Persuasion

Chapitre 14

 

Charles et Marie furent les premiers àretourner à Uppercross. Ils ne tardèrent pas à revenir à Lodge. Onsut par eux que Louisa commençait à se lever, mais elle étaitencore très faible, très impressionnable, et il était impossible dedire quand elle pourrait voyager.

Marie avait eu des ennuis, mais son longséjour prouvait qu’elle avait eu plus de plaisir que de peine.Charles Hayter était venu plus souvent, il est vrai, qu’ellen’aurait voulu ; puis, chez les Harville, il n’y avait qu’undomestique pour servir à table, et au commencement on n’avait pasdonné à Marie la première place. Mais on lui avait fait de sigracieuses excuses, quand on avait su de qui elle était fille, etl’on avait été si prévenant ensuite ; on lui avait prêté deslivres, et l’on avait fait si souvent de jolies promenades, que labalance était en faveur de Lyme. Tout cela, joint à la convictiond’être très utile, lui avait fait passer une agréablequinzaine.

Anna s’informa de Benwick. La figure de Mariese rembrunit aussitôt. Charles se mit à rire :

« Oh ! Benwick va très bien, ditMarie ; mais c’est un drôle de garçon. Il ne sait ce qu’ilveut. Nous lui avons demandé de venir passer quelques jours cheznous ; Charles devait l’emmener à la chasse. Il paraissaittrès content, quand, mardi soir, il donna une singulièreexcuse : Il ne chassait jamais ; on ne l’avait pascompris : il avait promis ceci, puis cela, etc. ; enfinil ne venait pas. Il a sans doute craint de s’ennuyer, mais envérité j’aurais cru que nous étions assez gais au cottage pour lecœur brisé du capitaine Benwick. »

Charles dit en riant :

« Mais, Marie, vous savez bien ce qu’ilen est.

» Voici votre œuvre, dit-il à Anna. Ils’imaginait vous trouver ici ; quand il a su que vous étiez àune lieue de nous, il n’a pas eu le courage de venir. Voilà lavérité ; parole d’honneur. »

Marie laissa tomber la conversation, soitqu’elle ne jugeât pas Benwick digne de prétendre à une miss Elliot,soit qu’elle ne reconnût pas à Anna le pouvoir de rendre Uppercrossplus attrayant.

Je laisse ce point à décider au lecteur.

Le bon vouloir d’Anna cependant n’en fut pointdiminué. Elle dit qu’on la flattait trop, et continua àquestionner.

« Oh ! il parle de vous dans destermes… »

Marie l’interrompit :

« Je vous assure, Charles, que je ne l’aipas entendu nommer Anna deux fois.

– Je n’en sais rien, mais il vous admirebeaucoup. Sa tête est remplie des lectures que vous lui avezrecommandées, et il désire en causer avec vous. Il a découvert…oh ! je ne puis me rappeler quoi, quelque chose de très beau.Il expliquait cela à Henriette, et, parlant de vous, il prononçaitles mots : élégance, douceur, beauté. Oh ! je l’aientendu, Marie ; vous étiez dans l’autre chambre : il nepouvait tarir sur les perfections de miss Elliot.

– Il faut convenir, dit Marie avecvivacité, que, s’il a dit cela, ce n’est pas à sa louange : safemme est morte en juin dernier. Un cœur pareil n’est pasdésirable ; n’est-ce pas, lady Russel ?

– Et je vous affirme que vous le verrezbientôt, dit Charles, il n’a pas eu le courage de venir au cottage,mais il trouvera quelque jour la route de Kellynch, comptez-y. Jelui ai dit que l’église méritait d’être vue, et comme il a du goûtpour ces sortes de choses il aura là un bon prétexte. Il a écoutéavidement, et je suis sûr qu’il viendra bientôt. Ainsi je vousavertis, lady Russel.

– Les amis d’Anna seront toujours lesbienvenus chez moi, répondit-elle obligeamment.

– Oh ! dit Marie, quant à être uneconnaissance d’Anna, il est plutôt la mienne, car je l’ai vu tousles jours de cette quinzaine.

– Eh bien, je serai très heureuse de voirle capitaine Benwick comme votre connaissance à toutes deux.

– Vous ne trouverez rien de très agréableen lui, je vous assure : c’est l’homme le plus ennuyeux qu’onpuisse voir. Il s’est promené sur la plage avec moi, plusieursfois, sans dire un mot : Il n’est pas bien élevé, et il estcertain que vous ne l’aimerez pas.

– En cela, nous différons, dit Anna. Jecrois que lady Russel l’aimera, et que son esprit lui plairatellement qu’elle ne trouvera aucun défaut à ses manières.

– Je pense comme vous, dit Charles. Il ajustement ce qu’il faut pour lady Russel. Donnez-lui un livre, etil lira toute la journée.

– Oui, s’écria railleusement Marie. Ilméditera sur son livre, et ne saura pas si on lui parle, ou si onlaisse tomber ses ciseaux. Croyez-vous que lady Russel aimecela ? »

Lady Russel ne put s’empêcher de rire :« En vérité, dit-elle, je n’aurais pas supposé, que l’opiniond’une personne calme et positive comme moi pût être appréciée sidifféremment. Je suis vraiment curieuse de voir celui qui peutdonner lieu à des idées si opposées. Il faut le décider à venirici. Soyez sûre, alors, Marie, que je dirai mon opinion ; maisje suis décidée à ne pas le juger d’avance.

– Vous ne l’aimerez pas, je vous enréponds. »

Lady Russel causa d’autre chose. Marie parlaavec animation de la rencontre de M. Elliot.

« C’est un homme, dit lady Russel, que jene désire pas voir. Son refus d’être en bons termes avec le chef dela famille m’a laissé une impression défavorable. »

Cette réflexion abattit l’enthousiasme deMarie et l’arrêta court dans sa description.

Anna n’osa faire de questions sur Wenvorth,mais elle sut qu’il était moins inquiet à mesure que Louisa seremettait. Il n’avait pas vu Louisa et craignait tellementl’émotion d’une entrevue avec elle, qu’il avait résolu des’absenter une dizaine de jours. À partir de ce moment, lady Russelet Anna pensèrent souvent à Benwick. Lady Russel ne pouvaitentendre sonner sans croire aussitôt que c’était lui, et Anna,chaque fois qu’elle sortait, se demandait en rentrant si elleallait le trouver à la maison.

Cependant on ne vit pas Benwick.

Était-il moins désireux de venir que Charlesne le croyait, ou était-ce timidité de sa part ? Après l’avoirattendu une semaine, lady Russel le déclara indigne de l’intérêtqu’il avait commencé à lui inspirer.

Les Musgrove revinrent pour les vacances deleurs enfants et ramenèrent avec eux ceux deMme Harville, Henriette resta avec Louisa. LadyRussel et Anna allèrent faire visite à Mansion-House : lamaison avait déjà repris quelque gaîté.Mme Musgrove, entourée des petits Harville, lesprotégeait contre la tyrannie des enfants du cottage. D’un côté onvoyait une table occupée par les jeunes filles babillardes,découpant des papiers d’or et de soie ; d’un autre, desplateaux chargés de pâtisseries auxquelles les joyeux garçonsfaisaient fête. Un brillant feu de Noël faisait entendre sonpétillement en dépit du bruit. Charles et Marie étaient làaussi ; M. Musgrove s’entretenait avec lady Russel et neparvenait pas à se faire entendre, assourdi par les cris desenfants qu’il avait sur les genoux. C’était un beau tableau defamille. Anna, jugeant les choses d’après son tempérament, trouvaitque cet ouragan domestique n’était guère fait pour calmer les nerfsde Louisa, si elle eût été là ; maisMme Musgrove n’en jugeait pas ainsi. Après avoirchaudement remercié Anna de tous ses services, et récapitulé toutce qu’elle-même avait souffert, elle dit, en jetant un regardheureux autour d’elle, que rien ne pouvait lui faire plus de bienque cette petite gaîté tranquille.

Anna apprit que Louisa se rétablissait à vued’œil. Les Harville avaient promis de la ramener à Uppercross etd’y rester quelque temps.

« Je me souviendrai à l’avenir qu’il nefaut pas venir ici pendant les vacances de Noël, » dit ladyRussel une fois montée en voiture.

Peu de temps après, elle arriva à Bath par unpluvieux après-midi, longeant la longue suite de rues depuisOld-Bridge jusqu’à Camben-Place, éclaboussée par les équipages,assourdie par le bruit des charrettes et des camions, par les crisde marchands de journaux et de gâteaux, ceux des laitières et despiétons, elle ne se plaignit pas : non, c’étaient là desbruits appartenant aux plaisirs de l’hiver. Elle se sentaitrenaître, et, comme Mme Musgrove, elle pensait,mais sans le dire, qu’après avoir été longtemps à la campagne, rienn’était si bon pour elle qu’une petite distraction tranquille.

Anna n’était pas de cet avis : ellepersistait dans son antipathie pour Bath. Elle aperçut la longuesuite de maisons enfumées, sans éprouver le désir de les voir deplus près : le trajet, quoique désagréable, lui sembla troprapide, car personne ne la désirait, et elle donna un souvenir deregret à la gaîté bruyante d’Uppercross et à la solitude deKellynch-Lodge.

La dernière lettre d’Élisabeth lui annonçaitque M. Elliot était à Bath. Il était venu plusieurs fois àCamben-Place et s’était montré extrêmement attentif. Si Élisabethet son père ne se trompaient pas, il les recherchait avec autant desoin qu’il en avait mis à les éviter. Cela était fort étonnant.Lady Russel était très curieuse et très perplexe, et rétractaitdéjà ce qu’elle avait dit à Anna : « Un homme qu’ellen’avait aucun désir de voir. » Maintenant elle désiraitvivement le voir ; s’il cherchait réellement à se réconcilier,il fallait lui pardonner de s’être écarté de la famille. Anna n’ymettait pas autant d’animation, mais elle préférait le revoir, etelle n’aurait pu en dire autant de bien d’autres à Bath. Elledescendit à Camben-Place, et lady Russel à son appartement, rueRiver.

Auteurs::

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer