L’Hirondelle sous le toit

Chapitre 14Mlle CHANTOISEAU REÇOIT UNE VISITE

La rentrée des classes venait de s’accomplir,après deux mois de vacances que Clémence Chantoiseau avait bienemployées.

Jusqu’à la fin, elle s’était bercée del’espoir que Gaston Romanet, son filleul, à la faveur d’unepermission, pourrait la rejoindre à Paris, où elle devait passer,chez ses parents, la plus grande partie des vacances. Ilsdemeuraient au Grand-Montrouge ; M. Chantoiseau étaitsecond caissier dans un établissement de crédit. Il avait toujoursvégété auprès d’une femme maladive et résignée. L’intérieur étaitpauvre et triste ; mais Mlle Chantoiseaul’avait illuminé de son rêve éblouissant. Rien ne la distrayait deson amour. Elle partait, le matin, avec un livre et allaits’asseoir sur un banc, au Parc de Montsouris à peu près désert.Elle y était comme chez elle. Les moineaux pépiaient sur sa tête etsautillaient à ses pieds. Quelques enfants mal peignés jouaientcomme pour lui rappeler sa classe et lui faire sentir l’agrément den’avoir point à les surveiller. Elle lisait. Elle lisait d’abordles dernières lettres de l’aviateur ; et puis elle en relisaitd’autres glissées entre les pages du livre qu’elle avait emporté.Un roman d’amour ? Non. Rarement. Le plus beau roman, elle levivait. Elle aimait mieux les poètes. Ses préférés étaient AlbertSamain et Charles Guérin, jardiniers des rêves. Ils entretenaientles siens. Ils étaient doux et graves. Ils rompaient le silence etne le troublaient pas. Mais quelles émotions profondes elle leurdevait !… Car leur frère d’âme Francis Jammes a biendit :

Que rien n’est déchirant comme un cri du silence.

Mlle Chantoiseau relisait desvers qu’elle savait par cœur, comme on repasse à l’encre des motstracés au crayon. Les jeux du soleil et de l’ombre fleuronnaient lapage que son regard couvait.

L’oiseau, d’un élan,

Courbe, en s’envolant,

La branche ;

Sous l’ombrage obscur,

La source au flot pur

S’épanche.

Viens t’asseoir au bord,

Où les boutons d’or

Foisonnent,

Le vent sur les eaux

Heurte les roseaux

Qui sonnent.

Et demeure ainsi

Toute au doux souci

De plaire

Une rose aux dents

Et ton pied nu dans

L’eau claire.

C’était elle…, et ce doux souci de plaireétait le sien. Elle aimait et on l’aimait. Il n’y a point dejeunesse fanée dont les couleurs ne se ravivent à de beaux vers etles poètes ont le privilège de faire oublier la laideur aux amantsqui la portent ou qui la considèrent. Clémence était certained’avoir embelli depuis sa merveilleuse aventure. Les glaces, chezses parents, ne l’avaient pas reconnue et elle-même, en s’yregardant, ne se reconnaissait pas. L’amour opérait son miracle. Enpassant devant la vitrine d’un petit photographe qui exposait sesproduits, elle avait cédé à l’envie de faire faire son portrait surcarte postale pour l’envoyer à Gaston, à la place de l’image d’ellequ’il possédait déjà. Fallait-il qu’elle fût sûre d’un changement àson avantage ! Changement qu’il avait d’ailleurs lui-mêmeconstaté. La belle matinée au Parc de Montsouris que celle oùClémence avait lu, dans un rayon de soleil :

Je presse sur mon cœur les traitscharmants de ma marraine chérie !

Elle n’avait point un penchant décidé pour lesgosses : le courant ne s’était pas établi entre l’institutriceet ses élèves. Ce jour-là, cependant, en voyant une gamine morveuseet dépenaillée tomber le nez dans le sable, Clémence s’étaitprécipitée, révélant à l’enfant du faubourg une tendresse quasimaternelle.

Quelle chance de se trouver là quand n’importequelle étincelle embrase un cœur !

Quelques jours avant la fin des vacances,Clémence fut invitée par son filleul à ne pas s’inquiéter s’ilrestait une huitaine sans donner de ses nouvelles. L’escadrille àlaquelle il appartenait était désignée pour aller bombarder desvilles allemandes. Comme ce n’était pas la première fois qu’ill’avertissait ainsi, Mlle Chantoiseau regagnaBourg-en-Thimerais dans la dernière semaine de septembre, afin depréparer sa rentrée des classes.

Elle retrouva, au-dessus de l’épicerie, lapetite chambre qu’elle louait et qui était misérable. Un lit, deuxchaises, une armoire et deux tables en bois blanc, l’une pourécrire, l’autre garnie d’une cuvette et d’un pot à eau, meublaientcette chambre de bonne. Tout ce que l’institutrice possédait depersonnel et d’intime tenait dans une malle fermée à clef. Elle yconservait les lettres de Gaston, dans l’ordre où elle les avaitreçues. Elle ouvrait chaque soir cette malle pour contempler unportrait qu’elle glissait sous son oreiller avant de s’endormir.Elle le retirait le matin et le remettait dans la malle, ce coffretdes servantes et des indigents.

Les murs étaient nus ; elle y avaitépinglé des scènes de la vie aérienne, des modèles d’avions, denoires images découpées dans les journaux illustrés, et ces imagesensoleillaient son réduit. Les plus belles aventures sont cellesqu’on suggère. Il est impossible aux cœurs épris de ne pas trahirleur préoccupation : autour de l’amoureuse, tout avait visaged’aviateur. L’observateur le plus novice eût dit en entrant dans lachambre : « Je sais qui règne ici. »

La première visite deMlle Chantoiseau fut pour les Chévremont et leurpetite réfugiée.

Après avoir eu, pendant six semaines, le piedemprisonné dans le plâtre, Nanette recommençait à marcher et àsortir. Elle boitait encore un peu, mais comme par habitude.Cependant, le médecin-major réservait son opinion sur leredressement définitif du pied.

– Te sens-tu la force d’aller jusqu’àl’étang ? demanda l’institutrice à sa petite élève.

– Oh ! je crois bien, dit celle-ci.Je suis allée plus loin déjà.

Et toutes les deux avaient fait, à travers laforêt, leur promenade favorite. L’automne épaississait le tapisd’or qu’elles foulaient. Les arbres dépouillaient leurs vêtementsd’été. Toutes les branches allaient bientôt se ressembler et l’onne ferait plus de différence entre les vivantes et les mortes. Letemps, depuis quinze jours, était sec et les feuilles bruissaientsous les pas, dans l’air calme et froid. La campagne d’hivers’organisait dans les taillis. Le sombre étang avait un frisson àfleur d’eau. Des nuages fuyaient dans le ciel, comme des besacessur des dos invisibles.

Clémence ne fut pas plutôt assise pour prendreun instant de repos, qu’elle se leva.

– Marchons, dit-elle, si tu n’es pasfatiguée. On attraperait vite froid ici…

Et elles retournèrent sur leurs pas. Nanettes’appuyait au bras de son amie silencieuse.

– À quoi pensez-vous,mademoiselle ?

Il eût fallu dire : à qui ?

 

Le 11 octobre tombait un jeudi.Mlle Chantoiseau avait passé la matinée à corrigerdes devoirs, et puis après déjeuner, elle avait écrit longuement àson bien-aimé.

Elle commençait à se tourmenter. Elle étaitsans nouvelles de lui depuis presque un mois. Les lettres qu’ellelui avait adressées étaient restées sans réponse. Pas même un motau crayon sur ces cartes-correspondance en franchise, ornées d’unfaisceau de drapeaux alliés.

Au sursaut de la rentrée, pendant huit jours,avait succédé non pas le calme, mais le bruit plat des classes,leur faux silence et leur bourdonnement.

Comme elle n’avait pas la vocationpédagogique, elle arrivait à l’école pour y prendre le collier quipesait à ses épaules étroites… Elle était, suivant le mot del’instituteur « en proie aux enfants ». Ils ne ladévoraient pas, mais ils l’accablaient. Elle avait leurs mainsnombreuses sur la nuque et relevait la tête avec effort. Elles’intéressait à deux ou trois petites, qui étaient gentilles, et nedemandait aux autres que de ne pas bêler trop haut dans l’étableimprégnée de leur suint.

Avant les vacances, elle faisait quelquefoisune bonne classe après avoir lu et relu une lettre de sonfilleul : elle en recevait une sorte de coup de fouet. Un peude rouge lui fardait la joue et son regard brillait entre sespaupières décloses, comme une flambée dans l’âtre quand la trappeen est relevée. Les fillettes assistaient au miracle sans endeviner la cause. Elles écoutaient plus attentivement. À la chaleurque répandait la leçon, les bouches s’entr’ouvraient comme desfleurs de serre. Quand, au contraire, la maîtresse languissaitaprès une lettre, son visage fermé fermait tous les fronts. Commentle professeur qui ne sème rien récolterait-il ? Le grainn’arrive au sillon, l’enseignement n’est profitable, que si legeste accompagne le grain.

Depuis plusieurs jours,Mlle Chantoiseau reprochait à sa classe uneanimation singulière, sans s’apercevoir qu’elle en étaitresponsable. Elle relut sa lettre, la mit sous enveloppe et décidade la porter elle-même à la gare avant d’aller chercher Nanettepour faire un tour en forêt.

Elle avait son chapeau sur la tête etfinissait de se ganter, lorsqu’on frappa à sa porte. La clef étaitdans la serrure : Clémence dit : « Entrez. »L’heure du facteur était passée : tout la laissaitindifférente.

Une dame en noir entra… c’est-à-dire que lemalheur entra, tellement l’inconnue avait sa figure. Elle n’étaitpas avancée en âge et paraissait vieille. Elle n’avait point besoinde se nommer : c’était sa mère. Sa ressemblance frappante aveclui tenait moins aux traits du visage qu’à un détail qui sauta auxyeux de Clémence. Gaston, sur son portrait, avait à la joue le mêmesigne qu’à la sienne portait la visiteuse, une large tache marronqui tranchait sur le teint d’une malade du foie…

– Mademoiselle Chantoiseau ?

– Oui, madame.

– Madame Romanet.

Clémence eût voulu épargner à la maman deGaston la peine de se présenter, puisqu’elle l’avait reconnue. Elledébarrassa une chaise, la vieille dame s’assit. Clémence restadebout. Le cadre étroit se resserra encore sur les deux femmes enprésence.

– Vous excuserez ma démarche,mademoiselle, si rien ne la justifie… C’est une mère désespérée quis’adresse à vous… une mère à laquelle sa douleur suffit sans que denouvelles inquiétudes ajoutent à son deuil. Mon fils, GastonRomanet, entretenait une correspondance avec vous, n’est-cepas ?

L’institutrice baissa la tête etrépondit :

– Oui, madame.

– Je vous rapporte ses dernières lettresqui m’ont été remises avec d’autres choses lui appartenant. Il estmort le 30 septembre des suites d’une blessure reçue au cours d’uneexpédition. Je suis arrivée à l’hôpital où on l’avait transporté,pour assister à ses derniers moments. M’a-t-il reconnue ? Jen’en sais rien. Il était déjà dans le coma…

La seconde chaise qui meublait la chambre setrouvait près de la fenêtre… La jeune fille, dont les jambesfléchissaient, s’affala sur un coin de sa malle… et les deux femmesconfrontèrent des visages décomposés sous le chapeau qui leurdonnait l’air d’être en visite chez quelqu’un d’absent.

Mme Romanet repritdoucement :

– Des lettres placées dans sa cantine, etvotre dernier colis, qui n’a pas été ouvert, expliquent lerapprochement que j’ai fait et qui m’amène ici. Vous connaissezGaston depuis longtemps ?

– Depuis un an.

– Puis-je vous demander où vous l’avezrencontré ?

– Je ne l’ai jamais rencontré :j’étais sa marraine sans l’avoir vu.

– Même en image ?

– Pardon : j’ai son portrait qu’ilm’a envoyé.

– Comme il avait le vôtre.

– Quand vous êtes entrée, je vous ainommée : vous êtes toute en lui, ditMlle Chantoiseau.

– Au premier abord, moi aussi je vous aiidentifiée, repartit la mère. Je ne regrette pas d’être venue, mapauvre enfant… Telle je vous imaginais, telle vous m’apparaissez.Voulez-vous que nous causions ?

– Oui, madame, fit Clémence.

Elle s’était machinalement dégantée :elle ôta son chapeau qu’elle posa à côté d’elle, sur la malle. Ilétait orné d’une rose-thé artificielle qui exprimait, comme sespareilles, la tristesse de ne point mourir.

– Me permettez-vous de vousquestionner ? poursuivit la vieille dame, avec un peu plusd’autorité qu’elle n’en avait en arrivant.

Clémence fit de la tête un signe affirmatif.N’était-elle pas, maintenant, prête à tout entendre ?

– Mon fils vous avait-il mise au courantde sa situation dans le civil ?

– Oui, madame. Je savais qu’il étaitcomptable à Lille, dans une fabrique.

– À Lille ?

– Oui.

– Mais… de sa famille… vous avait-ilparlé ?

– Il n’en avait pas, disait-il, ayantperdu ses parents de bonne heure. Il était seul au monde.

– Pourquoi mentait-il ainsi ?murmura la mère.

– Pour m’attacher à lui davantageprobablement, dit Mlle Chantoiseau. Il m’avaitdonné l’impression d’être sans soutien… sans soutien moral dans lavie… et quelle vie… si près de la mort !

– Vous lui envoyiez souvent descolis ?

– De temps en temps.

Mme Romanet jeta un coup d’œilsur le dénuement du logis et ajouta :

– Et c’était sans doute une dépenseau-dessus de vos moyens ?…

Mais Clémence protesta en rougissantlégèrement :

– J’ai de la famille. Je ne suis pasmalheureuse. Je voyais bien, d’ailleurs, qu’il attendait surtout demoi des lettres… des marques de sympathie…

– L’affection n’est venue que plustard ?

– Oui, madame… à la longue…

– Alors, pas une minute vous n’avez eul’idée… qu’il n’était pas libre ?

– Rien dans ce qu’il m’écrivait n’eût pume le faire croire.

– C’est pourtant la vérité… ladouloureuse vérité que vous ne connaissiez pas encore toutentière…

Il ne tenait qu’à cette femme de ne pas ladire. La jeune fille ne l’interrogeait pas, ne la provoquait pas,subissait son ascendant avec résignation. Elle tombait de haut,mais elle n’était encore que saisie et défaite… À quelle forcemauvaise obéit l’autre en dévoilant ce qu’elle pouvait taire ?Vengea-t-elle le dépit de s’être vue, elle, la mère, en quelquesorte reniée par un orphelin ? Ou bien céda-t-elle à une deces obscures impulsions qui nous viennent d’un organe malade, lecœur, le foie, l’estomac, la vessie… ? Dans les crimes quel’on dirait commis avec préméditation, c’est bien souventl’instinct qui joue le plus grand rôle. Les femmes ont la mêmecruauté entre elles que les félidés envers la proie à laquelle ilscommencent par casser les reins.

La dame en deuil reprit :

– Nous habitions, avant la guerre, nonpas Lille, mais Roubaix où mon fils avait, dans le commerce, unesituation qui le rendait indépendant. Si je dis qu’il n’était paslibre, mademoiselle, c’est parce qu’il laisse une femme et deuxjeunes enfants. Il était marié depuis cinq ans. Il a succédé dansles affaires à son père qui est mort peu de temps avant la guerre.Le pauvre homme n’aura pas eu, du moins, le chagrin de voir toutesces débâcles. L’égarement de son fils est certainement ce quil’aurait le plus affecté. Je n’y comprends rien… Son ménage étaituni… sa conduite irréprochable… Je ne peux pas croire qu’il avaitson bon sens quand il vous écrivait. Sa dernière permission, il l’aencore passée au milieu de nous… en famille. Il a eu, comme tantd’autres, le cerveau dérangé par cette maudite guerre. Lacorruption est contagieuse. La guerre a perverti nos enfants…Gaston a joué aux marraines comme elles jouaient aux soldats. Il afait ce qu’il voyait faire autour de lui, sans envisager lesconséquences de sa légèreté. Il ne faut pas lui en vouloir… Safemme ne se doute de rien. C’est pour lui épargner la peine d’unedouloureuse révélation, au terme d’une grossesse avancée, que jesuis venue vous trouver. Pardonnez-moi… Je ne savais pas à qui nousavions affaire n’est-ce pas ? Je le sais maintenant. Je suissûre que vous aurez pitié de deux pauvres femmes suffisammentaccablées… et que vous oublierez l’entraînement d’une heure. S’il afait une victime… songez que le coupable a expié sa faute.

Impossible de poser sur une tête une couronned’épines mieux conditionnée… il n’en manquait pas une. Mais depuislongtemps la patiente n’écoutait plus. Elle avait caché sa figuredans ses mains et sanglotait. Ses cheveux dénoués tombaient sur sesépaules. « Marié depuis cinq ans… » À partir de ces mots,elle n’avait plus entendu que des mois qui coulaient comme une eaude fontaine, à petit bruit. Le saisissement de la jeune fille, enapprenant la mort de son bien-aimé, n’avait pas été suivi delarmes. C’était seulement sur le mensonge de son ami qu’ellepleurait. Quelque chose de plus que lui était mort en elle… unecroyance, un amour, un rêve, la plus puissante raison de vivre…Elle pleurait au fond du gouffre, tandis que penchée dessus, ladame en noir l’exhortait égoïstement au silence, à l’oubli.

Celle-ci s’était levée… Il y avait encore pourelle un moyen de sauvetage, une corde à jeter, un cri àpousser… ; il y avait peut-être à refermer deux bras surl’abandonnée avant de prendre congé d’elle… Mais ou bien le gestecoûtait à la mère, ou bien elle n’y pensa même pas. Elle secontenta de toucher légèrement à l’épaule la jeune fille écroulée,et lui dit :

– Je vous ai rapporté ses dernièreslettres… Est-ce que je peux vous redemander les siennes… ce quevous avez de lui ?…

C’était cela surtout le but de sonvoyage : que rien ne subsistât de l’aventure.

Clémence Chantoiseau se redressa sansrépondre, chercha son sac à main, et puis, dans ce sac, la clef desa malle qu’elle ouvrit. Le paquet de lettres, assez volumineux,était sous des mouchoirs… Elle le prit et le tendit à l’étrangèreau teint jaune, à l’œil froid, à la main longue et sèche.

– Elles sont dans l’ordre, fit simplementl’institutrice, pour qui les grains du chapelet avaient chacun unedate.

– Le portrait… son portrait… estavec ?… demanda l’inexorable.

– Oui… non… je ne sais plus… attendez… Ily était hier encore…

Elle était si troublée qu’elle ne se rappelaitpas l’avoir mis dans son sac à main ; elle l’en retira et leremit à la mère, sans l’avoir regardé une dernière fois. Elle avaitl’air du voleur qui restitue.

Une mèche de cheveux collait à son frontmoite. Son visage était émouvant comme celui d’un malade àl’agonie. Aussi bien, la photographie rendue s’animait sous sesyeux pour un adieu suprême. Les traits de la mère, durcis parl’âge, la maladie et la province, étaient les traits du fils ;une tache sur la joue les signait et se gravait dans la mémoire del’institutrice, comme un de ces menus détails dont l’obsessionrachètera l’insignifiance.

La tragique visiteuse s’en alla comme elleétait venue. Clémence l’accompagna jusqu’à la porte. Là, sans seretourner, l’autre dit :

– Il y a un train vers Paris à cinqheures, n’est-ce pas ?

– Oui, madame.

– Merci.

Elle descendit, d’un pas pesant, l’escalierqui était étroit et obscur… En bas, elle prit le vent et se dirigeavers la gare, la conscience tranquille, tel un chirurgien après unebelle opération qui vient de tuer le malade.

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