Oedipe Scène VI
JOCASTE, ÉGINE, LEGRAND-PRÊTRE, LE CHOEUR.
LE GRAND-PRÊTRE.
Peuples, un calme heureux écarte les tempêtes;
Un soleil plus serein se lève sur vos têtes;
Les feux contagieux ne sont plus allumés;
Vos tombeaux qui s’ouvraient sont déjà refermés;
La mort fuit, et le dieu du ciel et de la terre
Annonce ses bontés par la voix du tonnerre.
(Ici on entend gronder lafoudre,
et l’on voit briller les éclairs.)
JOCASTE.
Quels éclats! ciel! où suis-je? et qu’est-ce que j’entends?
Barbares!…
LE GRAND-PRÊTRE.
C’en est fait, et les dieux sont contents.
C’en es fait: nos destins sont remplis:
Laïus était mon père, et je suis votre fils
Laïus du sein des morts cesse de vouspoursuivre;
Il vous permet encor de régner et de vivre;
Le sang d’Oedipe enfin suffit à son courroux.
LE CHOEUR.
Dieux!
JOCASTE.
O mon fils! hélas! dirai-je mon époux?
O des noms les plus chers assemblage effroyable!
Il est donc mort?
LE GRAND-PRÊTRE.
Il vit, et le sort qui l’accable
Des morts et des vivants semble le séparer:
Il s’est privé du jour avant que d’expirer.
Je l’ai vu dans ses yeux enfoncer cette épée
Qui du sang de son père avait été trempée;
Il a rempli son sort; et ce moment fatal
Du salut des Thébains est le premier signal.
Comme il veut, aux mortels il fait justice ou grâce;
Ses traits sont épuisés sur ce malheureux fils.
Vivez, il vous pardonne.
JOCASTE, se frappant.
Et moi, je me punis.
Par un pouvoir affreux réservée à l’inceste,
La mort est le seul bien, le seul dieu qui mereste.
Laïus, reçois mon sang, je te suis chez les morts:
J’ai vécu vertueuse, et je meurs sans remords.
LE CHOEUR.
O malheureuse reine! ô destin que j’abhorre!
JOCASTE.
Ne plaignez que mon fils, puisqu’il respire encore.
Prêtres, et vous Thébains, qui fûtes mes sujets,
Honorez mon bûcher, et songez à jamais
Qu’au milieu des horreurs du destin qui m’opprime,
J’ai fait rougir les dieux qui m’ont forcée au crime.
FIN D’OEDIPE. Voltaire