Le Crime de l’Opéra – Tome II – La Pelisse du pendu

Chapitre 6

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Deux heures après avoir reçu, fort àcontre-cœur, l’ultimatum de la marquise, Nointel débarquait à lagare de l’Ouest, sautait dans un fiacre, et se faisait mener rued’Anjou.

Son groom, qui ne l’attendait pas sitôt, étaitallé dîner au restaurant avec des cochers de grande maison, et lecapitaine fut obligé de faire monter sa malle par son portier.Personne pour préparer sa toilette. Personne pour préparer sondîner. La cuisinière avait profité de son absence pour se rendre àVersailles, où l’attendait un ami qui servait dans les cuirassiers,en qualité de cavalier de deuxième classe.

Nointel connaissait par expérience les petitesmisères de la vie de garçon, et, d’ordinaire, il les supportaitassez patiemment&|160;; mais, ce jour-là, il était mal disposé, etil jura de faire maison nette dès le lendemain. En attendant, illui fallait bien se résigner à s’habiller tout seul et à cherchersa vie où il pourrait.

Il commença par décacheter les lettres venuesdepuis son départ qui s’étalaient sur un plateau de vraie laque deChine au milieu de sa table de travail. Il y en avait trois, dontune de Gaston Darcy, que naturellement il ouvrit la première.

«&|160;Si tu es encore mon ami, lui écrivaitGaston, viens chez moi aussitôt que tu rentreras à Paris. Il s’estpassé de gros événements depuis que je ne t’ai vu. J’ai besoind’avis et surtout d’encouragements.&|160;»

–&|160;L’épître est sèche et froide, murmurale capitaine. Darcy m’en veut, c’est clair. Il a bien tort, etquand j’aurai causé cinq minutes avec lui, il changera de note.Mais à quoi diable prétend-il que je l’encourage&|160;? À épousermademoiselle Lestérel&|160;? Il me semble qu’il y est bien assezdisposé. Enfin, nous allons voir. Je vais passer rue Montaigne, etje l’emmènerai dîner au cabaret. Je veux le consulter avantd’aborder son oncle.

Les adresses des deux autres lettres n’étaientpas d’une écriture à lui connue. L’une sentait la femme. Papier decouleur, pattes de mouche assez incorrectes. Il la décacheta, pourl’acquit de sa conscience, car il n’était pas d’humeur à lire desbillets doux.

–&|160;Tiens&|160;! dit-il après avoir jeté uncoup d’œil sur la signature, c’est de la femme de chambre de Julia.Que me veut cette soubrette&|160;?

«&|160;Monsieur, disait Mariette, j’ai suivile conseil que vous m’avez donné le jour de l’enterrement de mapauvre maîtresse, et je suis maintenant au service de madameRissler. J’ai beaucoup de choses à vous apprendre, et je me suisprésentée hier chez vous, mais on m’a dit que vous étiez absent. Sivous aviez la bonté de passer, à votre retour, chez madame, rue deLisbonne, 89, madame serait bien heureuse de vous voir pour vousdire tout ce qu’elle sait sur un sujet qui vous intéresse, et sivous voulez bien m’entendre aussi, pour sûr vous neregretterez pas de vous être dérangé.&|160;»

–&|160;Hum&|160;! grommela Nointel, est-ce unprétexte pour m’attirer chez Claudine&|160;? Son Russe l’apeut-être plantée là, et elle lui cherche un remplaçant. C’estpossible, mais dans ce cas elle ne jetterait pas son dévolu surmoi. Elle me connaît trop. Elle sait que je ne double pas lesboyards. Donc, elle et sa camériste ont véritablement quelque choseà m’apprendre. Sur quoi&|160;? Sur l’affaire de l’Opéra, ce n’estpas douteux. Je ne veux rien négliger… surtout maintenant que j’aideux innocences à démontrer au lieu d’une. J’irai rue deLisbonne.

»&|160;Voyons ce dernier pli. Trois fautesd’orthographe sur l’adresse et une écriture de cuisinière.Serait-ce la mienne qui me signifie qu’elle prend un congéillimité&|160;?

–&|160;Oh&|160;! oh&|160;! s’écria-t-il aprèsavoir ouvert l’enveloppe et regardé la signature, c’est de madameMajoré. Je suis curieux de savoir ce qu’elle me veut, celle-là.

«&|160;Cher monsieur&|160;», – elle estfamilière, cette ouvreuse – «&|160;depuis la charmante soirée quemes filles et moi nous avons eu l’avantage de passer dans votresociété, j’ai eu beaucoup d’ennuis. Ce polisson de cabotin, qui asoupé à côté de nous, a eu la lâcheté d’écrire une lettre anonyme àM.&|160;Majoré, et cette drôlesse de Caroline Roquillon a raconté àtoutes les marcheuses que nous avions fait une partie carrée dansun restaurant. Elle n’était pas carrée, puisque j’y étais. Maisenfin, on sait la chose au théâtre, et ça fait du tort à mespetites. Justement elles sont à la veille de passer leur examen.Pensez donc&|160;! il s’agit de leur avenir. Mais ce n’est pasencore ce qui me chiffonne le plus. Figurez-vous que j’ai été assezbête pour dire à M.&|160;Majoré que j’avais trouvé un bouton demanchette dans la loge où madame d’Orcival a été assassinée. Il m’ablâmée sévèrement de ne pas l’avoir remis à la justice, et quand ila su que je vous l’avais confié, il est entré dans une colèrebleue. Il prétend que j’irai en prison comme faux témoin, que jedéshonorerai son nom. Bref, il me fait tous les jours une vieépouvantable, et si ça continue, j’en deviendrai folle. C’est laraison pourquoi je vous serai bien obligée, cher monsieur, de merendre l’objet le plus tôt possible, comme aussi si vous pouviezvenir un de ces soirs au foyer de la danse et fermer le bec àCaroline Roquillon et à sa vieille sorcière de mère qui vilipendentmes filles, vous me feriez bien plaisir. Je n’ose pas me présenterchez vous, de peur des cancans. Il y en a déjà bien assez. Mais jen’en suis pas moins, cher monsieur, votre dévouéeservante.&|160;»

–&|160;Cette lettre est à encadrer, ditNointel, et celle qui l’a écrite aussi. Parbleu&|160;! je ne le luirendrai pas, son bouton de manchette, car je vais le remettre àM.&|160;Roger Darcy. Mais il faut que je la voie, que je la prépareau nouvel interrogatoire qu’elle va subir. C’est d’elle maintenantque dépend le sort de la marquise. Si elle allait s’embrouillerencore dans sa déposition, nous retomberions dans les erreursjudiciaires. Et madame de Barancos m’a déclaré qu’elle verrait lejuge dès demain. Où prendre la Majoré ce soir&|160;? Il n’y a pasd’opéra. J’irais bien la voir au foyer de la danse, mais dans sonfoyer domestique… ah&|160;! non, je n’ai pas envie d’avoir maille àpartir avec M.&|160;Majoré. Ma foi&|160;! je vais tout dire àGaston, et quand je lui aurais exposé le cas, il me donnerapeut-être une idée. Mais si je veux tout faire aujourd’hui, je n’aipas de temps à perdre, et il faut que je m’habille au galop.

La correspondance était complètementdépouillée, et le capitaine n’avait, en effet, rien de mieux àfaire que de changer de costume avant de se mettre en campagne. Ilprocéda donc à sa toilette, et, tout en s’habillant, il se mit àpenser aux péripéties qui avaient marqué son séjour à Sandouville.Et les événements se représentèrent à son esprit avec une nettetésingulière. L’œil embrasse mieux l’ensemble d’un tableau quand onle voit d’un peu loin. Le même effet d’optique se produit lorsqu’onévoque le souvenir de faits auxquels on vient de prendre part.Nointel était parti troublé, bouleversé, presque hors d’état deréfléchir à ce qui s’était passé pendant ces vingt-quatre heures devillégiature agitée. Maintenant, tout se classait dans sa tête, etil pouvait analyser ses sensations. Il se rendait compte du dangerqu’il avait couru et des périls qui menaçaient encore lamarquise.

L’image de l’adorable créole lui apparaissaittoujours radieuse&|160;; elle remplissait son cœur, et ils’abandonnait tout entier à la passion contre laquelle il luttaitencore le matin de cette journée qui avait si dramatiquement fini.Il aimait sans remords madame de Barancos, depuis qu’elle lui avaittout avoué, et il lui pardonnait d’avoir aimé Golymine. À plusforte raison lui pardonnait-il d’avoir envoyé dans l’autre monde levil instrument des odieux desseins de Simancas. Cette action virilelui inspirait même une véritable admiration, et il bénissaitl’étrange concours de circonstances qui avait amené la scène de laclairière. La marquise lui devait la vie, il devait la vie à lamarquise. N’étaient-ils pas liés l’un à l’autre par lareconnaissance, quand ils ne l’auraient pas été par l’amour, unamour violent, passionné, un amour que rien ne pouvait pluséteindre&|160;?

Mais il envisageait aussi toutes lesconséquences de cet amour, et il comprenait fort bien que de duresépreuves lui étaient réservées. La lutte que Gaston Darcy venait desoutenir pour sauver mademoiselle Lestérel, le capitaine allait lasoutenir pour sauver la marquise, et il n’avait pas, comme Darcy,l’espoir de goûter après le succès un bonheur parfait, car il nepouvait pas épouser madame de Barancos. Fuir avec elle, luisacrifier son existence en retour du sacrifice qu’elle lui offrait,c’était la seule perspective que lui présentât l’avenir. Maisl’heure n’était pas encore venue de résoudre le redoutable problèmequi se dresse tôt ou tard devant les amants que séparent les loisdu monde où ils vivent. Il fallait d’abord gagner la bataille, sansse préoccuper des suites de la victoire, sans se demander si lesfruits de cette victoire seraient doux ou amers.

–&|160;Darcy m’aidera, se dit le capitaine enpassant son pardessus pour s’en aller en guerre. Il faut qu’ilm’aide&|160;; je l’ai assez aidé. Sans moi, après tout,mademoiselle Lestérel serait encore à Saint-Lazare, puisque c’estmoi qui ai suscité l’heureuse déposition du sergent de ville. Il medonnera bien en revanche un coup d’épaule auprès de son oncle.D’autant que maintenant nous sommes intéressés tous les deux àdécouvrir la coquine rusée qui a tué Julia, et que personne n’aencore soupçonnée. Tant que le juge ne la tiendra pas, il luirestera un doute, et la justification de mademoiselle Lestérel nesera pas complète. Elle est très-forte, cette troisième maîtressede Golymine, et nous aurons de la peine à la trouver. Si on pouvaitmettre la main sur une de ses lettres, on la tiendrait. Et je nesais pourquoi j’imagine que le Polonais avait dû cacher quelquepart un ou deux billets doux de chacune de ses victimes. Simancasen sait peut-être quelque chose, et s’il voulait parler… Oui, maisil s’en gardera bien. Et puis, je ne suis plus en situation denégocier avec lui. Le gredin a essayé de me faire assassiner, jen’ai plus qu’à essayer de lui faire prendre le chemin de laNouvelle-Calédonie… et ce ne sera peut-être pas facile, maintenantque son troisième complice est mort.

»&|160;Enfin, conclut Nointel, on tâchera.

Et sur cette conclusion, il sortit pour s’enaller chez son ami.

La rue Montaigne n’était pas loin. Il fit lechemin à pied, et il eut tort, car en prenant une voiture il seraitpeut-être arrivé à temps pour rencontrer Darcy qui venait de sortirlorsqu’il se présenta chez lui. Le rejoindre, il n’y fallait passonger&|160;; Darcy n’avait pas dit à son valet de chambre où ilallait, et il pouvait être tout aussi bien chez madame Cambry ouchez mademoiselle Lestérel qu’au cercle ou partout ailleurs. Lecapitaine laissa sa carte avec deux mots au crayon&|160;: «&|160;Jesuis de retour, et j’ai hâte de te voir. Je serai au cercle àminuit.&|160;» Après quoi il se remit en marche, sans trop savoirpar où il devait commencer ses visites. La plus urgente étaitassurément celle qu’il devait faire au juge d’instruction. Mais ilvoulait causer avec Gaston avant de se présenter chezM.&|160;Darcy. Madame de Barancos ne devait rentrer à Paris que lelendemain&|160;; Nointel pouvait voir le magistrat dans la matinée,et le préparer à entendre la marquise. C’est à quoi il se décidaaprès réflexion. Puis il se demanda ce qu’il allait faire de sasoirée.

–&|160;Si j’allais voir Crozon, pensa-t-il. Jel’ai fort négligé depuis quelques jours, et je ne serais pas fâchéde savoir si le baromètre du ménage est toujours au beau. Oui, maisc’est l’heure de son dîner. Il me harponnerait pour me forcer àprendre part au festin, et son intérieur n’est pas gai. Pauvrefemme&|160;! Quelle vie elle doit mener&|160;! Mais je n’y puisrien, et pour le moment j’ai autre chose à faire que d’amadouer sonterrible mari. Pourquoi n’irais-je pas chez Claudine&|160;? Je suisà peu près sûr de la trouver s’habillant pour aller au théâtre. Lepis qui puisse m’arriver, c’est de rencontrer son ours deMoscovie&|160;; mais elle l’a si bien apprivoisé qu’elle le prierad’aller se promener pour ne pas troubler notre entretien. Et il lefera. Du reste, il aurait tort d’être jaloux. Je n’ai pas lamoindre envie de le tromper avec cette bonne Rissler qui aime tantles militaires. Mais je voudrais bien savoir ce qu’elle a à medire… sur un sujet qui m’intéresse, à ce que prétend safemme de chambre. Ma foi&|160;! c’est décidé. J’y vais. Dans lasituation où je suis, je ne dois rien négliger pour merenseigner.

Un fiacre passait. Nointel l’appela et se fitconduire rue de Lisbonne, où Claudine habitait un assez belappartement au premier étage d’une maison un peu trop neuve. Ellen’en était pas encore au petit hôtel. Il y avait même assez peu detemps qu’elle faisait partie de l’état-major de la galanterie. Lehasard d’une rencontre opulente l’avait tirée des rangs, et elleavait franchi assez promptement les premiers grades. Juliad’Orcival, qui était arrivée très-jeune au maréchalat, l’y avaitaidée en la patronnant dans le monde riche. Maintenant, il netenait qu’à elle d’y prendre pied solidement, et ses bonnes amiescommençaient à la jalouser. Mais l’excellente fille ne reniaitpoint son joyeux passé&|160;; elle ne visait point à amasser desrentes pour se retirer un jour en province et épouser un imbécile.Ce rêve des demoiselles à la mode d’à présent n’était pas le sien.Elle ne tenait pas en partie double la comptabilité de ses amours,elle ne calculait pas combien durerait un amant, elle ne prévoyaitpas, à un mois près, le moment où elle aurait achevé de le ruineret où il faudrait lui trouver un successeur. Aussi Mariette n’avaitpeut-être pas tort de prédire qu’elle finirait sur la paille.

Le capitaine, qui savait cela, avait pourClaudine une certaine sympathie, et il ne lui en coûtait pas tropde venir chercher des informations chez cette folle créature. Ilmonta lestement l’escalier, et il fut reçu à la porte del’appartement par l’ancienne femme de chambre de Julia.

–&|160;Ah&|160;! monsieur Nointel, s’écria lasoubrette, c’est bien aimable à vous d’être venu. Vous m’excusez devous avoir écrit&|160;?

–&|160;Comment&|160;! si je t’excuse&|160;!mais c’est-à-dire que je te remercie. Ta maîtresse est-ellevisible&|160;?

–&|160;Elle s’habille, mais elle va vousrecevoir tout de même.

–&|160;Son Russe n’y est pas&|160;?

–&|160;Non. Il ne doit venir la prendre qu’àsept heures. Ah&|160;! elle va être bien contente de vous voir.Figurez-vous que je suis allée chez vous hier&|160;; vous veniez departir pour la chasse. J’ai été sur le point d’aller trouver votreami, M.&|160;Darcy, mais je n’ai pas osé, parce que…

–&|160;Qu’avais-tu donc de si pressé à nousannoncer, à lui ou à moi&|160;?

–&|160;Ah&|160;! voilà&|160;! Madame m’avaitdéfendu de vous le dire. Elle tient à vous l’apprendre elle-même.Mais, bah&|160;! vous ferez avec elle comme si vous ne saviez rien.Je puis bien vous confier que nous connaissons maintenant lapersonne qui a payé le terrain où on a enterré madamed’Orcival.

–&|160;Vraiment&|160;? s’écria Nointel,surpris et charmé de la bonne nouvelle que la soubrette luiannonçait.

–&|160;Ma parole d’honneur, répondit Mariette,madame l’a vue comme je vous vois.

–&|160;Je n’en doute pas. Quiest-ce&|160;?

–&|160;Ah&|160;! pour ça, monsieur, c’est bienle moins que je laisse à madame le plaisir de vous conterl’histoire. Je vous en ai déjà trop dit. Mais je pensais que vousseriez content de savoir le plus tôt possible de quoi il retourne,parce que vous auriez pu croire que madame avait tout bonnementenvie de vous voir. Si c’était ça, je vous jure que je ne me seraispas permis de vous écrire. Moi aussi j’ai du nouveau à vousdire.

–&|160;Dis-le vite.

–&|160;Ce serait trop long à vous expliquermaintenant. Je vous parlerai après que vous aurez vu madame.Seulement, je voudrais bien vous demander si M.&|160;Darcy m’enveut beaucoup.

–&|160;Pourquoi t’en voudrait-il&|160;?

–&|160;Mais… parce que j’ai mal parlé de sabonne amie. Vous ne vous souvenez donc pas de ce que je lui ai dit,chez lui, un matin, dans son cabinet de toilette&|160;? Vous étiezlà pourtant.

–&|160;Eh bien, quoi&|160;? Tu lui as dit quec’était mademoiselle Lestérel qui avait fait le coup. Tu lecroyais, le juge d’instruction le croyait, tout le monde lecroyait. Il est permis de se tromper.

–&|160;Oui, mais j’ai traité la demoiselle debégueule, de drôlesse, de coquine… et ça devant M.&|160;Darcy quien tenait pour elle… il en tenait si bien qu’il va l’épouser, à cequ’il paraît. Ah&|160;! si j’avais su&|160;!

–&|160;Tu aurais mis une sourdine à ta langue.Bah&|160;! il n’y a jamais de mal à dire ce qu’on pense.

–&|160;Ça dépend. Ma franchise me coûtequarante mille francs que M.&|160;Darcy m’aurait donnés pourm’acheter un fonds. Je n’irai pas les lui demander, à présent, vouspouvez en être sûr. Je connais ces messieurs. Quand ils sonttoqués d’une femme, ils ne pardonnent pas aux personnesqui ont débiné leur objet…

–&|160;Même quand l’objet a cessé de plaire,dit Nointel en riant.

–&|160;Jamais, jamais, reprit avec convictionla soubrette. Ainsi, tenez&|160;! j’ai changé d’idée sur lachanteuse. Je pense bien qu’elle est allée au rendez-vous quemadame lui avait donné. Mais je pense aussi qu’elle n’est pas laseule.

–&|160;Ah&|160;! ah&|160;! pourquoi penses-tucela&|160;?

–&|160;J’ai des raisons. Voyez-vous, moncapitaine, j’ai repassé dans ma tête tout ce que j’avais vu avantce malheureux bal de l’Opéra, et j’ai réfléchi qu’au moment departir, madame a fourré dans son corsage non pas un paquet delettres, mais deux ou trois paquets… deux au moins. Et puis, un motqu’elle m’avait dit m’est revenu&|160;: «&|160;Sont-elles bêtes,ces femmes du monde, d’écrire si souvent&|160;!&|160;» Une artistequi court le cachet n’est pas une femme du monde.

–&|160;C’est juste, et tu as mis le doigt surle mot de la charade. Il est prouvé aujourd’hui que plusieursdominos sont entrés dans la loge de Julia, que mademoiselleLestérel y est entrée tout au commencement du bal, qu’elle n’y estrestée qu’un instant, et que d’autres y sont venues après elle.Donc, ce n’est pas elle qui a joué du couteau. Mais n’importe. Unbon témoignage n’est jamais de trop, et tu feras bien de répéter aujuge d’instruction ce que tu me racontes là.

–&|160;Oh&|160;! je ne demande pas mieux, maisje parie que ça ne me remettra pas dans les bonnes grâces de votreami. J’aurais beau jurer que sa princesse est innocente, ça ne meferait pas rattraper mes pauvres quarante mille. M.&|160;Darcy n’aplus besoin de moi.

–&|160;Qui sait&|160;? Mademoiselle Lestérelest en liberté, c’est vrai, et on ne reprendra plus l’accusationcontre elle. Mais il en restera toujours quelque chose. Tandis quesi on trouvait la vraie coupable, mademoiselle Lestérel paraîtraitblanche comme neige. Et je te garantis que Darcy ne marchanderaitpas la récompense qui te serait due, si tu lui rendais ceservice-là.

–&|160;Eh bien, mon capitaine, je puis le luirendre. C’est même pour ça que je tenais tant à vous voir.

–&|160;Quoi&|160;! tu connais la coquine qui atué Julia&|160;?

–&|160;Oui, je la connais. Il n’y a dans toutParis qu’une seule femme qui ait pu faire un coup pareil, une femmequi détestait ma maîtresse, et que ma maîtresse détestait une femmequi avait été la maîtresse du comte Golymine j’en mettrais ma mainau feu, une femme dont les lettres devaient être dans un despaquets…

–&|160;Nomme-la donc, sacrebleu&|160;!interrompit Nointel impatienté.

–&|160;Vous la connaissez bien, moncapitaine&|160;: c’est la marquise de Barancos.

Mariette n’avait vraiment pas de chance. Aprèsavoir accusé Berthe Lestérel devant Gaston Darcy, elle accusait lamarquise devant Nointel. Il était écrit qu’elle n’aurait jamais sonfonds de lingerie.

–&|160;Ma fille, lui dit tranquillement leci-devant officier de hussards, tu as de l’esprit et d’excellentesintentions, mais ta montre retarde. Il y a beau temps que le juge apensé à cette Espagnole, mais il paraît qu’elle est justifiée.

–&|160;Pas possible&|160;?

–&|160;C’est comme ça, et à moins que tun’aies contre elle de nouvelles preuves…

–&|160;Dame&|160;! je ne l’ai pas vue donnerle coup de poignard&|160;; mais pour ce qui est d’être sûre qu’elleavait rendez-vous avec madame…

–&|160;Bon&|160;! c’est connu. Nous bavardonsici, et ta maîtresse m’attend. Tiens&|160;! entends-tu&|160;? Ellesonne à tour de bras. Conduis-moi chez elle.

–&|160;Tout de suite, monsieur. Excusez-moi sije me suis permis de vous retenir, dit la soubrette piquée.

Et elle précéda le capitaine à traversquelques pièces encombrées de meubles et de bibelots disparates. Onvoyait bien que le luxe de Claudine datait d’hier. Rien n’étaitassorti dans cet appartement occupé de fraîche date. Les commodesanciennes y coudoyaient les produits de l’ébénisterie moderne. Destableaux d’une valeur sérieuse et d’un vrai mérite artistique yfaisaient vis-à-vis à des enluminures sorties du pinceau depeintres incompris que Claudine avait aimé jadis, des souvenirsmalheureux de ses excursions à Barbizon et à Marlotte.

Nointel trouva la dame dans un cabinet detoilette, où il y avait des cuvettes en argent et des brosses enivoire vert. Elle était en peignoir de cachemire blanc soutachéd’or, mules de satin rose, bas de soie bicolores, les cheveux surle dos, des cheveux assez longs pour remplacer au besoin lepeignoir. Pas maquillée du tout et fraîche comme une pêche deMontreuil. Des yeux à mettre le feu aux rideaux de dentelles de latoilette, et des dents à croquer un apanage princier.

Elle sauta au cou du capitaine, qui, pour bienpréciser ses intentions, l’embrassa paternellement sur lefront.

–&|160;Enfin, te voilà, dit-elle. J’avais peurque tu ne vinsses pas. On dit qu’à présent tu ne vas plus que chezles femmes posées. Eh bien&|160;! j’en suis.

–&|160;On le voit, murmura Nointel.

–&|160;Tu blagues&|160;? Viens par ici, monofficier&|160;; viens que je te montre mon lit Louis&|160;XIV. Carj’ai un lit Louis&|160;XIV, mon cher&|160;; tu sais, avec descolonnes et un baldaquin, comme celui qui est à Versailles. Quandje me couche dedans, j’ai toujours envie de mettre une perruque. Tune veux pas le voir&|160;? ça m’est égal. C’est gentil ici, pasvrai&|160;? Dis donc, te rappelles-tu ma chambre garnie, àSaint-Germain, rue au Pain, à l’entre-sol, au-dessus d’unpâtissier&|160;? C’était le bon temps. Tiens, Henri, tu me croirassi tu veux, mais il y a des jours où je regrette le 8ehussards.

–&|160;Moi aussi, chère amie&|160;; maisparlons sérieusement. Tu m’as fait écrire par ta femme de chambreet…

–&|160;C’est vrai, je n’y pensais plus. J’aiun tas de choses à te dire, et Wladimir qui va venir me prendre àsept heures&|160;! Je l’ai envoyé me chercher une loge au Français,et je lui ai promis d’être prête quand il arrivera. Wladimir m’adonné ma première voiture, une voiture à moi, avec mon chiffre etune devise sur les panneaux. Je n’avais jamais eu que des coupés aumois. Wladimir mérite des égards.

–&|160;Assurément, et si tu continues àjacasser comme une pie, tu ne seras jamais habillée pour recevoirce seigneur. Wladimir ne sera pas content, et moi je serai obligéde filer sans savoir un mot des belles histoires que tu devais meconter.

–&|160;Brigadier, vous avez raison… non, pasbrigadier… capitaine… c’est les souvenirs du 8ehussards qui m’embrouillent. Mais je vais t’expliquer l’affaire augalop. Le jour de l’enterrement de cette pauvre Julia, tu es venujusqu’au cimetière avec Mariette, parce que tu as du cœur,toi&|160;; ce n’est pas comme ton ami.

–&|160;Claudine, ma fille, si tu fais despointes à tout bout de champ, nous n’en finirons pas.

–&|160;Bon&|160;! je rentre dans le rang.Donc, Mariette m’a dit… tu sais qu’elle est à mon servicemaintenant.

–&|160;Parbleu&|160;! c’est elle qui m’aouvert la porte.

–&|160;Parce que mon valet de pied étaitsorti. J’ai un valet de pied, mon bon. Dame&|160;! à vingt-huitans, ce n’est pas trop tôt. J’ai pris Mariette parce qu’elle étaitbien dévouée à Julia et puis parce qu’elle a du chic. Net’impatiente pas. J’arriverai tout de même. Mariette t’a dit quec’était Wladimir qui avait payé les pompes funèbres.

–&|160;Oui, et j’ai reconnu là ton bon cœur,mais…

–&|160;Mais tu voudrais bien savoir qui a payéla concession à perpétuité. Il paraît même que tu y tiensénormément, à le savoir. Pourquoi&|160;? ça ne me regarde pas, etdu moment que ça te fait plaisir… Du reste, moi, ça m’intriguaitaussi, et j’ai essayé de me renseigner à l’administration descorbillards. Rien du tout. C’est une femme de chambre qui a apportél’argent, et elle a donné un nom en l’air… Madame Tartempion oumadame Falempin, n’importe. Moi, j’ai toujours eu dans l’idée quele terrain avait été acheté par une femme du monde que Julia avaittirée autrefois d’un mauvais pas, et j’avais fini par n’y pluspenser&|160;; mais voilà qu’avant-hier, j’étais libre… Wladimirétait allé voir des trotteurs russes au palais de l’Industrie… jefile au Père-Lachaise… je n’y étais pas retournée depuisl’enterrement, et puis il y a des jours où ça fait du bien depleurer. Je grimpe tout en haut du cimetière, à droite, contre lemur, tu sais. Il faisait un temps de chien. De la boue jusqu’à lacheville. J’ai abîmé une paire de bottines de soixante-dix francs.Je me disais&|160;: il n’y aura personne, et je pourrai prier lebon Dieu sans qu’on me dérange. Eh bien, mon cher, pas du tout.J’arrive à la tombe… ce que c’est que de nous&|160;! l’herbe a déjàpoussé dessus.

–&|160;Et tu as vu&|160;? interrompit Nointel,que les réflexions philosophiques de Claudine agaçaientsingulièrement.

–&|160;J’ai vu une femme qui avait eu la mêmeidée que moi et qui était arrivée bonne première, une femme appuyéesur la balustrade qui entoure la fosse&|160;; quand je dis appuyée,je devrais dire pliée en deux&|160;; elle tenait sa figure dans sesmains, et quoiqu’elle me tournât le dos, je voyais bien qu’ellesanglotait. Ses épaules allaient, allaient…

–&|160;Mais tu l’as reconnue&|160;?

–&|160;Je l’ai prise d’abord pour CoraDarling. Elle avait à peu près sa taille et sa tournure.Très-simplement mise. Un long pardessus de drap anglais qui luitombait jusqu’aux talons&|160;; capote noire&|160;; tout çatrès-élégant. Pourtant, je pensais&|160;: C’est bien drôle queCora, qui n’a pas plus de cœur qu’une poupée en cire, viennepleurer ici par un temps pareil. Là-dessus, je m’approche, jetousse… la dame se retourne, et je vois une figure que je neconnaissais pas du tout.

Le capitaine fit un geste de désappointementet s’écria&|160;:

–&|160;Tu ne lui as pas parlé&|160;?

–&|160;Mais si, mais si. Je lui ai dit&|160;:Pardon, madame, ne vous dérangez pas. Il y a de la place pourpleurer à deux. J’étais, comme vous sans doute, l’amie de madamed’Orcival. Mon petit discours était assez proprement tourné. Ehbien, mon cher, il a produit un drôle d’effet. Ah&|160;! la damen’a pas été longue à rabattre sa voilette.

–&|160;Mais du moins elle t’arépondu&|160;?

–&|160;Pas un traître mot, lamalhonnête&|160;; elle ne m’a seulement pas saluée, et elle adécampé au pas accéléré. Ça m’a tellement vexée que j’avais enviede courir après elle, de l’attraper par le collet de son carrick àl’anglaise et de lui demander des explications.

–&|160;Tu aurais bien fait, parbleu&|160;!

–&|160;Oui, mais j’étais si étonnée que jesuis restée là comme une grue&|160;; et puis, après tout, qu’est-ceque je lui aurais dit&|160;? Elle a bien le droit d’arroser de seslarmes le terrain qu’elle a payé, car je parierais cent louiscontre trente sous que c’est la dame à la concession perpétuelle.Mon cher, on a beau avoir cavalcadé dans la forêt de Saint-Germainet ailleurs, on s’y connaît. C’est une femme du monde, une vraie,et du grand monde.

–&|160;Tu as eu le temps de voir safigure&|160;?

–&|160;Oh&|160;! parfaitement&|160;; et je lareconnaîtrais entre mille.

–&|160;Comment est-elle&|160;?

–&|160;Blonde, blanche, des yeux bruns, unpetit nez, une petite bouche, et avec ça un air de princesse.

–&|160;À la bonne heure&|160;! murmuraNointel, soulagé par cette description.

Il avait tremblé un instant d’entendreClaudine lui donner le signalement de madame de Barancos.

–&|160;Quel âge&|160;? demanda-t-il.

–&|160;Vingt-trois à vingt-quatre ans, pasdavantage.

–&|160;Grande ou petite&|160;?

–&|160;Plutôt grande.

–&|160;Et tu ne l’as jamais vue&|160;?

–&|160;Jamais&|160;; du moins je ne m’ensouviens pas. Il faut croire qu’elle ne va ni au Bois, ni authéâtre, car j’y traîne mes guêtres tous les jours, et elle est sijolie que je l’aurais remarquée.

–&|160;Mais si tu la rencontrais maintenant,la reconnaîtrais-tu&|160;?

–&|160;Ah&|160;! je crois bien&|160;!

–&|160;Alors, tu peux me rendre un de cesservices qui comptent dans la vie d’un homme. Promets-moi que, situ la rencontres, tu la suivras jusqu’à ce que tu saches où elledemeure et qui elle est.

–&|160;Je le jure, mon capitaine… à conditionque tu vas me dire pourquoi tu tiens tant à connaître son étatcivil.

Nointel cherchait une réponse évasive, car ilne se fiait guère à l’évaporée qui venait de lui fournir uneindication précieuse. Il n’eut pas la peine d’inventer unehistoire, car Mariette entra en disant à demi-voix&|160;:

–&|160;Madame, voilà monsieur.

–&|160;Bon&|160;! répondit Claudine, fais-leattendre dans le salon. Décidément, mon petit Henri, tu ne veux pasque je te présente à Wladimir&|160;?

–&|160;Merci, chère amie, dit vivement lecapitaine. Je suis pressé comme si j’étais de semaine, et je mesauve. Pense à ta promesse.

Et, guidé par la soubrette, il sortit del’appartement sans rencontrer le seigneur qui avait fait de sibelles funérailles à Julia d’Orcival.

Nointel s’en allait très-satisfait de savisite à madame Rissler. Il était entré chez elle hésitant etinquiet. Il en sortait rassuré et décidé à tirer parti de la bonnevolonté qu’elle montrait pour découvrir le nom de la femme quivenait pleurer sur la tombe de Julia d’Orcival. Il venaitd’acquérir la certitude que cette femme n’était pas madame deBarancos, et cette certitude le soulageait d’un grand poids, cartout en croyant à l’innocence de la marquise, il ne pouvait pas sedéfendre contre les velléités de doute qui le reprenaient encorepar moments. Douter quand même, douter toujours, c’est le châtimentdes sceptiques. Et depuis qu’il savait que la pleureuse duPère-Lachaise était blonde, Nointel ne doutait plus. La blondeavait acheté le terrain, la blonde avait tué madamed’Orcival&|160;; cette idée s’était incrustée dans la tête ducapitaine, et la marquise, étant brune comme la nuit, ne pouvaitpas être soupçonnée.

Restait à trouver la sensible coupable, que leremords attirait au cimetière et que Claudine avait sottementlaissée partir. Ce n’était pas très-facile, à moins d’organiser unesurveillance auprès de la fosse, et encore il se pouvait que ladame ne s’exposât plus à être surprise une seconde fois.D’ailleurs, il répugnait à Nointel de recourir à l’espionnage. Maisil comptait beaucoup sur le hasard, qui amène tant de rencontresimprévues dans la ville du monde la plus fertile en surprises.

–&|160;Un jour ou l’autre, se disait lecapitaine, Claudine et l’inconnue se trouveront bec à bec au coind’une rue, et je connais ma Claudine, elle ne lâchera pas prise.Pourvu qu’elle ne se trompe pas&|160;! Il y a beaucoup de blondes àParis.

Il raisonnait ainsi en descendant à pied leboulevard Malesherbes&|160;; car, ne sachant trop où aller après savisite, il avait renvoyé son fiacre en arrivant. Bientôt, ils’aperçut qu’il avait une faim de loup. Le déjeuner pris sur lepouce à Sandouville était loin, et la chasse ouvre l’appétit.Nointel jugea qu’il n’avait rien de mieux à faire que de dîner, etcomme il ne tenait pas à se montrer au cercle avant l’heure où il yavait donné rendez-vous à Darcy, il entra dans un restaurant sur laplace de la Madeleine, et il fit largement honneur au repas qu’ils’offrit à lui-même.

On dîne vite quand on dîne seul, et il était àpeine huit heures quand il alluma son cigare pour aller faire untour de boulevard. Il avait du temps à perdre, à son grand regret,et il se demandait ce qu’il allait en faire, lorsqu’il se rappelatout à coup que M.&|160;Roger Darcy ne manquait guère lesreprésentations du mardi au Théâtre-Français. Gaston lui avait ditsouvent que son oncle y allait ce jour-là à peu près toutes lessemaines.

–&|160;Si je pouvais y rencontrer cet aimablejuge, pensa Nointel, l’occasion serait excellente pour lui contermon affaire pendant un entracte. Gaston m’a présenté à lui au balde la marquise. Je suis donc parfaitement autorisé à l’aborder, etj’aime bien mieux m’expliquer dans un coin du foyer que dans soncabinet. Ce n’est pas une déposition que je vais faire. Il s’agitseulement d’annoncer la prochaine visite de madame de Barancos. LePalais de justice serait beaucoup trop solennel. J’effleurerai encausant certains points délicats, et si je m’aperçois qu’il regimbeà m’entendre, qu’il tient à rentrer pour m’écouter dans sa robe demagistrat, je le prierai de me citer comme témoin. C’est un hommedu monde et un homme d’esprit. Il ne me saura pas mauvais gré dem’être mêlé d’une cause qui intéressait mon ami Gaston et d’avoirfait de l’instruction en amateur. Et puis je lui remettrai lefameux bouton de manchette. Cela suffira pour qu’il m’excuse, carsans moi cette pièce à conviction ne serait jamais arrivée entreses mains. La Majoré ne sera pas contente, mais je m’en moque. Mafoi, c’est décidé. Je vais aller au Français.

Ces réflexions l’avaient conduit au coin duboulevard et de la rue Scribe. En passant il donna un coup d’œil authéâtre de l’Opéra qu’il apercevait obliquement. Ce n’était pasjour de représentation, et il fut assez surpris de voir éclairéescertaines fenêtres de la face latérale du monument. De ce côté setrouvent les loges des artistes, et plus loin, sur la cour,l’administration. L’idée lui vint qu’il y avait répétitiongénérale, et que ces demoiselles Majoré devaient en être. Ellesn’allaient jamais sans leur respectable mère. Le capitaine nepouvait pas négliger cette chance de la rencontrer.

Il remonta la rue, et il vit des groupesrassemblés dans la cour, des groupes composés en grande partie defemmes, jeunes et vieilles. Nointel en reconnut quelques-unes pourles avoir aperçues au foyer. Il s’informa, et il apprit qu’ils’agissait d’un grand examen de danse, un examen exceptionnel, surla scène et en présence des abonnés. Il apprit aussi que Majorépremière et deuxième étaient candidates, qu’elles venaientd’arriver escortées par madame Majoré, et qu’on allait commencer.C’était le moment ou jamais de confesser l’ouvreuse, et peu luiimportait de manquer le premier acte de Mithridatequ’ondonnait ce soir-là rue de Richelieu.

Le capitaine connaissait les chemins interditsaux profanes, et les gardes qui veillent aux portes du paradis dela danse n’avaient pour lui que des sourires. Il arriva, après biendes détours, dans les coulisses qu’il trouva encombrées de mères.La scène était éclairée, mais le lustre de la salle n’était pasallumé, et les loges étaient closes. Aux fauteuils d’orchestresiégeaient le directeur et quelques abonnés. On terminait l’examendes fillettes de sept à douze ans, de celles qui figurent danscertains opéras, à raison de vingt sous par soirée, en attendantqu’elles passent dans le corps de ballet. Les Majoré faisaient déjàpartie de la deuxième division et aspiraient à passer dans lapremière. Elles n’étaient pas encore là, et Nointel eut quelquepeine à découvrir leur maman. Il la trouva enfin assise derrière unportant, et maugréant contre ses filles qui n’en finissaient pas des’habiller.

–&|160;Bonsoir, ma chère madame Majoré, luidit-il à l’oreille.

La grosse femme bondit comme une chatte quivient de recevoir un coup de balai, et se retourna d’un aircourroucé.

–&|160;Comment, c’est vous&|160;!s’écria-t-elle. Saperlipopette&|160;! vous m’avez fait peur. Maisn’importe, je suis joliment contente de vous voir… et, sansreproches, vous auriez dû venir plus tôt.

–&|160;Oui, je sais, répondit en souriant lecapitaine. J’ai trouvé votre lettre ce soir, en rentrant de lachasse, et je suis accouru ici. On a donc jasé sur notresouper&|160;?

–&|160;Ah&|160;! ne m’en parlez pas. C’est unehorreur, et si j’avais su où ça nous mènerait, c’est moi qui neserais pas allée à votre café Américain. On m’a dit, dudepuis, que ce n’est pas un endroit pour mener des jeunespersonnes.

–&|160;Mais, chère madame, ce sont voscharmantes filles qui l’ont choisi.

–&|160;Ça, c’est vrai. Et je ne vous en veuxpas. D’autant que vous avez été bien gentil de leur envoyer àchacune un médaillon. Elles l’ont mis ce soir. Vous verrez tout àl’heure comme il fait de l’effet. La Roquillon en a un entoc, et c’est bien ça qui l’enrage. Si vous saviez tout cequ’elle dit de nous. Mais ça ne serait encore rien, si Alfred ne mefaisait pas tant de misères.

–&|160;Alfred&|160;?

–&|160;Eh&|160;! oui&|160;; Alfred, c’est lepetit nom de M.&|160;Majoré. Depuis que j’ai eu la bêtise de luiparler du bouton, il ne dort plus. Il a cherché dans le Code, et ila lu que je pouvais en avoir pour dix ans de travaux forcés. Jevous demande un peu s’il y a du bon sens. Ils lui auront monté latête à sa loge des Amis de l’humanité. Et il ne melaissera la paix que quand j’aurai été trouver le juge pour luiremettre le bibelot. Vous me l’apportez, hein&|160;?

Nointel cherchait une réponse. L’entrée de cesdemoiselles de la deuxième division le tira d’embarras. Ellesarrivèrent comme un ouragan par la coulisse où il se tenait, toutesen jupe de tarlatane blanche, en chaussons roses, en chemisette dedentelle, une fleur dans les cheveux et au cou un ruban de veloursnoir avec le médaillon de rigueur. Ismérie et Paméla étaient de cetescadron volant, si émues toutes les deux qu’elles ne firent aucuneattention au capitaine. La mère Majoré se précipita sur son aînéepour remettre en place un cordon qui passait sous la jupe. Elle nepensait plus qu’à l’examen, et le capitaine eut tout le temps depréparer ce qu’il avait à lui dire.

Les aspirantes à l’avancement se rangèrent surune seule ligne, devant la rampe, et commencèrent toutes à la foisles exercices élémentaires, pliés, pirouettes, battements,développés et le reste.

–&|160;Donnez-moi votre main, s’écrial’ouvreuse en saisissant le poignet de Nointel et en l’attirantcontre sa robuste poitrine. Croyez-vous qu’il bat, mon pauvrecœur&|160;! Dame&|160;! Il s’agit de leur avenir, à ces chèrespetites. Regardez-les. Sont-elles assez gentilles&|160;! On ne dirapas d’elles qu’elles ont un mauvais corps. Et commeIsmérie bat&|160;!à quatre, à six, à huit. Ça ne la gênepas. C’est pas comme cette Roquillon, qui colle tous sesentrechats. Voyez, voyez, Paméla&|160;! En a-t-elle del’élévation… et avec ça, pas sa pareille pour lespirouettes renversées.

Le capitaine n’était pas fort sur le langagechorégraphique, et tous ces termes savants l’ahurissaient un peu.Il cherchait une entrée en matière, et il commençait à désespérerd’amener cette tendre mère à un entretien raisonnable tant que sesfilles seraient en scène. Il se résigna donc à attendre la fin del’épreuve, et pour bien disposer la Majoré, il feignit de prendreun très-vif intérêt à la variation que la grande Ismérieet la petite Paméla vinrent exécuter à leur tour, un pas de deuxqu’elles piochaient depuis un an. Il poussa même la flatteriejusqu’à se faire expliquer ce que c’était qu’undemi-contre-temps cabriole, un grand jeté et uneglissade faillie. En un mot, il fit si bien qu’à la fin del’exercice, au moment où toutes ces jeunes filles s’enfuirent commeun vol de papillons blancs, madame Majoré se précipita dans sesbras en criant&|160;:

–&|160;Ah&|160;! monsieur Nointel, je suis laplus heureuse des mères. M.&|160;Halanzier a pris des notes pendantla variation de mes petites. Elles passeront dans la premièredivision. C’est sûr.

–&|160;Voilà une nouvelle qui calmeraM.&|160;Majoré, dit le capitaine en quête d’une transition pourrevenir à un sujet plus grave.

–&|160;Alfred&|160;! ah bienouiche&|160;! il est comme tous les hommes, il ne pensequ’à lui. Paraît qu’à sa loge, il est question de le nommervénérable… Il n’a que ça dans la tête… ça et mon affaireavec le juge… Et à propos de mon affaire…

–&|160;Je suis venu précisément pour vous enparler.

–&|160;C’est que je n’ai guère le temps decauser. Il faut que je monte voir mes filles, et si vous pouviezseulement me rendre le bouton…

–&|160;Pour que vous le portiez au juged’instruction, n’est-ce pas&|160;?

–&|160;Mais oui. Alfred l’exige. Ça me coûtejoliment, allez&|160;! car enfin il va me secouer, ce magistrat,pour avoir gardé l’objet sans rien dire… avec ça qu’il n’a pasl’air commode et qu’il vous retourne comme un doigt de gant quandil vous interroge.

–&|160;N’ayez pas peur. Vous le trouverez biendisposé pour vous.

–&|160;Vous l’avez donc vu&|160;?

–&|160;Oui, et je lui ai remis le bouton demanchette.

–&|160;Ah&|160;! mon Dieu&|160;! qu’est-cequ’il doit penser de moi&|160;?

–&|160;Beaucoup de bien, madame Majoré. Iltrouve que nous avons agi avec une prudence digne des plus grandséloges.

–&|160;Pas possible&|160;!

–&|160;Vous savez que mon ami Darcy est sonneveu. Il a parlé pour nous, et l’affaire s’est arrangée.

–&|160;Quelle chance&|160;! Enfin, je vaispouvoir dire à Alfred…

–&|160;Que vous ne serez pas inquiétée. Celava de soi, mais ce n’est pas tout. La justice compte sur vous,madame Majoré. Elle sait que vous seule pouvez éclaircir le mystèrequ’elle n’a pas encore réussi à percer.

–&|160;Bah&|160;!

–&|160;Vous n’ignorez pas que l’affaire achangé de face. On a relâché la personne qu’on avait arrêtéed’abord.

–&|160;On a bien fait. Je vous ai toujours ditque ce n’était pas elle. Mais on n’a pas empoigné l’homme… celuiqui voulait me corrompre pour entrer dans la loge.

–&|160;Non&|160;; le juge a tenu grand comptede votre opinion. L’homme a été examiné de près, mais il paraîtqu’il s’est justifié. Restent les femmes qui ont vu madamed’Orcival. Il y en a deux ou trois.

–&|160;Oui. Je vous l’ai dit au caféAméricain.

–&|160;Eh bien, on en tient deux. L’une d’elleest certainement la coupable, et c’est vous qui la désignerez.

–&|160;Moi&|160;! Comment ça&|160;?

–&|160;Voilà. Ce sera une grande épreuve, uneépreuve décisive, et c’est vous qui serez le juge. On les ferahabiller toutes les deux avec le domino qu’elles avaient au bal.Elles comparaîtront devant vous. Elles vous diront ce qu’elles vousont dit, quand elles vous ont demandé de leur ouvrir la porte du27. Et M.&|160;Darcy s’en rapportera à votre perspicacité, à votreintelligence, pour lui indiquer celle des deux qui est entrée ladernière. Ah&|160;! c’est un beau rôle que vous jouerez là, madameMajoré.

–&|160;Je ne dis pas, monsieur Nointel, je nedis pas… mais c’est que, voyez-vous, je ne suis pas bien sûre de nepas me tromper… c’est déjà loin, cette histoire de bal.

–&|160;M.&|160;Darcy vous rafraîchira lamémoire. Il a appris bien des choses depuis notre souper. Ainsi, ilsait qu’un quart d’heure avant le coup, une des femmes est entréejuste comme l’autre sortait.

–&|160;Ça, c’est vrai. Je m’en souviens.

–&|160;Eh bien, vous les reconnaîtrez. Vousrendrez un immense service à la justice de votre pays, et uneinnocente bénira votre nom. Vos filles auront le droit d’être fièrede vous.

–&|160;Et Alfred aussi, s’écria l’ouvreusetransportée. Je suis prête à faire ce que la magistrature attend demoi. On peut m’appeler quand on voudra.

Puis, s’interrompant&|160;:

–&|160;Qu’est-ce qu’il y a&|160;?demanda-t-elle à une habilleuse qui arrivait en courant. Paméla quise trouve mal&|160;!… Ah&|160;! mon Dieu&|160;! j’y vais… elle avoulu manger de la brioche avant l’examen… voilà ce quec’est&|160;!… dites au juge qu’il peut compter sur moi.

Et, plantant là Nointel, madame Majorés’élança dans le couloir qui aboutit aux loges de ces demoisellesde la deuxième division.

Nointel ne songea point à courir après madameMajoré. C’eût été peine perdue, car l’accès des loges du corps deballet est interdit, même aux abonnés. D’ailleurs, il en avaitassez dit à l’ouvreuse, puisqu’il l’avait calmée et rassurée sur sasituation vis-à-vis de la justice.

Il ne tenait pas non plus à assister àl’examen des coryphées de la première division, classe de madameDominique. Il se glissa donc tout doucement vers l’escalier desortie, et il gagna la rue sans tambours ni trompettes.

Sa conversation avec l’ouvreuse n’avait pasduré une heure. Il était encore temps d’aller au Français, et il yalla avec d’autant plus d’empressement qu’il venait de se mettredans un cas qui l’obligeait à avoir le plus tôt possible unentretien sérieux avec M.&|160;Roger Darcy. Tout ce qu’il avaitannoncé comme fait était encore à faire, et si madame Majoré étaitprête à déposer, M.&|160;Roger Darcy ne s’attendait guère àrecevoir la déposition de cette femme qu’il avait déjà interrogéesans pouvoir en tirer aucun renseignement utile. Nointel sentait lanécessité de le préparer aux nouveautés qu’il allait entendre, etcraignait de s’être un peu trop avancé en affirmant que cemagistrat prendrait en bonne part l’intervention d’un intrus dansl’instruction d’un procès criminel. L’histoire du bouton demanchette n’était pas très-facile à présenter, et le capitaine nese dissimulait pas qu’en confisquant, même momentanément, uneimportante pièce à conviction, il avait endossé une responsabilitéassez lourde. M.&|160;Majoré, homme sévère sur les principes,exagérait en disant que son imprudente épouse pourrait êtrepoursuivie comme faux témoin&|160;; mais le fait d’avoir tenu lalumière sous le boisseau n’en était pas moins répréhensible aupoint de vue où devait se placer le juge.

Après tout, cependant, Nointel avait agi dansune bonne intention&|160;; il s’était toujours proposé de remettreun jour ou l’autre à qui de droit le bijou dont il s’était emparé,et d’ailleurs il avait pour complice en cette affaire le propreneveu de M.&|160;Roger Darcy, lequel neveu avait été autorisé parson oncle à essayer de justifier mademoiselle Lestérel.

–&|160;Je n’ai fait tort à personne en gardantce bouton, se disait-il, et la justice est encore à même d’en tirerparti. On ne peut pas suspecter mes intentions, puisqu’on va savoirpar la déclaration de la marquise ce que je voulais faire de latrouvaille de l’ouvreuse. De plus, au début, les recherches seseraient probablement égarées, tandis que maintenant on sait quel’objet ne peut appartenir ni à mademoiselle Lestérel, ni à madamede Barancos. Au fond, j’ai rendu service à l’instruction.

Nointel plaidait les circonstances atténuantesdevant le tribunal de sa conscience, mais il n’était pas absolumenttranquille sur le résultat de la démarche qu’il allait tenterauprès de M.&|160;Darcy. Il s’agissait surtout de lui expliquer laconduite de la marquise et de pressentir ses dispositions àl’endroit de cette créole qui avouait sa liaison avec Golymine, etsa visite à Julia d’Orcival, au bal de l’Opéra, sans parler de laballe qu’elle venait de loger dans la tête d’un bandit. Ils’agissait de lui faire accepter comme vraies beaucoupd’affirmations qui n’étaient pas prouvées, et le décider à ordonnerl’épreuve que réclamait madame de Barancos&|160;: l’épreuve desdominos en présence de l’ouvreuse.

Et, en arrivant au Théâtre-Français, lecapitaine commençait à se demander si le lieu était bien choisipour aborder un sujet si grave. Mais il se promit de ne rienrisquer, d’agir suivant les circonstances, et il entra.

Il eut beaucoup de peine à se procurer unfauteuil d’orchestre, quoiqu’il fût un habitué fidèle. La salleétait pleine. Chacun sait que, le mardi et le jeudi, il est de bonton de venir entendre les chefs-d’œuvre de l’ancien répertoire.Quelques belles dames ont dû à cette mode heureuse l’avantage deconnaître Racine et Molière. Et les mondains intelligents sontcharmés de venir écouter en belle compagnie une bonne langue parléepar d’excellents comédiens. C’est un plaisir assez rare, par letemps qui court, et Nointel l’appréciait infiniment. Mais, cesoir-là, il n’était pas disposé à goûter la tragédie classique. Lehasard l’avait fait spectateur et presque acteur d’un drame plusémouvant que Mithridate. Monime l’intéressait beaucoupmoins que madame de Barancos.

Il était arrivé pendant un entracte, et aprèss’être casé comme il put dans un coin de l’orchestre, il se mit àétudier la salle. L’assemblée était choisie. Les loges regorgeaientde femmes en grande toilette. Les bouquets d’héliotropes et degardénias s’étalaient sur le devant des avant-scènes transforméesen corbeilles de fleurs. On causait doucement comme dans unsalon&|160;; les vieux abonnés regrettaient Rachel, les élégantesdiscutaient les Fourchambault, et personne ne parlaitpolitique.

Le capitaine n’aperçut point M.&|160;RogerDarcy. En revanche, il découvrit sans peine, aux premières de face,Claudine Rissler, flanquée de son Russe. Elle avait arboré une robede satin hortensia qui attirait tous les regards, et elle necessait d’agiter sa jolie tête brune pour faire scintiller lesdiamants pendus à ses oreilles. Wladimir était vraiment superbeavec ses longs favoris argentés et sa prestance de tambour-major.On les lorgnait beaucoup, et il y avait des gens qui se moquaientde ce couple mal assorti.

Nointel ne s’arrêta point à les examiner etcontinua de passer en revue les loges. Quoiqu’il allât peu dans lemonde, il connaissait assez son Paris pour pouvoir mettre les nomssur les figures, et il retrouva là tout le personnel ordinaire desréunions du high-life. Il n’y manquait guère que lamarquise, et plus d’une spectatrice remarqua son absence, car elleétait fort assidue à ces fêtes de l’esprit.

Le capitaine cherchait des yeux M.&|160;Darcyparmi cette foule parée, et il finit par le trouver. Le magistratoccupait avec madame Cambry une loge de côté.

C’était la première fois que Nointelrencontrait au théâtre la charmante veuve de l’avenue d’Eylau, etles habitués du mardi n’étaient point accoutumés à l’y voir&|160;;aussi était-elle le point de mire de toutes les lorgnettes. Vêtuede noir, comme toujours, elle portait sur sa robe une profusion devieilles dentelles. Pas un bijou. Une vraie toilette de deuil quilui seyait à merveille. Elle causait avec M.&|160;Darcy, et àl’expression de leurs figures, on devinait que le sujet de leurconversation était sérieux.

L’occasion parut bonne au capitaine pouraborder l’oncle de Gaston. Le gracieux accueil que madame Cambrylui avait fait au bal l’autorisait suffisamment à l’aller saluerdans sa loge et même à lui demander des nouvelles de sa protégée.Ce devoir une fois rempli, Nointel comptait sortir en même tempsque Darcy, qui peut-être n’était là qu’en visite, lui proposer defaire un tour au foyer et attaquer la question délicate, non loindu buste de Regnard.

Pour mettre à exécution sur-le-champ ce projetrapidement conçu, il se hâta de quitter l’orchestre et de monteraux premières. Le trajet lui prit un peu de temps, parce que lesescaliers et les corridors étaient encombrés. Il eut aussi quelquepeine à retrouver la loge dont il ne connaissait pas le numéro. Illui fallut même pour cela entrer à la galerie, et de là il vit quemadame Cambry était seule. M.&|160;Roger avait abandonné la placependant que Nointel circulait dans les couloirs, et Nointel, quiregrettait de ne pas l’avoir rencontré en chemin, se seraitvolontiers mis à sa poursuite&|160;; mais la veuve l’aperçut et luiadressa un sourire qui équivalait à une invitation. Il ne pouvaitplus se dispenser d’entrer dans la loge, et il y alla sans hésiter.Madame Cambry le reçut avec un empressement qui lui parut de bonaugure, et elle en vint d’elle-même où il souhaitait l’amener.

–&|160;M.&|160;Darcy me quitte à l’instant,dit-elle. Il eût été charmé de vous rencontrer. Il vous cherchedepuis deux jours. Mais il est dans la salle, aux fauteuilsd’orchestre, et vous le verrez certainement avant la fin de lareprésentation.

–&|160;J’y ferai tous mes efforts, madame, etje suis désolé de l’avoir manqué. Je suis allé hier à lachasse…

–&|160;Chez madame de Barancos, sansdoute&|160;?

–&|160;Oui, madame, et je suis revenu cesoir.

–&|160;Seul&|160;?

–&|160;Absolument seul. Madame de Barancosavait beaucoup de monde, et elle ne rentrera que demain. J’aiabrégé mon déplacement parce qu’il me tardait de revoir mon amiGaston.

–&|160;Lui aussi vous cherche. Il a un serviceà vous demander.

–&|160;J’ai trouvé un mot de lui en arrivant,et j’ai couru chez lui. Il était sorti, et je ne savais pas où lejoindre. Je suis venu ici dans le vague espoir de l’y trouver. Maisj’espère qu’il passera au cercle vers minuit.

–&|160;Je ne sais si vous l’y verrez. Il estsi triste qu’il fuit le monde.

–&|160;Triste&|160;! mais il me semble qu’ilaurait plutôt sujet de se réjouir. Mademoiselle Lestérel est libre.L’ordonnance de non-lieu va être signée.

–&|160;Elle ne l’est pas encore. M.&|160;Darcyhésite à la rendre. Il lui faut une coupable. Il est juge avanttout, et il a des idées que je ne partage pas. Mais ce n’est passeulement ce retard qui afflige son neveu. Il s’est passé toutrécemment des choses… auxquelles personne ne pouvaits’attendre.

–&|160;Qu’est-il donc arrivé&|160;?

–&|160;Vous connaissez le beau-frère deBerthe&|160;?

–&|160;M.&|160;Crozon. Parfaitement.

–&|160;Vous n’ignorez pas qu’averti par deslettres anonymes, il accusait sa femme de l’avoir trompé.

–&|160;Entre nous, il n’avait pas tort. Jepuis bien le dire maintenant, et il faut que M.&|160;Roger Darcy lesache, car là est la justification complète de mademoiselleLestérel.

–&|160;Il le sait. J’ai pris sur moi de luiapprendre ce que Berthe m’avait avoué. La pauvre enfant s’estsacrifiée pour sa sœur. C’est pour ravoir les lettres de cette sœurqu’elle est allée au bal de l’Opéra, c’est pour mettre l’enfant decette sœur à l’abri des recherches de je ne sais quel misérablequ’elle a couru les rues pendant cette fatale nuit.

–&|160;J’avais deviné toute cette histoire.Gaston l’avait devinée aussi, et il a dû être ravi d’acquérir lacertitude que mademoiselle Lestérel est innocente. Tout est doncpour le mieux, car j’ai réussi à calmer le mari, et la paix estrevenue dans le ménage Crozon.

–&|160;Vous ne pouviez pas prévoir le coup quia frappé votre ami. J’ai vu Berthe le jour où elle est sortie deprison, je l’ai accompagnée chez sa sœur. Et là… c’est une fatalitéinouïe… la nourrice à laquelle Berthe avait confié l’enfant estarrivée… il y a eu une scène épouvantable… Le mari a voulu tuerl’enfant, et, pour le sauver, Berthe a dit que l’enfant était àelle.

–&|160;C’est sublime&|160;! c’esthéroïque&|160;!

–&|160;Hélas&|160;! cet héroïsme lui coûteracher. Elle a été obligée de pousser le mensonge jusqu’au bout… defaire tout ce qu’elle aurait fait si elle eût été vraiment mère… làvoilà condamnée à élever cet enfant. C’est le déshonneur enperspective.

–&|160;En effet… je n’avais pas songé à cela.Mais rien n’empêche que le secret soit gardé. Crozon n’a aucunintérêt à perdre sa belle-sœur. Il se taira. D’ailleurs, il ne serapas toujours à Paris. Il est marin, et maintenant qu’il nesoupçonne plus sa femme, il reprendra la mer un de ces jours.Alors, on avisera. Pourquoi n’enverrait-on pas l’enfant àl’étranger&|160;? Pourquoi n’écrirait-on pas à Crozon qu’il estmort&|160;? Madame Crozon trouvera un moyen. C’est à elle de sauverl’honneur de mademoiselle Lestérel qui lui a sauvé la vie.

–&|160;Elle n’aurait pas dû accepter lesacrifice, dit vivement madame Cambry. Que pensez-vous d’une femmeassez lâche pour souffrir que sa sœur aille en cour d’assises,alors que d’un mot elle pouvait la justifier&|160;? Son maril’aurait tuée&|160;? Qu’importe&|160;? Il y a des cas où il fautsavoir mourir.

–&|160;Le courage lui a manqué, c’est vrai,mais je l’excuse, murmura Nointel. Elle est femme.

–&|160;Moi aussi, je suis femme, et je vousjure que si j’avais une faiblesse à me reprocher, j’aurais assezd’énergie pour en supporter les conséquences.

Madame Cambry dit cela d’un ton qui surprit unpeu le capitaine. Sa voix était agitée. Ses yeux brillaient. On eûtdit qu’elle avait la fièvre.

–&|160;Mais, reprit-elle avec plus de calme,ce n’est pas de madame Crozon que je devrais vous parler, c’est dema pauvre Berthe. Elle est menacée dans ce qu’elle a de plus cher…dans son amour. Elle a eu la loyauté de vouloir que M.&|160;GastonDarcy fût informé de ce qui venait de se passer, et elle a poussél’abnégation jusqu’à lui rendre sa parole. Gaston a refusé de lareprendre&|160;; il proteste que ses sentiments n’ont pas changé,mais le coup est porté. Je lis dans son cœur, et je suis certainequ’il souffre horriblement… qu’il a des doutes.

–&|160;Il a donc perdu l’esprit&|160;! s’écriale capitaine. La conduite de mademoiselle Lestérel est claire commele jour. Il est matériellement impossible qu’elle soit la mère decet enfant. N’a-t-elle pas paru tout l’hiver dans les salons oùelle chantait&|160;? Il faut arriver des mers du Sud, comme ceCrozon, pour croire au pieux mensonge qu’elle a mis en avant. Etc’est là qu’est le danger. Si ce baleinier s’avisait de fairelui-même une enquête, il découvrirait bien vite la vérité. Il fautmême que j’avise à l’accaparer pour l’empêcher de chercher. J’ai del’influence sur lui, et je parviendrai peut-être à lui persuader dese remettre à naviguer. Mais que Gaston se fourvoie à ce point,c’est ce que je ne saurais comprendre.

–&|160;Vous n’avez donc jamais aimé&|160;?demanda madame Cambry.

–&|160;Pas jusqu’à épouser, répondit en riantle capitaine.

–&|160;Si vous avez aimé, vous connaissez lestourments de la jalousie, les tortures du doute, les soupçons, lesdéfaillances. Votre ami subit en ce moment tous ces supplices. EtBerthe est trop fière pour essayer de se disculper. Bien plus, elleest résolue à déclarer à M.&|160;Roger Darcy, quand ill’interrogera une dernière fois, que l’enfant est à elle,M.&|160;Roger Darcy n’en croira rien, mais il sera bien obligé deprendre acte de cette déclaration.

–&|160;C’est un malheur, sans doute. MaisGaston sait à quoi s’en tenir, et je me charge de le ramener à desidées plus saines.

–&|160;Puissiez-vous y réussir&|160;!J’aperçois son oncle à l’orchestre. Il vous a vu et il me faitsigne qu’il va monter ici. Il tient beaucoup à vous entretenir leplus tôt possible.

Nointel regarda dans la salle et vit en effetM.&|160;Roger Darcy se dirigeant vers la sortie. Il vit aussi que,de sa loge, qui n’était pas très-éloignée, Claudine Rissler selivrait à une pantomime singulière. Elle lui lançait des œilladesexpressives, et elle l’appelait par de petits mouvements de têterépétés. Elle avait l’air de lui dire&|160;: Arrive bien vite. J’aià te parler.

–&|160;Quelle mouche la pique&|160;? sedemandait le capitaine, en regardant avec indifférence le manègeauquel se livrait Claudine. Est-ce qu’elle en est encore à satoquade, et s’imagine-t-elle que je vais arriver pour me faireprésenter à Wladimir&|160;? Parbleu&|160;! j’ai autre chose entête.

–&|160;On va commencer le troisième acte deMithridate, dit madame Cambry. Vous serez très-mal ici sivous avez quelque chose à dire à M.&|160;Darcy. Même en parlant àdemi-voix, vous scandaliseriez les gens qui sont venus pour écouterles vers de Racine.

Nointel prit la balle au bond.

–&|160;Je pense, répondit-il vivement, que jeferai bien d’aller à la rencontre de M.&|160;Darcy, à moinscependant que vous ne teniez à le recevoir immédiatement.

–&|160;Pas le moins du monde. Nous ne sommespas encore mariés, et il ne serait pas très-convenable qu’ils’établît dans ma loge pendant toute la durée de la représentation.Je ne puis guère l’y admettre qu’en visite. Il vient de m’en faireune assez longue, et je compte qu’il reviendra au prochainentracte. D’ici là, vous avez le temps de vous entretenir d’unsujet qui vous intéresse tous les deux, et j’espère qu’il vousramènera ici quand votre conversation sera terminée.

–&|160;Alors, puisque vous m’y autorisez,madame, je vais prendre congé de vous pour quelques instants.

Madame Cambry approuva d’un sourire, et lecapitaine profita aussitôt de la permission qu’elle luiaccordait.

Il n’eut pas plus tôt fait dix pas dans lecorridor qu’il rencontra le juge d’instruction.

–&|160;Je suis heureux de vous trouver,monsieur, lui dit courtoisement ce magistrat. J’ai quitté ma salletout exprès.

–&|160;Et moi la loge de madame Cambry, où jem’étais présenté tout à l’heure dans l’espoir de vous y rejoindre,riposta le capitaine. Nous nous sommes croisés en route.

–&|160;C’est probable. Madame Cambry a prisune loge. J’ai mes entrées à l’orchestre, et je m’y suis casé.J’enterre ma vie de garçon. Tenez-vous beaucoup à entendre letroisième acte&|160;?

–&|160;J’aime infiniment mieux causer avecvous.

–&|160;Alors, allons au foyer.

C’était précisément ce que voulait Nointel, etil suivit M.&|160;Roger Darcy. En passant devant la loge occupéepar Claudine Rissler, il vit que la porte était entrouverte, et quecette folle le guettait au passage. Peu soucieux d’entamer uncolloque avec elle, il détourna la tête et elle eut la discrétionde ne pas l’appeler, quoiqu’elle en mourût d’envie.

Le foyer était désert, autant qu’on pouvait lesouhaiter pour un entretien particulier.

–&|160;Monsieur, commença le magistrat, vousêtes l’ami le plus intime de mon neveu, et vous avez bien voulul’aider dans la tâche qu’il a entreprise, tâche difficile etdélicate puisqu’il s’agissait de démontrer l’innocence d’uneprévenue que toutes les apparences accusaient. Il y a réussi. Ilest prouvé que mademoiselle Lestérel n’était plus à l’Opéra aumoment où le crime a été commis. Il n’en reste pas moins établiqu’elle y est allée, pour retirer des lettres compromettantes quise trouvaient entre les mains de Julie Berthier, et cela devraitsuffire à empêcher Gaston de donner suite à un projet de mariageque je désapprouve. Mais il est maître de ses actions, et je neprétends pas lui imposer ma volonté. Ce n’est pas de lui que j’ai àvous parler, c’est d’une autre personne.

–&|160;Moi aussi, j’ai à vous parler d’uneautre personne, dit doucement le capitaine.

–&|160;Mon neveu m’a fait hier une étrangeconfidence, reprit M.&|160;Darcy&|160;; plusieurs fois déjà, ilm’avait dit que vous croyiez être sur la trace de la femme qui estentrée dans la loge après mademoiselle Lestérel. Il était même alléjusqu’à m’apprendre que vous soupçons se portaient sur une personnedu meilleur monde. J’avoue que je n’avais pas pris ces insinuationsau sérieux. Mais Gaston a fini par me révéler un fait grave.L’ouvreuse que j’ai interrogée au début de l’affaire, et dont jen’ai pu tirer que des déclarations incohérentes, cette ouvreuseaurait, paraît-il, trouvé dans la loge, près du cadavre de JulieBerthier, un bouton de manchette portant une initiale, et vous vousseriez fait remettre cet objet.

–&|160;C’est parfaitement exact, réponditNointel sans s’émouvoir.

Le magistrat fit un haut-le-corps, et safigure prit une expression de sévérité très-accentuée.

–&|160;Ainsi, monsieur, dit-il, vous avez cruqu’il vous était permis de vous substituer au juge chargéd’instruire une affaire d’assassinat. Vous avez commis là, je doisvous l’apprendre si vous l’ignorez, une véritable usurpation defonctions.

–&|160;J’en conviens. J’ai pensé qu’il y a descas où la fin justifie les moyens.

–&|160;La fin&|160;? Dans quel but vousempariez-vous d’une pièce à conviction qui pouvait aiderpuissamment la justice&|160;?

–&|160;Je me proposais de m’en servir pourforcer la coupable à confesser son crime.

–&|160;La coupable&|160;! vous la connaissiezdonc&|160;?

–&|160;Je croyais la connaître.

–&|160;Et vous vous trompiez, sansdoute&|160;?

–&|160;Oui, je soupçonnais la marquise deBarancos. Je l’ai soumise à une épreuve décisive, et j’ai acquis lacertitude qu’elle est innocente. Vous serez de mon avis quand vousl’aurez entendue. Demain, elle vous dira ce qu’elle a fait, etcomment j’étais fondé à l’accuser.

–&|160;Demain&|160;?

–&|160;Oui, j’ai quitté, il y a quelquesheures, le château de Sandouville où elle est en ce moment, et ellem’a chargé de vous annoncer sa visite. Permettez-moi maintenant,monsieur, de vous remettre ce bijou que j’ai eu le tort de gardertrop longtemps.

M.&|160;Darcy prit avec une certainehésitation le bouton d’or que lui offrait Nointel, mais ill’examina de très-près.

–&|160;C’est bizarre, murmura-t-il. Il mesemble que ce n’est pas la première fois que je le vois.

–&|160;Il a une forme particulière…très-reconnaissable, dit le capitaine, et il est permis d’espérerqu’on découvrira à qui il appartient.

Le juge ne répondit pas. Il réfléchissait.

–&|160;En vérité, monsieur, commença-t-ilaprès un assez long silence, je ne devrais pas le recevoir de votremain. Vous n’êtes pas obligé de connaître le Code d’instructioncriminelle, mais vous comprenez qu’il n’a pas pu autoriser unmagistrat à procéder de la sorte. Rien ne me garantitl’authenticité de cette trouvaille… rien que votre affirmation.Mais je vous tiens pour un homme d’honneur, et je prends sur moi dem’en rapporter à votre parole. Je vous préviens seulement que jevais faire citer l’ouvreuse, et que vous serez appelé aussi, appeléen même temps qu’elle.

–&|160;C’est précisément ce que je désire, et,demain, madame de Barancos vous demandera de la confronter commemoi avec cette femme.

–&|160;Madame de Barancos&|160;! Etpourquoi&|160;?

–&|160;Parce qu’elle est entrée aprèsmademoiselle Lestérel dans la loge de Julie Berthier, parce qu’ellea vu une femme y entrer après elle, parce qu’elle rappellera àl’ouvreuse des circonstances que cette stupide créature avaitoubliées et qui vous mettront sur la trace de l’inconnue qui afrappé.

–&|160;Monsieur, dit le magistrat stupéfait,veuillez vous expliquer plus clairement. Vous me donnez commecertains des faits dont j’entends parler aujourd’hui pour lapremière fois. J’ai le droit et le devoir de vous demander demotiver vos affirmations. Nous ne sommes pas ici dans mon cabinet,mais vous n’avez pas besoin de prêter serment pour dire la vérité,et j’ai hâte de la connaître.

–&|160;Moi, j’ai hâte de vous l’apprendre, ditle capitaine, et puisque vous voulez bien m’écouter, dès ce soir,je vais vous dire brièvement tout ce que je sais.

–&|160;Je vous écoute.

–&|160;Le point de départ de cette tristeaffaire est le suicide du soi-disant comte Golymine. Cetaventurier, avant de se tuer, avait remis à la d’Orcival leslettres qui lui avaient été écrites par trois femmes qui ont étésuccessivement ses maîtresses.

–&|160;Trois&|160;?

–&|160;Oui, trois. Vous pouvez interroger surce point Mariette, l’ancienne femme de chambre de Julia. Elle aussia recouvré la mémoire. Elle se souvient maintenant qu’en partantpour le bal de l’Opéra, sa maîtresse a emporté des lettres diviséesen trois paquets. Il y a d’ailleurs d’autres preuves, comme vousallez le voir.

–&|160;Ces trois femmes étaient&|160;: madameCrozon, sœur de mademoiselle Lestérel…

–&|160;Cela ne fait pas de doutes pourmoi.

–&|160;La marquise de Barancos…

–&|160;Elle vous l’a avoué&|160;?

–&|160;Ce matin, et bientôt elle renouvelleracet aveu devant vous. Madame de Barancos avait cessé depuislongtemps toutes relations avec Golymine qui l’avait indignementtrompée et qui s’était toujours refusé à lui restituer ses lettres.Le lendemain de la mort de cet homme, la d’Orcival a écrit à lamarquise pour lui offrir de lui remettre sa correspondance. Lamarquise est allée au rendez-vous. Elle est arrivée au bal à uneheure et demie. Je puis l’attester, car le hasard a fait que jel’ai reconnue au moment où elle y entrait.

–&|160;Et c’est ce hasard qui vous a mis surla piste que vous avez suivie.

–&|160;Précisément. Madame de Barancos a étéreçue, aussitôt qu’elle s’est présentée, par Julia qui l’attendait.Mademoiselle Lestérel venait de partir. Elle avait laissé entre lesmains de Julia le poignard caché dans un éventail.

–&|160;Je sais cela. Madame Cambry a reçu lesaveux de mademoiselle Lestérel, et tout prouve que les choses sesont passées comme l’a dit cette jeune fille.

–&|160;L’entretien a été long et orageux.Julia soupçonnait la marquise de vouloir épouser Gaston.

–&|160;Mon neveu&|160;!

–&|160;Oui, et elle a menacé la marquise de laperdre si le mariage se faisait… un mariage auquel la marquisen’avait jamais songé…

–&|160;Ni Gaston non plus.

–&|160;Enfin, Julia s’est calmée. Elle a rendules lettres, et madame de Barancos est sortie. Il était alors deuxheures et demie. Au moment où elle sortait, une femme en domino,qui attendait dans le corridor, s’est avancée vivement, à parlé basà l’ouvreuse et est entrée dans la loge, une femme qui y était déjàvenue, qui y avait précédé la marquise…

–&|160;Cette ouvreuse n’a pas dit cela.

–&|160;Elle vous le dira quand vousl’interrogerez de nouveau. Et si vous voulez bien ordonnerl’épreuve que madame de Barancos vous proposera, si vous jugez àpropos d’y soumettre aussi mademoiselle Lestérel, la véritéapparaîtra à l’instant même.

–&|160;Quelle épreuve&|160;?

–&|160;Madame de Barancos revêtira le dominoqu’elle portait au bal de l’Opéra, le voile de dentelles.Mademoiselle Lestérel prendra le masque et le domino de louage quivous ont été présentés et que la marchande à la toilette a reconnu.On les mettra en présence de l’ouvreuse qui se souviendra alors quela femme masquée est venue à une heure, et n’est restée que dixminutes dans la loge&|160;; que la femme voilée est venue à uneheure et demie et sortie à deux heures et demie, et qu’enfin entrela première et la seconde visite, une troisième femme est entrée etsortie, que cette troisième femme a reparu après deux heures etdemie, et qu’elle a définitivement quitté la loge à trois heuresmoins un quart.

Celle-là aussi avait été la maîtresse deGolymine, celle-là aussi venait chercher ses lettres&|160;; Juliales lui a-t-elle rendues, ou bien cette femme les a-t-elle prisessur le cadavre de Julia&|160;? Je l’ignore, mais il est évident quec’est elle qui a tué Julia.

–&|160;Oui, c’est évident, si l’ouvreuse ne setrompe pas encore une fois et si madame de Barancos dit lavérité.

–&|160;Si madame de Barancos avait voulumentir, rien ne l’obligeait à confesser que Golymine avait été sonamant, rien ne l’obligeait à me rendre ce bouton de manchette…

–&|160;Vous le lui aviez donné&|160;?

–&|160;Au bal, chez elle, en dansant lecotillon, je le lui avais montré brusquement… je pensais que sonémotion allait la trahir… elle a cru que je lui offrais un souvenirde moi, elle l’a pris… quatre jours après, elle le portait à soncorsage devant quarante personnes, et quand je lui ai dit qu’onl’avait ramassé dans le sang de Julia, elle l’a rejeté avec horreuret elle m’a chargé de vous l’apporter. Pensez-vous qu’elle eût agide la sorte si elle eût été coupable&|160;?

–&|160;Non, dit M.&|160;Darcy avec agitation.Ce n’est pas elle… ce n’est pas mademoiselle Lestérel… et je levois maintenant, l’instruction est à refaire… Dieu veuille qu’elleaboutisse.

–&|160;Pourquoi ne trouverait-on pas latroisième femme&|160;? Pour ma part, je la cherche. J’ai recueilliquelques indices…

À ce moment le foyer fut envahi. L’acte venaitde finir, et les spectateurs se répandaient dans les corridors.

–&|160;Monsieur, reprit le magistrat, jecompte sur votre concours, et je vous prie de venir me voir chezmoi, demain matin. Nous reprendrons un entretien que nous nepouvons plus continuer ici. Vous m’avez appris tant de choses quej’ai besoin de me recueillir avant de donner une direction nouvelleà cette étrange affaire. En ce moment, je vais rejoindre madameCambry, et je ne vous retiens plus.

Nointel n’avait qu’à s’incliner. C’est cequ’il fit, et après avoir salué M.&|160;Darcy, il allait quitter lefoyer et même le théâtre, lorsqu’il se trouva face à face avecClaudine, pendue au bras de son Russe.

Le capitaine s’effaça pour les laisser passer,mais madame Rissler ne l’entendait pas ainsi. Elle lâcha sanscérémonie Wladimir, et tirant Nointel à l’écart&|160;:

–&|160;Ah çà, tu la connais donc&|160;?

–&|160;Qui&|160;? demanda Nointel.

–&|160;La blonde du Père-Lachaise,parbleu&|160;! Tu viens de causer avec elle pendant vingt minutes.Ce n’était pas la peine de me faire poser.

–&|160;Deviens-tu folle&|160;?

–&|160;Farceur&|160;! ne blague donc pas, tula connais mieux que moi, puisque tu es resté dans sa loge pendanttout le dernier entracte. Tu n’as donc pas vu que je te faisais dessignes&|160;? Je t’ai appelé quand tu passais dans le corridor.Mais tu étais avec un monsieur que j’ai vu dans la loge de lablonde. Il n’a pas l’air commode, ce grand sec. Est-ce que c’estson mari&|160;?

–&|160;Petite, dit Nointel, je t’affirme quetu te trompes. Ce n’est pas cette dame que tu as vue auPère-Lachaise.

–&|160;Puisque je te dis que j’en suis sûre.Je l’ai reconnue à ses yeux, à ses cheveux, à tout. Tiens, veux-tuque j’aille lui parler&|160;? Tu verras la tête qu’elle fera quandje lui demanderai pourquoi elle courait si fort dans les allées ducimetière.

–&|160;Non pas. Je te prie de te tenirtranquille.

–&|160;Veux-tu que je la suive à la sortie duthéâtre&|160;? Wladimir grognera, mais ça m’est égal.

–&|160;Inutile. Je la connais, et c’est parceque je la connais que je te réponds que tu as pris pour elle uneautre personne.

Claudine regarda le capitaine d’un airnarquois et s’écria&|160;:

–&|160;Bon&|160;! j’y suis. C’est tamaîtresse. On m’avait bien raconté que tu donnais dans les femmesdu monde à présent, mais je ne voulais pas le croire. Alors legrand sec, c’est le mari… le plus heureux des trois. Si j’avais su,je n’aurais rien dit, car je conçois que ça t’embête d’apprendreque ta princesse a eu des histoires avec une cocotte. Mon cher, çaarrive, ces choses-là. Julia lui avait peut-être rendu unservice.

–&|160;Tais-toi. Tu n’as pas le sens commun,dit Nointel impatienté.

–&|160;Ah&|160;! tu le prends comme ça. Jem’en vais. J’ai assez fait posé Wladimir. Bonsoir, mon capitaine,amuse-toi bien, mais, crois-moi, reviens aux brunes, c’est moinstraître.

Sur ce trait, décoché à la manière desParthes, madame Rissler s’enfuit, et Nointel l’entendit qui disaità son Russe&|160;:

–&|160;Cher ami, c’est un journaliste. On atoujours besoin de ces gens-là quand on se destine au théâtre.

Le capitaine l’aurait volontiers battue, et ils’éloigna rapidement pour ne pas céder à la tentation. Dix secondesaprès, il ne pensait plus qu’à l’étrange information qu’il venaitde recueillir. Il n’y pouvait pas croire. Madame Cambry pleurantsur la tombe de la d’Orcival, c’était tout simplement absurde.L’extravagante péronnelle qui l’accusait avait dû être abusée parune ressemblance, et Nointel en était à regretter de l’avoirpoussée à chercher la visiteuse du Père-Lachaise, car elle étaittrès-capable de nuire par ses bavardages à une personne que lui etson ami Gaston avaient tout intérêt à ménager. Madame Cambryexerçait une grande influence sur le juge, madame Cambry avaitl’esprit juste et une fermeté de caractère qui devait être d’ungrand secours à mademoiselle Lestérel et même à madame de Barancos,car le capitaine se proposait de lui expliquer la situation, de nerien lui cacher, de lui demander son appui, et il espérait qu’ellele seconderait lorsqu’il s’agirait de décider M.&|160;Darcy àmettre la marquise hors de cause.

–&|160;Il faut, se disait-il en endossant sonpardessus dans le couloir de l’orchestre, il faut que j’avertissecette aimable et intelligente veuve du danger auquel l’expose lasotte méprise de Claudine. C’est une démarche assez délicate, maisil y a moyen de tout dire. Maintenant, je n’ai rien de mieux àfaire que de calmer Gaston. Il doit être dans un état&|160;! Je levois d’ici, et je parierais qu’il me donne à tous les diables. Cegarçon-là est affligé d’une imagination qui lui joue de bienmauvais tours. Il commence par s’affoler d’une jeune fille qu’end’autres temps il n’aurait pas seulement regardée. L’annéedernière, il ne s’occupait que des demoiselles à huitressorts&|160;; pour lui plaire, il fallait qu’une femme eûtéquipage. Il a bien fait de se convertir, c’est évident. Fera-t-ilbien d’épouser&|160;? C’est une question. Mais soupçonnermademoiselle Lestérel d’être la mère d’un enfant clandestin, c’estde la haute insanité. Je vais tâcher de le guérir par un traitementénergique. La question est de savoir s’il voudra se laissertraiter. Et il regimbera quand je déclarerai que la marquise estaussi innocente que Berthe. Ce serait bien pis encore s’il savaitque je suis amoureux de madame de Barancos, mais je me garderaibien de le lui dire.

Il était onze heures passées, lorsque lecapitaine sortit du Théâtre-Français. C’était un peu tôt pour allerau cercle, puisqu’il y avait donné rendez-vous à minuit aumalheureux ami qu’il voulait réconforter. Mais sa journée étaitfaite, comme on dit vulgairement, et il n’était pas fâché de sereposer de ses travaux dans un excellent fauteuil, au coin d’un bonfeu. Il prit un cab, et il se fit conduire tout droit à sonclub.

Quand il y arriva, le salon rouge étaitdésert. Pas de causeurs autour de la cheminée&|160;; pas de joueursaux tables de whist. Deux ou trois habitués sommeillant sur lesdivans capitonnés&|160;; de ceux qui viennent tous les soirs paréconomie, pour être éclairés et chauffés gratuitement. Nointel,étonné de cette solitude, pensa qu’on devait jouer dans quelquesalle écartée. Il se renseigna auprès d’un des dormeurs qui venaitde se réveiller, et il apprit que, depuis plusieurs jours, ons’était remis au baccarat avec ardeur. Dans tous les cercles, lapartie s’arrête de temps en temps. Un gros joueur a raflé l’argentdes petits, et les pontes écœurés s’éloignent mélancoliquement dutapis vert. Mais leur sagesse n’est jamais de longue durée, et unbeau soir, sans qu’on sache pourquoi, le troupeau revient se fairetondre.

Nointel tenait à sa laine et l’exposait lemoins possible. Mais il était toujours au courant des grosévénements du jeu, et il savait qu’on y avait à peu près renoncé,tout récemment. Les banques avaient fait table rase et netrouvaient plus d’adversaires. C’était donc un événement qui,d’ailleurs, ne l’intéressait guère. Il demanda si on avait vuDarcy, et il ne fut pas médiocrement surpris quand on lui dit queson ami était occupé à tailler une banque. Darcy était né joueur.Une mauvaise fée qu’on avait sans doute oublié d’inviter à sonbaptême l’avait doté de quelques vices qui nuisaientessentiellement à ses qualités. Mais une passion chasse l’autre,et, depuis qu’il était amoureux, Darcy ne jouait plus. Pourquoiretombait-il dans son péché d’habitude&|160;? Le capitainecraignait de deviner la cause de cette rechute, et il pensa que sonapparition produirait sur son ami un effet salutaire.

Il se transporta donc incontinent dans lasalle consacrée au baccarat. Elle était située dans le coin le plusretiré des appartements du cercle. La déesse fortune veut qu’onl’adore avec recueillement. Elle exige de ses fidèles silence etmystère, mais elle ne tient pas aux vains ornements. La pièce où oncélébrait ses rites n’était garnie que des meubles indispensables àl’exercice de son culte. Une immense table de forme oblongue,échancrée au milieu – la place du banquier – et creusée au centre –la cuvette où l’on jette les cartes après chaque coup – deschaises, beaucoup de chaises pour les patients, quelques divanspour les décavés, et des râteaux à foison.

La réunion était nombreuse, et Darcy laprésidait. Il taillait, et il avait devant lui un tas d’or assezrespectable, sans compter un certain nombre de morceaux de cartonportant un chiffre et une signature. Il tournait le dos à la porte,et il ne vit pas entrer Nointel qui vint tout doucement se planterderrière lui, au grand mécontentement des pontes. On l’accusait deporter la veine au banquier.

Toutes les variétés de féticherie étaientreprésentées à ce congrès. Il y avait là des gens qui ne croyaientpas en Dieu et qui croyaient à la vertu d’un cure-dent ou d’unebague en cheveux. Quelques-uns, avant de monter au cercle,s’étaient promenés pendant une heure sur le boulevard à seule finde rencontrer un bossu et de toucher sa bosse. D’autres nevoulaient jouer que le chapeau sur la tête. Le lieutenant Trévilleavait mis des lunettes, quoiqu’il eût d’excellents yeux. Charmolsifflait un air du Caveau pendant qu’on mêlait les cartes. Lecolonel Tartaras avalait un verre de rhum après chaque taille. Lejeune baron de Sigolène fermait les yeux avant de regarder sonpoint qui était généralement détestable.

Moins superstitieux et plus redoutablesétaient le financier Verpel, le major Cocktail et Alfred Lenversqui ne jouait jamais que sur sa main. Ils perdaient cependant, carDarcy avait une banque superbe. Les coups les plus extraordinairesse succédaient à son profit. Il abattait neuf quand ses adversairesabattaient huit&|160;; il gagnait avec un contrebaccarat&|160;; il tirait à six, et il amenait un trois. Le toutd’un air indifférent qui exaspérait les pontes. C’était contre luiun véritable concert de malédictions.

–&|160;Voilà ce que c’est que d’avoir deschagrins de cœur, pensait le capitaine. Malheureux en femmes,heureux au jeu.

La taille s’acheva sans que Darcy s’aperçût dela présence de son ami, et lorsqu’elle fut terminée, il ne seretourna point. Au lieu de compter son gain ou d’aider à mêler lescartes, il rêvait en mâchonnant un cigare éteint. On voyait bienque sa pensée était à cent lieues du tapis vert.

Cependant, les pontes, pour se délasser, selivraient à des conversations variées. On discutait la gravequestion du tirage à cinq. Alfred Lenvers était de lagrande école de Bordeaux qui tire à cinq, et ce système luiréussissait à souhait. Sigolène se demandait si la somme qu’ilavait apportée du Velay pour passer à Paris un hiver agréablesuffirait à le mener jusqu’à la fin de la séance. Tréville battaitmonnaie avec un crayon et de petits carrés de papier Bristol.M.&|160;Coulibœuf, propriétaire foncier, gagnait quelques louis,et, comme on savait qu’il était marié, Charmol expliquait la veinede cet éleveur par des raisons inconvenantes.

Verpel, vexé d’avoir perdu, proposa sur cesentrefaites de mettre la banque aux enchères et offrit de laprendre à cinq cents louis. Le major Cocktail alla aussitôt jusqu’àmille.

–&|160;Je mets deux mille louis, ditfroidement Gaston.

Le chiffre était rond, et personne n’osa ledépasser, de sorte que la banque resta au dernier des Darcy.

–&|160;Il joue un jeu à se ruiner en une nuit,se disait Nointel. Jolie façon de se préparer à entrer en ménage.Il faut qu’il soit devenu fou.

La nouvelle taille commença beaucoup moinsheureusement que la précédente n’avait fini. Les trois premierscoups enlevèrent quatre cents louis au banquier, et les pontes quitout à l’heure maudissaient le capitaine se mirent à lui faire lesyeux doux. Décidément, au lieu de porter bonheur, il portait laguigne.

Darcy restait impassible, Verpel se mit às’engager à fond&|160;; il voyait que la chance tournait, et ilattendait toujours pour pousser que le banquier fût entamé. Onprétendait même que souvent il se couchait à neuf heures du soir,et se faisait réveiller à quatre heures du matin, afin d’arriverfrais et dispos au cercle où il ne trouvait plus que des perdantsqu’il achevait. Lenvers et Cocktail pratiquaient le même système,et Darcy ne tint pas longtemps contre les attaques vigoureuses deces vieux routiers du baccarat. La fortune se prononça nettementcontre lui. Les huit et les neuf ne lui venaient plus, et lespontes en avaient les mains pleines. Ce fut moins un combat qu’unedéroute, et bientôt les munitions manquèrent au banquier.

–&|160;Tenez-vous le coup&|160;? demandaVerpel en avançant cinq billets de mille francs.

–&|160;Je tiens tout, répondit sèchement leneveu du juge d’instruction. Je vais tailler à banque ouverte. Jene vous demande que le temps de signer des bons.

Le capitaine jugea que l’heure était venued’essayer d’arrêter Darcy sur le chemin de l’hôpital.

–&|160;Ma parole d’honneur, dit-il à hautevoix, on se croirait à Charenton. Vous avez donc tous six centmille livres de rente, comme la marquise de Barancos&|160;?

À la voix de son ami, Gaston se retournavivement.

–&|160;Enfin, te voilà&|160;!s’écria-t-il.

Et laissant là les petits cartons qu’un valetde pied venait de placer devant lui, il se leva endisant&|160;:

–&|160;Décidément, je renonce à la banque. Àun plus fort, messieurs&|160;?

Il y eut des murmures. Les pontes enrageaientde voir partir un gros joueur qu’ils comptaient bien dévorerjusqu’aux os, et ils grognaient comme des dogues auxquels onarrache leur proie.

–&|160;C’est dommage, dit tout bas AlfredLenvers à son voisin le major. Cette fois, nous le tenions bien.Que le diable emporte ce Nointel&|160;!

Darcy les laissa crier et emmena vivement lecapitaine dans un petit salon où il n’y avait personne.

–&|160;Pourquoi joues-tu de façon à te mettresur la paille&|160;? lui demanda d’un ton de reproche l’ex-officierde hussards.

–&|160;Pour m’étourdir, répondit brusquementGaston. Sois tranquille, je ne serai jamais sur la paille&|160;;car, avant d’y être, je me brûlerai la cervelle.

–&|160;Et tout cela parce que mademoiselleLestérel a pris sur son compte l’enfant de sa sœur.

–&|160;Qui te l’a dit&|160;?

–&|160;Madame Cambry, que je viens de voir auFrançais.

–&|160;Et tu crois que l’enfant est à madameCrozon&|160;?

–&|160;Parbleu&|160;! Comment peux-tu endouter&|160;? Le vent qui souffle à travers la rue Caumartin t’adonc rendu fou&|160;? Faut-il, pour te ramener à des idées plussaines, que je te conduise chez la sage-femme qui a accouché lafemme du baleinier&|160;?

–&|160;Tu la connais&|160;?

–&|160;Non, mais l’illustre général Simancasm’a donné son adresse. Elle demeure rue des Rosiers, àMontmartre.

–&|160;Et tu me le cachais&|160;?

–&|160;Mon cher, j’avais raison de ne pas tetenir au courant de mes faits et gestes, puisque tu te montesl’imagination à propos de rien. Si je t’avais informé jour par jourdes incidents qui se produisaient, tu aurais perdu la têtecomplètement, tandis que tu ne l’as perdue qu’à moitié.

–&|160;Eh bien, oui, j’étais fou… et je lesuis encore… et je le serai tant que nous n’aurons pas trouvé lafemme qui a tué Julia. Tu ne te doutes pas de ce que me fontsouffrir les obscurités de cette terrible affaire. Mon oncle me mettous les jours à la torture. Il ne conteste plus que Berthe soitinnocente du meurtre, mais il me répète sans cesse que sa conduiten’est pas claire, que, pour l’éclaircir, il sera forcé d’en venir àinterroger sa sœur et le mari de sa sœur.

–&|160;S’il fait cela, au lieu d’un meurtre,il y en aura deux et peut-être trois. Crozon tuera la mère etprobablement l’enfant. Mais ton oncle ne fera pas cela. Il te tientce langage pour t’amener à réfléchir avant de conclure un mariagequi lui déplaît. Et en cherchant à t’en détourner, il est dans sonrôle d’oncle. Parlons d’autre chose. J’arrive du château de madamede Barancos…

–&|160;Eh bien&|160;? demanda vivementGaston.

–&|160;Eh bien, mon cher… Allons, bon&|160;!voilà encore qu’on vient nous déranger.

Un valet de pied venait d’entrer, ils’avançait, et il avait tout l’air d’un homme qui apporte unmessage verbal ou écrit.

C’était un message écrit, une lettre posée surle plateau argenté qui remplace dans certains cercles la boîte dufacteur.

–&|160;La personne qui l’a apportée n’a pasvoulu attendre la réponse, dit le valet de pied en la présentant àNointel, mais elle a recommandé qu’on la remît à monsieur aussitôtqu’il arriverait.

Le capitaine la prit en haussant les épaules,renvoya le domestique et se mit en devoir de la décacheter.

–&|160;C’est curieux, murmura-t-il après avoirjeté un coup d’œil sur l’enveloppe. Nous parlons de Crozon, et jecrois reconnaître son écriture. Que diable a-t-il de si pressé àm’apprendre&|160;? Pourvu qu’il n’ait pas tué sa femme&|160;!

–&|160;Lis donc, dit Darcy avec impatience.J’ai hâte de savoir ce que tu as fait chez la marquise.

–&|160;Oh&|160;! oh&|160;! reprit Nointelaprès avoir lu rapidement. Voici du nouveau, et je ne croyais pasprédire si juste. Écoute ce que m’écrit le beau-frère demademoiselle Lestérel&|160;:

«&|160;Mon cher capitaine, à quelque momentque vous receviez ce billet, venez chez moi immédiatement, je vousen prie au nom de l’amitié. Ma femme se meurt, et elle veut vousvoir avant de mourir. Elle veut voir aussi M.&|160;GastonDarcy&|160;; amenez-le si vous pouvez. Je compte sur vous.N’abandonnez pas.

«&|160;Votre malheureux ami,

«&|160;Jacques Crozon

«&|160;Capitaine au long cours.&|160;»

–&|160;Elle veut me voir, moi&|160;! s’écriaDarcy. Elle veut me voir en présence de son mari qui ne me connaîtpas&|160;! Qu’est-ce que cela signifie&|160;?

–&|160;C’est peut-être sa sœur qui lui aurademandé de te faire venir, répondit Nointel.

Puis, après avoir réfléchi&|160;:

–&|160;Non, reprit-il. Il me vient une autreidée. Madame Crozon, sentant sa fin approcher, veut te recommandermademoiselle Lestérel, te supplier de l’épouser et te jurer qu’elleest toujours digne de toi. Hum&|160;! devant l’homme qu’elle atrompé, ce serait fort. Quoi qu’il en soit, j’y vais, et tu ne peuxguère te dispenser de m’accompagner.

–&|160;Partons, dit sans hésiter Gaston.

Ils descendirent vivement sur le boulevard, etils sautèrent dans le coupé de Darcy qui attendait à la porte ducercle, et qui les mena rue Caumartin en quelques minutes.

Ils parlèrent peu pendant le trajet, car ilsétaient tous les deux absorbés par de graves préoccupations.Cependant, au moment où ils descendaient de voiture, Gaston demandabrièvement&|160;:

–&|160;La marquise est coupable, n’est-cepas&|160;?

–&|160;Innocente, mon ami&|160;; aussiinnocente du meurtre que mademoiselle Lestérel.

–&|160;Que dis-tu&|160;?

–&|160;La vérité. Quand nous sortirons d’ici,je te raconterai tout.

Ce n’était pas le moment d’insister. Darcy setut et suivit le capitaine qui dut parlementer avec le portier, caril était une heure indue. Cet homme leur apprit que madame Crozonavait été prise subitement d’une crise si grave qu’on avait envoyéchercher un médecin et un prêtre. Ils venaient de partir, et lemédecin avait dit que la malade ne passerait pas la nuit. Le prêtredevait revenir pour donner l’extrême-onction. On l’attendait, etl’escalier était éclairé.

Munis de ces renseignements, les deux amisgrimpèrent en toute hâte au quatrième étage, et furent reçus parCrozon lui-même qui se jeta dans les bras de Nointel et qui tenditla main à Darcy. L’accueil était de bon augure, et le capitaineessaya d’obtenir une explication préalable, mais le marin lui ditbrusquement&|160;:

–&|160;Entrez vite. Dans un instant peut-être,il serait trop tard.

Et il les poussa dans une chambre à peineéclairée par une lampe recouverte d’un abat-jour. La pâle figure dela mourante tranchait comme une tache blanche sur le fond sombredes rideaux. Mademoiselle Lestérel priait, agenouillée au pied dulit. Elle ne releva point la tête au léger bruit que firent lesdeux visiteurs amenés par son beau-frère. Mais Madame Crozon seredressa sur les oreillers qui la soutenaient et leur fit signed’approcher.

–&|160;Vous aussi, murmura-t-elle en adressantà son mari un regard suppliant.

Crozon obéit, et elle commençaainsi&|160;:

–&|160;Je viens de me réconcilier avec Dieu.J’ai reçu l’absolution, et en la recevant, j’ai promis de confesserpubliquement mes fautes. J’ai promis de demander pardon à mon marique j’ai offensé et à ma sœur bien-aimée qui a exposé sa vie et sonhonneur pour me soustraire au sort que je méritais.

»&|160;Oui, j’ai été coupable&|160;; oui, j’aiindignement trompé le meilleur, le plus généreux des hommes.

Nointel ne put s’empêcher de regarder à ladérobée le malheureux Crozon, et il vit, à ses traits contractés,qu’il faisait des efforts inouïs pour contenir l’expression dessentiments qui le bouleversaient.

Berthe sanglotait.

–&|160;Je suis sans excuse, continua lamourante&|160;; mon mari ne pensait qu’à me rendre heureuse.C’était pour me faire riche qu’il bravait les dangers de la mer, etsi je suis restée seule, pendant cette fatale année, s’il aentrepris une dernière campagne, c’est parce qu’il pensait que jesouffrais de la médiocrité où nous vivions. Dieu m’est témoin queje ne l’ai pas poussé à partir, que je n’ai pas prémédité d’abuserde son absence et de la confiance qu’il avait en moi. Le hasard atout fait… le hasard et ma faiblesse… je n’ai pas su résister auxentraînements d’une passion criminelle… je suis tombée dans lepiège qu’un séducteur m’a tendu… il est mort, et je vais mourir… lechâtiment ne s’est pas fait attendre.

La voix manqua à la malheureuse qui s’accusaitainsi, et il se fit dans la chambre où elle agonisait un silencelugubre. Mademoiselle Lestérel dévorait ses larmes et regardait sasœur avec angoisse.

–&|160;Je ne regrette pas la vie, repritmadame Crozon&|160;; mais avant de paraître devant le juge suprême,je veux réparer, autant qu’il est en moi, le mal que j’ai causé, etje prie humblement mon mari de me permettre de dire la vérité en saprésence. L’enfant que Berthe a réclamé pour lui sauver la vie, cetenfant est le mien. Il est innocent, lui, et j’implore sagrâce.

Crozon fit un geste qui signifiaitévidemment&|160;: Je l’accorde, et sa femme lui adressa un regardreconnaissant qui le remua jusqu’au fond de l’âme.

–&|160;Ma fille vivra donc, murmura-t-elle. Jevoudrais vivre aussi pour racheter mes torts, à force de soumissionet de dévouement. Je voudrais vivre pour être votre esclave. MaisDieu a disposé de moi, et mes heures sont comptées. Je le remerciede m’avoir donné le temps de me repentir et de réhabiliter ma sœur.Le magistrat qui lui a rendu la liberté n’est pas ici, mais sonneveu lui redira mes paroles… il lui dira qu’au moment de mourir,j’ai juré sur mon salut éternel que Berthe n’a pas commis le crimehorrible dont elle était accusée. Berthe est allée au bal del’Opéra pour reprendre mes lettres, Berthe n’y est pas restée.Berthe a couru chez la nourrice. Berthe était bien loin au momentoù une misérable femme poignardait madame d’Orcival… une femme quiavait écrit, elle aussi, et qui, pour empêcher madame d’Orcival deparler, n’a pas reculé devant un crime. Elle n’échappera pas à lajustice. L’innocence de Berthe éclatera un jour, mais qui luirendra le bonheur perdu&|160;? Qui la protègera contre lacalomnie&|160;?

–&|160;Moi, si elle veut bien consentir à êtrema femme, dit vivement Darcy.

–&|160;Ah&|160;! je puis mourir maintenant,soupira madame Crozon.

–&|160;Et votre enfant sera le nôtre, repritDarcy avec une émotion qui faisait trembler sa voix.

–&|160;Mon enfant&|160;!… Vousl’adopteriez&|160;!…

–&|160;Je vous le promets.

–&|160;Soyez béni, vous qui m’apportez lesseules consolations qu’il me fût permis d’espérer en ce monde. Jeprierai pour vous dans l’autre, si Dieu me fait miséricorde.

La moribonde s’arrêta. L’effort l’avaitépuisée. Sa tête retomba sur l’oreiller&|160;; ses yeux sefermèrent&|160;; sa bouche murmura encore quelques parolesinintelligibles. Était-ce l’agonie qui commençait&|160;? Berthe lecrut. Elle se leva et courut à son infortunée sœur.

–&|160;Viens, souffla Nointel, en serrantfortement le bras de son ami. Viens, notre place n’est plusici.

Darcy résista un peu, mais Crozonintervint.

–&|160;Venez&|160;!

Et il les entraîna hors de la chambre.

–&|160;Du courage&|160;! lui dit lecapitaine.

–&|160;J’en ai, répliqua le marin. Il m’en afallu pour écouter ce que je viens d’entendre. Il m’en a fallu pourpardonner. Mais je ne regrette pas ce que j’ai fait.

En parlant ainsi, il relevait la tête, et sonvisage énergique exprimait la conviction du devoir accompli. Sesyeux étincelaient. Il était presque beau.

–&|160;Vous êtes un brave homme, s’écriaNointel.

–&|160;Merci, répondit simplement Crozon. Dansdes moments comme ceux-là, l’approbation d’un véritable ami fait dubien.

–&|160;Merci à vous aussi, monsieur, qui avezla générosité de tendre la main à Berthe, et de ne pas abandonnerl’enfant de sa sœur.

–&|160;Vous ne pensez plus à le tuer,j’espère, dit vivement le capitaine.

–&|160;Pas plus que je ne pense à tuer samère, si elle échappait à la mort qui s’approche. Il n’y a sur laterre qu’un être dont je veux me venger.

–&|160;Le misérable qui a causé tant demalheurs, le lâche drôle qui vous a écrit des lettresanonymes&|160;! Eh bien, vous pourrez le tuer. Maintenant, je leconnais.

–&|160;Son nom&|160;?

–&|160;C’est un Américain Espagnol qui prétendêtre général au service du Pérou et qui s’appelle, ou se faitappeler Simancas.

–&|160;Bien. J’aime mieux que ce ne soit pasun Français. Vous serez mon témoin. Adieu.

Les deux amis ne cherchèrent point à prolongerun dialogue pénible. Il leur tardait de pouvoir échanger librementleurs impressions.

–&|160;Pauvre femme&|160;! dit Nointel, dèsque Crozon eut refermé sur eux la porte de l’appartement. Ellevient de racheter en cinq minutes tout son passé. Si elle n’avaitpas fait cette héroïque confession, tu en serais encore à douter dela vertu de mademoiselle Lestérel. C’est grand dommage que le juged’instruction ne les ait pas entendus, ces aveux d’une mourante.Lui aussi, il serait fixé sur l’innocence de la prévenue. Mais ilfaut qu’il le soit, et il le sera dès demain. Nous n’avons plus deménagements à garder, maintenant que le mari sait tout. Nousraconterons à M.&|160;Darcy la scène à laquelle nous venonsd’assister, et nous le prierons d’appeler Crozon en témoignage.

–&|160;Oui, murmura Darcy, j’espère que mononcle consentira enfin à reconnaître qu’il s’est trompé. Mais iln’en viendra jamais à approuver mon mariage avec mademoiselleLestérel.

–&|160;Eh bien&|160;! tant pis pour lui. Moi,je t’approuve pleinement, depuis que je sais ce que vautmademoiselle Lestérel, et je te déclare que, si j’étais à ta place,je ferais tout ce que tu veux faire. J’épouserais à midi, au grandautel de la Madeleine, et je me moquerais parfaitement des sotspropos. Je trouve même que tu as raison d’élever l’enfant deGolymine&|160;; seulement, j’espère bien que tu ne cultiveras plusle baccarat quand tu auras charge d’âmes. Ta fortune est déjà bienassez entamée, et tu n’as plus d’héritage à attendre.

–&|160;Il s’agit bien de cela&|160;! Parle-moidonc de cette marquise. Mon oncle ne s’arrêtera pas avant d’avoirtrouvé une coupable. Je croyais que cette coupable, c’était elle.Tu le croyais aussi. Et tu viens de me déclarer que tu ascomplètement changé d’avis, qu’elle n’a rien à se reprocher…

–&|160;Mon cher, je ne puis pas en véritéparler contre ma conscience et dénoncer madame de Barancos pourêtre agréable à ton oncle. D’ailleurs, je l’ai vu ce soir et je luiai dit ce que je pensais d’elle. De plus, elle se présentera chezlui demain, et elle lui fera une confession aussi complète quecelle de madame Crozon. Elle lui dira qu’elle est allée dans laloge de Julia pour reprendre les lettres qu’elle avait écrites àGolymine.

–&|160;Elle avoue cela&|160;!

–&|160;Absolument. Elle avoue même queGolymine a été son amant et qu’elle a été folle de lui. Ah&|160;!ce Polonais a été un heureux coquin. Madame Crozon a dû être unecharmante maîtresse. La marquise est adorable. Et l’autre la valaitpeut-être.

–&|160;L’autre&|160;! quelle autre&|160;?

–&|160;La troisième femme qui est entrée dansla loge, celle qui a tué Julia. Je suis sûr qu’elle est ravissanteet qu’elle appartient au meilleur monde. Madame de Barancos l’avue, masquée, il est vrai&|160;; mais elle donnera le signalementde sa taille et de sa tournure. J’ai causé aussi ce soir avecmadame Majoré. Ses souvenirs commencent à se réveiller. Elle serappelle maintenant l’inconnue&|160;; elle sera mise en présence dela marquise, et je te garantis qu’après la séance qui se prépare,M.&|160;Roger Darcy sera parfaitement convaincu que l’assassinfemelle est encore à trouver. Le trouvera-t-il&|160;? Je n’en saisrien. Mais il devra des excuses à mademoiselle Lestérel, et commec’est un galant homme, il lui offrira peut-être, à titred’indemnité, son consentement à ton mariage. Tout sera donc pour lemieux dans le meilleur des mondes. Il n’y aura que moi quisouffrirai.

–&|160;Toi&|160;!

–&|160;Oui, moi. Je n’ai aucun motif pour tecacher que j’aime la marquise, qu’elle m’aime, et que le dénouementde cette lamentable histoire va nous séparer à tout jamais. Je nepuis ni ne veux l’épouser, non seulement à cause de Golymine, maisà cause des millions qu’elle possède. J’aurais pu succéder de lamain gauche à cet aventurier, si sa mort n’avait pas eu de siterribles conséquences. Maintenant tout est changé. Il y a descatastrophes entre madame de Barancos et moi. Mais je t’en ai ditassez sur mes affaires de cœur, et nous voici au bas de l’escalier.Tu vas te faire ramener chez toi. Je vais rentrer à pied&|160;;j’éprouve le besoin de marcher un peu.

–&|160;Ainsi tu es amoureux de madame deBarancos, murmura Darcy en passant la porte qui venait des’ouvrir.

–&|160;Mon Dieu&|160;! oui, réponditfranchement Nointel. C’est la première fois que m’arrive pareillemésaventure. Espérons que je m’en tirerai sans trop de dommage. Etsurtout ne va pas t’imaginer que la passion m’aveugle sur laconduite de la marquise. J’y vois encore très-clair, trop clairmême. Elle a eu un amant inavouable, mais elle n’a tuépersonne.

–&|160;Et ce bouton trouvé près du cadavre, iln’est donc pas à elle&|160;? demanda vivement Darcy, saisi tout àcoup d’une ressouvenance.

–&|160;Pas plus à elle qu’à mademoiselleBerthe. Je viens de le remettre à ton oncle. Puisse-t-il découvrirà qui il appartient&|160;! Moi, j’y renonce.

»&|160;Bonsoir. Nous nous reverronsdemain.

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