Mémoires de Barry Lyndon du royaume d’Irlande

Chapitre 11Dans lequel la chance tourne contre Barry.

Mes espérances d’obtenir la main d’une desplus riches héritières d’Allemagne étaient maintenant, selon toutesprobabilités, et autant que mon propre mérite et ma prudencepouvaient assurer ma fortune, assez certaines de se réaliser.J’étais admis toutes les fois que je me présentais chez laprincesse, et avais d’aussi fréquentes occasions que j’en désiraisd’y voir la comtesse Ida. Je ne puis dire qu’elle me recevait avecune faveur particulière ; le cœur de cette sotte petitecréature était, comme je l’ai dit, ignoblement engagéailleurs ; et quelque séduisantes que pussent être ma personneet mes manières, on ne devait pas s’attendre à ce qu’elle oubliâttout d’un coup son amant pour le jeune gentilhomme irlandais quilui faisait la cour. Mais les petites rebuffades que j’essuyaisétaient loin de me décourager. J’avais de très-puissants amis, quidevaient m’aider dans mon entreprise ; et je savais que, tôtou tard, la victoire devait être à moi. Dans le fait, jen’attendais que mon moment pour faire valoir mes prétentions. Quipouvait deviner le terrible coup du sort qui menaçait mon illustreprotectrice, et qui devait m’envelopper en partie dans saruine ?

Toutes choses semblèrent pour un tempsfavorables à mes vœux ; et, en dépit de l’éloignement de lacomtesse Ida, il était plus aisé de la ramener à la raison qu’on nele suppose peut-être dans un absurde pays constitutionnel commel’Angleterre, où le peuple n’est point élevé dans ces sainesdoctrines d’obéissance à la royauté qui dominaient en Europe àl’époque où j’étais un jeune homme.

J’ai expliqué comment, par Magny, j’avais laprincesse, pour ainsi dire, à mes pieds. Son Altesse n’avait qu’àappuyer cette union auprès du vieux duc, sur qui son influenceétait sans bornes, et à s’assurer du bon vouloir de la comtesse deLiliengarten (titre romantique de l’épouse morganatique de SonAltesse), et le facile vieillard donnerait l’ordre de notremariage, et il faudrait bien que sa pupille y obéît.Mme de Liliengarten était aussi, à cause de saposition, extrêmement désireuse d’obliger la princesse Olivia, qui,un jour ou l’autre, pouvait être appelée à monter sur le trône. Levieux duc était tout chancelant, apoplectique, et excessivementamateur de bonne chère. Lorsqu’il ne serait plus, le patronage dela duchesse Olivia deviendrait tout à fait nécessaire à sa veuve.De là la parfaite intelligence qui régnait entre ces deux dames, etle monde disait que la princesse héréditaire avait déjà eul’assistance de la favorite en diverses occasions. Son Altesseavait obtenu, par la comtesse, plusieurs grosses sommes d’argentpour le payement de ses nombreuses dettes ; et, maintenant,elle était assez bonne pour exercer sa gracieuse influence surMme de Liliengarten, afin d’obtenir pour moil’objet qui me tenait si fort à cœur. On ne doit point supposer quemon but pût être atteint sans répugnance et refus continuels de lapart de Magny ; mais je poussais résolument ma pointe etj’avais en main de quoi triompher de l’obstination de ce faiblejeune homme. Je puis dire aussi, sans vanité, que, si la haute etpuissante princesse me détestait, la comtesse (quoiqu’elle fût,disait-on, d’une origine extrêmement basse) avait meilleur goût etm’admirait. Elle nous faisait souvent l’honneur de s’associer ànous dans une des banques de notre pharaon, et déclarait quej’étais le plus bel homme du duché. Tout ce qu’on me demandaitétait de prouver ma noblesse, et je me fis faire à Vienne unegénéalogie de nature à satisfaire les plus avides en ce genre. Aufait, qu’est-ce qu’un homme descendu des Barry et des Brady avait àcraindre devant aucun von d’Allemagne ? Pour plus desûreté, je promis à Mme de Liliengarten dixmille louis le jour de mon mariage, et elle savait que comme joueurje n’avais jamais manqué à ma parole, et je jure que, quandj’aurais dû le payer cinquante pour cent, j’aurais trouvél’argent.

Ainsi, par mes talents, par mon honnêteté, parma finesse, eu égard à ma position de pauvre proscrit, je m’étaisprocuré de très-puissants protecteurs. Même S. A. le ducVictor était favorablement disposé pour moi ; son cheval debataille favori ayant été pris de vertiges, je lui donnai uneboulette comme celles que mon oncle Brady avait l’habituded’administrer ; je guéris le cheval, et depuis lors SonAltesse daigna me remarquer souvent. Elle m’invita à ses parties dechasse à courre et à tir, où je me montrai bon chasseur, et une oudeux fois elle daigna me parler de mes projets d’avenir, déplorantque je me fusse adonné au jeu, et que je n’eusse pas adopté un modeplus régulier d’avancement. « Monsieur, dis-je, si VotreAltesse veut me permettre de lui parler franchement, le jeu n’estpour moi qu’un moyen. Où aurais-je été sans cela ? Je seraisencore simple soldat dans les grenadiers du roi Frédéric. Je sorsd’une race qui a donné des princes à mon pays ; mais despersécutions les ont privés de leurs vastes possessions. Lafidélité de mon oncle à son antique foi l’a chassé de notre pays.J’avais résolu aussi de faire mon chemin au service ; maisl’insolence et les mauvais traitements des Anglais n’étaient passupportables pour un gentilhomme de haute naissance, et je me suisenfui. Ce ne fut que pour tomber dans une autre servitude àlaquelle il semblait encore plus impossible de se soustraire,lorsque ma bonne étoile m’envoya un sauveur en la personne de mononcle, et mon énergie et mon courage me mirent à même de profiterdu moyen d’évasion qui s’offrait à moi. Depuis lors, nous avonsvécu, je ne le déguise pas, du jeu ; mais qui peut dire que jelui aie fait tort ? Cependant, si je pouvais me trouver dansun poste honorable, et avec une existence assurée, excepté pour monamusement, comme doit faire tout gentilhomme, je ne toucherais plusune carte de ma vie. Je supplie Votre Altesse de s’informer de sonrésident à Berlin si, en toute circonstance, je ne me suis pasconduit en vaillant soldat. Je sens que j’ai des talents d’un ordreplus élevé, et je serai fier d’avoir occasion de les déployer, si,comme je n’en doute pas, ma fortune me permet de lefaire. »

La candeur de ces paroles frappa vivement SonAltesse, l’impressionna en ma faveur, et elle voulut bien direqu’elle me croyait et qu’elle serait charmée de se montrer monami.

Ayant ainsi gagné à ma cause les deux ducs, laduchesse et la favorite régnante, les chances étaient certainementque je remporterais le prix de la lutte ; et, d’après tous lescalculs ordinaires, je devrais être en ce moment prince del’empire, si ma mauvaise fortune ne m’avait poursuivi en une choseoù je n’étais pas le moins du monde à blâmer, je veux direl’attachement de l’infortunée duchesse pour ce faible et sotpoltron de Français. La publicité de cet amour était pénible àvoir, comme sa fin fut effroyable à penser. La princesse ne s’encachait nullement. Si Magny disait un mot à une dame de sa maison,elle devenait jalouse, et attaquait de toute la fureur de sa languela malheureuse coupable. Il recevait d’elle une demi-douzaine debillets par jour ; lorsqu’il apparaissait à ses réceptions,petites ou grandes, elle était rayonnante à tel point que tout lemonde le remarquait. C’était un prodige que son mari ne se fût pasaperçu depuis longtemps de son infidélité ; mais le princeVictor était lui-même d’une nature si élevée et si sévère, qu’il nepouvait pas croire qu’elle méconnût assez son rang pour oublier savertu ; et j’ai ouï dire que lorsqu’on lui faisait desinsinuations au sujet de la partialité évidente que la princessemontrait pour l’écuyer, sa réponse était un ordre sévère de ne plusjamais l’importuner à cet égard. « La princesse est d’humeurlégère, disait-il ; elle a été élevée dans une courfrivole ; mais sa folie ne va pas au delà de lacoquetterie ; le crime est impossible ; elle a sanaissance, et mon nom, et ses enfants, pour la défendre. » Etil partait pour ses inspections militaires, et restait absentplusieurs semaines, ou se retirait dans ses appartements et s’yenfermait des jours entiers, ne paraissant que pour saluer au leverde la princesse, ou pour lui donner la main aux galas de la cour,où l’étiquette exigeait qu’il se montrât. C’était un homme de goûtsvulgaires, et je l’ai vu dans le jardin privé, avec son grand corpsgauche, courir ou jouer à la balle, avec son fils et sa fille,qu’il trouvait des prétextes d’aller voir une douzaine de fois parjour. Les sérénissimes enfants étaient amenés chaque matin à latoilette de leur mère ; mais elle les recevait avec beaucoupd’indifférence, excepté une fois que le jeune duc Ludwig avait sonpetit uniforme de colonel de hussards son parrain, l’empereurLéopold, lui ayant fait cadeau d’un régiment. Alors, pour un jourou deux, la princesse Olivia fut charmée du petit garçon ;mais elle s’en fatigua vite, comme un enfant d’un jouet. Je mesouviens qu’un jour, au cercle du matin, un peu de rouge de laprincesse tomba sur la manche du petit uniforme blanc de son fils,sur quoi elle donna un soufflet au pauvre enfant, et le renvoyatout en sanglots. Oh ! tout le mal qu’ont fait les femmes ence monde ! les malheurs dans lesquels les hommes sont entréslégèrement et la face souriante, souvent sans même l’excuse de lapassion, par pure fatuité, vanité, bravade ! Les hommes jouentavec ces terribles armes à deux tranchants, comme s’il ne pouvaitleur en arriver aucun mal. Moi, qui ai plus vu de la vie que laplupart des hommes, si j’avais un fils, je le supplierais à genouxd’éviter la femme, qui est pire que le poison. Ayez une intrigue,et toute votre vie est en danger : vous ne savez pas quand lemal peut tomber sur vous, et ce qu’un moment de folie peut causerde malheurs à des familles entières, et amener de ruine surd’innocentes têtes qui vous sont parfaitement chères.

Lorsque je vis à quel point l’infortunéM. de Magny paraissait perdu sans ressource, en dépit detout ce que j’avais à réclamer de lui, je le pressai de fuir. Ilavait un logement au palais, dans les mansardes, au-dessus desappartements de la princesse (c’était un vaste bâtiment, et quicontenait toute une population de nobles serviteurs de lafamille) ; mais l’infatué jeune fou ne voulut pas bouger,quoiqu’il n’eût pas même l’excuse de l’amour. « Comme ellelouche, disait-il de Son Altesse, et comme elle estcontrefaite ! Elle croit que personne ne s’aperçoit de sadifformité. Elle m’écrit des vers pris dans Gresset ou dansCrébillon, et s’imagine que je les crois originaux. Bah ! ilsne sont pas plus à elle que ses cheveux ! » C’était decette manière que ce jeune misérable dansait sur l’abîme quis’ouvrait sous lui. Je crois que son principal plaisir, en faisantla cour à la princesse, était de pouvoir écrire ses victoires à sesamis des petites maisons de Paris, où il se mourait d’êtreconsidéré comme un bel esprit et un vainqueur de dames.

Voyant l’insouciance de ce jeune homme et ledanger de sa position, je devins très-désireux que mes petitsprojets arrivassent à une conclusion satisfaisante, et je lepressai vivement à ce sujet.

Mes sollicitations auprès de lui avaient, jen’ai pas besoin de le dire, par la nature de nos rapports,généralement assez de succès ; et, dans le fait, le pauvregarçon n’avait rien à me refuser, comme je le lui disais souvent enriant, à sa médiocre satisfaction. Mais j’employais plus que desmenaces, ou que la légitime influence que j’avais sur lui.J’employais la délicatesse et la générosité : j’en puis citerpour preuve la promesse que je fis de rendre à la princesse cetteémeraude de famille dont j’ai parlé dans le dernier chapitre, etque j’avais gagnée au jeu à son peu scrupuleux adorateur.

Ce fut du consentement de mon oncle, et ce futun de ces actes ordinaires de sagesse et de prévoyance quidistinguent cet habile homme. « Pressez l’affaire maintenant,Redmond, mon enfant, me recommandait-il. Cette intrigue entre laprincesse et Magny doit finir mal pour tous deux, et cela bientôt,et alors quelle chance aurez-vous d’obtenir la comtesse ?Voici l’instant ! Faites capituler la place avant la fin dumois, et nous laisserons là notre banque, et nous vivrons enseigneurs dans notre château de Souabe. Débarrassez-vous ici decette émeraude, ajouta-t-il ; s’il arrivait un accident, ceserait une vilaine chose à trouver dans nos mains. » Ce fut cequi me décida à renoncer à la possession de ce joyau, dont, je doisl’avouer, il me coûtait de me dessaisir. Ce fut un bonheur pournous que je l’eusse fait, comme vous allez voir.

Pendant ce temps-là, donc, je pressaisMagny : je parlai moi-même à la comtesse de Liliengarten, quime promit formellement d’appuyer ma demande auprès de Son Altessele duc régnant ; et M. de Magny eut pourinstructions de décider la princesse Amalia à faire une semblabledémarche auprès du vieux souverain en ma faveur. Elle fut faite.Les deux dames pressèrent le prince ; Son Altesse, à un souperd’huîtres et de vin de Champagne, fut amenée à consentir, et SonAltesse la princesse héréditaire me fit l’honneur de notifier enpersonne à la comtesse Ida que l’intention du prince était qu’elleépousât le jeune seigneur irlandais, le chevalier Redmond deBalibari. La notification eut lieu en ma présence, et quoique lajeune comtesse dît : « Jamais ! » et tombâtsans connaissance aux pieds de sa maîtresse, je fus, comme vouspensez bien, fort peu ému de ce petit déploiement de fadesensibilité, et compris que j’étais sûr de ma proie.

Ce soir-là, je remis l’émeraude au chevalierde Magny, qui promit de la rendre à la princesse ; etmaintenant mon seul obstacle était le prince héréditaire, dont sonpère, sa femme et la favorite avaient également peur. Il pouvait nepas être disposé à souffrir que la plus riche héritière de sonduché tombât aux mains d’un noble, mais non riche étranger. Ilfallait du temps pour faire cette ouverture au prince Victor. Ilfallait que la princesse le prît dans un moment de bonne humeur. Ilavait encore des jours d’enivrement, où il ne savait rien refuser àsa femme ; et notre plan était d’attendre un de ces jours, outoute autre chance qui pourrait s’offrir.

Mais il était dit que la princesse n’auraitjamais son époux à ses pieds, comme il y avait été souvent. Ledestin préparait un terrible dénoûment à ses folies et à mon propreespoir. En dépit des promesses solennelles qu’il m’avait faites,Magny ne rendit point l’émeraude à la princesse Amalia.

Il avait su, dans ses relations accidentellesavec moi, que mon oncle et moi nous avions eu des obligations àM. Moïse, Löwe, le banquier de Heidelberg, qui nous avaitdonné un bon prix de nos objets de valeur ; et le jeuneécervelé saisit un prétexte d’aller le trouver, et voulut mettre lebijou en gage. Moïse Löwe reconnut sur-le-champ l’émeraude, donna àMagny la somme que ce dernier demandait, et que le chevalier eutbientôt perdue au jeu, sans nous faire connaître, comme vous pouvezle penser, le moyen par lequel il se trouvait en possession d’unesomme aussi forte. Nous supposions, quant à nous, qu’elle lui étaitfournie par son banquier habituel, la princesse ; et maintsrouleaux de ses pièces d’or trouvèrent le chemin de notre caisse,lorsque aux galas de la cour, dans notre propre logis, ou dans lesappartements de Mme de Liliengarten (qui, ences occasions, nous faisait l’honneur d’être de moitié avec nous),nous tenions notre banque de pharaon.

Ainsi, l’argent de Magny fut bien vite parti.Mais quoique le juif gardât son joyau, qui valait, sans aucundoute, le triple de ce qu’il lui avait prêté, ce n’était pas toutle profit qu’il comptait tirer de son malheureux emprunteur, surlequel il commença à exercer son autorité. Ses relations hébraïquesà X…, changeurs, banquiers, marchands de chevaux, qui avaient desaccointances avec la cour, avaient dû dire à leur frère deHeidelberg quels étaient les rapports de Magny avec la princesse,et le coquin résolut d’en tirer avantage et de pressurerimpitoyablement ses deux victimes. Mon oncle et moi, pendant cetemps-là, nous nagions en pleine prospérité, triomphant aux cartes,et, ce qui était plus important encore, au jeu matrimonial que nousétions en train de jouer ; et nous n’avions aucun soupçon dela mine qui se creusait sous nos pieds.

Ayant qu’un mois fût passé, le juif commença àtourmenter Magny. Il se présenta à X…, et demanda de plus grosintérêts, de l’argent pour se taire ; autrement il seraitforcé de vendre l’émeraude. Magny lui donna de l’argent : laprincesse était venue au secours de son poltron d’amant. Le succèsde la première demande ne servit qu’à rendre la seconde plusexorbitante. Je ne sais pas combien d’argent fut extorqué et payépour cette malencontreuse émeraude ; mais elle fut la cause denotre ruine à tous.

Un soir, nous tenions notre banque comme decoutume chez la comtesse de Liliengarten, et Magny, étant en fondsde manière ou d’autre, ne faisait que tirer rouleau sur rouleau, etjouait avec son malheur habituel. Au milieu du jeu, on lui apportaun billet qu’il lut, et dont la lecture le rendit très-pâle ;mais la chance était contre lui, et, regardant avec une certaineanxiété à la pendule, il attendit quelques coups de plus, et aprèsavoir, je suppose, perdu son dernier rouleau, il se leva avec unjurement qui effaroucha plusieurs personnes de cette compagniedistinguée, et sortit de la chambre. Un grand piétinement dechevaux au dehors se fit entendre ; mais nous étions tous tropà notre affaire pour faire attention à ce bruit, et nouscontinuâmes à jouer.

Peu après, quelqu’un entra dans la salle dejeu et dit à la comtesse :

« Voici une singulière histoire ! Unjuif a été assassiné dans le Kaiserwald. Magny a été arrêté ensortant d’ici. »

Toute la compagnie se sépara à cette étrangenouvelle, et nous cessâmes notre banque pour ce soir-là. Magnyavait été assis près de moi pendant le jeu (mon oncle donnait lescartes, et moi je payais et prenais l’argent), et en regardant soussa chaise j’y trouvai un papier froissé, que je ramassai et que jelus. C’était celui qu’on lui avait remis, et il était conçu en cestermes :

« Si vous l’avez fait, prenez le chevalde l’ordonnance qui vous apporte ceci. C’est le meilleur de monécurie ; il y a cent louis dans chaque fonte, et les pistoletssont chargés. L’une ou l’autre voie vous est ouverte ; voussavez ce que je veux dire. Dans un quart d’heure, je saurai notresort… si je dois être déshonoré et vous survivre, si vous êtescoupable et lâche, ou si vous êtes encore digne du nom de

« M… »

C’était l’écriture du vieux général deMagny ; et mon oncle et moi, comme nous rentrions chez nousaprès avoir fait et partagé avec la comtesse Liliengarten desbénéfices qui ne laissaient pas que d’être considérables cesoir-là, nous sentîmes notre triomphe plus que compromis par lecontenu de cette lettre.

« Magny, nous demandâmes-nous, a-t-ilvolé le juif, ou son intrigue a-t-elle étédécouverte ? »

Dans les deux cas, mes prétentions sur lacomtesse Ida étaient menacées d’un sérieux échec ; et jecommençais à me dire que mon grand coup de partie était joué etpeut-être perdu.

Eh bien, il était perdu ; mais jesoutiens, jusqu’à ce jour, qu’il fut bien et vaillamment joué.Après souper (nous ne soupions jamais pendant le jeu, de peur desconséquences), je devins si inquiet de ce qui se passait, que jerésolus de sortir vers minuit et de m’informer dans la ville dumotif réel de l’arrestation de Magny. Une sentinelle était à laporte, et me signifia que mon oncle et moi nous étionsprisonniers.

Nous fûmes laissés six semaines dans notrelogement, gardés de si près, que l’évasion était impossible si nousen avions eu l’idée ; mais, étant innocents, nous n’avionsrien à craindre. La vie que nous menions n’était un secret pourpersonne, et nous désirions et appelions l’examen. Il arrivapendant ces six semaines de grands et tragiques événements qui,bien que nous en eussions appris la substance, comme fit toutel’Europe, lorsque nous sortîmes de notre captivité, étaient loin denous être connus dans tous leurs détails, que je restai encore biendes années sans savoir. Les voici tels qu’ils me furent racontéspar la dame qui, de tout l’univers, était la personne quiparaissait le mieux à portée de les connaître. Mais il vaut mieuxen réserver le récit pour un autre chapitre.

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