrent sesregards dans le petit sentier qui longe les jardins au pied desglacis. C’était leur habitude de faire un tour hors de la villetous les jours de sabbat ; ils se promenaient bras dessus brasdessous, comme de jeunes amoureux, et chaque fois David disait à safemme :

« Sourlé, quand je vois cette verdure,ces blés qui se balancent, et cette rivière qui coule lentement,cela me rend jeune, il me semble encore te promener comme à vingtans, et je loue le Seigneur de ses grâces. »

Alors la bonne vieille était heureuse, carDavid parlait sincèrement et sans flatterie.

Le rebbe avait aussi vu Fritz par-dessus lahaie, quand il fut à l’entrée des chemins couverts, il luicria :

« Kobus !… Kobus !… arrive doncici ! »

Mais Fritz, craignant que le vieux rabbin nevoulût se moquer de son discours à la brasserie duGrand-Cerf, poursuivit son chemin en hochant la tête.

« Une autre fois, David, une autre fois,dit-il, je suis pressé. »

Et le rebbe souriant avec finesse dans sabarbiche, pensa :

« Sauve-toi, je te rattraperai tout demême. »

Enfin Kobus rentra chez lui vers quatreheures. Quoique les fenêtres fussent ouvertes, il faisait trèschaud, et ce n’est pas sans un véritable bonheur qu’il sedébarrassa de sa capote.

« Maintenant, nous allons choisir noshabits et notre linge, se disait-il tout joyeux, en tirant lesclefs du secrétaire. Il faut que Sûzel soit émerveillée, il fautque j’efface les plus beaux garçons de Bischem, et qu’elle rêve demoi. Dieu du ciel, viens à mon aide, que j’éblouisse tout lemonde ! »

Il ouvrit les trois grands placards, quidescendaient du plafond jusqu’au parquet. Mme Kobus la mère,et la grand-mère Nicklausse avaient eu l’amour du beau linge, commele père et le grand-père avaient eu l’amour du bon vin. On peut sefigurer, d’après cela, quelle quantité de nappes damassées, deserviettes à filets rouges, de mouchoirs, de chemises et de piècesde toile se trouvaient entassés là-dedans ; c’étaitincroyable. La vieille Katel passait la moitié de son temps à plieret déplier tout cela pour renouveler l’air ; à le saupoudrerde réséda, de lavande et de mille autres odeurs, pour en écarterles mites. On voyait même tout au haut, pendus par le bec, deuxmartins-pêcheurs au plumage vert et or, et tout desséchés :ces oiseaux ont la réputation d’écarter les insectes.

L’une des armoires était pleine d’antiquesdéfroques, de tricornes à cocarde, de perruques, d’habits depeluche à boutons d’argent larges comme des cymbales, de cannes àpomme d’or et d’ivoire, de boîtes à poudre, avec leurs grospinceaux de cygne ; cela remontait au grand-père Nicklausse,rien n’était changé ; ces braves gens auraient pu revenir etse rhabiller au goût du dernier siècle, sans s’apercevoir de leurlong sommeil.

Dans l’autre compartiment se trouvaient lesvêtements de Fritz. Tous les ans, il se faisait prendre mesure d’unhabillement complet, par le tailleur Herculès Schneider, deLandau ; il ne mettait jamais ces habits, mais c’était unesatisfaction pour lui de se dire : « Je serais à la modecomme le gros Hâan si je voulais, heureusement j’aime mieux mavieille capote ; chacun son goût. »

Fritz se mit donc à contempler tout cela dansun grand ravissement. L’idée lui vint que Sûzel pourrait avoir legoût du beau linge, comme la mère et la grand-mère Kobus ;qu’alors elle augmenterait les trésors du ménage, qu’elle aurait letrousseau de clefs, et qu’elle serait en extase matin et soirdevant ces armoires.

Cette idée l’attendrit, et il souhaita que leschoses fussent ainsi, car l’amour du bon vin et du beau linge faitles bons ménages.

Mais, pour le moment il s’agissait de trouverla plus belle chemise, le plus beau mouchoir, la plus belle pairede bas et les plus beaux habits. Voilà le difficile.

Après avoir longtemps regardé, Kobus, fortembarrassé, s’écria :

« Katel ! Katel ! »

La vieille servante, qui tricotait dans lacuisine, ouvrit la porte.

« Entre donc, Katel, lui dit Fritz, jesuis dans un grand embarras : Hâan et Schoultz veulentabsolument que j’aille avec eux à la fête de Bischem ; ilsm’ont tant prié, que j’ai fini par accepter. Mais à cette fêtearrivent des centaines de Prussiens, des juges, des officiers, untas de gens glorieux, mis à la dernière mode de France, et qui nousregardent par-dessus l’épaule, nous autres Bavarois. Commentm’habiller ? Je ne connais rien à ces choses-là, moi, ce n’estpas mon affaire. »

Les petits yeux de Katel se plissèrent ;elle était heureuse de voir qu’on avait besoin d’elle dans unecirconstance aussi grave, et déposant son tricot sur la table, elledit :

« Vous avez bien raison de m’appeler,monsieur. Dieu merci, ce ne sera pas la première fois que j’auraidonné des conseils pour se bien vêtir selon le temps et lespersonnes. M. le juge de paix, votre père, avait coutume dem’appeler quand il allait en visite de cérémonie ; c’est moiqui lui disais : “Sauf votre respect, monsieur le juge, ilvous manque encore ceci ou cela.” Et c’était toujours juste ;chacun devait reconnaître en ville, que, pour la belle et bonnetenue, M. Kobus n’avait pas son pareil.

– Bon ! bon ! je te crois, ditFritz, et je suis content de savoir cela, quoique les modes soientbien changées depuis.

– Les modes peuvent changer tant qu’onvoudra, répondit Katel en approchant l’échelle de l’armoire, le bonsens ne change jamais. Nous allons d’abord vous chercher unechemise. C’est dommage qu’on ne porte plus de culotte, car vousavez la jambe bien faite, comme monsieur votre père ; et laperruque vous aurait aussi bien convenu, une belle perruque poudréeà la française ; c’était magnifique ! Mais aujourd’huiles gens comme il faut et les paysans sont tous pareils. Il faudrapourtant que les vieilles modes reviennent tôt ou tard, pour fairela différence ; on ne s’y reconnaît plus ! »

Katel était alors sur l’échelle, etchoisissait une chemise avec soin. Fritz, en bas, attendait ensilence. Elle redescendit enfin, portant une chemise et un mouchoirsur ses mains étendues d’un air de vénération ; et lesdéposant sur la table, elle dit :

« Voici d’abord le principal ; nousverrons si vos Prussiens ont des chemises et des mouchoirs pareils.Ceci, monsieur Kobus, étaient les chemises et les mouchoirs degrande cérémonie de M. le juge de paix. Regardez-moi lafinesse de cette toile, et la magnificence de ce jabot à sixrangées de dentelles ; et ces manchettes, les plus bellesqu’on ait jamais vues à Hunebourg ; regardez ces oiseaux àlongues queues et ces feuilles brodées dans les jours, queltravail, seigneur Dieu, quel travail ! »

Fritz, qui ne s’était jamais plus occupé dechoses semblables que des habitants de la lune, passait les doigtssur les dentelles, et les contemplait d’un air d’extase, tandis quela vieille servante, les mains croisées sur son tablier, exprimaittout haut son enthousiasme :

« Peut-on croire, monsieur, que des mainsde femmes aient fait cela ! disait-elle, n’est-ce pasmerveilleux ?

– Oui c’est beau ! répondait Kobus,songeant à l’effet qu’il allait produire sur la petite Sûzel avecce superbe jabot étalé sur l’estomac, et ces manchettes autour despoignets ; crois-tu, Katel, que beaucoup de personnes soientcapables d’apprécier un tel ouvrage ?

– Beaucoup de personnes ! D’abordtoutes les femmes, monsieur, toutes ; quand elles auraientgardé les oies jusqu’à cinquante ans, toutes savent ce qui estriche, ce qui est beau, ce qui convient. Un homme avec une chemisepareille, quand ce serait le plus grand imbécile du monde, auraitla place d’honneur dans leur esprit ; et c’est juste, car s’ilmanquait de bon sens, ses parents en auraient eu pourlui. »

Fritz partit d’un éclat de rire :

« Ha ! ha ! ha ! tu as dedrôles d’idées, Katel, fit-il ; mais c’est égal, je crois quetu n’as pas tout à fait tort. Maintenant il nous faudrait desbas.

– Tenez, les voici, monsieur, des bas desoie ; voyez comme c’est souple, moelleux !Mme Kobus elle-même, les a tricotés avec des aiguilles aussifines que des cheveux : c’était un grand travail. Maintenanton fait tout au métier, aussi quels bas ! On a bien raison deles cacher sous des pantalons. »

Ainsi s’exprima la vieille servante, et Kobus,de plus en plus joyeux, s’écria :

– Allons, allons, tout cela prend uneassez bonne tournure ; et si nous avons des habits un peupassables, je commence à croire que les Prussiens auront tort de semoquer de nous.

– Mais, au nom du Ciel, dit Katel, ne meparlez donc pas toujours de vos Prussiens ! de pauvres diablesqui n’ont pas dix thalers en poche, et qui se mettent tout sur ledos, pour avoir l’air de quelque chose. Nous sommes d’autresgens ! nous savons où reposer notre tête le soir, et ce n’estpas sur un caillou, Dieu merci ! Et nous savons aussi oùtrouver une bouteille de bon vin, quand il nous plaît d’en boireune. Nous sommes des gens connus, établis ; quand on parle deM. Kobus, on sait que sa ferme est à Meisenthâl, son bois dehêtres à Michelsberg…

– Sans doute, sans doute ; mais cesont de beaux hommes ces officiers prussiens, avec leurs grandesmoustaches, et plus d’une jeune fille, en les voyant…

– Ne croyez donc pas les filles si bêtes,interrompit Katel, qui tirait alors de l’armoire plusieurs habits,et les étalait sur la commode ; les filles savent aussi fairela différence d’un oiseau qui passe dans le ciel, et d’un autre quitourne à la broche ; le plus grand nombre aiment à se tenir aucoin du feu, et celles qui regardent les Prussiens, ne valent pasla peine qu’on s’en occupe. Mais tenez, voici vos habits, il n’enmanque pas. »

Fritz se mit à contempler sa garde-robe ;et, au bout d’un instant, il dit : « Cette capote àcollet de velours noir me donne dans l’œil, Katel.

– Que pensez-vous, monsieur ?s’écria la vieille en joignant les mains, une capote pour alleravec une chemise à jabot !

– Et pourquoi pas ? l’étoffe en estmagnifique.

– Vous voulez être habillé,monsieur ?

– Sans doute.

– Eh bien, prenez donc cet habit bleu deciel, qui n’a jamais été mis. Regardez ! » Elledécouvrait les boutons dorés, encore garnis de leur papier desoie :

« Je ne me connais pas de nouvellesmodes ; mais cet habit m’a l’air beau ; c’est simple,bien découpé, c’est aussi léger pour la saison, et puis le bleu deciel va bien aux blonds. Il me semble, monsieur, que cet habit vousirait tout à fait bien.

– Voyons », dit Kobus. Il mitl’habit. « C’est magnifique… Regardez-vous un peu.

– Et derrière, Katel ?

– Derrière, il est admirable, monsieur,il vous fait une taille de jeune homme. »

Fritz, qui se regardait dans la glace, rougitde plaisir. « Est-ce vrai ?

– C’est tout à fait sûr, monsieur, je nel’aurais jamais cru ; ce sont vos grosses capotes qui vousdonnent dix ans de plus, c’est étonnant. »

Elle lui passait la main sur le dos :« Pas un pli ! » Kobus, pirouettant alors sur lestalons, s’écria : « Je prends cet habit. Maintenant ungilet, là tu comprends, quelque chose de superbe, dans le genre decelui-ci, mais plus de rouge. » Katel ne put s’empêcher derire :

« Vous êtes donc comme les paysans duKokesberg, qui se mettent du rouge depuis le menton jusqu’auxcuisses ! du rouge avec un habit bleu ciel, mais on en riraitjusqu’au fond de la Prusse, et cette fois les Prussiens auraientraison.

– Que faut-il donc mettre ? demandaFritz, riant lui-même de sa première idée.

– Un gilet blanc, monsieur, une cravateblanche brodée, votre beau pantalon noisette. Tenez, regardezvous-même. » Elle disposait tout à l’angle de lacommode :

« Toutes ces couleurs sont faites l’unepour l’autre, elles vont bien ensemble ; vous serez léger,vous pourrez danser, si cela vous plaît, vous aurez dix ans demoins. Comment ! vous ne voyez pas cela ? Il faut qu’unepauvre vieille comme moi vous dise ce qui vousconvient ! »

Elle se prit à rire, et Kobus, la regardantavec surprise, dit :

« C’est vrai. Je pense si rarement auxhabits…

– Et c’est votre tort, monsieur ;l’habit vous fait un homme. Il faut encore que je cire vos bottesfines, et vous serez tout à fait beau ; toutes les fillestomberont amoureuses de vous.

– Oh ! s’écria Fritz, tu veuxrire ?

– Non, depuis que j’ai vu votre vraietaille, ça m’a changé les idées, hé ! hé ! hé ! maisil faudra bien serrer votre boucle. Et dites donc, monsieur, sivous alliez trouver à cette fête une jolie fille qui vous plaisebien, et que finalement… hé ! hé ! hé ! »

Elle riait de sa bouche édentée en leregardant, et lui, tout rouge, ne savait que répondre. « Ettoi, fit-il à la fin, que dirais-tu ?

– Je serais contente.

– Mais tu ne serais plus la maîtresse àla maison.

– Eh ! mon Dieu, la maîtresse detout faire, de tout surveiller, de tout conserver. Ah ! qu’ilnous en vienne seulement, qu’il nous en vienne une jeune maîtresse,bonne et laborieuse, qui me soulage de tout cela, je serai bienheureuse, pourvu qu’on me laisse bercer les petits enfants.

– Alors, tu ne serais pas fâchée, là,sérieusement !

– Au contraire ! Commentvoulez-vous… tous les jours je me sens plus roide, mes jambes nevont plus ; cela ne peut pas durer toujours. J’aisoixante-quatre ans, monsieur, soixante-quatre ans bien sonnés…

– Bah ! tu te fais plus vieille quetu n’es, dit Fritz – intérieurement satisfait de ce désir, quis’accordait si bien avec le sien – ; je ne t’ai jamais vueplus vive, plus alerte.

– Oh ! vous n’y regardez pas deprès.

– Enfin, dit-il en riant, le principal,c’est que tout soit en ordre pour demain. »

Il examina de nouveau son bel habit, son giletblanc, sa cravate à coins brodés, son pantalon noisette et sachemise à jabot. Puis, regardant Katel qui attendait.

« C’est tout ? fit-il.

– Oui, monsieur.

– Eh bien ! maintenant, je vaisboire une bonne chope.

– Et moi, préparer le souper. » Ildécrocha sa grosse pipe d’écume de la muraille, et sortit ensifflant comme un merle. Katel rentra dans la cuisine.

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