L’Homme qui a vu le diable

Chapitre 11

 

Notre hôte avait rejeté loin de lui sonfauteuil. Il était debout. Ses ongles lui labouraient la chair deses joues et nous nous étonnions que cette peau parcheminée eûtencore du sang.

Ce sang lui coulait cependant sur les jouescomme des larmes rouges. Quant à nous, nous étions moins effrayésde l’aspect du vieillard que de ce phénomène inexplicable :le portefeuille vide ! Car nous avions vu, tous lesquatre, l’intendant compter les douze mille francs, les remettre auvieillard, et nous voyions encore celui-ci les replacerdans l’enveloppe et mettre l’enveloppe dans une poche duportefeuille ! Sans prononcer une parole, nous prîmes leportefeuille et le touchâmes de nos doigts. Nos doigts sont allésjusqu’au fond du portefeuille et n’y ont rien trouvé… L’hôtehagard, hors de lui, se fouillait et nous suppliait de le fouiller.Nous l’avons fouillé… nous l’avons fouillé parce qu’il étaitimpossible de résister à ce moment à sa volonté en délire et nousn’avons rien trouvé… rien ! rien !…

– Oh ! Oh !… fit l’hôte…Écoutez !… Écoutez !

– Quoi ? Quoi ?

– Le vent !…

– Eh bien, le vent ?

– Vous ne trouvez pas que le vent a une voixde chienne, ce soir ?…

Nous avons écouté et Makoko a dit :

– Oui, c’est vrai !… On dirait que levent aboie… là, derrière la porte…

Et tout à coup nous avons fait tous unmouvement de recul, car la porte était secouée étrangement et nousentendions une voix qui disait :

– Ouvre !

L’hôte nous faisait signe qu’il ne pouvait pasparler, mais son geste énergique nous défendait d’ouvrir…

– Ouvre ! criait-on encore derrière laporte…

Et je me suis décidé à crier, moiaussi :

– Qui est là ?…

Et tous :

– Qui est là ?… Qui est là ?… Quiest là ?…

Makoko prit le fusil que j’avais déposé enentrant dans cette salle, au coin du buffet, et il l’arma.

– Tu es ridicule ! fis-je d’une voix malassurée et j’allai à la porte.

Je collai l’oreille à la porte.

– Qui est là ?…

– N’ouvre pas !… firent ensemble Mathiset Makoko.

Je tirai les verrous et j’ouvris laporte ; une forme humaine s’engouffra dans la pièce.

– C’est l’intendant ! dis-je.

C’était, en effet, l’intendant. Il s’avança enpleine lumière.

Il paraissait très troublé. Il dit :

– Monsieur… Monsieur…

– Eh bien, quoi ?… quoi ?demandâmes-nous, tous, pressés de savoir, haletants…

– Monsieur… Je croyais vous avoir remis… Jevous avais remis… je suis sûr de vous avoir remis vos douze millefrancs… Ces messieurs ont pu voir…

– Oui ! oui ! oui !…

– Eh bien… je viens de les retrouver dans monsac… Je ne sais pas comment cela se fait… Je vous les rapporte…encore une fois… Les voilà !…

Et l’intendant ressortit la même enveloppe etrecompta les douze billets de mille… et il ajouta :

– Je ne sais pas ce que la montagne a ce soir…mais elle me fait peur !… et je vais coucher ici…

Auteurs::

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer