Le Coeur cambriolé

Chapitre 5Le cadeau inattendu

Rentrés au château, nous retrouvâmes toutnotre monde en extase dans la salle où l’on avait exposé lescadeaux. Dieu sait s’il y en avait !

C’est dans ce moment que le vieux Surdonapparut, portant difficilement un grand paquet plat tout enveloppéde toiles et sur lequel on avait épinglé un petit carré de cartonoù l’on pouvait lire exactement ceci :

« Mon cadeau pour le panier denoces »… Il n’y avait pas de signature.

Déjà plusieurs invités avaient lu ets’amusaient du « panier » de noces. Ces rires attirèrentnotre attention. Mon oncle, Cordélia et moi, nous nous approchâmes,dans le moment que des voix impatientes parlaient déjà d’unesurprise et demandaient à la voir tout de suite.

Mon oncle, après avoir lu, releva la tête,très pâle, et regarda Cordélia qui, elle aussi, avait lu. Elleétait devenue toute rouge. Cependant, elle ne se troubla pointdevant le regard de son père et elle sourit même en disant :« C’est bien de lui ; il emploie souvent un mot pourl’autre ; quelquefois même, il le fait avec intention, çal’amuse. Et puis, c’est son écriture ! »

Pour moi, tout ceci était une énigme. Lapâleur du père, la rougeur de la fille, les mots qu’ilséchangeaient, tout commençait à m’inquiéter.

– On pourrait voir ce que c’est ! fis-jeen montrant le paquet apporté par Surdon.

– À quoi bon ? dit mon oncle ; nousverrons cela plus tard !

Quant à Cordélia, elle s’en était allée dansune autre salle.

Alors, je fus pris d’une grande curiosité etj’ouvris le paquet moi-même. Quand les toiles qui l’enfermaientfurent tombées, je ne pus retenir un cri d’admiration et tous ceuxqui étaient autour de moi poussèrent des soupirs d’extase.

C’était un portrait… celui de Cordélia… maisquel portrait !…

C’était une image d’un rayonnementmerveilleux… Elle semblait peinte avec la plus douce des lumières…Il était absolument impossible de comprendre par quel sortilège dela couleur, un être humain, qui ne dispose que de ses pinceaux etde ce qu’il trouve dans ses tubes de plomb, était arrivé à fixersur la toile une figure aussi idéale.

Je n’avais jamais rien vu qui pût me fairesoupçonner un art pareil. J’ai cependant eu l’occasion detraverser, avec le Tout-Paris qui s’en amusait, une ou deuxexpositions de peintures qui s’affirmaient nouvelles etprétendaient à révolutionner l’art. Il y avait là de grandes chosessymboliques ou encore des dessins de fantômes : une grandefarce, quoi ! Je dis les choses tout de go ; tant pispour ceux qui peuvent s’en froisser. Généralement, ces figuress’enveloppaient d’un nuage derrière quoi brillait une lueur bizarreet incertaine.

Mais ici, comprenez bien le miracle… C’étaitla figure elle-même qui était peinte avec des rayons et quirayonnait d’elle-même sans aucun truc intermédiaire.

L’artiste avait réussi à faire voir à l’œil dechair ce que celui-ci ne perçoit généralement point, c’est-à-direla lumière invisible que le corps rayonne autour de lui…Je puis parler de ces choses, maintenant que j’ai acquis la pluscruelle et la plus redoutable expérience dans ce domaine, maisalors je sentais tout cela sans m’en rendre bien compte et il m’eûtété difficile de préciser ma pensée avec des mots quej’ignorais.

Bref, dans ce fulgurant portrait, il semblaitque l’âme de Cordélia venait vous saluer tout d’abord avec unsourire céleste qui précédait ses lèvres de chair…

Ah ! maintenant je comprenais ce qu’ellevoulait dire quand elle m’écrivait « qu’il y a autre chose àmettre dans un portrait que les lignes de la figure : parexemple, le dessin de l’âme ! »…

Elle connaissait certainement alors unepeinture pareille à celle qui nous tenait ce jour en extase etaussi sans doute le maître qui lui envoyait « son petit cadeaupour le panier de mariage »… Il ne m’était pluspossible d’en douter !

Je me penchai sur la toile pour y lire unesignature. J’y trouvai une lettre : « P ».

Mon oncle et Cordélia n’étaient plus là poursatisfaire ma curiosité. Je les cherchai sans les trouver. On medit que ma femme venait de se retirer dans sa chambre pour yprendre quelques minutes de repos.

Nos invités commençaient de prendre congé. Mononcle réapparut. Il n’avait plus cette pâleur qui m’avait frappé.Bien au contraire, il était fort réjoui et très exubérant dans lesadieux qu’il adressait à ses hôtes. Il me regardait de temps entemps et me souriait largement comme s’il eût voulu me faireentendre : « Soyons heureux ! tout vabien ! »

Qu’avait-il donc pu craindre à un moment decette inoubliable journée ?…

Obéissant à ma pensée latente et qui metravaillait ardemment depuis la scène du portrait, je retournaidans la salle des cadeaux. Le tableau avait disparu.

Je demandai au vieux Surdon ce qu’on avaitfait de ce chef-d’œuvre. Il me répondit que, sur l’ordre de« Mademoiselle » – il ne pouvait s’habituer à l’appelerMadame – il avait descendu lui-même le portrait à la cave.

Comme je m’en étonnais, il me répondit quec’était une place toute trouvée pour cette peinture dudiable !

Je l’arrêtai, comme il s’en allait sur cesmots, et je lui dis : « Surdon, tu connais l’homme qui afait cette peinture-là ? » Surdon me regarda, fronça lessourcils et dit : « Monsieur a autre chose à faireaujourd’hui qu’à s’occuper de bêtises pareilles ! »

Il voulait m’échapper, je le retinsencore : « Écoute, Surdon, je ne vais plus te demanderqu’une chose, mais il faut que tu me répondes si tu veux que nousrestions bons amis… Quand je suis allé à Hennequeville, j’ai trouvédevant la grille un homme qui regardait la maison fermée. On m’adit que cet homme était un peintre anglais qui passait pour toquédans le pays ; n’est-ce point le même que celui qui a envoyéaujourd’hui le portrait de ta maîtresse ? »

Mais Surdon, têtu, se détourna, me répondantencore cette phrase qui m’horripilait : « J’ai déjà dit àMonsieur que tout ça, c’étaient des bêtises !… »

J’étais furieux et stupide.

C’était Surdon qui avait raison. J’étais dansun jour où rien ne devait me préoccuper que mon bonheur et voilàque j’interrogeais un domestique en cachette sur des événements quin’avaient certainement plus aucune gravité et que l’on désirait detoute évidence me cacher par amitié pour moi.

Je me retirai d’assez méchante humeur, du côtéde cette partie solitaire du parc que je n’avais jamais aimée,parce que je la trouvais lugubre. Je fus tout étonné moi-même dem’y trouver en proie à des pensées indignes et de Cordélia et demoi. Mais quelqu’un a dit que l’homme est un sot animal.

Sur ces entrefaites, mon oncle s’avança. Ilétait en habit de voyage. Il avait décidé de partir en effet, lesoir même, pour Caen. Il me déclara tout de suite qu’il avait uneconfidence à me faire, que la chose était, du reste, de peud’importance et qu’il ne m’en aurait certainement point parlé siSurdon n’était venu l’entretenir de la curiosité que j’avaismontrée à propos du portrait de Cordélia.

Auteurs::

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer