Le Crime de l’Opéra – Tome II – La Pelisse du pendu

Chapitre 4

 

Quand madame de Barancos avait conçu unprojet, elle l’exécutait vite, et rien ne l’arrêtait, quand ils’agissait de satisfaire un de ses caprices. Un désir russe feraitsauter une ville, dit un proverbe moscovite. Les désirs de lamarquise auraient fait sauter une province. Jadis, ses sujets de laHavane les prenaient pour des ordres, et son noble époux luiobéissait comme un esclave, tout capitaine général qu’il était.

Le veuvage n’avait pas changé son humeur. Sesgens et ses adorateurs en savaient quelque chose. Seulement, leséjour de Paris se prêtait moins à la réalisation des fantaisiesqui passaient par sa tête ardente, et force lui était de garderquelque mesure dans ses excentricités. Elle se contentait àl’ordinaire d’avoir les plus beaux chevaux, les plus beauxéquipages, le plus bel hôtel de la plus luxueuse des capitales.Seulement, elle faisait, de temps à autre, la part du feu. Lorsque,pendant une ou deux semaines, elle s’était tropembourgeoisée, – c’était son mot – l’enragée marquiseimaginait quelque sport de haut goût et s’y livrait avecemportement.

Elle ne connaissait pas plus la fatigue queles obstacles, et le matin d’un bal qu’elle avait mené jusqu’àl’aube, elle s’en allait fort bien chasser à courre, ou à tir,voire même au marais par ces temps brumeux et froids qui amènentles canards sauvages. Elle avait tué trois phoques dans la baie deSomme, et chacun sait qu’on ne peut tirer à bonne portée cesamphibies qu’en rampant sur le sable humide pendant des heuresentières. Aussi n’était-elle pas peu fière de cet exploit. Onl’avait vue souvent, après une soirée passée au théâtre, monter àcheval en habits d’homme, faire à franc étrier le voyage de Paris àson château de Normandie, – dix-sept lieues à fond de train –forcer un sanglier avant le déjeuner et revenir dîner en grand galadans son hôtel de l’avenue Ruysdaël.

Ses déplacements, il est vrai, nes’exécutaient pas toujours à l’improviste et à l’aventure. Il luiarrivait aussi de lancer des invitations pour une battue dans sesbois de Sandouville, et alors les choses se passaient avec unesolennité princière. La marquise, arrivée en poste, recevait seshôtes sur le perron du château, entourée de sa maison civile etmilitaire, c’est-à-dire de ses domestiques et des gardes de seschasses, les traitait magnifiquement pendant trois jours, et lesfaisait reconduire jusqu’à Paris, dans des mails superbesavec relais en route, des relais fournis par ses écuries.

Précisément, deux jours après la grande fêteoù elle avait rassemblé la plus élégante soirée des deux mondes,madame de Barancos s’était transportée dans ses terres où elleallait attendre quelques invités de choix, Nointel entre autres,qui n’avait garde de manquer une partie si favorable à sesdesseins, car il se doutait un peu qu’on l’avait arrangée à sonintention. La marquise lui en avait déjà parlé, dès le soir de leurentrevue à l’opéra dans une loge d’avant-scène, et, le lendemain dubal, il avait reçu une invitation écrite dans les termes les plusgracieux et les plus pressants.

Après la scène du bouton de manchette remis àsa valseuse à la fin du cotillon, l’entreprenant capitaine étaitrevenu tout rêveur de cette première escarmouche. Il ne sedissimulait pas qu’il venait d’être battu, que ses stratégiesn’avaient abouti qu’à un échec, et qu’il n’en savait pas plus longque la veille sur la culpabilité de la marquise. Il en savait mêmemoins, car il doutait maintenant de ce qui, la veille encore, luiparaissait évident. Le langage et les airs de madame de Barancos ledéroutaient ; elle avait pâli à l’exhibition du bijouaccusateur, mais elle s’en était saisie avec la violence passionnéed’une femme qui reçoit de l’homme qu’elle a distingué un premiergage d’amour. Avait-elle voulu escamoter une pièce à conviction, oubien se compromettre en plaçant sur son cœur un objet porté parNointel ? C’était la mode jadis au beau pays des Espagnes. Lesamants s’y cuirassaient le sein avec les bas de soie usés par leurmaîtresse, et la marquise était bien assez Castillane pourressusciter cet usage… en le modifiant un peu. L’émotion que sonvisage avait trahie pouvait être interprétée de plus d’une façon.On pâlit de surprise, on pâlit de frayeur, mais on pâlit aussi dejoie, quand la joie est subite, quand on reçoit, par exemple, unedéclaration inattendue et ardemment désirée.

Nointel était donc plus perplexe que jamais,et, comme il avait l’incertitude en horreur, il enrageait de ne pasvoir plus clair dans les affaires de la Barancos et dans son proprecœur. Car il en était à se demander s’il n’avait pas trop joué avecle feu, et si les beaux yeux de la créole n’avaient pas allumé aufond de ce cœur de hussard un commencement d’incendie. Depuis lebal où elle s’était montrée à lui sous des aspects nouveaux, ilpensait à elle beaucoup plus qu’il ne l’aurait voulu, et il sesurprenait à souhaiter qu’elle n’eût pas tué la d’Orcival.Mademoiselle Lestérel était innocente assurément, mais ce n’étaitpas une raison pour que la marquise fût coupable. Voilà ce queDarcy se refusait à entendre, et le capitaine, qui n’espérait pasle rallier à son avis, ne tenait pas beaucoup à le voir jusqu’à ceque la situation se dessinât dans un sens ou dans l’autre. Aussin’avait-il rien fait pour le rencontrer, et Darcy, tout occupé dela prisonnière délivrée, Darcy n’avait point paru chez son amiaprès la fête de l’hôtel Barancos.

Nointel partait pour la chasse de la marquisesans rien savoir de ce qui se passait entre cinq ou six personnesdont l’existence venait de prendre une face nouvelle. Il n’avaitrevu ni Gaston, ni son oncle, ni madame Cambry, et sa dernièrevisite au ménage Crozon remontait à quelques jours. Son esprit n’enétait que plus libre pour diriger les opérations sérieuses quiallaient s’ouvrir au château, et il se promettait de ne pas songeraux absents jusqu’à son retour, tout en combattant pour eux.C’était sa méthode. À la guerre, il laissait les soucis auxbagages. En amour, il oubliait volontiers le passé, et il ne sechargeait point des souvenirs et regrets qui alourdissent les âmessentimentales.

Sandouville est à soixante-dix kilomètres duparc Monceau ; chemin de fer de l’Ouest, station de Bonnières,deux lieues de belle route pour arriver au château. Le capitaine,muni de ces indications, avait pris un train de l’après-midi dansl’intention d’arriver une heure avant le dîner chez madame deBarancos, qu’il avait prévenue par un billet galamment tourné, maisprécis.

La battue était pour le lendemain, et lamarquise avait quitté Paris la veille, emmenant quelques-uns de seshôtes et laissant les autres libres de n’arriver qu’au moment de lachasse.

Nointel débarqua seul à Bonnières, et y trouvaun valet de pied amarante et or, qui reconnut à la mine l’invitéattendu et vint respectueusement se mettre à ses ordres. Dans lacour de la gare stationnaient un coupé attelé de deux chevaux baiset un immense break destiné à voiturer les bagages. Nointel,voyageur pratique, n’avait apporté qu’une seule malle fortingénieusement disposée à l’intérieur pour recevoir le linge, lesvêtements, les chaussures, les chapeaux et le nécessaire detoilette. Mais il comprit l’utilité du break en voyant apparaîtrequatre énormes caisses, des caisses monumentales, longues, larges,hautes, un envoi supplémentaire de la surintendante des toilettesde la marquise ; et il jugea que la compagnie devait être plusnombreuse qu’il ne le pensait.

– Qui a-t-elle invité ? sedemandait-il en grimpant dans le coupé. Personne du cercle, jesuppose, car j’y suis allé hier, et les privilégiés n’auraient pasmanqué de se vanter d’être de la chasse. Décidément cette marquisea de l’esprit. Elle a deviné que ces camarades-là megêneraient.

Les chevaux filaient comme des cerfs, la routeétait unie comme une allée de jardin. Au bout de vingt minutes, lecapitaine vit poindre au bout d’une avenue d’ormes séculaires leslumières du château. Il faisait nuit, et une nuit très-noire, desorte qu’il ne put pas se rendre compte des dispositionsextérieures de cette résidence seigneuriale ; mais il reconnutqu’elle avait une superbe apparence. Rien de féodal pourtant. Unevaste et belle construction moderne dans le style Louis XIII,précédée d’une cour immense et entourée de grands bois.

Reçu par un valet de chambre, Nointel futconduit dans la chambre qu’on lui avait réservée. Il apprit quemadame de Barancos dînait à huit heures et qu’on se réunissaitavant le dîner dans le hall du château. Il avait le tempsde faire sa toilette, et il procéda sans retard à cette importanteopération, ses bagages ayant été apportés, sa malle débouclée, etses effets rangés adroitement par les intelligents serviteurs de lamarquise. Il aurait pu se dispenser de se munir d’un nécessaire,car il trouva dans un charmant cabinet attenant à la chambre àcoucher tous les ustensiles et toutes les parfumeries imaginables.Madame de Barancos avait adopté les coutumes de l’aristocratieanglaise. Elle voulait que ses hôtes pussent se croire chez eux.Tout était arrangé en conséquence. Ainsi, chaque appartement avaitsa bibliothèque choisie, suivant le goût présumé du destinataire.Des mémoires historiques, des traités d’économie politique et degraves recueils périodiques pour les gens sérieux ; des romanset des revues mondaines pour les jeunes. Nointel avait été mis à unrégime mixte : le catalogue allait des œuvres complètes deMusset au grand ouvrage de l’état-major prussien sur la guerre de1870. Littérature et tactique mêlées.

À sept heures et demie, le valet de chambreque le capitaine avait renvoyé reparut pour le conduire auhall, où il aurait eu quelque peine à se rendre sansguide. Le hall était situé dans une aile du château fortéloignée de sa chambre, et, pour y arriver, il fallait suivre unitinéraire assez compliqué. En s’y rendant, Nointel put juger dupied sur lequel la marquise vivait à la campagne. Les murs descorridors étaient recouverts de tapisseries de haute lisse quiauraient fait bonne figure dans un musée, et les escaliers étaientgarnis de tableaux dont le moindre valait trois cents louis.

Après de nombreux détours, le ci-devantofficier de hussards arriva devant une porte aussi haute que leporche d’une cathédrale, une porte gardée par un domestique engrande livrée, qui l’ouvrit à deux battants et qui annonça d’unevoix de stentor : M. le capitaine Nointel.

Il y avait de quoi intimider un débutant, carle hall était immense, et il fallait, pour arriver augroupe où il pensait trouver madame de Barancos, traverser un grandespace sous le feu de tous les regards. Quand on manque d’aplomb,c’est à peu près comme si l’on marchait à découvert contre unebatterie de mitrailleuses ; mais Nointel comptait dixcampagnes de guerre et beaucoup d’autres dans le monde. Sans sedéconcerter, il chercha des yeux la marquise, et il ne l’aperçutpas. Il n’y avait là que des hommes, et trois ou quatre vieillesfemmes à mine hautaine qui ressemblaient à des portraits deVélasquez. Pas une figure de connaissance ; du moins lecapitaine n’en distingua aucune au premier coup d’œil. Il n’y avaitlà que des étrangers, autant qu’il pouvait en juger.

– On jurerait, pensait-il, qu’elle a faitexprès de n’inviter que des comparses, pour pouvoir jouertranquillement avec moi une pièce à deux personnages.

Du reste, cette vaste et haute salle avaitl’aspect le plus imposant. Lambrissée de vieux chêne jusqu’aux deuxtiers de sa hauteur, plafonnée de solives entrecroisées, percée defenêtres en ogive garnies de vitraux anciens, elle semblait avoirété construite pour servir à des usages solennels. Aux parois, despanoplies, des trophées de chasse, et au fond une cheminéecolossale, une cheminée où aurait pu entrer un carabinier à chevalet où brûlaient des arbres entiers. De chaque côté, une armure dechevalier du moyen-âge, une armure complète, depuis les jambièresjusqu’au morion. Au-dessus du manteau, orné de trèfles gothiques etd’animaux héraldiques, les armes des Barancos, avec des lions poursupport et une énorme couronne de marquise.

En dépit de cette ornementation sévère, lesinvités de la châtelaine étaient occupés à jouer aux jeux les plusmodernes. Il y avait une table de bouillotte en pleineactivité ; les douairières avaient organisé un whist, et unjeune hidalgo taillait à cinq ou six de ses compatriotes unmonte,le lansquenet des Espagnols.

Nointel salua, sans se départir de cet airroide qui impose aux sots et qui sert de cuirasse à un hommeintelligent quand il débarque en pays inconnu. Il traversa lesgroupes sans s’y mêler, et s’approcha lentement du foyer, où sechauffait un personnage d’assez haute mine qu’il avait remarqué aubal de la marquise. Il allait, pour l’acquit de sa conscience, luidire quelques banalités polies, lorsqu’une porte s’ouvrit au fonddu hall, laissant voir une salle éblouissante de lumièreset de cristaux.

Madame de Barancos, plus éblouissante encore,apparut sur le seuil. Elle portait une robe courte en satin noir,corsage à pointe très-longue, garni de martre zibeline, décolletéen carré et laissant voir ses opulentes épaules. À ses bras et àses oreilles brillaient d’admirables diamants, qui jetaient moinsde feu que ses prunelles noires.

Nointel courut à sa rencontre et fut accueillipar un sourire plein de promesses. Il avait préparé un complimentapproprié à la circonstance ; mais au moment de le placer, ilfit une découverte si extraordinaire qu’il resta muet desurprise.

Il reconnut, fixé en guise de broche sur lapoitrine de la marquise, le bouton de manchette qu’elle lui avaitsi vivement arraché des mains à la fin du cotillon.

Il faisait triste figure à côté des pierreriesqui constellaient la marquise, ce bouton de manchette en or mat, etjamais, de mémoire de grande mondaine, on n’avait vu pareil bijous’étaler au beau milieu d’un corsage décolleté.

Madame de Barancos était trop savante en cesmatières pour avoir péché par ignorance, et si elle avait commis cesolécisme de toilette, ce n’était certes pas sans intention.

Nointel le savait bien, et c’est parce qu’ille savait que son étonnement fut sans borne. Cette exhibitionimprévue déconcertait toutes ses prévisions et déroutait toute salogique. La marquise affichant cette pièce à conviction qu’elleaurait dû avoir hâte d’anéantir, c’était un comble : le comblede l’audace, à moins que ce ne fût au contraire la preuve la pluséclatante de sa complète innocence.

Madame de Barancos ne laissa pas au capitainele temps de se remettre de sa surprise.

– Soyez le bienvenu, lui dit-elle en luitendant la main. Vous ne sauriez croire avec quelle impatience jevous attendais. Si vous n’étiez pas arrivé ce soir, je crois que jeserais retournée à Paris demain matin.

– Quoi ! madame, dit Nointel, deplus en plus surpris, vous auriez abandonné vos hôtes !

– Mes hôtes auraient fort bien chassé etdîné sans moi. Ces sont mes compatriotes, et je les ai façonnés àmes caprices.

– En effet, il me semble que je suis seulici à représenter la France.

– Vous vous en plaignez ?

– Non pas. Je vous sais au contraire ungré infini de ne pas avoir invité certains personnages de maconnaissance.

– M. Prébord, entre autres, n’est-cepas ? Je n’ai eu garde, quoiqu’il ait fait des bassesses pourvenir. J’ai même laissé de côté votre ami, M. Gaston Darcy. Ilvous aurait donné des distractions, et je prétends que vous ne vousoccupiez que de moi.

Sur cette déclaration peu déguisée, lamarquise passa, laissant Nointel assez désarçonné, et s’en alladistribuer à ses sujets des sourires princiers. Les parties avaientcessé aussitôt qu’elle s’était montrée au bout de la galerie, etles joueurs se groupèrent autour de la châtelaine pour lacomplimenter.

Évidemment, tous ces gens-là étaient descréoles de la Havane, accoutumés à former la cour de madame deBarancos, quand il lui plaisait de s’entourer de ses vassaux. Ilsavaient, d’ailleurs, assez grand air, et ils ne semblaient point dutout embarrassés du rôle qui leur était assigné.

– Elle a dû les faire venir de Cuba toutexprès, pensait Nointel. Des parasites recrutés à Paris ne seraientpas si majestueux. Mais je ne vois ni Simancas, ni Saint-Galmier.Aurait-elle eu la gracieuse idée de m’épargner leurcompagnie ? Non, pardieu ! les voici.

Le général était entré par une petite porteperdue entre deux panoplies dans un coin du hall, et ils’avançait à pas comptés, flanqué de son ami le docteur. Une plaqueen diamants étoilait son habit noir, et sa boutonnière était ornéed’une brochette garnie de beaucoup d’ordres étrangers.Saint-Galmier s’était contenté de se mettre au cou un ruban auquelpendait une croix qui pouvait bien lui avoir été donnée par lasouveraine des îles Sandwich. Ils étaient superbes tous les deux,et pourtant ils faisaient tache au milieu des hidalgos convoquéspar la marquise. Au premier coup d’œil, on pouvait les prendre pourdes gentlemen ; au second, on flairait en eux des aigrefins.Nointel remarqua, d’ailleurs, qu’on les accueillait assezfroidement, et que madame de Barancos les regardait à peine.

Les portes de la salle à manger étaientrestées ouvertes ; un majordome parut et annonça le dîner. Lamarquise vint prendre le bras de Nointel, qui comptait bien un peusur cette faveur ; ils ouvrirent la marche, les douairièressuivirent, conduites par les Espagnols les plus qualifiés de cetteréunion exotique, et les seigneurs sans importance formèrent laqueue du cortège.

Le capitaine était fort blasé sur les dînersd’apparat, ayant fréquenté en son temps le monde officiel, et, cequi vaut mieux, le monde où l’on sait manger. Il n’en fut pas moinsémerveillé en passant le seuil de la salle où la table étaitdressée au milieu des fleurs.

Le service était en porcelaine de Saxe, lenapperon, formant surtout, en satin de Chine tissé de fleurs detoile. Sur les assiettes, de fines serviettes plissées en cravateset attachées par une épingle en vermeil supportant le nom duconvive. Devant chaque couvert, neuf verres pointillés d’or, deuxcarafons pour le vin et l’eau. Au milieu, sur un haut pied, unegrande coupe remplie de roses thé, de violettes et de mimosasretombant des deux côtés en guirlandes, qui serpentaient sur latable et s’en allaient se perdre dans deux autres coupes placéesaux deux extrémités.

La marquise adorait les fleurs, et elle avaitadopté cette mode nouvelle qui remplace les massives argenteries denos pères par un jardin. Mais chez elle on mangeait sérieusement,et les gastronomes pouvaient réjouir leurs yeux avant de régalerleur palais. Tous les gibiers de la création figuraient à cerendez-vous de chasse. Le coq de bruyères, venu de la forêt Noire,y occupait la place d’honneur ; les perdrix normandes yfaisaient vis-à-vis aux bécasses voyageuses, et les gélinottes,nourries de bourgeons de sapin, y représentaient la Russie.

En toute autre occasion, le capitaine eût étécharmé de cette ordonnance pleine de promesses, car il estimait lagrande cuisine à sa véritable valeur ; mais, pour le moment,la grande cuisine était le moindre de ses soucis. Les compatriotesde madame de Barancos n’étaient guère en état non plus d’apprécierun dîner d’ordre supérieur. Ils venaient d’un pays où l’on souped’un air de mandoline après avoir dîné d’une cigarette et déjeunéd’une tasse de chocolat. Il n’y avait guère là que Simancas etSaint-Galmier qui pussent goûter les mérites exceptionnels del’artiste auquel ils devaient ce dîner savamment conçu etmagistralement exécuté. Nointel les vit chuchoter, lorgner enconnaisseurs les mets qui constituaient le premier service, ethocher la tête d’un air satisfait. Il était placé tout juste enface d’eux, et il enrageait d’être obligé de ne pas leur faire tropmauvaise mine ; mais il comptait bien se rattraper un peu plustard.

La marquise l’avait fait asseoir à sa gauche,la droite étant occupée par un Espagnol très-qualifié, celui-làmême qui avait eu l’honneur de souper près d’elle au bal. Et del’autre côté, Nointel était flanqué d’une duègne dont l’aspectrébarbatif aurait fait reculer un zouave.

– Votre voisine n’entend que la langue duCid, et mon voisin est sourd, lui dit madame de Barancos ;vous pouvez parler comme si nous étions tous les deux sur le sommetdu mont Blanc. À propos, vous savez que j’y suis montée l’annéedernière ?

– Je l’ignorais, mais je ne suis passurpris de l’apprendre, répondit Nointel en goûtant un potagetortue à la Chesterfield. Vous devez aimer les cimes, lesescalades, tout ce qui est inaccessible.

– Non ; tout ce qui estpérilleux.

– Est-ce cet amour du danger qui vous apoussée à inviter le général Simancas et son âme damnée le docteurSaint-Galmier ?

La marquise rougit légèrement et dit d’un tondégagé :

– Vous les trouvez dangereux ; vousleur faites beaucoup d’honneur. Je ne les invite pas, je lesprotège.

– C’est encore pis.

– Vous dites cela parce qu’ils vousdéplaisent. Ils ne me charment pas, mais je les trouve inoffensifs,et je sais qu’on les juge sévèrement. Or, j’ai une tendanceinstinctive à défendre les gens que le monde attaque. Je suis duparti des opprimés.

– Faudrait-il donc, pour vous plaire,avoir été refusé dans un cercle ou consigné à la porte d’un salonbien posé ?

– Peut-être : les majorités onttoujours tort à mes yeux, et je ne suis jamais de leur avis. J’aimeles révoltés.

– Fra Diavolo, alors ?

– Pourquoi pas ? Je suis du pays dedon Quichotte. Vous rappelez-vous qu’un jour il délivra desmalheureux qu’on menait aux galères ?

– Et qui, pour le remercier de ce bonoffice, lui jetèrent des pierres, dès qu’ils eurent les mainslibres.

– Vous êtes insupportable. On dirait quevous avez juré de m’arracher toutes mes illusions. Tenez ! jem’imaginais que vous étiez capable d’aimer comme je voudrais êtreaimée, que vous méprisiez cet ennemi bête et lâche qu’on appellel’opinion, et vous semblez prendre à tâche de vous poser enbourgeois raisonnable. Vous devriez dire ces choses-là avec la voixde M. Prudhomme. Pourquoi n’ajoutez-vous pas que ces bouchéesaux laitances sont délicieuses ? Ce serait tout à faitconforme aux us de la bonne compagnie, et le monde n’y trouveraitrien à reprendre, ce monde qui ne tolère pas les indépendants.

– Si vous saviez combien peu je me souciede ce qu’il pense, vous me traiteriez moins durement. Que ne memettez-vous à l’épreuve ? Vous apprendriez bien vite à memieux connaître.

– Prenez garde. Je suis capable de vousprendre au mot, et de vous proposer une extravagance.

– Essayez, répondit le capitaine enregardant fixement la Barancos qui ne baissa pas les yeux.

Il y eut un silence. On servait une truite àla Johannisberg, que les Espagnols goûtaient du bout des dents, etque Saint-Galmier dégustait avec recueillement. La marquise trempases lèvres rouges dans un verre de vin de Xérès, et Nointel se mità étudier le menu, comme s’il eût médité sur le chaud-froid deperdreaux ou sur la macédoine de fruits glacés.

– Je vous ai invité, reprit en riantmadame de Barancos, et je n’ai pas même songé à vous demanderauparavant si vous étiez chasseur.

– Vous plaît-il que je le sois ?riposta gaiement le capitaine.

– Je ne vous demande pas de fadeurs. Jeveux savoir si la chasse en battue vous amuse.

– Moins que la chasse au bois ou enplaine, tout seul, avec mon chien. Je n’aime pas beaucoup lesdivertissements qui sont réglés à l’avance comme les évolutionsd’un ballet. Vous ne me reprocherez pas de manquer defranchise.

– Je vais voir si vous serez francjusqu’au bout. Pourquoi êtes-vous venu ici ?

– Pour vous dire ce que je n’ai pas puvous dire au bal.

– Vous pensez donc que vous ne m’avezrien dit, demanda madame de Barancos en posant un de ses doigtseffilés sur le bouton d’or que le capitaine lui avait remis à lafin du cotillon.

– Si, je crois que j’ai parlé… je croismême que vous m’avez répondu… comme se parlent et se répondent enOrient les effendis et les sultanes… l’effendi envoie un bouquetplein d’allégories, et la sultane répond par… c’est le langage desfleurs, un langage délicieux, mais insuffisant… j’aspire àm’expliquer dans un idiome moins poétique et plus clair.

– La battue ne commencera qu’à midi.Voulez-vous que demain matin nous fassions un tour à cheval ?Les bois sont superbes en cette saison. Il a gelé hier, et lesbranches des chênes ont des girandoles de glace. Vous verrez que jefinirai par vous convertir à la poésie.

– C’est fait.

– J’en doute. Mais je tiens à vousmontrer ma forêt. Votre cheval sera sellé à neuf heures. Etmaintenant, tâchez de trouver un sujet qui puisse défrayer uneconversation générale. Notre aparté a trop duré.

– Vraiment ? Vous aussi, voussacrifiez aux convenances.

– Non ; mais si nous continuons, mesconvives vont infailliblement se mettre à parler espagnol, et vousn’y prendriez aucun plaisir. Aidez-moi à les retenir en France.

Nointel ne demandait pas mieux. Il savaitmaintenant tout ce que pouvait lui apprendre une causerie de table,trop souvent interrompue par un maître d’hôtel, présentant l’aspicaux filets de homard ou le caneton de Rouen au jus d’orange, et ils’apercevait que de l’autre côté de la table on le surveillaitdiscrètement. Simancas avait de bons yeux, et Saint-Galmier avaitl’oreille fine. Quoi que pensât de ces deux drôles madame deBarancos, il était fort inutile d’attirer leur attention, enprolongeant un entretien particulier.

La marquise avait déjà entamé avec un jeuneCubain fraîchement débarqué en France un dialogue vif et animé surles théâtres chers aux étrangers qui viennent à Paris pourapprendre la vie élégante. Nointel trouva plaisant de s’adresserd’abord à Saint-Galmier et de lui demander des détails sur laconstitution du Canada. Les coupes étaient assez basses, et lesurtout ingénieusement disposé pour que les convives qui sefaisaient vis-à-vis pussent se voir et se parler. Et le docteurn’eut aucune peine à répondre par des considérations approfondiessur la supériorité d’un mets américain qu’on venait deservir : les écrevisses ensablées, des écrevisses cuites dansdu riz saupoudré de safran, qui avaient l’air de reposer sur dusable doré. C’en fut assez pour que, par une suite de transitionsimprévues, la conversation rentrât dans les lieux communs quidéfrayent habituellement les grands dîners. Un peu de politique,suffisamment de sport, un soupçon d’aperçus littéraires, le toutassaisonné de médisances mondaines et de quelques échos decoulisses. Tous ces étrangers étaient gens de bonne compagnie,très-bien informés des choses parisiennes et donnant très-bien laréplique à un causeur expérimenté comme l’était le capitaine.Simancas et le docteur ne les valaient pas, mais ils savaient setenir, et tout se passa le mieux du monde jusqu’à la fin.

Seulement, lorsque la marquise prit son braspour revenir dans ce hall où se concentre la vie duchâteau, Nointel fut très-surpris de l’entendre lui dire :

– Je vais vous quitter. J’ai besoind’être seule. C’est bizarre, mais c’est ainsi. Nous nous reverronsdemain matin. Soyez à cheval à neuf heures.

Quelques mots aux douairières, quelquespoignées de main aux hommes, et ce fut tout. La châtelaine s’enalla par la grande porte, laissant ses hôtes se divertir comme ilspourraient.

– Pour le coup, voilà qui est prodigieux,se dit le capitaine. Où diable va-t-elle ? Prier pour l’âme dela d’Orcival ? Elle en est, pardieu ! bien capable.

Les hôtes de la marquise devaient être au faitde ses habitudes, car ils ne parurent point s’étonner de cetteretraite précipitée. Les douairières retournèrent à leurwhist ; les jeunes organisèrent un baccarat, Saint-Galmier semit à jouer aux échecs avec un hidalgo de très-bonne apparence, etSimancas engagea une grave conversation en espagnol avec lepersonnage qui était assis à table à la droite de madame deBarancos.

Nointel se trouva donc fort isolé. Il estjuste d’ajouter qu’on lui avait offert d’être de la partie debaccarat, et qu’il s’était excusé poliment. Il ne songeait guère àtenter la fortune au jeu. Il songeait à l’étrange disparition de lamarquise et à la matinée du lendemain. Il y songeait si bien quel’idée lui vint d’imiter la châtelaine et de profiter de la libertéabsolue qui était la règle chez elle, pour disparaître aussi. Unbon cigare fumé solitairement, au coin du feu, le tentait beaucoupplus que la compagnie des indifférents qui remplissaient lehall. Et de plus, il se souciait médiocrement d’entrer encolloque avec le général péruvien qui l’observait du coin de l’œilet qui n’allait pas manquer de l’aborder. C’est pourquoi, aprèss’être promené quelques instants d’un bout à l’autre de la salle,il gagna tout doucement la grande porte qui donnait sur le corridord’honneur. Là, il trouva deux ou trois valets de pied tout prêts àreconduire les invités, et il se fit ramener dans son appartement,où tout était préparé pour qu’il pût y passer une agréablesoirée.

Dans la cheminée du petit salon qui précédaitla chambre à coucher, un feu clair, un feu de bois de hêtre. Sur latable d’ébène à incrustations de cuivre, quatre bougies alluméesdans des candélabres à deux branches, de vraies bougies de cire etdes candélabres d’argent ciselé – un éclairage du grand siècle, –des journaux, des revues, des albums, trois caisses d’excellentscigares, compatriotes parfumés de la châtelaine havanaise. Plusloin, sur un dressoir en vieux chêne, le samovar moscovite, laboîte à thé et les tasses en porcelaine de Chine, un appareilsimple et commode pour faire le café, et dans des flacons decristal de roche, l’eau-de-vie de France, le rhum des Antilles, lekummel de Russie. Tous les rêves d’un garçon ami de la solituderéalisés par les soins prévoyants d’un intelligent serviteur.

Ce serviteur, attaché à la personne ducapitaine, veillait dans l’antichambre ; il demanda des ordrespour le lendemain, et Nointel, en le congédiant, lui annonça qu’ilmonterait à cheval à neuf heures précises. Après quoi, il se mit entenue d’intérieur, il endossa le veston anglais, il chaussa lespantoufles de maroquin et il s’établit dans un immense fauteuil,afin de philosopher tout à son aise.

Mais il était écrit que ses méditationsseraient troublées dès le début. À peine commençait-il à repasserdans sa tête les incidents de la soirée qu’on frappa discrètement àla porte. L’imagination du capitaine fit aussitôt des siennes, etil lui passa par l’esprit que madame de Barancos venait lui faireune visite. L’excentricité était à l’ordre du jour chez cettemarquise, et il pouvait bien supposer qu’il lui avait pris lafantaisie de sauter à pieds joints par-dessus les convenances. Ilse leva vivement, il courut ouvrir, et, au lieu du charmant visagede la châtelaine, il vit la figure déplaisante de Simancas.

– Que me voulez-vous ? demanda-t-ilbrusquement au Péruvien qui se permettait de le relancer jusquechez lui.

– J’ai à vous parler de chosestrès-sérieuses, répondit Simancas, sans se déconcerter, et je vousprie de m’accorder la faveur d’un entretien. Je sais que vous nerecherchez pas ma compagnie, mais je suis certain que, cette fois,vous ne regretterez pas d’avoir entendu ce que j’ai à vousdire.

Nointel hésita un instant, mais il se ditqu’il lui faudrait tôt ou tard s’expliquer définitivement avec cedrôle, et que mieux valait en finir tout de suite.

– Soit ! dit-il, entrez. Je veuxbien vous écouter, à condition que vous serez bref et surtout quevous irez droit au but. Je ne suis pas disposé à vous recevoir pourle plaisir de causer avec votre seigneurie.

– N’ayez crainte. J’ai beaucoup voyagé enAmérique, et je sais que le temps est de l’argent : timeis money. Je me propose de monnayer les instants que vousconsentez à m’accorder.

Sur cette promesse, Simancas se glissa dans lachambre, prit un siège que ne lui offrait pas le capitaine quis’était replongé dans son fauteuil, et commença en cestermes :

– Vous souvient-il, monsieur, de certaineconversation que nous eûmes, il y a peu de jours, chez mon amiSaint-Galmier ?

– Parfaitement, répondit Nointel assezsurpris de ce début.

– Je ne l’ai pas oubliée non plus, et jevous demande la permission de vous rappeler qu’à la fin de cettecauserie, il vous plut de me poser certaines conditions que jem’empressai d’accepter. Je vous fournis, séance tenante, tous lesrenseignements que vous me demandiez sur la conduite de madameCrozon, pendant la longue absence de son mari ; je m’engageaide plus à m’abstenir de toute démarche auprès deM. Crozon…

– Démarche est charmant, ditironiquement le capitaine.

– Enfin, continua sans sourciller lePéruvien, je promis que vous seriez invité à bref délai chez madamede Barancos. Vous reconnaissez, je pense, que j’ai tenu tous mesengagements. M. Crozon n’a plus reçu une seule lettre anonyme,et, au lieu d’une invitation, vous en avez reçu deux.

– Reste à savoir si c’est à vous que jeles dois. Mais je ne chicanerai pas sur ce point. Où voulez-vous envenir ?

– À vous dire que notre premier traitéayant été fidèlement exécuté de part et d’autre, je viens vousproposer d’en conclure un second.

– Je ne comprends pas.

– Vous allez comprendre ; je vaisjouer cartes sur table. L’heure des réticences est passée. Vousconnaissez mes projets, et je ne serais qu’un sot, si je cherchaisà vous les cacher, car vous ne prendriez pas le change. Vous saveztrès-bien que je me suis implanté de force, ou peu s’en faut, chezla marquise, et que, par le même procédé, j’ai introduit avec moi,dans la maison, ce cher docteur. Vous savez cela, et vous êtes tropintelligent pour n’avoir pas deviné que, si j’ai obtenu mes deuxconcessions, c’est que je possède un secret qu’il me suffirait dedivulguer pour perdre la marquise dans l’opinion publique. Je suisfranc, vous le voyez.

– Franc jusqu’au cynisme. Continuez.

– Ce secret, Saint-Galmier et moi, noussommes seuls à le connaître, et il peut faire notre fortune. Lamarquise possède beaucoup de millions, et elle en donneraitvolontiers deux ou trois pour acheter notre silence. Nous ne leslui avons pas encore demandés, parce que nous tenions avant tout àsa protection. Je ne me dissimule pas que nous avions besoin denous relever aux yeux du monde. C’est fait. On nous a vus à safête ; elle s’est montrée avec moi au bois de Boulogne ;tout Paris saura que nous venons de passer quelques jours à sonchâteau de Sandouville. Elle ne peut plus rompre avec nous sansprovoquer un éclat qu’elle évitera certainement. Bientôt donc, nousserons en mesure d’aborder la grande question de la rémunérationqui nous est due. En échange d’une somme qui nous fera riches etqui ne l’appauvrira guère, nous lui offrirons des garanties ;nous nous engagerons même, si elle l’exige, à repasser l’Océan,quoiqu’il nous en coûte de quitter la France. Et elle acceptera lemarché, n’en doutez pas.

– Fort bien. Dans quel but, s’il vousplaît, m’exposez-vous ce joli plan de chantage ?

– Mon Dieu, c’est très-simple. Notre plana les plus grandes chances de succès, mais vous pouvez empêcherqu’il réussisse.

– Vraiment ? Eh bien, vousm’étonnez.

– Votre étonnement cessera si vous voulezbien m’écouter. Je ne vous apprendrai rien en vous disant que lamarquise a pour vous un goût très-vif. Elle ne se donne même plusla peine de déguiser ses sentiments, et parmi tous ses hôtes, iln’en est pas un seul qui ne croie que vous êtes ou que vous serezson amant. C’est aussi mon humble avis, seulement je suppose quevous visez plus haut.

– Ah ! alors, selon vous, je mepropose…

– D’épouser madame de Barancos, cela neme paraît pas douteux, et je trouve que vous avez cent fois raison.Je pense même que vous parviendrez à l’épouser, si vous vous yprenez bien. Or, si elle vous accepte pour mari, il arriverainfailliblement que vous exigerez qu’elle nous mette à la porte,mon ami et moi.

– J’admire votre perspicacité.

– Dites plutôt ma franchise. Vouscommencerez donc par demander qu’on nous chasse, et j’avoue quevis-à-vis de vous, nous sommes sans défense ; vous avez barresur nous, et vous pouvez nous faire beaucoup de mal ; mais simadame de Barancos, entraînée par la passion que vous lui inspirez,oublie qu’elle est à notre merci, si elle rompt avec nous, alors,je dois vous en prévenir, il arrivera que, n’ayant plus deménagements à garder, nous publierons ce que nous savons d’elle, etje vous affirme qu’une fois le secret publié, vous renoncerez devous-même à épouser les millions de la marquise.

– Dans ce cas, moi aussi je n’aurai plusde ménagements à garder, et je raconterai à qui de droit ce que jesais sur votre compte.

– Naturellement. Et la rupture de notretraité aura de déplorables résultats. Nous serons obligés,Saint-Galmier et moi, de passer la frontière, votre mariagemanquera, et Dieu sait ce qu’il adviendra de la marquise. Nevaudrait-il pas mieux nous entendre ?

Nointel tressaillit de colère, et peu s’enfallut qu’il ne se levât pour jeter dehors le drôle qui lui tenaitce langage. Mais il réfléchit presque aussitôt qu’il seraittoujours temps d’en venir là, et que l’occasion était bonne pouramener Simancas à démasquer complètement son jeu.

– Nous entendre ? dit-il avechauteur. Pourquoi ? Je n’ai nul besoin de vous.

– Peut-être, répondit le Péruvien.Supposez, par exemple, que madame de Barancos n’ait pour vousqu’une fantaisie, et qu’elle ne soit pas disposée à se donner unmaître. Le veuvage a des charmes qu’elle apprécie infiniment, etrien ne prouve qu’elle songe à y renoncer. Il est même probablequ’elle préfère rester libre. Si elle a cette idée, commentl’amènerez-vous à vous épouser ? Je connais son caractère, etvous avez déjà pu l’apprécier aussi. Elle vous démontrera que vousserez parfaitement heureux sans aliéner votre indépendance, que lemariage tue l’amour et bien d’autres choses encore. Que luiobjecterez-vous ? Dire que vous voulez absolument être sonmari, ce serait confesser que vous tenez plus à sa fortune qu’à sapersonne. Tandis que si vous possédiez, comme moi, son secret…

– Et si je la menaçais d’en abuser, ellen’aurait rien à me refuser. C’est juste. Mais, j’y pense, pourquoin’usez-vous pas de ce talisman pour la contraindre à vous épouser,vous, dont José Simancas, général au service de la Républiquepéruvienne ?

– Vous vous moquez de moi. Je sais fortbien que madame de Barancos braverait tous les dangers plutôt quede m’accepter pour époux. Vous, c’est autre chose. Vous n’avez qu’àvouloir pour la décider, si vous savez vous servir de l’arme que jesuis prêt à vous fournir… à des conditions très-acceptables.

– Voyons les conditions.

– Je vous livrerai le secret de lamarquise contre votre parole de me faire remettre dans le délaid’un mois après la célébration de votre mariage la somme de deuxmillions, et je m’engagerai, moi, par écrit, à retourner enAmérique avec Saint-Galmier aussitôt que j’aurais touché, et à neplus remettre les pieds en Europe. Si nous nous avisions d’yrevenir, vous auriez toujours une garantie contre nous, puisquevous pourriez nous dénoncer à… à qui de droit, comme vous venez dele dire poliment. Voilà tout, monsieur. J’attends, pour me retirer,que vous veuillez bien me répondre.

Le capitaine étouffait d’indignation, et ilavait eu bien de la peine à se contenir pendant que Simancasdéveloppait cette insultante proposition. Mais son esprit étaitresté lucide comme toujours, et il commençait à se demander s’il neferait pas bien, dans l’intérêt même de la malheureuse marquise,d’arracher à ce coquin une confidence sans réserve. Si le Péruvienet son complice avaient vu la marquise frapper Julia d’Orcival, ilne tenait qu’à eux de la perdre, et de sauver, par ricochet,mademoiselle Lestérel. Nointel ne demandait pas mieux que de sauverBerthe, mais il lui répugnait horriblement de perdre madame deBarancos. Ne valait-il pas mieux l’avertir, la presser defuir ? Ne valait-il pas mieux aussi savoir à quoi s’en teniravant de pousser plus loin une liaison dangereuse ?

– Oui, se disait-il, il faut que j’aie lecourage de laisser croire à ce misérable que j’accepterai l’odieuxmarché qu’il ose me proposer. Et s’il m’apprend qu’il a été témoindu meurtre, je dirai demain à la marquise que je lui accorderai letemps de quitter la France, de disparaître pour toujours, si elleconsent à écrire une lettre qui contiendra l’aveu de son crime etque je remettrai au juge d’instruction un mois après son départ.Mademoiselle Lestérel est déjà en liberté ; elle peut bienattendre un mois que l’aveu de la coupable proclame soninnocence.

En raisonnant ainsi, Nointel cédait ausentiment qui l’entraînait vers madame de Barancos, et en vérité ilétait assez excusable de vouloir épargner la cour d’assises à unefemme qu’il aurait adorée si elle n’eût pas été criminelle.

– Avant de vous répondre, dit-ilbrusquement, je veux savoir ce que vaut ce secret, dont vous faitessonner si haut l’importance. S’il s’agissait par exemple d’uneliaison qu’aurait eue la marquise, vous ne m’apprendriez rien en mela révélant. Je n’ignore pas qu’elle a été la maîtresse de ceGolymine qui fut votre complice.

Simancas changea de couleur. Il ne s’attendaitpas à cette botte. Mais il répondit sans trop hésiter :

– Il s’agit d’une révélation beaucoupplus grave.

Nointel avait été merveilleusement servi parson instinct en jetant le nom de Golymine à la face du Péruvien,qui se promettait de ne livrer qu’une partie de son secret. Cecalcul assez machiavélique se trouvait déjoué du premier coup, etSimancas était mis en demeure d’aller plus loin dans la voie desconfidences.

Encouragé par un premier succès, le capitainele poussa vigoureusement.

– Vous convenez donc, dit-il, queGolymine a été l’amant de la marquise ?

– Oui, répondit le Péruvien ; maisil n’y a que moi et Saint-Galmier qui le sachions.

– Vous vous trompez. D’autres lesavent ; moi, par exemple. Si tous vos secrets ressemblent àcelui-là, ils n’ont aucune valeur, et madame de Barancos seraitbien folle d’acheter votre silence au prix où vous prétendez le luivendre.

– Il me semble pourtant qui si on lamenaçait de publier les lettres qu’elle a écrites au comte…

– Elle irait tout simplement trouver leprocureur de la République : elle lui dirait que vous voulezla faire chanter, elle se mettrait sous sa protection, et le moinsqui pourrait vous arriver, ce serait d’être expulsé de France.J’ajoute que si je me décidais à conclure le marché, j’y mettraispour première condition que ces lettres me soient remises.

– Cela ne souffrirait aucunedifficulté.

– Vous les avez donc toutes ?

– J’en ai une ; cela suffit.

– Où sont les autres ?

– Je l’ignore, répondit Simancas, nonsans avoir hésité quelque peu.

– Vous l’ignorez ? Voulez-vous queje vous l’apprenne ? Je suis très-bien informé, je vous enpréviens ; si bien informé que j’ai deviné le secret que vouscroyez posséder seul, le grand secret qui met la marquise à votrediscrétion.

– Vous me permettrez d’en douter ;si vous l’aviez deviné, vous auriez déjà coupé court à notreentretien.

– Pourquoi donc ? Votre conversationm’intéresse beaucoup. Il se peut d’ailleurs que j’aie deviné dequoi il s’agit, et qu’il me reste cependant beaucoup d’explicationset de renseignements à vous demander. Tenez ! je vais vousmettre sur la voie. La nuit où la d’Orcival a été assassinée au balde l’Opéra, vous occupiez avec votre ami Saint-Galmier une loge quitouchait à celle où le crime a été commis.

À ce nouveau coup, Simancas perdit tout à faitcontenance.

– Sans doute, balbutia-t-il, j’étais là…mais quel rapport voyez-vous entre cette circonstance et lesecret ?

– Je vais vous le dire. On a accusé de cecrime une jeune fille dont l’innocence vient d’être reconnue. Ellea dû être mise avant-hier en liberté provisoire, et l’ordonnance denon-lieu ne se fera pas attendre. Cependant, la d’Orcival a ététuée par quelqu’un… par une femme évidemment, puisqu’il est prouvéqu’elle n’a reçu dans sa loge que des femmes. Or… suivez bien monraisonnement, je vous prie… la d’Orcival avait été la maîtresse devotre ami Golymine, lequel avait été, vous venez de me le dire,l’amant de madame de Barancos. Ce Golymine s’est pendu chez Juliapeu de jours avant la nuit du bal. Il avait des lettres de lamarquise. Vous en possédez une, à ce qu’il paraît. Il est asseznaturel de supposer que les autres sont tombées entre les mains dela d’Orcival, soit que le Polonais les lui ait confiées, soitqu’elle les ait trouvées sur lui après sa mort. Il est tout aussinaturel de penser que madame de Barancos, avertie de cet incident…vous me suivez toujours, n’est-ce pas ?… de penser, dis-je,qu’elle a tout risqué pour les reprendre. Maintenant, je vouslaisse le soin de conclure.

– Permettez !… tout cela ne prouvepas…

– Que j’aie deviné votre secret. Eneffet, je ne l’ai pas deviné. C’est vous qui venez de me lelivrer.

– Comment cela ?

– Eh ! Pardieu ! en m’avouantque vous teniez la preuve d’une correspondance entre la marquise etvotre canaille d’ami. Avec ce point de départ que vous m’avezfourni, je n’ai pas eu de peine à découvrir que la marquise avaitun gros intérêt à se débarrasser de la d’Orcival ; et que voussaviez, pour l’avoir vu, qu’elle s’en est débarrassée en effet.

Et comme Simancas, tout interloqué, se taisaitet s’agitait sur son fauteuil, le capitaine reprit en le regardantfixement :

– Vous voyez que je suis aussi fort quevous et que je pourrais me passer de vos révélations. Allons !convenez que j’ai touché juste.

– J’aurais beau en convenir, cela ne vousmettrait pas en mesure de tirer parti de mon secret. Desconjectures ne sont pas des faits.

– Et vous seul avez été témoin du faitcapital, vous et votre acolyte, Saint-Galmier. D’accord. Cependant,j’ai vu aussi quelque chose, et je n’ai aucun motif pour ne pasvous dire ce que j’ai vu, car je ne cherche pas à trafiquer desinformations que je possède. J’ai vu madame de Barancos entrer aubal de l’Opéra. Je l’ai parfaitement reconnue, malgré son voile dedentelles. Je lui ai parlé, je lui ai donné le bras pour laprotéger contre des impertinents qui la serraient de trop près, etje l’ai quittée à l’entrée du couloir des premières, à cinquantepas de la loge n° 27, celle où Julia a été assassinée. Je n’ensais pas plus long, mais c’est bien suffisant, et si je voulaisaller raconter mon aventure au juge d’instruction, en le priant des’adresser à vous pour les renseignements complémentaires…

– Vous ne ferez pas cela ! s’écriale Péruvien.

– Non, si vous me donnez cesrenseignements. Et, en vérité, vous auriez grand tort de me lesrefuser, au point où nous en sommes.

– Mais, en admettant que je les possède,vous engageriez-vous, si je vous les livrais…

– Je ne m’engagerais à rien ; il neme convient pas de m’engager, puisque vous êtes d’ores et déjà à madiscrétion, tandis que je ne serai jamais à la vôtre. Mais vousdevez comprendre que je ne tiens pas à vous écraser, et que vousavez tout intérêt à marcher d’accord avec moi.

– Soit ! dit Simancas, poussé dansses derniers retranchements. Je m’en rapporte à votre conscience.Quand je vous aurai appris ce que je sais, vous évaluerez vous-mêmele prix que vaut mon silence. D’ailleurs, je sais à qui j’aiaffaire, et je suis certain que je n’aurai pas à me repentir dem’être fié à vous. Apprenez donc que nous avons, non pas vu, maisentendu tout ce qui s’est passé dans la loge. J’ai reconnu la voixde la marquise, et, de plus, Julia, pendant la discussion qui s’estengagée entre elles, l’a plusieurs fois appelée par son nom. Elle aété vive, cette discussion, et il s’agissait des lettres adresséespar madame de Barancos au comte. Nous ne distinguions pas toutesles paroles, mais nous pouvions cependant suivre à peu près laconversation. Enfin, les lettres ont été restituées, et la marquiseest sortie de la loge…

– Comment ! c’est tout ?

– Elle est sortie, mais elle est rentréeune minute après. Elle s’était ravisée sans doute. Elle s’était ditque la d’Orcival avait pu garder une lettre, et qu’il seraitprudent de l’empêcher à tout jamais de parler. Alors la scène a ététrès-courte. Madame d’Orcival a dit : Quoi ! madame,c’est encore vous ! La marquise, au lieu de répondre, a frappéavec ce poignard-éventail que l’autre tenait probablement sur sesgenoux… il en avait été question pendant le premier colloque. Nousavons entendu un cri étouffé, deux ou trois gémissements, puis rienque le bruit de la porte, ouverte et refermée rapidement. Lamarquise s’était enfuie, et l’ouvreuse ne s’était aperçue de rien.J’avais à peu près compris ce qui avait dû se passer. J’ai regardépar-dessus la séparation, et je n’ai rien vu. Le coup avait étéfait dans le petit salon qui est au fond de la loge. Alors, noussommes partis…

– Sans vous inquiéter de la malheureuseJulia qui expirait derrière la cloison. Mes compliments biensincères ! Vous êtes très-fort. Un autre aurait crié : Aumeurtre ! Vous et votre digne ami le docteur, vous êtes sortistranquillement, et vous avez conçu aussitôt l’ingénieux projetd’exploiter madame de Barancos.

– À quoi bon la dénoncer ? ditcyniquement le Péruvien. En la livrant à la justice, nous aurionscausé un gros scandale, et nous n’aurions pas ressuscité madamed’Orcival.

– C’est juste. Il est vrai qu’on a accuséune innocente, qu’on l’a jetée en prison, et qu’elle auraitprobablement été condamnée, si, par un hasard extraordinaire, soninnocence n’eût pas été démontrée. Mais c’est là un détailinsignifiant. Je reviens à votre découverte. Vous vous êtes, jesuppose, présenté chez la marquise dès le lendemain !

– Mon Dieu, oui. En pareil cas, on nesaurait agir trop tôt.

– Et comment a-t-elle accueilli vosouvertures ?

– Assez mal, je dois le dire. J’avaispourtant procédé avec infiniment de délicatesse. Au lieu d’employerde gros mots, de parler de crime, d’assassinat, de cour d’assises,j’ai tout bonnement prévenu madame de Barancos que je l’avaisreconnue dans la loge 27, que j’avais entendu le bruit de laquerelle qui s’était engagée entre elle et la d’Orcival ;enfin, qu’ayant été très-lié autrefois avec Golymine, jeconnaissais la cause de cette querelle. Elle a compris bientôt queje savais tout, et elle est venue d’elle-même à composition.

– Alors vous avez posé vosconditions ?

– Oh ! pas toutes. Je ne voulais pasl’effrayer. J’ai demandé seulement à être admis chez elle, ainsique ce cher Saint-Galmier, et j’ai obtenu sans difficulté nosgrandes entrées. Nous en sommes là, et le moment est venu defrapper un grand coup, car je sens que le terrain sur lequel nousmarchons n’est pas très-solide. La marquise nous supporteimpatiemment, et elle voudrait bien reconquérir son indépendance.Je la soupçonne même de méditer une fugue… un brusque départ pourles Antilles ou pour les grandes Indes. Cette fuite dérangeraitfort nos projets et les vôtres, et nous voulons l’empêcher. Pour cefaire, il n’y a qu’un moyen, c’est de lui dire nettement ce que jelui ai seulement laissé entendre, c’est de lui déclarer que nousavons été témoins du meurtre et de lui donner le choix entre unearrestation immédiate ou le payement, immédiat aussi, de deuxmalheureux millions… une bagatelle, pour une femme qui en a huit oudix. Et c’est la nécessité où nous nous trouvons d’en finir qui m’adécidé à vous proposer d’agir de concert avec nous. L’union fait laforce. Si vous consentez à nous prêter votre concours, nousréussirons sans aucun doute ; si nous nous divisons, tout peutmanquer.

» Pourquoi ne vous chargeriez-vous pas deporter la parole, de lancer à la dame cette déclaration qui doitnous assurer la victoire ? Vous aurez demain une fouled’occasions de causer seul à seul avec la marquise. Pourquoi n’enprofiteriez-vous pas pour poser un ultimatum… une bonne demande enmariage, habilement amenée après une conversation où il aurait étéquestion du crime de l’Opéra, de Golymine et de votre serviteur…peut-être n’auriez-vous pas besoin de mettre les points sur les i…Madame de Barancos est femme à entendre à demi-mot et à conclure,séance tenante, car son goût s’accorde avec son intérêt pour vousépouser… et nous nous en rapporterions parfaitement à vous pour lereste, car nous serions bien sûrs qu’une fois marié, vous nevoudriez pas que votre femme restât sous la menace d’unedénonciation, et vous vous empresseriez de vous débarrasser de nousen payant le prix convenu.

– Est-ce tout ? dit froidement lecapitaine.

– Oui. Vous acceptez ?

– Je demande vingt-quatre heures deréflexion.

– Alors, demain soir…

– Demain soir, je vous ferai connaître maréponse. Et je compte que d’ici là vous vous abstiendrez d’agir etde parler. C’est une condition sine qua non. Si vous nel’observiez pas, j’userais sans pitié des armes que j’ai contrevous. Vous pourriez dénoncer madame de Barancos, mais je vous jureque je prendrais les devants, et que j’irais trouver M. Darcy,juge d’instruction, pour lui raconter le dialogue édifiant que j’aientendu à la porte du cabinet de votre ami Saint-Galmier.

– Vous n’aurez pas cette peine, dit avecvivacité le Péruvien. Le docteur et moi nous observerons jusqu’àdemain soir la neutralité la plus complète. Nous ne dirons pas unmot à la marquise, et nous ne paraîtrons même pas à la chasse.

– C’est bien. Maintenant, veuillez melaisser seul, conclut Nointel en se levant.

Simancas n’osa pas essayer de prolongerl’entretien. Il ne se dissimulait pas qu’il s’en allait battu, etque le capitaine, qui possédait maintenant le grand secret, n’avaitrien promis. Mais ce Péruvien jugeait les autres d’après lui-même,et il faisait fonds sur les intentions qu’il prêtait à Nointel, àl’endroit de la marquise, pour espérer que tout s’arrangerait aumieux de leurs intérêts réciproques.

– Il y viendra, se dit-il en regagnanttout doucement le hall, et s’il n’y vient pas… mal lui enprendra… j’aurai recours au grands moyens… et je vais prendre mesprécautions à tout événement.

Pendant que le drôle s’éloignait sur la pointedu pied, Nointel arpentait à grands pas ce petit salon où ils’était flatté de passer une soirée si tranquille, et donnait dessignes non équivoques d’une violente agitation.

– Je n’en puis plus douter, disait-ilentre ses dents, c’est elle qui a tué Julia, et, si je n’y metsordre, ces gredins vont la rançonner d’abord et la dénoncerensuite, car ils ne se contenteront pas de deux millions. Ilsvoudront tout, elle refusera, et alors… alors elle est perdue. Etmoi qui allais l’aimer !… je ne suis même pas très-sûr de nepas l’aimer déjà. Je voudrais bien savoir ce que ferait Gaston s’ilétait à ma place… mais je ne le consulterai pas… qu’il sauvemademoiselle Lestérel, j’en serai ravi… et je l’aiderai de tout moncœur à la sauver… mais demain matin, sans plus tarder, j’avertiraila marquise.

» Je ne veux pas qu’elle aille auxgalères.

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer