L’Homme qui a vu le diable

Chapitre 12

 

Maintenant les douze mille francs sont sur latable. Nous les regardons tous, ces douze billets qui viennent etqui s’en vont et qui reviennent d’une façon si inquiétante. Et nousne savons que dire, ni que penser, ni que croire, ni que ne pascroire ?

Mais l’hôte nous crie :

– Cette fois ! ils sont là… là… devantnous !… Ne les perdez pas de vue !… N’y touchezpas !… Nous ne les toucherons que lorsque nous les auronsgagnés !… À l’ouvrage ! À l’ouvrage !… Aujeu !… Où sont les cartes ?… Ah ! voici lescartes ! Tenez ! Tenez ! Donnez les cartes !les douze mille, en cinq secs ! pour voir !… poursavoir !… Ah ! çà, mais monsieur !m’entendez-vous !… C’est à moi de vous priermaintenant !… À quoi pensez-vous ?… je vous dis que jeveux savoir… savoir !

Et il me bouscule, m’assied de force sur unescabeau, me met le jeu dans la main, et se replace en face de moi,dans son vaste fauteuil, en rugissant…

… Je donne les cartes… Mon partenaire m’endemande… Je refuse… Il a cinq atouts ! Il marque deuxpoints… Il donne les cartes… Il tourne le roi. Jejoue d’autorité. Il a encore cinq atouts ! Trois etdeux cinq ! Il a gagné !…

Alors… alors, il hurle… Oui, comme le vent…comme le vent qui a une voix de chien ce soir… Il arrache lescartes… il les jette dans le brasier… Au feu, les cartes !… aufeu les cartes !… Ils sont deux à hurler… lui dedans, le ventdehors…

Mais voilà qu’il se dirige vers laporte, recourbé le mufle en avant comme une bête de proie qui vabondir… tout le poil hérissé…

C’est que, dehors, c’est bien un chien quiaboie… un chien dont le hurlement fantastique domine la voixdu vent… un chien qui hurle à la mort…

L’homme est arrivé à la porte ; il seredresse le long de la porte, et, là, à travers le bois… ildemande à voix basse :

– Est-ce toi ? Mystère !…

Par quel phénomène le chien et le vent setaisent-ils ensemble, en même temps ?…

L’homme, tout doucement, tire les verrous,entrouvre la porte… La porte n’est pas plus tôt ouverte que lejappement infernal reprend avec un éclat et un prolongement silugubres que nous en frissonnons jusqu’aux moelles. Et l’hôte s’estrejeté sur la porte avec une telle force que nous avons pu croirequ’il l’avait brisée. Non content d’avoir tiré les verrous il lamaintient encore de ses genoux et de ses bras étendus, sans un mot,ne nous laissant entendre que le bruit de sa respirationhaletante…

Puis, quand le jappement mortuaire eut cessé,qu’il n’y eut plus que du silence dehors, comme dedans, il seretourna vers nous, fit quelques pas d’une démarche d’automate etnous dit :

– Il est revenu ce soir ! Prenezgarde !

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