Le Coeur cambriolé

Chapitre 9Je découvre en Cordélia une femme nouvelle

En vérité, je crus d’abord n’avoir plus qu’àme réjouir, car, ainsi que me l’avait fait prévoir cet hommeadmirable, Cordélia, après le départ du docteur, se montra d’espritlibre entièrement normal.

On eût dit que rien d’extraordinaire nes’était passé. Quand elle descendit dans sa toilette légère etqu’elle se pendit à mon bras avec une grâce confiante quim’enchanta, le vieux Surdon et Mathilde la félicitèrent de sa bonnemine et me firent entendre par leurs signes qu’ils estimaient quetout allait pour le mieux.

Surdon voulait nous seller Tonnerre etMonarque ou nous atteler la charrette anglaise, pour que nousfissions une bonne promenade avant le déjeuner, mais Cordélia s’yopposa. Son désir était de marcher dans les champs, de se promenerà mon bras dans la campagne.

– Nous n’avons pas besoin de chevauxaujourd’hui, me dit-elle en m’entraînant et en me serrant la maindoucement. Nous n’avons besoin de personne ni de rien. Ne nousoccupons que de nous. J’ai tant de choses à te dire, maintenantque je suis ta femme !

Cette dernière phrase fut prononcée d’une voixgrave et profonde que je ne connaissais pas encore ; je ne pusm’empêcher de tressaillir en regardant Cordélia.

Ayant dit cela, elle levait vers moi des yeuxdont l’expression m’apparut aussi nouvelle que sa voix. J’y lisais,à ne m’y point méprendre, une tendresse et une reconnaissance émuesqui me bouleversèrent sans que je susse exactement pourquoi ;du moins, dans le moment, je ne pouvais analyser ce qui se passaiten moi, mais ce qui était sûr, c’est que j’étais assez inquiet… Eneffet, une expression pareille, cet élan d’une créature vers celuiqui est déjà tout pour elle, cette émotion tremblante etreconnaissante, je m’attendais bien à les trouver un jour chez machère Cordélia, mais pas après les heures que nous venions depasser !

Pour tout dire, j’en étais surpris au-delà detoute expression…

La promenade que nous fîmes, la conversationque nous eûmes à déjeuner, le doux abandon avec lequel, penchée surmon épaule, elle me confia ses projets d’avenir et même ses idées àelle sur l’éducation des enfants, tout cela ne fut point poureffacer en moi cette singulière impression que je me trouvais enface d’une Cordélia nouvelle, qui n’avait plus rien à faire avec lapetite fille de la veille. J’en étais tout pâle.

Elle s’en aperçut.

Elle s’inquiéta, à son tour, de monémoi :

– Mais, mon chéri, qu’as-tu ? tu n’es pasmalade ? tu ne me réponds rien !

Je l’embrassai dans les cheveux, en luidisant, banalement : « Je t’adore ! »

Mon cœur battait à se rompre… Ellel’entendit :

– Je le pense bien que tu m’adores, fit-elle,et du reste, ton cœur me le dit !… Écoute mon cœur à ton tour,toi ! et entends comme il t’aime !…

Elle prit ma tête entre ses deux petites mainset la plaça sur sa jeune poitrine battante, d’un geste tranquillede femme qui donne à l’époux ce qui lui appartient.

– Ah ! mon chéri ! sentir ainsi sesartères, quelle communion !

J’étais anéanti.

Elle continuait, en me caressant lescheveux :

– Quelle nuit ! Quelle belle nuit…Ah ! tu m’as comprise toi !… Tu es sublime, monHector !…

Je ne sais pas si je lui paraissais vraimentsublime, mais je me redressai brutalement. Je devais avoir unefigure de sauvage ! Elle me regarda avec inquiétude…

– Qu’as-tu ? Qu’as-tu ?

– Rien !… rien !… c’estpassé !… un peu de névralgie.

– Ah ! mon amour !… c’est lafatigue. Tu n’as pas dormi, toi !…

– Non, en effet, je n’ai pas dormi,moi !…

– Tu aurais dû te coucher, je te l’ai déjàdit, quand nous sommes rentrés de notre promenade dans le parc…

– Ah ! oui !… de la promenade dansle parc ! Certes ! certes !…

– Mais, qu’est-ce que tu as ?… Qu’est-ceque tu as ?…

– Rien ! je te dis… un peu de mal à latête !…

– Eh bien, sois raisonnable… Il faut aller tereposer, mon chéri !…

Je dus lui céder… Elle me conduisit à la portede ma chambre. Je me laissai pousser par ses petites mains. Choseinouïe !… Je ne la retins pas !… Elle s’en alla et je mejetai sur mon lit comme une bête se couche. Bientôt, pour cesser deréfléchir à des choses qui me paraissaient ou épouvantables ouabsurdes, je m’endormis.

Le soir tombait quand je me réveillai, desplus dispos ; j’ai toujours eu un sommeil parfait… Une bonnedouche finit de me rendre tout mon sang-froid. Pendant que jedormais, mon oncle était venu. Il arrivait de Caen et repartait lesoir même pour Paris. Je vis bien, aux premiers mots qu’ilm’adressa, qu’il ignorait tout des événements de la nuitprécédente. Surdon et Mathilde voyant que, maintenant, « toutallait pour le mieux », n’avaient pas jugé utile de le mettreau courant… Je ne pouvais que les approuver.

Il était allé faire une courte promenade avecCordélia, qui, à son retour, me montra la figure la plus heureusedu monde :

– Tu t’es bien reposé, mon chéri !fit-elle en se jetant dans mes bras… Ce vilain mal de tête estpassé !…

Je lui rendis son baiser avec émotion…

Mon oncle souriait, en contemplant cet aimablespectacle. Il voulut me prendre à part pour m’exprimer toute sasatisfaction :

– Eh bien, qu’est-ce que je disais ?… Tevoilà le plus heureux des hommes et elle la plus heureuse desfemmes ! Elle me l’a dit ! Tous mes compliments,gredin !…

Ah ! je l’aurais tué ! je l’auraisbien tué !… Il ne m’en laissa pas le temps. Il nous embrassaet partit en répétant :

– Sont-ils gentils tous les deux !

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